Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Daniel X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de PAPEETE, chambre correctionnelle, en date du 30 juillet 2015, qui, dans la procédure suivie contre lui, des chefs de travail dissimulé et de blessures involontaires, l'a condamné à six mois d'emprisonnement avec sursis et à 150 000 XPF (francs pacifique) d'amende ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 13 décembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ricard, conseiller rapporteur, M. Buisson, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Bray ;
Sur le rapport de M. le conseiller RICARD, les observations de la société civile professionnelle MONOD, COLIN et STOCLET, de la société civile professionnelle BARADUC, DUHAMEL et RAMEIX, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;
Vu les mémoires, en demande et en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que M. Noaiti Z..., travaillant à bord d'un thonier, en opération de pêche près de l'atoll de Tikehau, a été victime d'une blessure à un oeil occasionnée par un hameçon lors d'une remontée d'une traîne de ligne ; que, selon l'enquête diligentée à la suite de cet accident, ni la victime, ni les autres marins travaillant à bord de ce navire n'avaient bénéficié d'une déclaration d'embauche aux organismes sociaux de la part de leur employeur ; que M. X..., gérant de la société Tahiti Nui Pêche, propriétaire de ce navire, a été poursuivi devant le tribunal correctionnel des chefs de travail dissimulé par défaut de déclaration préalable à l'embauche de douze marins et de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que les juges du premier degré ont renvoyé le prévenu des fins de la poursuite et ont déclaré irrecevables les constitutions de partie civile de M. Z... et de la caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie-Française ; que M. Z..., la caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie-Française et le ministère public ont relevé appel de cette décision ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation de l'article 121-3 du code pénal et des articles 50, 50-1 et 114 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986, 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir considéré que M. X... était coupable de travail dissimulé et de blessures involontaires, l'a condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 150 000 francs pacifique ;
" aux motifs que, c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour approuve que les premiers juges ont considéré qu'il existe un lien de subordination et par voie de conséquence un contrat de travail entre le marin pêcheur et l'armateur dans la mesure où ce dernier met à la disposition du premier le matériel de pêche (navire, lignes, hameçon, gaffes ; que consommables, nourriture de bord), fixe le lieu de pêche (voir les déclarations de M. James A...du 26 avril 2011, cote D 83, selon lesquelles il était en lien quotidien avec M. X... qui lui demandait de changer de position pour une pêche plus fructueuse), et les horaires de travail (la durée de la campagne de pêche), fixe la rémunération des marins et procède à la répartition du produit de vente de la pêche ; que, dès lors, M. X... se devait de satisfaire aux obligations prévues par la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 applicable au droit commun du droit du travail en Polynésie-Française et procéder aux déclarations de ses salariés auprès de la CPS ; que c'est à tort que les premiers juges ont estimé que l'élément intentionnel du délit faisait défaut ; qu'en cas de doute, il appartient en effet à l'employeur de se renseigner auprès des organismes sociaux sur les démarches à entreprendre antérieurement à l'embauche, ce dont M. X... ne justifie pas ; que M. X..., qui gère par ailleurs d'autres sociétés, ne pouvait ignorer cette obligation ou, à tout le moins, interroger la CPS ; qu'il n'est pas fondé à se retrancher derrière des usages locaux, un avis de la coopérative maritime des producteurs de pêche hauturière de la Polynésie-Française, organisme représentant les armateurs, une décision unique du tribunal correctionnel de Papeete en date du 17 mai 1988, et les déclarations de Mme Aurélie B..., représentant le directeur de la CPS, lors de son audition du 17 novembre 2010, qui explique comment sont traitées les demandes d'affiliation faites directement par les marins (et non par l'armateur) ;
" alors qu'il n'y a point de crime ou de délit sans intention de le commettre ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a relevé que « dans toutes les sociétés de pêche en Polynésie-Française », les marins pêcheurs s'affiliaient eux-mêmes à la CPS ; que, pour démontrer que l'élément intentionnel de l'infraction de travail dissimulé n'était pas caractérisé, M. X... invoquait cet usage polynésien, dont l'existence avait été confirmée par un jugement du tribunal correctionnel de Papeete du 17 mai 1988, jugeant que, selon « une jurisprudence constante du tribunal, confirmée par la cour d'appel », l'armateur n'était pas l'employeur des marins-pêcheurs ; que les déclarations de la représentante du directeur de la CPS indiquaient que la CPS acceptait d'inscrire la totalité des marins-pêcheurs au régime des non-salariés ; qu'il résultait de ces éléments que les marins-pêcheurs n'étaient, en Polynésie-Française, pas regardés comme employés du propriétaire du bateau ; que la cour d'appel ne pouvait se borner, pour estimer que l'élément intentionnel du délit était caractérisé, à relever que M. X... « ne pouvait ignorer » ses obligations de déclaration et qu'il n'était pas fondé à se retrancher derrière les différents éléments invoqués, sans rechercher concrètement s'il avait entendu méconnaître ses obligations déclaratives " ;
Attendu que, pour infirmer le jugement du chef de travail dissimulé, écarter les conclusions du prévenu excipant du défaut d'élément intentionnel et le déclarer coupable de ce délit, l'arrêt retient l'existence d'un lien de subordination entre les marins et l'armateur, de nature à caractériser un contrat de travail, dès lors que M. X... a mis à leur disposition le navire et l'ensemble du matériel de pêche, déterminé les différents lieux de pêche, les horaires de travail ainsi que la durée de la campagne, fixé la rémunération des marins et procédé à la répartition du produit de vente de la pêche ; que les juges ajoutent que le prévenu devait, en application de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986 applicable au droit commun du droit du travail en Polynésie-Française, procéder aux déclarations de ses salariés auprès de la caisse de Prévoyance sociale ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision sans encourir les griefs allégués, dès lors que résulte de ces motifs la constatation de la violation en connaissance de cause de prescriptions légales, en l'espèce le défaut de déclarations de ses salariés auprès de la caisse de Prévoyance sociale, impliquant de la part de leur auteur l'intention coupable exigée par l'article 121-3, alinéa 1er, du code pénal ; D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 121-3 et 222-20 du code pénal, de l'article 36-1 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986, 593 du code de procédure pénale, manque de base légale, défaut de motifs ;
