LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 12-6 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, applicable à la cause ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Saint-Denis, 27 février 2015), qu'alléguant qu'une parcelle expropriée lui appartenant n'a que partiellement reçu une destination conforme à celle prévue par la déclaration d'utilité publique, et faisant valoir que le surplus de l'emprise n'est pas en l'état d'être restitué, Mme X... a sollicité une indemnisation ;
Attendu que, pour rejeter cette demande, l'arrêt retient que l'affectation partielle du bien à sa destination suffit à faire échec au droit de rétrocession ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté, par motifs propres et adoptés, que le projet déclaré d'utilité publique n'occupait qu'un dixième de la surface du terrain exproprié et qu'un ensemble immobilier avait été édifié sur le surplus, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 27 février 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Saint-Denis ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Saint-Denis, autrement composée ;
Condamne la commune de Saint-Denis, et la société d'aménagement de construction (SODIAC) aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la commune de Saint-Denis et de la société d'aménagement de construction (SODIAC), et les condamne à payer à Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Carbonnier, avocat aux Conseils, pour Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Madame Rose Méry X... de sa demande tendant à voir constater que la commune de Saint-Denis n'avait que très partiellement donné au terrain cadastré CE 128 et CE 1083, lieudit la Montagne, une destination conforme à celle prévue par la déclaration d'utilité publique du 2 mars 1992, constater que la restitution en nature du surplus de la parcelle CE 128 c'est-à-dire de la parcelle CE 1083 qui n'est pas occupée par la retenue collinaire, n'est plus possible compte tenu des constructions qui y sont édifiées, ordonner une expertise judiciaire pour la fixation de la valeur des terrains à ce jour et les droits en argent des consorts X... et, subsidiairement, fixer les droits des consorts X... à la somme de 2. 517. 600 €,
AUX MOTIFS QU'" aux termes de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation en vigueur lors de la demande « si les immeubles expropriés en application du présent code n'ont pas reçu dans le délai de 5 ans la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droits à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de 30 ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique. » L'article L. 421-1 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, créé par ordonnance du 6 novembre 2014, reprend les mêmes termes en ajoutant la mention à compter de l'ordonnance d'expropriation " après le délai de 5 ans. En l'espèce l'arrêté préfectoral n° 92-360 du 2 mars 1992 a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition par la commune de Saint-Denis d'un terrain cadastré CE 128 situé au lieu-dit Saint-Bernard à la Montagne, en vue de la réalisation d'une retenue collinaire. L'état parcellaire précise que la surface totale de cette parcelle est de 224 250 m2 dont 10 822 m2 avec emprise et 213 428 m2 hors emprise. Une ordonnance d'expropriation a été rendue par le juge de l'expropriation près le TGI de Saint-Denis le 5 juin 1992 et publié le 23 septembre 1992, pour une portion de terrain à prendre sur la parcelle cadastrée CE 128. Par jugement du 16 décembre 1992, notifié le 29 janvier 1993, le juge de l'expropriation a fixé à 94 692, 50 Fr. l'indemnité due pour l'expropriation de la parcelle cadastrée CE 472 (division de CE 128) située au lieu-dit " Ravine à Jacques " Saint Bernard La Montagne et appartenant à l'indivision X.... II précise qu'à la date de référence à retenir, le terrain était classé en zone 2 NC agricole.
