LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le premier moyen :
Vu les articles 2044 et 2052 du code civil dans leur rédaction antérieure à celle de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016, 2048 et 2049 du même code ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les pièces de la procédure, que M. X... a été engagé par la société Honeywell Aftermarket Europe (la société) et occupait en dernier lieu les fonctions de responsable des transports en France ; que la relation de travail a pris fin le 28 février 2002, à l'expiration de la période de préavis, après la signature d'un protocole transactionnel le 30 novembre 2001 ; que par arrêté ministériel du 1er août 2001, la société avait été inscrite pour son site d'Allonne sur la liste des établissements ouvrant droit à l'allocation de cessation anticipée des travailleurs de l'amiante (ACAATA) ; qu'invoquant un préjudice d'anxiété en lien avec une exposition à l'amiante, M. X... a saisi la juridiction prud'homale ;
Attendu que pour accueillir la demande du salarié, l'arrêt retient qu'il résulte de l'article 2048 du code civil que les termes de la transaction doivent être interprétés de manière stricte, qu'en l'espèce la transaction a porté sur la cessation anticipée d'activité professionnelle mise en oeuvre par le dispositif légal, que la demande est totalement indépendante et distincte de cette dernière, qu'en tout état de cause, le protocole transactionnel ne pouvait mentionner la renonciation à se prévaloir d'un préjudice dont la reconnaissance est issue d'une création jurisprudentielle du 11 mai 2010, donc de plusieurs années postérieures à sa signature ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'aux termes de la transaction, le salarié déclarait être rempli de tous ses droits et ne plus avoir aucun chef de grief quelconque à l'encontre de la société du fait de l'exécution ou de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, sans qu'il soit nécessaire de statuer sur le second moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du onze janvier deux mille dix-sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Soltner, Texidor et Périer, avocat aux Conseils, pour la société Honeywell Aftermarket Europe.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir jugé recevable la demande de M. X... au titre du préjudice d'anxiété et d'avoir, en réparation, condamné la société Honeywell Aftermarket Europe à verser à M. X... la somme de 8 000 € ;
AUX MOTIFS QU' « il est constant que Régis X... a travaillé dans un établissement mentionné à l'article 41de la loi du 23 décembre 1998 figurant sur une liste établie par arrêté ministériel et cela pendant une période où étaient traités des matériaux contenant de l'amiante ; Que l'employeur objecte que la demande de Régis X... ne serait pas recevable au motif qu'un protocole transactionnel aurait été signé le 30 novembre 2001 entre le demandeur et la Société HONEYWELL AFTERMARKET EUROPE; que selon les dispositions de l'article 2048 du code civil, " les transactions se renferment dans leur objet : la renonciation qui y est faite à tous droits, actions et prétentions, ne s'entend que de ce qui est relatif au différend qui y a donné lieu"; qu'il s'évince de cette lecture que les termes de la transaction doivent être interprétés de manière stricte ; Qu'en l'espèce, la transaction a porté sur la cessation anticipée d'activité professionnelle mise en oeuvre par le dispositif légal ; Que la présente demande est totalement indépendante et distincte de cette dernière ; Qu'en tout état de cause, le protocole transactionnel ne pouvait mentionner la renonciation à se prévaloir d'un préjudice dont la reconnaissance est issue d'une création jurisprudentielle du 11 mai 2010, donc de plusieurs années postérieure à sa signature ; en conséquence qu'il conviendra de juger recevable la demande de Régis X... ; Que la décision du Conseil de Prud'hommes qui en a décidé autrement sera infirmée » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la transaction est le contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître ; qu'elle règle l'ensemble des différends qui s'y trouvent compris, soit que les parties aient manifesté leur intention par des expressions spéciales ou générales, soit que l'on reconnaisse cette intention par une suite nécessaire de ce qui y est exprimé ; qu'une transaction ferme et définitive conclue à la suite de la rupture du contrat de travail et portant sur l'ensemble des droits et action résultant de l'exécution et de la rupture du contrat de travail est revêtue de l'autorité de la chose jugée