LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Donne acte aux sociétés Marti Pontault Combault, Marti Cannes et Marti Pierrelaye du désistement de leur pourvoi en ce qu'il est dirigé contre l'Agent judiciaire de l'Etat ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 29 octobre 2014), que, le 26 juin 2009, la société France promotion (la société France) a été mise en redressement judiciaire, avec période d'observation pour pouvoir céder son activité, M. X... et Mme Y... étant respectivement désignés administrateur et mandataire judiciaires ; que les sociétés Marti Pontault Combault, Marti Cannes et Marti Pierrelaye (les sociétés bailleresses) ont déclaré diverses créances de loyers au titre de baux commerciaux qu'elles avaient consentis le 11 avril 2007 à la société France ; que, le 11 septembre 2009, le tribunal a autorisé la poursuite de l'activité de cette société pour une durée d'un mois au regard des perspectives de cession de son activité à la société Toulouse Inter Loto ; qu'à l'invitation de l'administrateur, les sociétés bailleresses ont comparu à l'audience du 25 novembre 2009 au cours de laquelle le tribunal a examiné l'offre de reprise ; que, le 11 décembre 2009, le tribunal, estimant que l'offre de reprise n'était pas assortie de garanties suffisantes, a converti la procédure de redressement en liquidation judiciaire, Mme Y... étant désignée liquidateur ; que, le 13 avril 2010, celle-ci a résilié les baux litigieux ; que les sociétés bailleresses ont assigné M. X... et Mme Y... en responsabilité professionnelle ;
Sur le premier moyen :
Attendu que les sociétés bailleresses font grief à l'arrêt du rejet de leur action en responsabilité dirigée contre M. X... alors, selon le moyen :
1°/ que l'administrateur judiciaire dispose du pouvoir exclusif d'exiger l'exécution des baux en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur, de sorte que sa responsabilité ne peut être écartée au seul motif qu'il n'aurait pas été mis en demeure par le bailleur de se prononcer sur le sort des baux, cette mise en demeure étant dépourvue de tout effet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a exclu toute faute de M. X... en raison du fait que les sociétés bailleresses n'avaient ni sollicité la résiliation des baux consentis à la société débitrice pour défaut de paiement des loyers ni mis en demeure l'administrateur de se prononcer sur la poursuite de ces baux ; qu'en retenant ainsi l'absence de mise en demeure adressée à l'administrateur judiciaire pour écarter la responsabilité de celui-ci en raison de la poursuite des baux, la cour d'appel a violé les articles L. 622-13 et L. 622-14 du code de commerce, ensemble l'article 1382 du code civil ;
2°/ que l'administrateur judiciaire ne peut exiger la continuation d'un contrat à paiement échelonné sans s'être préalablement assuré, au moment où il demande l'exécution du contrat, de disposer des fonds suffisants ; qu'en l'espèce, pour exclure qu'en décidant la poursuite des baux, l'administrateur judiciaire avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel s'est contentée d'une motivation reposant d'une part sur l'attente par cet organe de la connaissance de l'issue de la proposition de reprise et d'autre part sur la recherche préalable des solutions propres à assurer la pérennité de l'entreprise, le paiement des fournisseurs et bailleurs et le maintien des emplois ; que cependant de tels motifs abstraits, sans rapport avec les circonstances de l'espèce, ne permettent pas de déterminer si l'administrateur judiciaire disposait de la trésorerie pour régler les loyers ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à déterminer si l'administrateur judiciaire, qui n'avait pas résilié les baux commerciaux consentis à la société débitrice, disposait de la trésorerie suffisante pour régler les loyers, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que les sociétés bailleresses avaient attendu le 17 septembre 2009 pour demander à M. X... le paiement de leurs factures et qu'à l'audience du 25 septembre 2009, elles n'ont pas demandé la résiliation des baux en cours pour défaut de paiement des loyers ; qu'il constate encore, par motifs propres et adoptés, que des échanges de correspondances et de courriels entre le président du tribunal, l'avocat de la société France et le mandataire judiciaire démontrent qu'une solution de reprise de celle-ci par un acquéreur fiable et présentant des garanties suffisantes était recherchée, et que des correspondances émanant du représentant de la société Toulouse Inter Loto et des banque HSBC et Audi de Genève pouvaient légitimement donner à penser qu'une chance existait que la société France fût reprise, au moins pour partie ; qu'il retient encore que l'administrateur se devait ainsi de rechercher, avant de demander l'arrêt