LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Breuil bâtiment, entreprise de bâtiment et de travaux publics, devenue la société Breuil et cie (la société Breuil), a confié à la société Bureau Veritas, dans le cadre des dispositions de l'arrêté du 1er mars 2004 relatif aux vérifications des appareils et accessoires de levage, le contrôle d'une grue automotrice ; que, lors des opérations de vérification réalisées par un contrôleur de la société Bureau Veritas, la grue, manoeuvrée par un grutier de la société Breuil, a basculé ; qu'estimant que le basculement de la grue était la conséquence des fautes commises par la société Bureau Veritas lors de l'accomplissement de sa mission, la société Breuil l'a assignée en réparation de ses préjudices ;
Sur le moyen unique, pris en sa première branche, qui est recevable :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Breuil, l'arrêt relève qu'il est établi qu'au moment de l'accident, la grue était manoeuvrée par un employé de cette société, habilité à sa conduite, et retient qu'il ne résulte d'aucun élément du dossier que, lors du contrôle effectué par la société Bureau Veritas, il y ait eu un transfert de la garde de la grue ni même qu'un tel transfert ait été envisageable, le rôle de l'organisme chargé du contrôle étant uniquement de procéder aux vérifications en faisant, le cas échéant, réaliser des essais ou des épreuves, lesquels sont effectués sous la seule responsabilité de la société Breuil, l'engin restant sous sa garde ; qu'il en déduit que l'existence d'une faute contractuelle de la part de la société Bureau Veritas, de nature à engager sa responsabilité, n'est pas démontrée ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si l'employé de la société Breuil, mis à la disposition du contrôleur de la société Bureau Veritas pour manoeuvrer la grue, lors des épreuves et essais auxquels a fait procéder celui-ci, exerçait effectivement les pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle de la grue au moment de son basculement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Sur le moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance du 10 février 2016 ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Breuil, l'arrêt retient que la grue était manoeuvrée, lors de l'accident, par un employé de cette société, habilité à la conduite de tels engins, qu'elle était restée sous sa garde, que l'existence d'une faute contractuelle de la société Bureau Veritas de nature à engager sa responsabilité n'est nullement démontrée et qu'il apparaît, au contraire, à l'examen du déroulement de l'accident, que le système de sécurité, dit contrôleur d'état des charges, qui a pour fonction de mettre la grue en sécurité et de la bloquer, n'a pas correctement fonctionné, ce qui a été à l'origine de l'accident ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher, ainsi qu'elle y était invitée, s'il n'entrait pas précisément dans la mission de la société Bureau Veritas de vérifier l'éventuel défaut des systèmes de sécurité et, notamment, du contrôleur d'état des charges, réparé à la suite d'un précédent contrôle, avant de faire procéder au levage des charges, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le moyen, pris en sa troisième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour rejeter la demande de la société Breuil, l'arrêt retient que le rôle de la société Bureau Veritas était uniquement de procéder aux vérifications de la grue en faisant, le cas échéant, effectuer des essais et des épreuves, lesquels étaient réalisés sous la seule responsabilité de la société Breuil, l'engin restant sous sa garde ;
Qu'en statuant ainsi, en écartant toute faute de la société Bureau Veritas, sans répondre aux conclusions de la société Breuil qui soutenait que le basculement de la grue était dû au non-respect de la chronologie des phases successives du contrôle par le contrôleur de la société Bureau Veritas, lequel avait donné l'ordre au grutier de déplacer une charge de dix tonnes, à trois mètres de hauteur, sans déplacement préalable de la charge au ras du sol, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déboute la société Breuil bâtiment de l'ensemble de ses demandes et statue sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile, l'arrêt rendu le 23 janvier 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Poitiers ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Limoges ;
Condamne la société Bureau Veritas aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer à la société Breuil et Cie la somme de 3 000 euros et rejette sa demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du quinze mars deux mille dix-sept.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Rémy-Corlay, avocat aux Conseils, pour la société Breuil et Cie.