en dernier ressort relativement à l'ensemble des prétentions résultant de l'exécution ou la rupture du contrat de travail qui étaient nées à la date de sa signature ; que le préjudice d'anxiété résulte d'un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité au cours de l'exécution du contrat de travail et que le salarié a connaissance du risque à l'origine de l'anxiété à compter de l'arrêté ministériel de classement ; qu'au cas présent, la transaction conclue entre la société Honeywell Aftermarket Europe et M. X... stipule que « la société Aftermarket Europe SA accepte de payer à. Régis X... […] à titre de dommages et intérêts prenant en compte son préjudice moral et à titre transactionnel forfaitaire et définitif, une somme de 300 000 F net » ; que la transaction précise que « les parties reconnaissent que les modalités ci-dessus arrêtées et les montants ci-dessus fixées représentent le résultat des abandons réciproques qu'elles se sont consenties afin de parvenir au présent règlement transactionnel » et précise que « la négociation du dédommagement a pris en compte, d'un commun accord, les possibilités offertes par la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 et par le décret n°99-247 du 29 mars 1999 concernant les dispositions de cessation anticipée applicable aux salariés ayant travaillé dans des Etablissements ayant fabriqué des matériaux contenant de l'amiante » ; qu'il stipulait, enfin, qu'en contrepartie de l'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive, M. Régis X... se déclarait rempli « de tous ses droits et n'avoir plus aucun grief quelconque, tant à l'encontre de la société Honeywell Aftermarket Europe que toute autre société du groupe Honeywell dont il a été salarié, du fait de l'exécution ou de la rupture de son contrat de travail » et qu' « en conséquence, M. X... se désiste de tous ses droits et actions qu'il pourrait détenir à l'encontre d'une quelconque société du groupe Honeywell du fait de l'exécution ou la rupture de son contrat de travail » ; qu'en énonçant néanmoins que la transaction n'incluait pas le différend relatif au préjudice d'anxiété aux motifs que cette demande était indépendante et distincte de la cessation anticipée d'activité professionnelle dans le cadre du dispositif ACAATA envisagée par la transaction et que ce contrat ne pouvait mentionner une renonciation à un droit dont la reconnaissance est issue d'une création jurisprudentielle en date du 11 mai 2010, la cour d'appel a refusé d'appliquer la transaction et ainsi violé les articles 2044, 2048, 2049 et 2052 du code civil, ensemble l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE le juge doit trancher le litige au regard des règles de droit applicables et que le salarié a connaissance du risque à l'origine de l'anxiété dès lors qu'il est informé de ces droits de bénéficier du régime de cessation d'activité anticipée des travailleurs de l'amiante ; qu'en énonçant que la transaction forfaire et définitive qui précisait que l'indemnité transactionnelle forfaitaire et définitive indemnisait le « préjudice moral » subi par le salarié et que « la négociation du dédommagement a pris en compte, d'un commun accord, les possibilités offertes par la loi n°98-1194 du 23 décembre 1998 » et par laquelle M. X... se déclare rempli « de tous ses droits et n'avoir plus aucun grief quelconque, tant à l'encontre de la société Honeywell Aftermarket Europe que toute autre société du groupe Honeywell dont il a été salarié, du fait de l'exécution ou de la rupture de son contrat de travail » ne portait pas sur le préjudice d'anxiété au motif que la reconnaissance de ce préjudice était « issue d'une création jurisprudentielle du 11 mai 2010 », la cour d'appel a violé les articles 5 du code civil, 12 du code de procédure civile et 41 de la loi du 23 décembre 1998.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
SUBSIDIAIREIl est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société Honeywell Aftermarket Europe à verser à M. X... la somme de 8 000 € de dommages-intérêts en réparation de son préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE « les salariés qui ont travaillé, comme tel est le cas de Régis X..., dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi de 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période au cours de laquelle y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux en contenant, se sont trouvés par le fait de l'employeur, en proie à l'inquiétude permanente de se trouver confrontés à une maladie liée à la toxicité du minéral concerné ; que leur angoisse, susceptible d'être