LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique du pourvoi principal, pris en sa première branche :
Vu l'article 16 du code de procédure civile ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que, suivant acte sous seing privé du 15 mars 2009, M. X...a consenti à la société GP expansion un prêt d'un montant de 450 000 euros, destiné à financer la réalisation d'un lotissement par la société Casola Holding ; que, selon un document annexé à cet acte, la somme empruntée a fait l'objet d'un apport en compte courant au profit de cette dernière, à charge pour elle de rembourser la société GP expansion, afin qu'elle puisse elle-même rembourser M. X... avant le 15 mars 2010 ; que, par jugement du 13 janvier 2012, la société GP expansion a été condamnée à payer à M. X... la somme de 407 500 euros, outre intérêts, au titre du prêt ; que ses tentatives de recouvrement de cette créance restées vaines, celui-ci a assigné M. Y... (le notaire), en responsabilité et indemnisation, alléguant qu'un salarié de l'office notarial avait omis d'inscrire les garanties hypothécaires qui auraient dû lui bénéficier en vertu d'un acte de prêt conclu le 20 octobre 2010 entre la société GP expansion et la société Casola Holding ;
Attendu que, pour condamner le notaire à indemniser M. X..., l'arrêt retient que le préjudice subi par lui est certain et s'analyse en la perte d'une chance, laquelle, eu égard aux aléas attachés à l'efficacité de l'inscription de l'hypothèque convenue, qui devait venir en troisième rang et en l'absence de tout élément concernant la valeur des terrains en cause, sera réparée par l'allocation d'une somme de 60 000 euros ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait relevé d'office le moyen tiré de la perte de chance sans inviter au préalable les parties à s'en expliquer, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi principal et sur le pourvoi incident :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il déclare recevable la demande formée en appel par M. X... contre M. Y..., l'arrêt rendu le 5 novembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nancy autrement composée ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Fabiani, Luc-Thaler et Pinatel, avocat aux Conseils, pour M. X....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR limité à la somme de 60. 000 € le montant des dommages-intérêts qu'il a condamné Me Arnaud Y... à payer à M. Jean-Jacques X... ;
AUX MOTIFS QUE « le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution ; qu'il résulte de la jurisprudence constante, par ailleurs, que le notaire engage sa responsabilité, vis à vis des tiers, à raison de toute faute préjudiciable commise par lui dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il sera également rappelé que la condamnation d'un responsable d'un dommage à le réparer ne prive pas la victime de son intérêt à agir contre les autres responsables du même dommage, tant qu'elle n'a pas effectivement reçu réparation ; qu'en l'espèce, il est expressément stipulé à l'acte reçu le 20 octobre 2010 par Me Z..., notaire salarié au sein de l'étude de Me Y..., suivant lequel la Sarl GP Expansion consent à la Sarl Casola Holding un prêt d'un montant de 676. 385 euros remboursable en une seule fois dans le délai de trois années et au plus tard dans le mois qui suivra la vente de la parcelle, objet de l'affectation hypothécaire, que l'emprunteur affecte et hypothèque, à la garantie du remboursement de toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires, l'immeuble suivant situé sur la commune d'Uckange, soit les terrains à bâtir constituant les lots n° 1, 2, 14, 19, 29, 31, 33, 37, 38 et 40 du lotissement dénommé Le Nid, cadastrés section B n° 5056, 5057, 5069, 5074, 5084, 5086, 5088, 5092, 5093 et 5095, inscrits au livre foncier au nom de la société Casola Holding ; qu'il n'est pas contesté par Me Y..., civilement responsable du fait de l'activité professionnelle exercée pour son compte par son notaire salarié, par application tant des dispositions de l'article 1384 du code civil que de l'article 6 du décret n° 93-92 du 15 janvier 1993, que Me Z...n'a pas fait inscrire l'hypothèque garantissant le remboursement du prêt ; que Me Y... qui prétend qu'il aurait été empêché de procéder à la formalité de l'inscription d'hypothèque en raison du comportement de M. A...gérant de la société Casola Holding, n'en rapporte pas la preuve ; que sa responsabilité est engagée du fait de la faute commise par son préposé, tant à l'égard de la Sarl GP Expansion sur le fondement de l'article 1382 du code civil qu'à l'égard de M. X..., tiers à l'acte, dans la mesure où cette faute cause à celui-ci un préjudice ; qu'à cet égard, il ressort de l'acte sous seing privé du 15 mars 2009, que les fonds provenant du prêt consenti par M. Jean-Jacques X... à la société GP Expansion, ont fait l'objet d'un apport en compte courant à la Sarl Casola Holding, laquelle s'est engagée à rembourser à la Sarl GP Expansion la somme de 450. 