LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1er, I, alinéa 3, de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 modifiée et l'article 115 du décret n° 91-1197 du 27 novembre 1991 organisant la profession d'avocat, ensemble les articles 6 et 7 de l'ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature ;
Attendu qu'en vertu des deux premiers de ces textes, la profession d'avocat, libérale et indépendante, est incompatible avec l'exercice de toute autre profession, sous réserve de dispositions législatives ou réglementaires particulières ; qu'il résulte des deux derniers qu'avant d'entrer en fonctions, tout magistrat prête serment devant la cour d'appel et est installé dans ses fonctions en audience solennelle de la juridiction à laquelle il est nommé ou rattaché, et, en cas de nécessité, par écrit ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme A..., avocate inscrite au tableau de l'ordre des avocats au barreau de la Guadeloupe, a bénéficié d'une intégration directe dans le corps judiciaire et a été nommée magistrat par décret du Président de la République du 25 mars 2014, publié le 27 mars ; qu'elle a poursuivi l'exercice de la profession d'avocat jusqu'au 31 août 2014, date de son omission du tableau et veille de sa prestation du serment de magistrat ; que, le 12 juin 2014, elle avait interjeté appel d'un jugement rendu par un juge de l'exécution, dans un litige opposant la Société financière Antilles Guyane aux sociétés Mavi vacances et Société d'aménagement et de gestion de la Guadeloupe ;
Attendu que, pour déclarer le recours irrecevable en raison de l'irrégularité de la déclaration d'appel, l'arrêt retient qu'à compter de sa nomination comme magistrat, Mme A... avait perdu la qualité d'avocat, même si elle n'avait pas encore été omise du tableau et n'avait pas prêté le serment de magistrat, qui conditionne la prise de fonction mais pas l'application du statut ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'entrée en fonction de tout magistrat, lors de sa nomination à son premier poste, est subordonnée à sa prestation de serment et que l'incompatibilité édictée par l'article 115 du décret susvisé interdit seulement, sous les réserves qu'il vise, l'exercice simultané de la profession d'avocat et de toute autre profession, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 23 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Basse-Terre ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Fort-de-France ;
Condamne la société Mavi vacances et la Société d'aménagement et de gestion de la Guadeloupe aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la Société financière Antilles Guyane la somme globale de 3 000 euros et rejette la demande de la Société d'aménagement et de gestion de la Guadeloupe ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils, pour la Société financière Antilles Guyane (SOFIAG).
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'AVOIR déclaré irrecevable l'appel interjeté par la Société financière Antilles Guyane ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE l'ordonnance du conseiller de la mise en état déférée à la censure de la cour a déclaré irrecevable l'appel interjeté par la Sofiag au double motif que cette dernière n'a pas d'intérêt à agir et qu'en outre, l'appel a été formé par le ministère de Me Bénédicte A... alors que cette dernière a été nommée magistrat par décret du 25 mars 2014 ; que ce faisant, il n'est pas contestable que l'ordonnance déférée a statué sur une fin de non-recevoir tirée de l'irrecevabilité de l'appel et que ladite ordonnance a déclaré l'appel irrecevable et mis fin à l'instance ; que dès lors, en application de l'article 916, alinéa 2, du Code de procédure civile, ladite ordonnance peut être déférée à la cour par la Sofiag ; que le conseiller de la mise en état a examiné deux motifs d'irrecevabilité de l'appel de la Sofiag, invoqués par les intimés ; que selon les sociétés Saag et Mavi vacances, la Sofiag est dénuée d'intérêt à agir, la créance saisie étant indisponible et la saisie-attribution ne pouvant prospérer, et la Sofiag a expressément reconnu qu'elle n'avait pas de droit sur ladite créance ; qu'en cause d'appel cependant, la Sofiag, créancière de la société Mavi vacances, a un intérêt à contester cette décision de mainlevée de la saisie-attribution qu'elle a fait pratiquer au