LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Colmar, 20 novembre 2015), que [S] [A] et son fils, M. [V] [A], ont souscrit plusieurs placements auprès de M. [W], salarié de la société AGF vie jusqu'au 10 décembre 2001 ; que celui-ci, qui en avait détourné une partie, a été reconnu coupable d'escroquerie ; que M. [V] [A] et les autres héritiers de [S] [A], M. [M] [A], M. [X] [A], M. [P] [A] et Mme [T] [A] (les consorts [A]) ont assigné la société AGF vie devenue Allianz vie, aux fins d'obtenir la réparation de leurs préjudices ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les consorts [A] font grief à l'arrêt de les débouter de l'ensemble de leurs demandes ainsi que de leur demande de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ; qu'en l'espèce, pour retenir qu'il ne pouvait pas être reproché à la société AGF vie de ne pas avoir informé les consorts [A] de la démission de M. [W], la cour d'appel a considéré que cette société avait pu ignorer l'existence des placements que M. [W] avait fait souscrire aux consorts [A] et qu'il n'était pas établi que le compte multiservices ouvert auprès de la société AGF vie avait été ouvert par l'intermédiaire de M. [W], sans tirer toutes les conséquences légales du comportement négligent de la société AGF vie qui aurait dû, par prudence, informer tous les clients de l'agence où travaillait M. [W] de la démission de celui-ci et des circonstances dans lesquelles elle était intervenue ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1383 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que, faute de contrats en bonne et due forme, la société AGF vie pouvait ignorer l'existence des placements que M. [W] avait fait souscrire aux consorts [A] et que le seul lien certain entre [S] [A] et la société AGF vie consistait en un compte « multiservices » ouvert auprès de la « Banque AGF », dont il n'est pas établi qu'il avait été ouvert par l'intermédiaire de M. [W], la cour d'appel a pu en déduire que la société AGF vie, qui ne savait pas que [S] [A] faisait partie des clients de M. [W] et qui n'avait pas à informer l'ensemble des clients de l'agence, n'avait pas commis de faute en s'abstenant d'informer les consorts [A] de la démission de son salarié ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que les consorts [A] font le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen, que le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ; qu'en l'espèce, pour exonérer la société Allianz vie de sa responsabilité en qualité de commettant, la cour d'appel a affirmé que plusieurs éléments démontrent que M. [W] agissait hors de ses fonctions de salarié de la société AGF vie pour ensuite développer chacun de ces éléments, sans cependant rechercher si M. [W] avait agi sans autorisation ni à des fins étrangères à ses attributions ; qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant constaté, d'une part, que la société AGF vie pouvait ignorer l'existence des placements que M. [W] faisait souscrire, ce dont il s'évinçait qu'il avait nécessairement agi sans autorisation, et relevé, d'autre part, qu'il était exclu que [S] et [V] [A] ne se soient pas rendu compte que les opérations effectuées ne pouvaient s'inscrire dans le cadre des attributions de salarié de la société AGF vie de M. [W], la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne MM. [V], [M], [X], [P] [A] et Mme [T] [A] aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-trois mars deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour les consorts [A].
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté les consorts [A] de l'ensemble de leurs demandes ainsi que de leur demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QU'il n'est pas établi que la société AGF Vie ait tenté de dissimuler les agissements délictueux de monsieur [W] ; que lorsqu'elle a été informée des premières réclamations de clients, elle s'est séparée de monsieur [W] dont elle a accepté la démission à effet au 10 décembre 2001 ; qu'il ne peut être reproché à la société AGF vie de ne pas avoir informé les consorts [A] de cette démission ; qu'en effet, faute de contrats en bonne et due forme, elle pouvait ignorer l'existence des placements que leur avait fait souscrire monsieur [W] ; qu'il ressort au demeurant des éléments de la procédure pénale que celui-ci avait établi de faux contrats ; que le seul lien certain entre feu [S] [A] et la société AGF Vie consistait en un compte « multiservices » ouvert sous le numéro [Compte bancaire 1] auprès de la « Banque AGF » ; que toutefois il n'est pas établi que ce compte avait été ouvert par l'intermédiaire de monsieur [W] ; que n'étant pas nécessairement informée que feu [S] [A] faisait partie des clients de monsieur [W], la société Allianz Vie n'a pas commis de faute en s'abstenant de l'informer de la démission de son salarié ;
ALORS QUE chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou par son imprudence ;