Il n'est pas contesté que la retenue collinaire dont font état l'arrêté préfectoral du 2 mars 1992 et l'ordonnance d'expropriation du 5 juin 1992 a été effectuée, mais selon les consorts X... cette retenue n'occupe qu'environ 1000 m2 sur les 10 822 m2 expropriés, le reste du terrain étant affecté à la réalisation d'un lotissement. Il ressort des pièces versées aux débats que la SODIAC a obtenu le 29 septembre 2010 un permis de construire des logements collectifs sociaux pour une SHON de 5 057 m2 sur la parcelle CE 472 d'une surface de 10 822 m2. Par acte notarié du 20 juillet 2011, la commune de Saint-Denis de Saint-Denis a donné à bail à construction à la SODIAC une parcelle de terrain cadastrée CE 1083 d'une surface de 83 a 92 ca en vue de la construction de logements collectifs sociaux. La conformité des réalisations effectuées avec les objectifs poursuivis par la déclaration d'utilité publique doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération déclarée d'utilité publique, même si certaines n'ont pas été utilisées dans l'opération. Dès lors, l'affectation partielle du bien à sa destination suffit à faire échec au droit de rétrocession et au droit de priorité. En l'espèce, la parcelle expropriée ayant bien été affectée en partie à la destination prévue par la DUP du 2 mars 1992, la rétrocession de la partie résiduelle du terrain n'est pas possible. Au surplus, le droit de rétrocession ne peut être converti en une indemnité représentative de la valeur du terrain " (arrêt, p. 4 et 5),
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE " la conformité des réalisation effectuées avec les objectifs correspondants à ceux formulés dans la DUP doit s'apprécier au regard de l'ensemble des parcelles expropriées pour la réalisation de l'opération (Civ. 3°, 8/ 03/ 1995). En l'espèce, l'arrêté du 2/ 03/ 1992 déclare d'utilité publique le projet d'acquisition par la commune de Saint Denis du terrain CE 128 situé au lieu-dit Saint Bernard à la montagne en vue de la réalisation d'une retenue collinaire. C'est ainsi que la commune a acquis partie de cette parcelle à hauteur de 10 822 m2. Il est constant que la retenue collinaire a bien été réalisée même si elfe ne concerne qu'un dixième environ du terrain exproprié. La parcelle querellée a donc bien été utile à la réalisation de l'opération dans son ensemble en y participant directement. En contribuant, même de manière partielle, à l'objectif fixé par la DUP, elle a ainsi reçu l'affectation prévue par celle-ci peu important de ce fait que le surplus a fait l'objet d'un bail à construction au profit de la SODIAC pour l'édification d'un ensemble de logements sociaux. Les demandeurs ne sont pas fondés à réclamer la rétrocession de la surface résiduelle non concernée par la retenue collinaire " (jugement, p. 3),
1°) ALORS QUE si dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, les immeubles expropriés n'ont pas reçu la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession pendant un délai de trente ans à compter de ladite ordonnance d'expropriation, à moins que ne soit requise une nouvelle déclaration d'utilité publique ;
Qu'en l'espèce, il est constant qu'un arrêté préfectoral du 2 mars 1992 a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition par la commune de Saint-Denis de la parcelle de 10 822 m2 appartenant aux consorts X... en vue de la réalisation d'une retenue collinaire et qu'une ordonnance d'expropriation a été rendue le 23 septembre 1992 ; que les expropriés ont saisi, le 17 octobre 2011, le tribunal de grande instance de Saint-Denis d'une demande de rétrocession de leur terrain en application des dispositions de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation ; que, dans leurs écritures d'appel, ils faisaient notamment valoir que les travaux concernant la retenue collinaire n'avaient pas reçu un commencement d'exécution dans les cinq ans de l'ordonnance d'expropriation, ce qui justifiait leur demande de rétrocession ;
Qu'en se bornant à relever que la retenue collinaire avait été réalisée, sans rechercher la date à laquelle les travaux avaient été effectués, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation, dans sa rédaction alors applicable ;
2°) ALORS QUE si dans le délai de cinq ans à compter de l'ordonnance d'expropriation, les immeubles expropriés n'ont pas reçu la destination prévue ou ont cessé de recevoir cette destination, les anciens propriétaires ou leurs ayants droit à titre universel peuvent en demander la rétrocession ; que si l'affectation partielle du bien à sa destination peut faire échec au droit de rétrocession, encore faut-il que l'expropriant ne détourne pas la procédure d'expropriation en affectant seulement une infime partie de l'emprise expropriée à la destination prévue et le reste à la réalisation d'un projet ne correspondant pas à l'objectif poursuivi par la déclaration d'utilité publique ;