de l'activité de la débitrice et le prononcé de sa liquidation judiciaire, des solutions propres à assurer sa pérennité comme le paiement de ses créanciers, y compris ses bailleresses ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, faisant ressortir que la poursuite des contrats s'inscrivait dans une perspective raisonnable de redressement de la débitrice par voie de cession de son activité et un souci d'assurer ainsi le paiement de l'ensemble de ses créanciers, la cour d'appel a pu décider, nonobstant les difficultés financières de la débitrice à honorer le paiement des contrats en cours poursuivis, que M. X... n'avait pas commis de faute ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et sur le second moyen :
Attendu que les sociétés bailleresses font grief à l'arrêt du rejet de leur action en responsabilité dirigée contre Mme Y... alors, selon le moyen, que le mandataire judiciaire peut demander au tribunal de convertir le redressement judiciaire en liquidation judiciaire ; qu'en l'espèce, pour exclure toute faute du mandataire judiciaire de la société débitrice, la cour d'appel s'est bornée de manière abstraite à retenir l'objet de la mission de l'administrateur judiciaire et l'absence de mise en demeure de celui-ci d'avoir à résilier les baux ; qu'elle n'a cependant pas recherché si, en présence de la créance non contestée de loyers impayés, il n'avait pas commis une faute en laissant perdurer cette situation et en s'abstenant de saisir le tribunal d'une demande pour voir prononcer la liquidation judiciaire de la société débitrice ; qu'elle a donc privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil ;
Mais attendu que l'arrêt constate que Mme Y... a été avisée tardivement des dettes de loyers de la débitrice par lettre des sociétés bailleresses du 17 septembre 2009, tandis qu'à l'audience du 25 septembre 2009, ces dernières ne se sont pas opposées à l'offre de reprise ; qu'il retient que la mandataire judiciaire devait concilier les intérêts de tous les créanciers et ne pouvait privilégier certains d'entre eux, comme les bailleresses, au détriment des autres ; que l'arrêt retient encore que la mandataire judiciaire ne pouvait demander la conversion du redressement de la débitrice en liquidation judiciaire avant que le tribunal n'ait eu le temps d'examiner le caractère sérieux de l'offre du repreneur potentiel ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations, dont il résulte qu'il était de l'intérêt de tous les créanciers, y compris des bailleurs, de poursuivre l'activité de la débitrice afin de permettre le recouvrement de leurs créances, la cour d'appel, qui a ainsi effectué la recherche invoquée par le moyen, a, en écartant la responsabilité du mandataire judiciaire, légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne les sociétés Marti Pontault Combault, Marti Cannes et Marti Pierrelaye aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à M. X... et Mme Y..., en leurs qualités respectives d'administrateur et de mandataire judiciaires de la société France promotion, la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société Marti Pontault-Combault, la société Marti Cannes et la société Marti Pierrelaye
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST REPROCHE A L'ARRET CONFIRMATIF ATTAQUE D'AVOIR débouté les sociétés MARTI PONTAULT-COMBAULT, MARTI CANNES et MARTI PIERRELAYE de leur demande en responsabilité à l'encontre de Me X... ès-qualités d'administrateur judiciaire de la société FRANCE PROMOTION,
AUX MOTIFS QUE celles-ci faisaient grief à Me X... d'avoir poursuivi les baux sans disposer de la trésorerie pour régler les loyers et laissé perdurer cette situation jusqu'au jugement du 11 décembre 2009 sans prendre l'initiative de demander la cessation immédiate de l'activité de l'entreprise en l'absence de garanties financières apportées par le repreneur ; que les sociétés bailleresses n'avaient adressé qu'un courrier le 17 septembre 2009 à Me X... lui demandant le paiement de leurs factures ; qu'elles avaient été invitées par ce dernier à comparaître à l'audience du 25 septembre 2009 du tribunal de commerce ; qu'à cette audience, elles n'avaient fait aucune observation particulière sur les baux en cours ; qu'il apparaissait à la lecture du plumitif qu'il aurait été convenu que les dettes seraient payées par échéances ; qu'elles n'avaient ni sollicité la résiliation des baux pour défaut de paiement des loyers ni mis en demeure l'administrateur de se prononcer sur la poursuite de ces baux ; que le mandataire avait, au vu de la proposition de reprise en cours d'examen et de la position du tribunal de commerce, attendu d'en connaître l'issue pour se prononcer ; que, pour les mêmes motifs que ceux développés précédemment, le mandataire recherchait avant de demander l'arrêt de l'activité et le prononcé de la liquidation judiciaire les solut ions propres à assurer la pérennité de l'entreprise, le paiement des fournisseurs et bailleurs et le maintien des emplois ; qu'il ne ressortait pas des éléments versés aux débats que Me X... eût commis une faute personnelle dans l'accomplissement de sa mission,