préjudice de cette dernière ; que la désignation, dans la déclaration d'appel, d'un avocat de l'appelant n'ayant pas qualité d'avocat, constitue une fin de non-recevoir rendant l'appel irrecevable ; qu'en l'espèce, la déclaration d'appel de la Sofiag en date du 12 juin 2014 a été établie par Me Bénédicte A..., avocat au barreau de la Guadeloupe, qui s'est constituée comme avocat de l'appelante ; que cependant, Mme Bénédicte A... a été nommée magistrat par décret du 25 mars 2014, publié au Journal officiel le 27 mars 2014 et n'avait plus, à la date de la déclaration d'appel, le statut d'avocat, peu importe qu'elle n'ait démissionné effectivement du barreau de la Guadeloupe que postérieurement et qu'elle n'ait pas encore prêté serment, condition sine qua non de la prise de fonctions mais non du statut de magistrat ; que la qualité de magistrat excluait celle d'avocat et l'acte d'appel, entaché d'une irrégularité de fond, est nul ; qu'en conséquence, c'est à bon droit que l'irrecevabilité de l'appel de la Sofiag a été prononcée eu égard au nonrespect des dispositions de l'article 901 du Code de procédure civile ; qu'il y a donc lieu de confirmer l'ordonnance déférée en toutes ses dispositions ;
ET AUX MOTIFS ÉVENTUELLEMENT ADOPTÉS QU'il convient de constater, au vu du décret du 25 mars 2014 publié au journal officiel le 27 mars 2014, la nomination de Mme A... en qualité de juge placé auprès du premier président de la cour d'appel de Versailles, dès lors, comme le relèvent à juste titre les intimés, celle-ci n'avait plus le statut d'avocat, lors de la déclaration d'appel qu'elle a formé personnellement le 12 juin 2014 ;
1°) ALORS QUE seul l'exercice des fonctions de magistrat, subordonné à la prestation de serment, est incompatible avec la poursuite de l'exercice de la profession d'avocat ; qu'en retenant, en l'espèce, que la déclaration d'appel régularisée le 12 juin 2014 par Me Bénédicte A... était affectée d'un vice de fond au motif que le mandataire ad litem « n'avait plus, à la date de la déclaration d'appel, le statut d'avocat » (arrêt, p. 3, § 12) dès lors qu'elle «a[vait] été nommée magistrat par décret du 25 mars 2014 » (arrêt, p. 3, § 13), après avoir pourtant elle-même relevé que l'avocate « n'[avait] pas encore prêté serment » de magistrat (arrêt, p. 3, § 12), ce dont il résultait que l'avocat n'avait exercé, jusqu'à sa démission de l'Ordre le 31 août 2014 et la réception de son serment de magistrat par la Cour d'appel de Versailles le 1er septembre 2014, aucune fonction de magistrat incompatible avec l'exercice de la profession d'avocat, en sorte que la déclaration d'appel était régulière, la Cour d'appel a violé l'article 115 du décret du 27 novembre 1991 et, par fausse application, l'article 8 de l'ordonnance du 22 décembre 1958 ;
2°) ALORS QUE, subsidiairement, tout avocat inscrit au tableau de l'Ordre des avocats d'un barreau peut régulièrement accomplir, pour le compte de son client, les actes de son ministère tant que le conseil de l'Ordre n'a pas prononcé son omission ; qu'en retenant, en l'espèce, que la seule publication, antérieurement à la déclaration d'appel, du décret de nomination de Me A..., avocat, en qualité de magistrat rendait nulle la déclaration d'appel formée le 12 juin 2014 pour le compte de la Sofiag, quand seule l'omission prononcée par le conseil de l'Ordre, à raison de l'incompatibilité, aurait pu priver l'avocat de la capacité d'accomplir des actes de procédure pour le compte de ses clients, la Cour d'appel a violé les articles 104, 106 et 115 du décret du 27 novembre 1991 ;
3°) ALORS QUE, très subsidiairement, l'application des règles de procédure ne peut conduire à un formalisme excessif portant atteinte à l'équité de la procédure ; qu'en retenant, pour déclarer irrecevable l'appel formé par la Sofiag, que la déclaration d'appel était nulle au motif que Me A... avait perdu la qualité d'avocat, quand elle était toujours inscrite au tableau de l'Ordre, et en faisant ainsi peser sur le client de l'avocat les conséquences de l'exercice, par celui-ci, d'une activité incompatible avec la profession d'avocat, en sorte que l'irrecevabilité de l'appel constituait une sanction disproportionnée, la Cour d'appel a porté atteinte à la substance même du droit de la Sofiag d'accéder au juge d'appel et violé l'article 6, § 1er, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.