Qu'en l'espèce, pour retenir qu'il ne pouvait pas être reproché à la société AGF Vie de ne pas avoir informé les consorts [A] de la démission de monsieur [W], la cour d'appel a considéré que cette société avait pu ignorer l'existence des placements que monsieur [W] avait fait souscrire aux consorts [A] et qu'il n'était pas établi que le compte multiservices ouvert auprès de la société AGF Vie avait été ouvert par l'intermédiaire de monsieur [W], sans tirer toutes les conséquences légales du comportement négligent de la société AGF Vie qui aurait dû, par prudence, informer tous les clients de l'agence où travaillait monsieur [W] de la démission de celui-ci et des circonstances dans lesquelles elle était intervenue ;
Qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel a violé l'article 1383 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est encore fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR débouté les consorts [A] de l'ensemble de leurs demandes ainsi que de leur demande de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE selon l'article 1384, alinéa 5, du code civil, le commettant est responsable des dommages causés par son préposé dans les fonctions auxquelles il l'a employé ; que la responsabilité de la société AGF Vie ne pourrait être engagée à ce titre que pour les opérations effectuées par monsieur [W] avant sa démission en date du 10 décembre 2001, c'est-à-dire pour les versements suivants : - 26 avril 2000 pour 500 000 FF (76 224,51 €), - 5 avril 2001 pour 453 000 FF (69 059,40 €), - 5 décembre 2000 pour 53 663,34 FF (8 180,92 €), - 21 janvier 2001 pour 100 000 FF (15 244,90 €) ; que toutefois le commettant s'exonère de sa responsabilité si le préposé a agi hors de ses fonctions, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; que plusieurs éléments démontrent qu'en l'espèce monsieur [W] agissait hors de ses fonctions de salarié de la société AGF vie, et que les consorts [A] en avaient conscience ; qu'en premier lieu, les deux premiers versements auraient été effectués en espèces, ce qui est tout à fait inhabituel au regard du montant des sommes versées, et non conforme aux mentions des « bulletins de reversement » produits pour justifier de ces versements, selon lesquelles, pour les sommes supérieures à 50 000 FF, les références d'une pièce d'identité au nom du souscripteur et au nom du payeur devaient être indiquées, ce qui n'a pas été fait ; qu'en second lieu, les consorts [A] sont dans l'incapacité de justifier des contrats qui auraient été souscrits auprès de la société AGF Vie et qui correspondraient à chacun des versements susvisés : - il est produit un contrat « nov actifs » n° 60.028.496, mais celui-ci n'est pas signé et il est au nom de l'épouse de feu [S] [A], laquelle est décédée le [Date décès 1] 2000, de sorte qu'il avait vocation à être dénoué à cette date, - le bulletin de reversement afférent au versement de la somme de 453 000 FF, ainsi que d'autres documents, font référence à un contrat "nov'actifs" n° 112289141AF, mais ce contrat n'est pas produit, - il y a lieu de rappeler que l'enquête a révélé que de faux contrats avaient été établis par monsieur [W] ; qu'en troisième lieu, les documents produits par les consorts [A], notamment ceux afférents au contrat n° 112289141AF, comportent plusieurs invraisemblances et incohérences: ils font état d'un rendement annuel exorbitant de 74,71 %, et le montant de l'épargne constituée passe de 500 000 FF au 26 juillet 2000 à 541 900 FF au 20 novembre 2000 et 800 000 ou 900 000 FF (le document étant confus sur ce point) au 1er février 2002 ; qu'en quatrième lieu, il est prouvé, contrairement à ce qu'affirment les consorts [A], qu'ils avaient connaissance du compte bancaire ouvert en Suisse par monsieur [W] au nom de [A] ; qu'en effet, il ressort de l'audition de monsieur [C] [D], employé de la banque ABN Amro à [Localité 1], qu'une personne répondant au nom de [A] (sans que l'on sache s'il s'agissait de feu [S] [A] ou de son fils [V]) s'était présentée à la banque le 6 août 2001, qu'elle avait reçu une procuration le 18 septembre 2001 pour faire toutes opérations sur le compte et qu'elle était revenue le 26 juillet 2002 pour se renseigner sur le solde du compte ; qu'il est par ailleurs établi que, sur ce compte ouvert le 10janvier 2001, a été placée une somme de 2 018 174,64 FF suisses en espèces, et que les fonds ont été ultérieurement retirés en intégralité ; qu'en considération de ces éléments, il est exclu que feu [S] [A], nonobstant son modeste niveau d'instruction, et monsieur [V] [A] aient pu ne pas se rendre compte du caractère anormal des opérations effectuées par monsieur [W] et du fait que ces opérations ne pouvaient s'inscrire dans le cadre de ses attributions en qualité de salarié de la société AGF Vie ; que le jugement déféré qui a rejeté les prétentions des consorts [A], et dont la cour adopte pour le surplus les motifs, sera donc confirmé ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'en vertu de l'article 1384 alinéa 5 du code civil, les commettants sont responsables du dommage causé par leurs préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés ; que la mise en oeuvre de cette responsabilité exige que la victime démontre que le préposé ait, dans l'exercice de ses fonctions, commis une faute qui soit la cause directe et certaine d'un préjudice qu'elle a subi ; que le commettant ne peut s'exonérer de sa responsabilité que s'il démontre que son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ; qu'en l'espèce, il n'est pas contesté que monsieur [W] était salarié de la compagnie d'assurances AGF Vie devenue