réactivée par des bilans médicaux périodiques, suffit à caractériser l'existence d'un préjudice d'anxiété ; que, la société HONEYWELL AFTERMARKET EUROPE n'étant pas parvenue à démontrer l'existence d'une cause d'exonération de sa responsabilité, il conviendra de la condamner à verser à Régis X... la somme de 8 000 euros en réparation de son préjudice d'anxiété, étant rappelé que l'indemnisation ainsi accordée répare l'ensemble des troubles psychologiques, y compris ceux liés au bouleversement dans les conditions d'existence ; que l'équité commande de condamner la société HONEYWELL AFTERMARKET EUROPE à verser à Régis X... la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ; qu'elle sera en outre condamnée aux entiers dépens de l'instance » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE la réparation du préjudice spécifique d'anxiété des salariés ayant travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante repose sur les règles de la responsabilité civile et, plus précisément, sur un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat ; qu'il en résulte que la présomption de préjudice peut être renversée lorsqu'il ressort des éléments produits aux débats soit que, nonobstant le classement de l'établissement, le salarié n'a pas, compte tenu des fonctions qu'il exerçait, été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au cours de son activité au sein de l'établissement, soit que l'employeur avait, au regard de son activité, de sa taille, des dispositions réglementaires en vigueur et des travaux effectués par le salarié, pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité du salarié, de sorte qu'il n'a commis à l'égard du salarié aucun manquement à son obligation de sécurité de résultat ; qu'au cas présent, la société Honeywell Aftermarket Europe exposait, en produisant de nombreux documents à titre d'offres de preuve, que M. X... n'avait pas pu être exposé au risque sur le site d'Allonne dans la mesure où la présence d'amiante non friable, c'est-à-dire très peu susceptible de dégager des fibres, était circonscrite à une zone mineure de l'usine dans laquelle M. X..., qui a exercé des emplois de type administratif pendant toute sa carrière, n'avait pas travaillé ; qu'elle exposait également, en produisant également de nombreux documents à titre d'offre de preuve, qu'elle avait toujours respecté les différentes réglementation en matière d'empoussièrement et, plus particulièrement, celles relatives à l'amiante, qu'elle avait pris toutes les mesures nécessaires pour préserver la santé et la sécurité de son personnel notamment contre le risque d'inhalation de poussières d'amiante et que l'activité du site d'Allonne n'avait donné lieu à aucune reconnaissance de maladie professionnelle liée à l'amiante, de sorte qu'elle n'avait commis aucun manquement à son obligation de sécurité de résultat ; qu'en se bornant à déduire l'existence d'un préjudice d'anxiété subi par M. X... et la responsabilité de la société Honeywell Aftermarket Europe du fait que l'établissement d'Allonne était mentionné à l'article 41 de la loi de 1998 et figurait sur une liste établie par arrêté ministériel, sans examiner les éléments produits aux débats par l'employeur et sans rechercher si ces éléments n'étaient pas de nature à renverser la présomption de préjudice en établissant que M. X... ne se trouvait pas dans un état d'inquiétude permanente du fait de son employeur, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil, L. 4121-1 du code du travail et 41 de la loi du 23 décembre 1998 ;
ALORS, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en refusant à la société Honeywell Aftermarket Europe toute possibilité d'établir que M. X... n'avait pas été exposé au risque d'inhalation de poussières d'amiante au sein de l'établissement d'Allonne et/ou qu'elle n'avait commis aucun manquement à son obligation de sécurité à l'égard du salarié, la cour d'appel a fait reposer le droit à réparation du travailleur sur des présomptions irréfragables et conféré au salarié un droit automatique à indemnisation du seul fait de l'accomplissement d'un travail au sein de l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante ; qu'en conférant au salarié un droit à indemnisation automatique, qui ne peut dès lors se justifier par l'application des règles de la responsabilité civile et l'obligation de sécurité pesant sur l'employeur et qui se trouve donc dépourvu de tout fondement juridique, la cour d'appel a violé les articles 41 de la loi du 23 décembre 1998, 5 du code civil, 6-1 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen du 26 août 1789.