LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte aux sociétés [C] SA, [C] France SA et [C] SA [Localité 1] du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre M. [D], la société [Y], [A], [X], M. [H], M. [E] et l'association [N] et [M] ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 septembre 2015), qu'en février 1989, à la suite d'un appel d'offres émanant du ministère de l'économie et du commerce de la République du Liban, un contrat de livraison de blé a été conclu par la société [C] [Localité 1], agissant pour le compte de la société [C] France (les sociétés [C]) ; que l'exécution de ce contrat ayant donné lieu à un litige, les sociétés [C] ont assigné en paiement le ministère de l'économie et du commerce de la République du Liban devant un tribunal de commerce qui, par jugement du 1er mars 1996, a accueilli la demande ; que, par arrêt infirmatif du 20 mai 1999, retenant que ce ministère n'avait ni la capacité ni la qualité d'ester en justice, et que seul l'Etat libanais était doté de la personnalité juridique, la cour d'appel de Versailles a déclaré nuls l'acte introductif d'instance et la procédure subséquente ; qu'après rejet du pourvoi en cassation formé contre cette décision, les sociétés [C] ont introduit une nouvelle action aux mêmes fins contre l'Etat du Liban, qui a été irrévocablement déclarée prescrite, par arrêt du 20 février 2014 ; qu'ayant été condamnées à payer diverses sommes à cet Etat, par jugement d'un tribunal libanais du 11 juillet 1996, confirmé par arrêt de la cour d'appel de Beyrouth du 6 juin 2001, auquel l'exequatur en France a été accordé par jugement du 25 mars 2014, confirmé le 6 mars 2015, les sociétés [C] ont, le 9 janvier 2009, assigné en responsabilité et indemnisation, notamment, M. [M], l'association [N] et [M], M. [B], la SCP [G]-[B]-[O], la SCP [J] et [S], et la SCP [F]-[I]-[K]-[U], avocats et avoués en charge de leurs intérêts dans les procédures judiciaires suivies sur le territoire français ; que la société Covéa Risks, aux droits de laquelle viennent les sociétés MMA IARD assurances mutuelles et MMA IARD, est intervenue volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés [C] font grief à l'arrêt de déclarer irrecevables leurs demandes dirigées M. [M], alors, selon le moyen :
1°/ que les juges sont tenus de motiver leur décision, donc de répondre aux moyens qui leur sont présentés ; qu'en considérant qu'elle n'aurait été liée que par le dispositif des écritures des demanderesses sans avoir à répondre aux moyens présentés au soutien des prétentions récapitulées par ce dispositif, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
2°/ qu'il n'est pas permis au juge de dénaturer les termes du litige ; qu'en considérant que les sociétés [C] SA et [C] [Localité 1] n'auraient pas répondu aux fins de non-recevoir soulevées par la société Covéa Risks, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3°/ que l'action en responsabilité dirigée contre un avocat pour une faute commise dans la mission qui lui était confiée d'assigner une partie et de rédiger l'assignation se prescrit par dix ans à compter de la fin de la mission, c'est-à-dire du prononcé de la nullité de l'assignation ; qu'en considérant que l'action dirigée contre M. [M] à raison de la mission confiée à ce dernier de rédaction de l'assignation introductive de l'instance dirigée contre l'Etat du Liban serait prescrite, après avoir constaté que la nullité de cette assignation avait été prononcée par arrêt du 20 mai 1999 et que l'action en responsabilité avait été introduite par acte du 9 janvier 2009, la cour d'appel a violé l'article 2277-1 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce ;
Mais attendu qu'en vertu de l'article 2277-1 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008, la mission d'assistance ou de représentation en justice de l'avocat prend fin au jour du prononcé de la décision de justice, qui termine l'instance à laquelle il a reçu mandat d'assister ou de représenter son client, et que le délai de prescription de l'action en responsabilité qu'exerce ce dernier, en cas de défaillance de son conseil dans l'exécution d'une telle mission, court à compter de la fin de celle-ci ;
Que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt retient qu'il ressort des pièces versées aux débats que la mission de M. [M] ne s'est pas poursuivie au-delà du prononcé de la décision de première instance et que celui-ci a été déchargé postérieurement à cette date de toute obligation de conseil et d'information au titre des procédures subséquentes, d'autres personnes, avocats et avoués, ayant été mandatées au titre de la procédure en appel ; que la cour d'appel en a exactement déduit que les demandes formées par les sociétés [C] étaient irrecevables comme prescrites ; que le moyen, inopérant en ses première et deuxième branches qui critiquent des motifs surabondants, n'est pas fondé pour le surplus ;
Sur le second moyen :