000 euros, afin de lui permettre de procéder au remboursement du prêt qui lui a été octroyé par M. X... ; que l'interdépendance des relations entre M. X..., la Sarl GP Expansion et la Sarl Casola Holding est ainsi établie ; que s'il est exact, ainsi que le fait valoir Me Y..., que l'hypothèque, si elle avait été inscrite, aurait directement bénéficié à la Sarl GP Expansion qui aurait pu faire procéder à la vente des parcelles affectées en garantie du remboursement du prêt consenti à la Sarl Casola Holding le 20 octobre 2010, il n'en demeure pas moins que l'omission par le notaire de procéder à l'inscription de ladite hypothèque a privé M. X... de la possibilité d'obtenir remboursement par la Sarl GP Expansion, au moyen du produit de la vente desdites parcelles, du prêt qu'il lui avait consenti le 15 mars 2009 ; que le préjudice subi par M. X... qui n'a pu faire exécuter le jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg en date du 13 janvier 2012 condamnant la Sarl GP Expansion à lui payer la somme de 407. 500 euros majorée des intérêts en raison de l'insolvabilité de sa débitrice, est certain ; qu'il s'analyse en la perte d'une chance laquelle, eu égard aux aléas attachés à l'efficacité de l'inscription de l'hypothèque convenue, qui devait venir en 3ème rang derrière celles prises au profit de la Banque Populaire Lorraine Champagne et le trésor public ainsi que mentionné en page 7 de l'acte notarié du 20 octobre 2010, et en l'absence de tout élément concernant la valeur des terrains en cause, sera indemnisée par la somme de 60. 000 euros » ;
1°) ALORS, de première part, QUE les juges du fond ne peuvent relever d'office que le préjudice subi s'analyse en une perte de chance, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations ; qu'en l'espèce, M. X... sollicitait la condamnation de Me Y... à l'indemniser à hauteur de l'intégralité des sommes que le tribunal d'arrondissement de Luxembourg avait condamné la société GP Expansion à lui payer ; que dès lors, en jugeant que le préjudice subi par M. X... s'analysait en une simple perte de chance d'obtenir le paiement de sa créance sur la société GP Expansion, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, de deuxième part, QUE les juges ont l'interdiction de modifier l'objet du litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que le préjudice subi par M. X... s'analysait en une simple perte de chance d'obtenir le paiement de sa créance sur la société GP Expansion, ce qui n'était soutenu par aucune des parties, la cour d'appel a modifié l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
3°) ALORS, en tout état de cause, QU'en se fondant, pour évaluer la perte de chance subie, sur les « aléas attachés à l'efficacité de l'hypothèque » garantissant le remboursement du prêt, « qui devait venir en 3ème rang derrière celles prises au profit de la Banque Populaire Lorraine Champagne et le trésor public (…), et en l'absence de tout élément concernant la valeur des terrains en cause », sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS, de quatrième part, QUE les juges ont l'interdiction de modifier les termes du litige ; qu'en l'espèce, en jugeant que l'efficacité de l'hypothèque qui garantissait le remboursement du prêt était aléatoire, et que cet aléa tenait à l'existence de deux autres hypothèques, ce qui n'était soutenu par aucune des parties, et en se fondant sur l'absence d'élément concernant la valeur des terrains en cause cependant qu'aucune partie ne prétendait que cette valeur n'était pas suffisante pour assurer le remboursement du prêt, la cour d'appel a modifié les termes du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Boré et Salve de Bruneton, avocat aux Conseils pour M. Y....