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté la société Breuil de ses demandes tendant à voir condamner la société Veritas à réparer les préjudices par elle subis;
AUX MOTIFS QU': «(…) II ressort des pièces du dossier que la société Bureau Veritas et la société Breuil Bâtiment entretenaient des relations contractuelles régulières, la société Bureau Veritas effectuant la vérification des différents matériels appartenant à la société Breuil Bâtiment. En effet, il n'est pas sérieusement contesté que préalablement à l'intervention de la société Bureau Veritas, cette dernière avait adressé en juillet 2009 à la société Breuil Bâtiment une offre portant sur un contrat Vérification des installations techniques. Si cette offre qui prévoyait une vérification périodique notamment des appareils de levage et précisait le tarif pour ces interventions n'a pas été signée, il n'en demeure pas moins que la société Breuil Bâtiment a fait appel à la société Bureau Veritas pour qu'elle procède à la vérification de ses équipements ainsi que cela ressort des différentes factures portant sur des interventions régulières depuis juillet 2009. C'est ainsi que le 9 septembre 2010, la société Bureau Veritas a procédé à la vérification de la grue de marque PPM de type C580, objet du litige, et a rédigé un rapport de vérification en date du 15 septembre 2010, signalant des anomalies sur cette grue et indiquant la nécessité de revoir notamment le réglage de l'un des systèmes de sécurité, système intitulé Contrôleur d'Etat de Charge, dit CEC. Il ressort de ces éléments qu'il existait bien des relations contractuelles entre la société Bureau Veritas et la société Breuil Bâtiment. Le 24 mai 20114, la société Bureau Veritas est intervenue sur le site de la société Breuil Bâtiment afin de procéder au contrôle semestriel de la grue automotrice C850 de marque PPM. Cette intervention est d'ailleurs confirmée par le rapport d'enquête du CHSCT de la société Breuil Bâtiment. La société Bureau Veritas est donc bien intervenue dans le cadre d'un contrat même si celui-ci n'était écrit. D'autre part, l'intervention de la société Bureau Veritas s'est faite dans le cadre des dispositions de l'arrêté du 1er mars 2004 relatif aux vérifications des appareils et accessoires de levage. L'article 3 de cet arrêté dispose que:
a) Le chef d'établissement doit mettre les appareils et accessoires de levage, concernés et clairement identifiés, à la disposition des personnes qualifiées chargées des vérifications pendant le temps nécessaire, compte tenu de la durée prévisible des examens, épreuves et essais à réaliser.
b) Le chef d'établissement doit tenir à la disposition des personnes qualifiées chargées des examens, essais et épreuves à réaliser les documents nécessaires, tels que la notice d'instructions du fabricant, la déclaration ou le certificat de conformité, les rapports des vérifications précédentes et le carnet de maintenance de l'appareil.
c) Pendant la vérification, le chef d'établissement doit assurer la présence du personnel nécessaire à la conduite de l'appareil ainsi qu'à la direction des manoeuvres et aux réglages éventuels. Il doit également mettre à la disposition des personnes qualifiées chargées des vérifications les moyens permettant d'accéder en sécurité aux différentes parties de l'appareil ou de l'installation et, le cas échéant, des supports à examiner.
d) Afin de permettre la réalisation de l'examen d'adéquation définie à l'article 5-1, le chef d'établissement doit mettre, par écrit, à la disposition de la personne qualifiée chargée de l'examen les informations nécessaires relatives aux travaux qu'il est prévu d'effectuer avec l'appareil et l'accessoire de levage.
e) Afin de permettre la réalisation de l'examen de montage et d'installation définie à l'article 5-II, le chef d'établissement doit communiquer à la personne qualifiée chargée de l'examen les informations nécessaires, notamment les données relatives au sol, à la nature des supports, aux réactions d'appui au sol et, le cas échéant, à la vitesse maximale du vent à prendre en compte sur le site d'utilisation.