Attendu que les sociétés [C] font grief à l'arrêt de déclarer prescrite leur demande en paiement par équivalence du montant des condamnations prononcées par la cour d'appel de Beyrouth le 6 juin 2001, alors, selon le moyen, que la demande de réparation du préjudice résultant d'une faute commise par une personne ayant représenté ou assisté une partie en justice se prescrit par dix ans à compter de la fin de la mission ; qu'en considérant que la demande en paiement par équivalence du montant des condamnations prononcées par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Beyrouth le 6 juin 2001 serait prescrite, quand il résulte de ses constatations que la mission des conseils en cause avait pris fin le 20 mai 1999 et que l'action en responsabilité dirigée à leur encontre avait été introduite le 9 janvier 2009, la cour d'appel a violé l'article 2277-1 du code civil, ensemble l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile ;
Mais attendu que toute demande en justice, formée dans l'acte introductif d'instance ou en cours de procès, doit respecter le délai de prescription qui lui est applicable ; qu'il résulte des énonciations de l'arrêt que la demande en cause a été présentée pour la première fois devant la cour d'appel, par conclusions du 12 mai 2014, alors que la procédure à l'occasion de laquelle la responsabilité des avocats et avoués était invoquée et l'indemnisation sollicitée, avait pris fin le 20 mai 1999 ; que la cour d'appel en a, à bon droit, déduit que cette demande était prescrite ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés [C] SA, [C] France SA et [C] SA [Localité 1] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour les sociétés [C] SA, [C] France SA et [C] SA [Localité 1]
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'AVOIR déclaré les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] irrecevables en leurs demandes dirigées contre l'association [N] [M] et monsieur [A] [M] ;
AUX MOTIFS QUE : « les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] recherchent la responsabilité de M. [A] [M], avocat, pour avoir manqué à son obligation de compétence en engageant une action à l'encontre d'une personne morale qui n'avait pas la capacité juridique de défendre et qui ne pouvait donc pas valablement représenter l'Etat du Liban, de sorte que par un arrêt infirmatif du 20 mai 1999, la cour d'appel de Versailles a déclaré nulle l'assignation délivrée le 12 avril 1989 et omis de procéder à la restitution du dossier ; la compagnie d'assurances Covea Risks qui intervient volontairement à la procédure en sa qualité d'assureur garantissant la responsabilité civile professionnelle de M. [A] [M] et de l'association [N] et [M], oppose le défaut de capacité juridique de ladite association et dans un second temps la prescription de l'action en responsabilité engagée par les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] à l'encontre de ses deux assurés ; dans le dispositif de leurs écritures qui seul lie la cour, ces deux sociétés concluent à la confirmation de "la mise en cause de la responsabilité civile professionnelle de Maître [M] (.......), la condamnation solidaire de "l'ensemble des défendeurs pour défaut de diligence, défaut de conseil, défaut de restitution et de conservation des pièces du dossier", ainsi qu'à leur condamnation solidaire au paiement de diverses sommes ; il résulte ainsi de la lecture du dispositif de ces conclusions et alors que ces deux fins de non-recevoir opposées par la société Covea Risks n'ont pas été soulevées devant le tribunal mais présentées pour la première fois en cause d'appel , que lesdites sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] n'y ont donc pas répondu ; (…) en tout état de cause, c'est à juste titre que la société Covea Risks fait valoir que l'association d'avocats, [N] et [M] est dépourvue de toute personnalité juridique et que par voie de conséquence doit être déclarée irrecevable toute demande présentée à son encontre ; (…) sur la prescription des demandes dirigées à l'encontre de M. [A] [M], (…) il convient de rappeler que les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] ont expressément indiqué en page 7 de leurs conclusions qu'elles "ont été conseillées, représentées et défendues par les conseils suivants : [P] France : tribunal de commerce de Versailles : Maître [A] [M] avocat plaidant et rédacteur de l'assignation entachée de nullité devant le tribunal de commerce de Versailles. Cour d'appel de Versailles : Maître [E] [B], avocat et la SCP [J] [S], avoués devant la cour d'appel de Versailles. [P] [Localité 1] : tribunal de commerce de Versailles : SCP [Y] [A] [X], avocat plaidant. Cour d'appel de Versailles : Maître [Y] [H], puis Maître [C] [E], avocat au Barreau de Paris, respectivement associé et collaborateur du cabinet d'avocats [Y] [A] [X] et la SCP Jullien Lecharny Roi, avoués près la cour d'appel de Versailles" ; dès lors c'est au regard de la définition des missions que les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] reconnaissent