Allianz Vie, exerçant la fonction de conseiller en patrimoine de 1994 au 10 décembre 2001 ; que monsieur [W] a été condamné pénalement le 25 février 2010 par le tribunal correctionnel de Mulhouse pour ses agissements délictueux qualifiés notamment d'escroquerie et, sur intérêts civils, par jugement correctionnel du 24 août 2010 rectifié par jugement du 21 mars 2011, il a été condamné à verser aux parties civiles en leur qualité d'héritiers de feu [S] [A] la somme de 237 129,94 € à titre de dommages et intérêts ainsi que la somme de 121 959,21 € à monsieur [V] [A] en son nom personnel ; qu'il résulte des pièces produites que feu [S] [A] avait effectué d'importants versements en espèces à monsieur [W] ; qu'ainsi, feu [S] [A] expliquait dans une attestation qu'il avait rédigée le 21 janvier 2004 qu'il avait connu monsieur [W] sur recommandation d'un membre de sa famille ; que monsieur [W] s'était rendu à son domicile pour la première fois au cours de l'année 1999 ; que feu [S] [A] avait alors expliqué avoir voulu par l'intermédiaire de monsieur [W] effectuer un certain nombre d'investissements à la suite des sommes perçues lors de la vente d'un manège, de locaux et d'une grande caravane ; qu'il exposait avoir ainsi notamment versé à monsieur [W] le 26 avril 2000, la somme de 500 000 FF soit 76 224,51 € en espèces pour investir ce montant dans un contrat AGF Autonomie ; qu'il exposait avoir, le 5 avril 2001, versé à monsieur [W] une somme de 453 000 FF soit 69 059,40 € pour un contrat AGF Nov'Actifs précisant ne plus se souvenir s'il s'agissait d'un versement en espèces ou à l'aide d'un chèque ; que les consorts [A] produisent notamment en annexe 17 une copie d'un document intitulé bulletin de reversement du 26 avril 2000 pour 500 000 francs sur un contrat AGF Autonomie, censé porter sur un contrat déjà existant, dont les références ne sont pas mentionnées sans justifier que monsieur [W] leur avait bien fait signer un contrat d'assurance en bonne et due forme ni que les mentions relatives à un versement en espèces aient été renseignées, étant précisé que le bulletin de reversement produit indique clairement les dispositions de la loi du 12 juillet 1990 imposant de donner des informations en cas de paiement en espèces supérieur ou égal à 50 000 FF par an ; que de la même manière, les demandeurs produisent en annexe 11 la photocopie d'un document daté du 5 avril 2001 intitulé bulletin de reversement/avenant à un contrat Nov'Actifs prévoyant un reversement à hauteur de 453 000 FF sans justifier que monsieur [W] leur avait bien fait signer un contrat d'assurance sur la vie en bonne et due forme ni que les mentions relatives à un versement en espèces aient été renseignées ; que le versement par feu [S] [A] à monsieur [W] dès avril 2000 puis en avril 2001 de montants aussi importants en espèces sans remise d'un contrat de la société d'assurance formalisant la réalité des placements et l'absence d'informations données au moment de la souscription en cas de règlement en espèces, contrairement aux prescriptions claires et lisibles des formulaires de demande de souscription, présentait un caractère tout à fait anormal même pour une personne non professionnelle de l'assurance ; qu'en outre, les taux de rendement annuels indiqués dépassant les 74 % présentaient un caractère exorbitant et ce même pour un particulier non averti et n'ont pu qu'attirer l'attention du souscripteur sur le fait que ces opérations ne pouvaient être réalisées dans le cadre d'un contrat d'assurance proposé par une compagnie d'assurances ; qu'il résulte également des pièces pénales versées aux débats que monsieur [W] avait placé l'argent remis notamment sur un compte bancaire ouvert le 10 janvier 2001 au nom de [A] à la Banque ABN-AMRO à [Localité 2], ce que ne pouvait ignorer feu [S] [A] dans la mesure où l'enquête a permis d'établir qu'un membre de la famille [A] s'était rendu à la banque le 6 août 2001 et le 26 juillet 2002, et qu'il a ainsi été nécessairement alerté sur le fait que monsieur [W] n'agissait pas de manière régulière pour le compte de la compagnie d'assurances ; qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que feu [S] [A], qui ne pouvait ignorer que les opérations présentaient un caractère anormal, avait conscience que monsieur [W] abusait des fonctions que lui avait confiées la compagnie d'assurances AGF Vie ; qu'en conséquence, la responsabilité de la société d'assurance AGF Vie devenue Allianz Vie en qualité de commettant de monsieur [W] ne peut être mise en oeuvre en l'espèce et il convient de rejeter la demande des consorts [A] ;
ALORS QUE le commettant ne s'exonère de sa responsabilité que si son préposé a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation, et à des fins étrangères à ses attributions ;
Qu'en l'espèce, pour exonérer la société Allianz Vie de sa responsabilité en qualité de commettant, la cour d'appel a affirmé que plusieurs éléments démontrent que monsieur [W] agissait hors de ses fonctions de salarié de la société AGF Vie pour ensuite développer chacun de ces éléments, sans cependant rechercher si monsieur [W] avait agi sans autorisation ni à des fins étrangères à ses attributions ;
Qu'en se déterminant de la sorte, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1384 du code civil.