Qu'en l'espèce, il est constant qu'un arrêté préfectoral du 2 mars 1992 a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition par la commune de Saint-Denis de la parcelle de 10 822 m2 appartenant aux consorts X... en vue de la réalisation d'une retenue collinaire et qu'une ordonnance d'expropriation a été rendue le 23 septembre 1992 ; qu'il résulte des constatations des juges du fond « que la retenue collinaire a bien été réalisée même si elle ne concerne qu'un dixième environ du terrain exproprié » ; que, par la suite, « la commune de Saint-Denis a donné à bail à construction à la Sodiac une parcelle de terrain d'une surface de 83 a 92 ca en vue de la construction de logements collectifs sociaux » ; qu'ainsi, seuls 10 % de l'emprise du terrain exproprié appartenant aux consorts X... a servi à la destination prévue par la déclaration d'utilité publique, la commune de Saint-Denis ayant profité abusivement de l'expropriation pour réaliser sur la quasitotalité de la parcelle une opération immobilière ne correspondant pas à l'objectif poursuivi par la déclaration d'utilité publique ;
Qu'en considérant cependant que la parcelle expropriée avait bien été affectée à la destination prévue par la déclaration d'utilité publique, si bien que la rétrocession était impossible, la cour d'appel a violé l'article L. 12-6 du code de l'expropriation, dans sa rédaction alors applicable ;
3°) ALORS QUE le juge judiciaire de droit commun, seul compétent pour se prononcer sur la conformité de l'affectation reçue par les biens au regard des contraintes issues de la déclaration d'utilité publique, est fondé à accorder aux anciens propriétaires la rétrocession de leurs biens et à défaut, au cas où celle-ci est impossible compte tenu des travaux réalisés entre-temps, à leur allouer une indemnité compensatoire ;
Qu'en l'espèce, tout en ayant constaté que les consorts X... avaient été expropriés de la parcelle de 10 822 m2 leur appartenant en vue de la réalisation d'une retenue collinaire, la cour d'appel a relevé que cette dernière « ne concerne qu'un dixième environ du terrain exproprié » et « que la Sodiac a obtenu le 29 septembre un permis de construire de logements collectifs sociaux pour une SHON de 5 057 m2 », la commune de Saint-Denis ayant, par acte notarié du 20 juillet 2011, donné à bail à construction à la Sodiac une parcelle de 8 392 m2 en vue de la construction de logements collectifs sociaux ; que, compte tenu des travaux ainsi réalisés sur leur parcelle, les consorts X... ont sollicité la condamnation de la commune de Saint-Denis et de la Sodiac à leur verser une indemnité ; que, pour rejeter cette demande, la cour d'appel a péremptoirement jugé que « le droit de rétrocession ne peut être converti en une indemnité représentative de la valeur du terrain » ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a violé les dispositions de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation, dans sa rédaction alors applicable ;
4°) ALORS QUE nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique ;
Qu'en l'espèce, il est constant qu'un arrêté préfectoral du 2 mars 1992 a déclaré d'utilité publique le projet d'acquisition par la commune de Saint-Denis de la parcelle de 10 822 m2 appartenant aux consorts X... en vue de la réalisation d'une retenue collinaire et qu'une ordonnance d'expropriation a été rendue le 23 septembre 1992 ; qu'il résulte des constatations des juges du fond « que la retenue collinaire a bien été réalisée même si elle ne concerne qu'un dixième environ du terrain exproprié » ; que, par la suite, « la commune de Saint-Denis a donné à bail à construction à la Sodiac une parcelle de terrain d'une surface de 83 a 92 ca en vue de la construction de logements collectifs sociaux » ; qu'ainsi, seuls 10 % de l'emprise du terrain exproprié appartenant aux consorts X... a servi à la destination prévue par la déclaration d'utilité publique, la commune de Saint-Denis ayant profité abusivement de l'expropriation pour réaliser sur la quasitotalité de la parcelle une opération immobilière ne correspondant pas à l'objectif poursuivi par la déclaration d'utilité publique ;
Qu'en jugeant que l'affectation d'une très faible partie des biens expropriés à la destination prévue par la déclaration d'utilité publique faisait obstacle à l'application de l'article L. 12-6 du code de l'expropriation, c'est-à-dire au droit de rétrocession de l'exproprié sur la partie de ses biens non utilisée et au droit de priorité de l'exproprié en cas de revente par l'autorité expropriante des immeubles excédentaires s'étant révélés non indispensables à la réalisation du but prévu par la déclaration d'utilité publique, la cour d'appel a violé le texte susvisé, ensemble l'article 1er du protocole additionnel à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.