" en ce que l'arrêt attaqué, après avoir considéré que M. X... était coupable de travail dissimulé et de blessures involontaires, l'a condamné à la peine de six mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 150 000 francs pacifique ;
" aux motifs propres que c'est à juste titre et par des motifs pertinents que la cour approuve que les premiers juges :- ont retenu que la prescription annale invoquée par M. X... ne pouvait être admise, l'infraction prévue à l'article 222-20 du code pénal qui lui est reprochée étant un délit,- ont considéré que M. X... n'avait pas pris les mesures de prévention des risques professionnels, d'information et de formation les mieux adaptés pour assurer la protection de ses marins-pêcheurs, notamment, en ne les équipant pas de lunettes de protection ; que toutefois, s'agissant d'un délit non intentionnel, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que manquait l'élément intentionnel du délit ;
" et aux motifs adoptés que l'instruction a permis d'établir que M. X..., ès-qualités, qui ne se considérait pas concerné, n'a pas pris les mesures de prévention des risques professionnels qu'il connaît pourtant bien pour avoir lui-même pratiqué la pêche hauturière pendant de nombreuses années, d'information et de formation les mieux adaptés pour assurer la sécurité et protéger la santé des marins pêcheurs, notamment, en ne mettant pas à disposition des membres de l'équipage les moyens de protection adaptés (lunettes), en s'assurant de la diffusion et de la pleine compréhension des consignes de sécurité et des méthodes de pêche reconnues par les professionnels comme dangereuses, en un mot qu'il n'a rempli aucune des obligations prévues par l'article 36-1 susvisé ;
" 1°) alors que le délit de blessures involontaires prévu à l'article 222-20 du code pénal n'est caractérisé qu'en cas de « violation manifestement délibérée » d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; qu'il suppose donc que soit caractérisé un élément intentionnel ; que la cour d'appel ne pouvait en conséquence relever, pour condamner M. X... sur le fondement de l'article 222-20 du code pénal, que, « s'agissant d'un délit non intentionnel, c'est à tort que les premiers juges ont considéré que manquait l'élément intentionnel du délit » ;
" 2°) alors que, en tout état de cause, le délit de blessures involontaires prévu à l'article 222-20 du code pénal n'est caractérisé qu'en cas de « violation manifestement délibérée » d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que la notion de « violation manifestement délibérée » implique la volonté du prévenu de violer, en toute connaissance de cause, une obligation qu'il sait applicable à sa situation ; que la cour d'appel ne pouvait juger que M. X... était coupable du délit de blessures involontaires prévu à l'article 222-20 du code pénal à raison de la méconnaissance des obligations prévues par la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986, sans caractériser le caractère manifestement délibéré de la violation des obligations prévues par ce texte ;
" 3°) alors que l'infraction prévue à l'article 222-20 du code pénal n'est caractérisée qu'en cas de violation d'une obligation « particulière » de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement ; que l'article 36-1 de la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986, visé par la prévention, qui ne prévoit que des obligations générales de sécurité, applicables à tout employeur et en toute situation, n'impose aucune obligation particulière à l'activité des marins-pêcheurs et, notamment, pas le port de lunettes de protection ; que la cour d'appel ne pouvait se borner, pour condamner M. X... sur le fondement de l'article 222-20 du code, à viser la loi n° 86-845 du 17 juillet 1986, sans identifier l'obligation particulière de prudence ou de sécurité qui aurait été violée de façon manifestement délibérée par M. X... " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que, tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour infirmer le jugement et déclarer M. X... coupable du délit de blessures involontaires par violation manifestement délibérée d'une obligation de prudence et de sécurité imposée par la loi ou le règlement, l'arrêt relève que ce dernier n'a pas pris les mesures de prévention des risques professionnels, d'information et de formation les mieux adaptés pour assurer la protection des marins-pêcheurs travaillant sur le navire à bord duquel s'est produit l'accident, notamment en n'équipant pas ces travailleurs de lunettes de protection ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, alors qu'il lui appartenait de déterminer l'obligation particulière de sécurité dont la violation délibérée aurait causé l'accident de M. Z..., la cour d'appel n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Sur la demande présentée au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale :
Attendu que les dispositions de ce texte sont applicables en cas de rejet du pourvoi, qu'il soit total ou partiel ; que la déclaration de culpabilité de M. X... du chef de travail dissimulé étant devenue définitive, par suite du rejet de son premier moyen de cassation, il y a lieu de faire partiellement droit à la demande des défendeurs au pourvoi ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Papeete, en date du 30 juillet 2015, mais en ses seules dispositions relatives au délit de blessures involontaires et aux peines prononcées, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée,
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. X... devra payer à la caisse de Prévoyance sociale de la Polynésie-Française au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Papeete, et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le sept février deux mille dix-sept ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.