Il est fait grief à l'arrêt d'AVOIR condamné M. Arnaud Y... à payer à M. Jean-Jacques X... la somme de soixante mille euros (60. 000 €) à titre de dommages et intérêts ;
AUX MOTIFS QUE le notaire, tenu de s'assurer de l'efficacité de l'acte auquel il prête son concours doit, sauf s'il en est dispensé expressément par les parties, veiller à l'accomplissement des formalités nécessaires à la mise en place des sûretés qui en garantissent l'exécution ; qu'il résulte de la jurisprudence constante, par ailleurs, que le notaire engage sa responsabilité, vis à vis des tiers, à raison de toute faute préjudiciable commise par lui dans l'exercice de ses fonctions ; qu'il sera également rappelé que la condamnation d'un responsable d'un dommage à le réparer ne prive pas la victime de son intérêt à agir contre les autres responsables du même dommage, tant qu'elle n'a pas effectivement reçu réparation ; qu'en l'espèce, il est expressément stipulé à l'acte reçu le 20 octobre 2010 par Me Z..., notaire salarié au sein de l'étude de Me Y..., suivant lequel la Sarl GP Expansion consent à la Sarl Casola Holding un prêt d'un montant de 676. 385 euros remboursable en une seule fois dans le délai de trois années et au plus tard dans le mois qui suivra la vente de la parcelle, objet de l'affectation hypothécaire, que l'emprunteur affecte et hypothèque, à la garantie du remboursement de toutes les sommes dues en principal, intérêts et accessoires, l'immeuble suivant situé sur la commune d'Uckange, soit les terrains à bâtir constituant les lots n° 1, 2, 14, 19, 29, 31, 33, 37, 38 et 40 du lotissement dénommé Le Nid, cadastrés section B n° 5056, 5057, 5069, 5074, 5084, 5086, 5088, 5092, 5093 et 5095, inscrits au livre foncier au nom de la société Casola Holding ; qu'il n'est pas contesté par Me Y..., civilement responsable du fait de l'activité professionnelle exercée pour son compte par son notaire salarié, par application tant des dispositions de l'article 1384 du code civil que de l'article 6 du décret n° 93-92 du 15 janvier 1993, que Me Z...n'a pas fait inscrire l'hypothèque garantissant le remboursement du prêt ; que Me Y... qui prétend qu'il aurait été empêché de procéder à la formalité de l'inscription d'hypothèque en raison du comportement de M. A...gérant de la société Casola Holding, n'en rapporte pas la preuve ; que sa responsabilité est engagée du fait de la faute commise par son préposé, tant à l'égard de la Sarl GP Expansion sur le fondement de l'article 1382 du code civil qu'à l'égard de M. X..., tiers à l'acte, dans la mesure où cette faute cause à celui-ci un préjudice ; qu'à cet égard, il ressort de l'acte sous seing privé du 15 mars 2009, que les fonds provenant du prêt consenti par M. Jean-Jacques X... à la société GP Expansion, ont fait l'objet d'un apport en compte courant à la Sarl Casola Holding, laquelle s'est engagée à rembourser à la Sarl GP Expansion la somme de 450. 000 euros, afin de lui permettre de procéder au remboursement du prêt qui lui a été octroyé par M. X... ; que l'interdépendance des relations entre M. X..., la Sarl GP Expansion et la Sarl Casola Holding est ainsi établie ; que s'il est exact, ainsi que le fait valoir Me Y..., que l'hypothèque, si elle avait été inscrite, aurait directement bénéficié à la Sarl GP Expansion qui aurait pu faire procéder à la vente des parcelles affectées en garantie du remboursement du prêt consenti à la Sarl Casola Holding le 20 octobre 2010, il n'en demeure pas moins que l'omission par le notaire de procéder à l'inscription de ladite hypothèque a privé M. X... de la possibilité d'obtenir remboursement par la Sarl GP Expansion, au moyen du produit de la vente desdites parcelles, du prêt qu'il lui avait consenti le 15 mars 2009 ; que le préjudice subi par M. X... qui n'a pu faire exécuter le jugement du tribunal d'arrondissement de Luxembourg en date du 13 janvier 2012 condamnant la Sarl GP Expansion à lui payer la somme de 407. 500 euros majorée des intérêts en raison de l'insolvabilité de sa débitrice, est certain ; qu'il s'analyse en la perte d'une chance laquelle, eu égard aux aléas attachés à l'efficacité de l'inscription de l'hypothèque convenue, qui devait venir en 3ème rang derrière celles prises au profit de la Banque Populaire Lorraine Champagne et le trésor public ainsi que mentionné en page 7 de l'acte notarié du 20 octobre 2010, et en l'absence de tout élément concernant la valeur des terrains en cause, sera indemnisée par la somme de 60. 000 euros » ;
ALORS QUE la perte de chance résulte de la disparition d'une éventualité favorable et ne saurait pallier la carence du demandeur dans l'administration de la preuve, qui lui incombe, de l'existence de son préjudice ; qu'en condamnant M. Arnaud Y... à indemniser M. X... au titre de la perte d'une chance de recouvrer tout ou partie des sommes que lui devait la société GP Expansion grâce à la mise en oeuvre d'une l'hypothèque qui n'avait pas été inscrite au profit de cette dernière, « eu égard aux aléa attachés à l'efficacité de cette inscription » (arrêt page 7, al. 3), bien qu'elle ait relevé « l'absence de tout élément [chiffré] concernant la valeur des terrains en cause », produits par le demandeur à l'action (arrêt page 7, al. 3), la Cour d'appel, qui a ainsi pallié la carence de ce dernier dans l'administration de la preuve qui lui incombait, a violé l'article 1382 du Code civil.