ALORS D'UNE PART QUE l'administrateur judiciaire dispose du pouvoir exclusif d'exiger l'exécution des baux en cours en fournissant la prestation promise au cocontractant du débiteur, de sorte que sa responsabilité ne peut être écartée au seul motif qu'il n'aurait pas été mis en demeure par le bailleur de se prononcer sur le sort des baux, cette mise en demeure étant dépourvue de tout effet ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a exclu toute faute de Me X... ès-qualités en raison du fait que les bailleresses n'avaient ni sollicité la résiliation des baux consentis à la société débitrice pour défaut de paiement des loyers ni mis en demeure l'administrateur de se prononcer sur la poursuite de ces baux ; qu'en retenant ainsi l'absence de mise en demeure adressée à l'administrateur judiciaire pour écarter la responsabilité de celui-ci en raison de la poursuite des baux, la cour d'appel a violé les articles L. 622-13 et L. 622-14 du code de commerce, ensemble l'article 1382 du code civil,
ALORS D'AUTRE PART QUE l'administrateur ne peut exiger la continuation d'un contrat à paiement échelonné sans s'être préalablement assuré, au moment où il demande l'exécution du contrat, de disposer des fonds suffisants ; qu'en l'espèce, pour exclure qu'en décidant la poursuite des baux, l'administrateur judiciaire avait commis une faute de nature à engager sa responsabilité, la cour d'appel s'est contentée d'une motivation reposant d'une part sur l'attente par cet organe de la connaissance de l'issue de la proposition de reprise et d'autre part sur la recherche préalable des solutions propres à assurer la pérennité de l'entreprise, le paiement des fournisseurs et bailleurs et le maintien des emplois ; que cependant de tels motifs abstraits, sans rapport avec les circonstances de l'espèce, ne permettent pas de déterminer si l'administrateur judiciaire disposait de la trésorerie pour régler les loyers ; qu'en statuant par de tels motifs, impropres à déterminer si l'administrateur judiciaire, qui n'avait pas résilié les baux commerciaux consentis à la société débitrice, disposait de la trésorerie suffisante pour régler les loyers, la cour d'appel a violé l'article 1382 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST REPROCHE A L'ARRET CONFIRMATIF ATTAQUE D'AVOIR débouté les sociétés MARTI PONTAULT-COMBAULT, MARTI CANNES et MARTI PIERRELAYE de leur demande en responsabilité à l'encontre de Me Y... ès-qualités de mandataire judiciaire de la société FRANCE PROMOTION,
AUX MOTIFS QU'il était reproché à cet auxiliaire de justice de ne pas avoir sollicité le prononcé de la liquidation judiciaire alors qu'en sa qualité de représentant des créanciers, il connaissait la situation de l'entreprise ; que Me Y... n'avait été avisé de la dette de loyers que tardivement lorsque les sociétés, par courriers du 17 septembre 2009, l'avaient mis en demeure de payer les sommes dues alors qu'elles n'avaient pas dès le jugement de redressement judiciaire mis en demeure Me X... de se prononcer sur la poursuite des baux ; que le 25 septembre 2009, elles ne s'étaient pas opposées à l'offre de reprise ; que le mandataire judiciaire devait concilier les intérêts de tous les créanciers et des salariés et ne pouvait privilégier l'un d'entre eux ; qu'en l'espèce, l'intérêt de tous avait été de poursuivre l'activité afin de permettre le recouvrement des créances ; que, pour ce faire, il avait fallu examiner l'offre du repreneur potentiel ; qu'il ne pouvait donc lui être fait grief de ne pas avoir immédiatement demandé la conversion du redressement judiciaire en liquidat ion judiciaire,
ALORS QUE le représentant des créanciers peut demander au tribunal de convertir le redressement judiciaire en liquidation judiciaire ; qu'en l'espèce, pour exclure toute faute du représentant des créanciers de la société débitrice FRANCE PROMOTION, la cour d'appel s'est bornée de manière abstraite à retenir l'objet de la mission du représentant des créanciers et l'absence de mise en demeure de l'administrateur judiciaire d'avoir à résilier les baux ; qu'elle n'a cependant pas recherché si, en présence de la créance non contestée de loyers impayés, le représentant des créanciers n'avait pas commis une faute en laissant perdurer cette situation et en s'abstenant de saisir le tribunal d'une demande pour voir prononcer la liquidation judiciaire de la société débitrice ; qu'elle a donc privé son arrêt de base légale au regard de l'article 1382 du code civil.