f) Lorsque la vérification comporte des épreuves ou essais, le chef d'établissement doit mettre à la disposition des personnes qualifiées chargées des épreuves et essais, durant le temps nécessaire à leur bon déroulement, les charges suffisantes, les moyens utiles à la manutention de ces charges. Le lieu permettant d'effectuer les épreuves et essais doit être sécurisé. Il est établi que lors de l'accident, la grue était effectivement manoeuvrée par un employé de la société Breuil Bâtiment habilité à la conduite de tels engins. Il ne résulte d'aucun élément du dossier que lors du contrôle effectué par la société Bureau Veritas, il y ait eu transfert de la garde de la grue ou même qu'un tel transfert n'ai été envisageable, le rôle de l'organisme étant uniquement de procéder aux vérifications en faisant le cas échéant procéder à des essais ou des épreuves. Néanmoins ces essais et ces épreuves sont réalisés sous la seule responsabilité de la société Breuil Bâtiment, l'engin restant sous sa garde. Dans ces conditions, il n'est nullement démontré l'existence d'une faute contractuelle de la part de la société Bureau Veritas de nature à engager sa responsabilité. Au contraire, il apparaît à l'examen du déroulement de l'accident que le système de sécurité dit contrôleur d'état des charges -CEC- qui a pour fonction de mettre la grue en sécurité et de la bloquer, n'a pas correctement fonctionné ce qui est à l'origine de l'accident » ;
ALORS QUE 1°) est gardien celui qui dispose des pouvoirs d'usage, de direction et de contrôle sur la chose, lui permettant, au moment du dommage, d'en assurer la maîtrise; qu'un transfert de la garde s'opère dès lors que le propriétaire de la chose la confie à un tiers tel qu'un bureau de contrôle pour qu'il en fasse l'usage que comporte l'exercice de sa profession ; qu'il ressortait, en l'espèce, des propres constatations de la Cour d'appel (arrêt attaqué p. 5, §3 et pénultième), que conformément aux termes de l'article 3 de l'arrêté du 1er mars 2004 relatif aux vérifications des appareils et accessoires de levage dans le cadre duquel s'était déroulée l'intervention de la société Veritas, la société Breuil a mis une personne « habilitée à la conduite » de la grue à la disposition du contrôleur qualifié « chargé(…) des épreuves et essais » de la société Veritas de sorte que cette dernière a pris en main l'ensemble des opérations de vérification, grâce aux moyens matériel et humain mis à sa disposition par la société Breuil ; qu'en excluant cependant tout transfert de la garde de la grue, lors du contrôle effectué par la société Veritas, au motif que ces épreuves et essais auraient été réalisés sous la seule responsabilité de la société Breuil (arrêt attaqué § antépénultième et pénultième), la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations au regard des articles 1147 et suivants du Code civil ;
ALORS QUE 2°) le cocontractant auquel est confiée une chose afin qu'il en fasse l'usage que comporte l'exercice de sa profession est responsable des dégâts causés par la chose en raison d'une perte de contrôle sur celle-ci ; que la Cour d'appel a imputé à la société Breuil, propriétaire de la grue, la responsabilité totale de l'accident survenu lors du contrôle opéré par la société Veritas motifs pris de la prétendue défaillance du contrôleur d'état de charges dit CEC (arrêt attaqué p. 5, dernier §) ; qu'en statuant ainsi sans rechercher ainsi qu'il le lui était demandé (conclusions p. 26, § 6 ৠantépénultième, p. 27, § 5 et dernier et p. 28, § 1er), s'il n'entrait précisément pas dans la mission de la société Veritas de vérifier l'éventuel défaut des systèmes de sécurité, et notamment du CEC lequel avait été, de surcroit, réparé à la suite d'un précédent contrôle, ainsi qu'en attestait un autre grutier, et d'en avertir la société Breuil, avant que la grue ne puisse provoquer un quelconque dommage, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1147 et suivants du Code civil ;
ALORS QUE 3°) le cocontractant auquel est confiée une chose pour qu'il en fasse l'usage que comporte l'exercice de sa profession est responsable des dégâts causés par la chose en raison d'une perte de contrôle sur celle-ci ; qu'aux termes de ses conclusions d'appel (p. 16, § 3, p. 17, § 3 à 5, 7, 8, antépénultième et dernier, p. 18, § 2, p. 19, dernier §, p. 20, § 8 et deux derniers, et p. 21, § 5), la société Breuil faisait valoir qu'en méconnaissance flagrante des phases successives du contrôle telle que relevée par le CHSCT lui-même, dans son compte-rendu d'enquête du 6 juin 2011, le contrôleur de la société Veritas a, sans avoir consulté l'abaque de charge de la machine, fait procéder à l'accrochage de deux plots de cinq tonnes chacun et a donné l'ordre au grutier de déplacer cette charge à trois mètres de hauteur sans déplacement préalable de la charge au ras du sol, provoquant le basculement de la grue ; qu'en imputant dès lors à la société Breuil la responsabilité entière de l'accident sans aucunement rechercher, ainsi qu'il le lui était demandé, si le non-respect par le contrôleur de la société Veritas de la chronologie des phases successives du contrôle n'était pas directement à l'origine de l'accident, la Cour d'appel a derechef privé sa décision de base légale au regard des dispositions des articles 1147 et suivants du Code civil.