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28/03/2017 | FRANCE | N°15-87812

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 28 mars 2017, 15-87812


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. [X] [R],

contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'a condamné à 800 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code d

e procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, co...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

-
M. [X] [R],

contre l'arrêt de la cour d'appel de DIJON, chambre correctionnelle, en date du 22 octobre 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public, l'a condamné à 800 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 7 février 2017 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Guichard ;

Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;

Vu les mémoires produits en demande et en défense ;

Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 28 de la loi du 29 juillet 1881, 111-4 du code pénal, 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt confirmatif attaqué a déclaré M. [X] [R] coupable du délit d'injure publique envers une personne investie d'un mandat public et l'a condamné à une amende de 800 euros, outre des dommages-intérêts ;

"aux motifs que les termes visés dans la citation, à savoir « il est bipolaire ce gars ! Il vient le matin, tout va bien, et l'après-midi il me raccroche deux fois au nez », ne sauraient constituer comme l'ont relevé à juste titre les premiers juges une diffamation faute d'articulation précise de faits susceptibles d'être débattus et prouvés, contrairement aux affirmations infondées du prévenu, si bien que c'est à juste titre que M. [C] [A] a fait citer M. [R] en qualité de directeur de la publication du journal de Saône-et-Loire pour des faits d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat public ; que la phrase renvoie en effet à une situation imprécise, très vague et relevant du ressenti d'une humeur, pour laquelle s'agissant d'un avis subjectif aucune preuve contraire n'est possible ; attendu que le fait de traiter M.[A], citoyen chargé d'un mandat public en qualité de maire de la commune d'[Localité 1], de « bipolaire », à savoir atteint d'une maladie mentale comme la schizophrénie, pouvant entraîner des comportements dangereux altérant les facultés de discernement de celui qui en souffre, et nécessitant de lourds traitements médicamenteux, correspond à la définition de l'injure par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui est toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, lesquels ne renferment l'imputation d'aucun fait ; qu'il ne s'agit nullement de caractériser une saute d'humeur, le terme « bipolaire » n'était pas, loin s'en faut, exempt de toute connotation psychiatrique, l'auteur de l'article pouvant parfaitement faire usage du qualificatif de « versatile » ou de « changeant » ; que l'utilisation du moteur de recherche avec comme mot-clé « bipolaire » sur le site internet du journal de Saône-et-Loire révèle de nombreux articles, parmi lesquels se trouve celui concernant M. [A], relatant des faits excessivement graves, tentatives de meurtre, procédures criminelles, violations pathologiques, etc., ce qui corrobore le caractère injurieux de l'emploi de ce terme ; qu'ainsi les propos en cause excèdent notablement les limites admissibles de la liberté d'expression, d'autant plus qu'ils n'ont pas été émis dans le cadre d'un débat politique ; qu'en conséquence, la culpabilité de M. [R] sera confirmée ainsi que la peine d'amende de 800 euros infligée par le tribunal ;

"1°) alors que les propos incriminés doivent être examinés dans leur ensemble, tels qu'ils sont rappelés et incriminés par la citation ; que lorsque le propos incriminé est susceptible d'un débat contradictoire et d'une preuve précise, il ne peut en être extrait un terme unique qualifié d'injurieux, pour éviter la qualification éventuelle de diffamation ; qu'en l'espèce, les propos visés par la prévention faisaient état de ce que M. [A] avait d'abord promis à l'équipe de tournage de l'émission « Silence, ça pousse ! » de leur délivrer des autorisations pour filmer sur la voie publique de la ville d'[Localité 1] avant de changer d'avis et de leur opposer une fin de non-recevoir sèche, interrompant à deux reprises, de manière brutale, une conversation téléphonique avec un représentant de la société de production ; que les termes visés par la prévention, analysés dans leur ensemble, rapportaient ainsi des faits extrêmement précis et circonstanciés dont il était possible de débattre et qui étaient susceptibles de la preuve contraire ; que dans ces conditions, et même à supposer même que le seul terme de « bipolaire » constituât une injure, cette injure était absorbée par les propos susvisés dans lesquels elle s'insérait et qu'elle soutenait ; qu'en retenant cependant que les termes visés par la prévention devaient être qualifiés d'injure, et non de diffamation, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

"2°) alors que l'imputation d'un fait précis, pouvant faire l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ne peut être qualifié d'injure ; que tel est le cas de l'expression « il est bipolaire ce gars ! Il vient le matin, tout va bien, et l'après-midi il me raccroche deux fois au nez » qui décrit un comportement consistant en un changement d'humeur imprévisible, ce qui constituait nécessairement un fait précis susceptible de faire l'objet d'un débat contradictoire et de la preuve contraire ; que la qualification d'injure était donc erronée et que la cour d'appel a encore violé les textes précités ; que la cassation interviendra sans renvoi ;

"3°) alors que l'imputation d'une maladie, fût-elle grave et mentale, ne peut pas caractériser une injure ; que la cour d'appel a violé les textes précités dès lors qu'elle a reconnu que la bipolarité est une maladie mentale ;

