LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 6 juillet 2011, pourvoi n° 08-12.648), que M. X... a souscrit, en son nom mais pour le compte de M. Y..., quatre-vingts actions de la société suisse Art Reports Indices et Charts (ARIC), les vingt autres étant détenues par M. X... personnellement ; que, le 25 septembre 2000, à Genève, MM. X... et Y... ont conclu un contrat de fiducie prévoyant que tous les frais et dépenses encourus par M. X... dans l'exercice de son mandat lui seraient intégralement remboursés par M. Y... ; qu'à la suite de la mise en liquidation de la société ARIC, M. X... a demandé le remboursement de l'ensemble des frais et dépenses engagés par la société et avancés par lui, puis a mis en oeuvre la clause compromissoire insérée au contrat ; qu'une sentence, rendue à Genève, a condamné M. Y... à payer à M. X... l'intégralité des sommes demandées par celui-ci ; que, par ordonnance du 4 septembre 2006, le président d'un tribunal de grande instance a ordonné l'exequatur de cette sentence ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt d'être rendu au visa d'écritures autres que ses dernières conclusions, en violation des articles 455 et 954 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte des productions que M. X... a repris, dans ses dernières conclusions du 1er décembre 2014, les moyens développés dans ses écritures du 24 octobre précédent ; que la cour d'appel, qui en a succinctement rappelé les termes, a statué sur l'ensemble des prétentions formulées et des moyens soulevés ; que le moyen ne peut être accueilli ;
Mais sur le second moyen, pris en sa première branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour infirmer l'ordonnance d'exequatur de la sentence arbitrale, l'arrêt retient que l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. X... qui, invoquant la règle de l'estoppel, déniait à M. Y..., compte tenu de son attitude procédurale, la faculté de contester la compétence de l'arbitre devant le juge de la régularité de la sentence, la cour d'appel a méconnu les exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du second moyen :
CASSE ET ANNULE en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 3 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris ;
Condamne M. Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatre janvier deux mille dix sept.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir statué au visa des conclusions déposées par M. Paul X... le 24 octobre 2014 ;
Aux motifs que, « (…) Paul X... demande de son côté dans le dernier état de ses conclusions du 24 octobre 2014 (…) » (arrêt, p. 4) ;
Alors que s'il n'expose pas succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens, le juge, qui ne peut statuer que sur les dernières conclusions déposées, doit viser celles-ci avec l'indication de leur date ; qu'en l'espèce, M. Paul X... avait régulièrement déposé par RVPA, et signifié par le même mode aux parties adverses, des conclusions n° 3 et récapitulatives accompagnées de nouvelles pièces le 1er décembre 2014 ; qu'en déclarant néanmoins statuer au vu des conclusions déposées par M. Paul X... le 24 octobre 2014, la Cour d'appel a violé les articles 455 et 954 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir jugé recevable et bien fondé l'appel de M. Thierry Y... et d'avoir dit n'y avoir lieu à exequatur de la décision d'arbitrage établie à Genève le 29 mai 2006 ;
Aux motifs que, « Selon l'article 1502 al 1 du code de procédure civile :
l'appel de la décision qui accorde la reconnaissance ou l'exécution n'est ouvert que dans les cas suivants :
1° si l'arbitre a statué sans convention d'arbitrage ou sur convention nulle ou expirée ;
Le contrat de fiducie est un contrat par lequel une personne (le fiduciant) transfère un droit à une autre (le fiduciaire) avec la charge de ne l'exercer qu'a une fin déterminée et de le retransférer à la demande du fiduciant à l'échéance du rapport contractuel ou d'un terme convenu.
Cette forme de mandat, utilisée notamment dans les relations contractuelles de personnes fragiles ou vulnérables, a de ce fait nécessairement un objet strictement circonscrit par les termes de la convention.
L'article 1 de la convention de fiducie du 25 septembre 2000 cantonne les droits du fiduciaire à la propriété des actions de la société Arts Report Indices and Charts SA, société anonyme de droit suisse, sans lui conférer d'autres droits.
L'article 4 du contrat selon lequel « tous les frais et dépenses encourus par le fiduciaire dans l'exercice de son mandat lui seront intégralement remboursés par le fiduciant »,
ne permet pas de soumettre à l'arbitrage d'autres dépenses, notamment de liquidités nécessaires à l'activité de la société créée, que celles découlant strictement de son mandat, à savoir des dépenses effectuées à l'occasion de l'acquisition des actions.
L'article 5 selon lequel « le fiduciant s'engage à libérer et relever le fiduciaire de toutes obligations, actions, condamnations en capital, intérêts et frais qui pourraient résulter de son activité d'actionnaire ou d'administrateur de la société quel qu'en soit le fondement juridique et quelle que puisse être la personne les faisant valoir » n'est susceptible de viser que des dettes et non des créances du fiduciaire, lesquelles n'entrent pas dans le champ circonscrit de la convention.
L'appel de Thierry Y... doit ainsi être jugé recevable et bien fondé.
En l'absence de demande d'exequatur partiel pour la partie de la créance objet de la convention, l'infirmation sera prononcée pour le tout » (arrêt, p. 6) ;
Alors que, en premier lieu, le défaut de réponse à conclusions équivaut au défaut de motif ; que M. Paul X... soutenait dans ses conclusions d'appel que la demande de M. Thierry Y... était frappée d'irrecevabilité en application de l'exception d'estoppel, M. Thierry Y... ne pouvant, tout à la fois, avoir refusé de participer à la procédure d'arbitrage et de soulever, dès cet instant, les causes d'irrégularité de la procédure, puis critiquer l'exequatur en ce que la décision arbitrale aurait été prise en violation de ses droits et de la clause d'arbitrage (conclusions du 24 octobre 2014, pp. 11 à 13, repris dans les conclusions du 1er décembre, pp. 12-13) ; qu'en refusant de répondre à ce moyen péremptoire, la Cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Alors que, en deuxième lieu, le contrat est régi, quant à ses conditions de formation, ses effets et son interprétation, par la loi désignée par les parties ; qu'en l'espèce, M. Paul X... faisait régulièrement valoir que la clause compromissoire insérée dans le contrat de fiducie devait être interprétée selon la lex contractus, c'est-à-dire selon les dispositions du droit suisse expressément choisi par les parties au contrat de fiducie ; qu'en interprétant la convention de fiducie du 25 septembre 2000 et sa clause compromissoire, sans indiquer la loi d'interprétation applicable au contrat – droit suisse ou droit français -, la Cour d'appel, qui n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle, a violé l'articles 3 du code civil, ensemble les articles 3 et 10 de la Convention de Rome du 19 juin 1980 sur la loi applicable aux obligations contractuelles ;
Alors que, en troisième lieu, le juge ne peut dénaturer les conclusions des parties ; qu'en l'espèce, M. Paul X... soulevait dans ses écritures d'appel, que le refus de l'exequatur ne pouvait pas, à tout le moins, concerner la question de sa souscription du capital-action de 80 %, soit 80.000 francs suisses, qui relevait, sans contestation possible, de la clause d'arbitrage ; qu'en jugeant néanmoins que M. Paul X... n'aurait pas formé « de demande d'exequatur partiel pour la partie de la créance objet de la convention », la Cour d'appel a violé l'article 4 du code de procédure civile.