avoir été successivement accomplies par leurs conseils respectifs, que doit être appréciée la responsabilité éventuellement encourue par M. [A] [M] et prioritairement, le point de départ de la prescription de l'action engagée à son encontre à cette fin ; les sociétés [C] SA et [C] SA [Localité 1] affirment sans pour autant le démontrer que M. [A] [M] aurait continué à traiter le dossier de manière secondaire postérieurement au jugement rendu le 1er mars 1996 par le tribunal de commerce de Versailles ; (…) la décision entreprise retient de façon pertinente qu'il "ressort de l'arrêt du 20 mai 1999 que lors de l'audience devant cette cour la société [C] France était représentée par la SCP Bommart-Minault et par M. [B], avocat plaidant, sans que le nom de M. [M] ne figure dans l'arrêt. Il peut en être déduit que la mission de M. [M] ne s'est pas poursuivie au-delà du prononcé de la décision de première instance" ; dans ces conditions le mandat ad litem confié à M. [A] [M] doit être réputé avoir cessé avec le prononcé du jugement qui a mis fin à la procédure de première instance, ce qui a eu pour conséquence de décharger, postérieurement, celui-ci de toute obligation de conseil et d'information au titre des procédures subséquentes ; (…) le point de départ du délai de prescription en matière de responsabilité d'un avocat étant la date de cessation de sa mission et non pas celle du jour où le dommage s'est révélé, il s'avère en conséquence qu'en assignant M. [A] [M] par acte du 9 janvier 2009 la société [C] SA, seule créancière d'un devoir de conseil et la société [C] SA [Localité 1] qui certes n'était pas la cliente de cet avocat, mais est néanmoins recevable à rechercher sa responsabilité quasi délictuelle pour les fautes qu'il aurait pu commettre dans l'exécution du mandat le liant à la société [C] SA qui lui auraient directement causé un dommage, sont, au regard des dispositions de l'ancien article 2277-1 du code civil, alors applicables, prescrites en leurs demandes » ;
ALORS 1°) QUE : les juges sont tenus de motiver leur décision, donc de répondre aux moyens qui leur sont présentés ; qu'en considérant qu'elle n'aurait été liée que par le dispositif des écritures des exposantes sans avoir à répondre aux moyens présentés au soutien des prétentions récapitulées par ce dispositif, la cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
ALORS 2°) QU'il n'est pas permis au juge de dénaturer les termes du litige ; qu'en considérant que les sociétés [C] SA et [C] [Localité 1] n'auraient pas répondu aux fins de non-recevoir soulevées par la société Covea Risks, la cour d'appel a dénaturé les termes du litige, en violation des articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
ALORS 3°) QUE l'action en responsabilité dirigée contre un avocat pour une faute commise dans la mission qui lui était confiée d'assigner une partie et de rédiger l'assignation se prescrit par dix ans à compter de la fin de la mission, c'est-à-dire du prononcé de la nullité de l'assignation ; qu'en considérant que l'action dirigée contre maître [M] à raison de la mission confiée à ce dernier de rédaction de l'assignation introductive de l'instance dirigée contre l'Etat du Liban serait prescrite, après avoir constaté que la nullité de cette assignation avait été prononcée par arrêt du 20 mai 1999 et que l'action en responsabilité avait été introduite par acte du 9 janvier 2009, la cour d'appel a violé l'article 2277-1 du code civil, dans sa rédaction applicable à l'espèce.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré prescrite la demande en paiement par équivalence du montant des condamnations (4. 505.180 USD) prononcées par la cour d'appel de Beyrouth le 6 juin 2001 ;
AUX MOTIFS QUE : « si la prétention dont s'agit se rattache directement à la demande principale visant à voir retenir la responsabilité des différents avocats qui ont assuré la défense des intérêts des dites sociétés et qu'elle n'en est que le complément, à ce titre recevable, il demeure néanmoins qu'ayant été présentée pour la première fois par des conclusions du 12 mai 2014, elle s'avère en conséquence prescrite eu égard aux dispositions de la loi du 17 juin 2008 et notamment son article 26 » ;
ALORS QUE la demande de réparation du préjudice résultant d'une faute commise par une personne ayant représenté ou assisté une partie en justice se prescrit par dix ans à compter de la fin de la mission ; qu'en considérant que la demande en paiement par équivalence du montant des condamnations prononcées par l'arrêt rendu par la cour d'appel de Beyrouth le 6 juin 2001 serait prescrite, quand il résulte de ses constatations que la mission des conseils en cause avait pris fin le 20 mai 1999 et que l'action en responsabilité dirigée à leur encontre avait été introduite le 9 janvier 2009, la cour d'appel a violé l'article 2277-1 du code civil, ensemble l'article 26 de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant réforme de la prescription en matière civile.