"4°) alors, en toute hypothèse, que l'utilisation de certains termes pris dans leur sens premier et populaire, et détachés d'un contexte spécial dans lequel on peut les employer pathologique notamment, n'est pas nécessairement qualifiable d'injure ; qu'en s'abstenant de rechercher si en l'occurrence le terme « bipolaire » n'avait pas été employé précisément en dehors de toute constatation pathologique ou psychiatrique, mais uniquement, comme le reconnaît la cour d'appel elle-même, dans le sens d'imprévisible, ou de versatile ou changeant, la cour d'appel n'a pas caractérisé l'injure, ni dans son élément matériel ni dans son élément intentionnel, et a privé sa décision de tout fondement légal ;

"5°) alors, enfin, qu'en vertu de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, les restrictions à la liberté d'expression doivent être nécessaires dans une société démocratique et proportionnées au but légitime poursuivi ; que pour retenir M. [R] dans les liens de la prévention, la cour d'appel s'est bornée à relever que « les propos en cause excèdent notablement les limites admissibles de la liberté d'expression, d'autant plus qu'ils n'ont pas été émis dans le cadre d'un débat politique » ; que pourtant, les termes visés par la prévention visaient seulement à critiquer la décision par laquelle un maire a privé sa commune de la fenêtre médiatique dont elle aurait pu bénéficier en changeant d'avis de façon imprévisible, en sorte qu'il s'agissait d'un débat d'intérêt général ; que, par ailleurs, M. [A] étant un homme politique, les limites de la critique admissibles doivent être élargies à son égard ; qu'en infligeant cependant à M. [R] une sanction pénale, la cour d'appel a violé les textes susvisés ; que la cassation interviendra sans renvoi, M. [A] étant débouté de toutes ses demandes et M. [R] relaxé" ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure qu'après la publication, le 26 septembre 2014, dans le quotidien Le Journal de Saône-et-Loire, d'un article intitulé "Autun privé d'image sur F 5", rapportant la réaction d'une équipe de télévision, désireuse de tourner dans cette ville l'émission "silence, ça pousse", au sujet de l'attitude du maire : "il est incroyable cet homme là. Est-ce qu'il se rend compte qu'il prive sa ville d'une promotion à la télé ! Dans notre projet d'émission, il était important de parler d'[Localité 1] en tant que ville d'art et d'histoire. Eh bien non, il nous a retiré ses autorisations de filmer !" Cette assistante de réalisation du tournage Silence ça pousse, actuellement en tournage à [Localité 1] et [Localité 2] (lire le JSL [Localité 1] du 24 septembre 2014) n'en revient toujours pas. Tout comme la plus grande partie des équipes de production qui avait prévu des scènes sur la voie publique d'[Localité 1]. "Il est bipolaire ce gars il vient le matin tout va bien, et l'après-midi il me raccroche deux fois au nez", M. [A], maire de la ville d'Autun, a fait citer, du chef d'injure publique envers un citoyen chargé d'un mandat électif, le directeur de publication, M. [R], devant le tribunal correctionnel, qui l'a condamné à 800 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ; que le prévenu a relevé appel de cette décision ;

Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt énonce, par motifs adoptés, que le passage incriminé ne comporte aucune articulation précise de faits susceptibles d'être débattus et prouvés ; que les juges relèvent, par motifs propres, que le fait de traiter le maire de la commune d'[Localité 1], de "bipolaire", en l'occurrence atteint d'une maladie mentale comme la schizophrénie, pouvant entraîner des comportements dangereux altérant les facultés de discernement de celui qui en souffre et nécessitant de lourds traitements médicamenteux, correspond à la définition de l'injure par l'article 29 de la loi du 29 juillet 1881, qui est toute expression outrageante, termes de mépris ou invective, lesquels ne renferment l'imputation d'aucun fait, l'auteur du passage litigieux pouvant parfaitement faire usage du qualificatif de "versatile" ou de "changeant" ; que la cour d'appel ajoute que les propos en cause excèdent notablement les limites admissibles de la liberté d'expression, d'autant plus qu'ils n'ont pas été émis dans le cadre d'un débat politique ;

Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que les propos en cause, qui ne concernaient pas un sujet d'intérêt général, ne renfermaient l'imputation d'aucun fait attentatoire à l'honneur de la personne qu'ils visaient, mais contenaient une expression outrageante, en dehors de toute polémique ou débat politique, excédaient les limites de la liberté d'expression, la cour d'appel a justifié sa décision sans méconnaître les dispositions de droit interne et les stipulations conventionnelles invoquées ;

D'où il suit que le moyen doit être écarté ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

REJETTE le pourvoi ;

DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-huit mars deux mille dix-sept ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-87812
Date de la décision : 28/03/2017
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Dijon, 22 octobre 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 28 mar. 2017, pourvoi n°15-87812


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Waquet, Farge et Hazan

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2017:15.87812
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