La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

02/11/2016 | FRANCE | N°15-84614

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 02 novembre 2016, 15-84614


Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Johnny X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 1er juillet 2015, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 1 500 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 septembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greff

ier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire ASCENSI, ...

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Johnny X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 1er juillet 2015, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 1 500 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 septembre 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Ascensi, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire ASCENSI, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. Jamil Y..., de nationalité libanaise et ancien directeur général de la Sûreté du Liban, qui avait été détenu provisoirement, en compagnie de trois autres officiers, comme ayant été mis en cause dans l'assassinat de Rafic Z..., ancien président du Conseil du Liban, a porté plainte et s'est constitué partie civile le 23 janvier 2009 du chef susvisé à raison, notamment, des propos suivants, tenus à Paris par M. Johnny X..., lui aussi de nationalité libanaise et ancien directeur des services secrets militaires libanais, à l'occasion d'une interview publiée dans le journal libanais Assayad daté du 24 au 30 octobre 2008 et diffusé en France : " j'ai en ma possession certaines informations indiquant que le procureur de la Cour de cassation dispose de données et de preuves qui font qu'il tient à ce que les quatre officiers soient maintenus en détention " ; que, par arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, en date du 7 octobre 2011, confirmant l'ordonnance du juge d'instruction, M. X... a été renvoyé devant le tribunal correctionnel de Paris ; que, par jugement, en date du 16 septembre 2014, le tribunal correctionnel a déclaré le prévenu coupable des faits qui lui étaient reprochés au titre de certains des propos qu'il avait tenus ; que l'intéressée a relevé appel de cette décision ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du code de procédure pénale, défauts de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. Johnny X... coupable du délit de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ;
" aux motifs que le troisième passage qui figure en page 14 « j'ai en ma possession certaines informations indiquant que le procureur de la Cour de cassation dispose de données et de preuves qui font qu'il tient à ce que les quatre officiers soient maintenus en détention » a été retenu comme diffamatoire par le tribunal ; qu'il n'est pas contesté qu'il vise la partie civile, M. Jamil Y..., comme étant l'un des quatre officiers qui, placé en détention le 30 août 2005 à la suite de l'assassinat de l'ancien premier ministre Rafic Z..., était toujours détenu lors de la publication de l'interview le 24 août 2008 ; que M. X... en conteste le caractère diffamatoire en soutenant qu'il s'est limité à faire état de la possession par le procureur de la Cour de cassation libanaise, et non par lui-même, de « données et de preuves » justifiant, selon le procureur et non selon lui, le maintien en détention de la partie civile, précisant qu'il est constant que les autorités judiciaires libanaises ont systématiquement refusé les demandes de libération et qu'il était donc légitime de penser que celles-ci disposaient d'éléments justifiant de ce maintien en détention ; que toutefois, en affirmant détenir lui-même des informations selon lesquelles le maintien en détention de la partie civile reste justifiée au regard des éléments dont dispose la plus haute autorité judiciaire de poursuite, M. X..., qui ne s'est pas limité à porter à la connaissance du lecteur avec neutralité, la position du procureur de la Cour de cassation, tend à justifier lui-même le maintien en détention de la partie civile en faisant état de données et de preuves de nature à permettre à cette autorité de s'opposer à sa mise en liberté ; qu'il en ressort explicitement, ainsi que l'a estimé le tribunal, qu'il est imputé à la partie civile un rôle et une implication dans l'attentat commis le 14 février 2005 sur la personne de Rafic Z..., reposant sur des données et des preuves suffisamment convaincantes pour justifier qu'il soit maintenu en détention, imputation contraire à l'honneur et à la considération de la partie civile » ;
" alors que pour constituer une diffamation, l'allégation ou l'imputation qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la victime doit se présenter sous la forme d'une articulation précise de faits imputables au plaignant de nature à être, sans difficulté, l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire ; que la troisième série de propos tenue par M. X... sur laquelle est exclusivement fondée sa déclaration de culpabilité, n'alléguait ni n'imputait aucun fait précis qui aurait été commis par le général Y... mais se contentait de faire état de la possession, par le procureur de la Cour de cassation libanaise, de « données et de preuves » qui justifiaient, selon le procureur, et non selon l'auteur des propos tenus, le maintien en détention du général Y... au mois d'octobre 2008, soit à une période où il était effectivement détenu par les autorités libanaises ; qu'en considérant que les propos incriminés caractérisaient bien le délit de diffamation publique en ce qu'ils auraient imputé « à la partie civile un rôle et un implication dans l'attentat commis le 14 février 2005 sur la personne de Rafic Z... » quand ces propos n'imputaient aucun fait précis au général Y... mais se bornaient à faire état de la volonté du procureur de la Cour de cassation de le maintenir en détention, la cour d'appel, qui a dénaturé lesdits propos, a violé l'article 29, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881 et le principe susvisé " ;
Attendu que, pour confirmer le jugement attaqué, l'arrêt relève qu'en affirmant détenir lui-même des informations selon lesquelles le maintien en détention de M. Y... restait justifié au regard des éléments dont disposait la plus haute autorité judiciaire de poursuite, M. X..., qui ne s'est pas limité à porter à la connaissance du lecteur, avec neutralité, la position du procureur de la Cour de cassation libanaise, a tendu à justifier lui-même le maintien en détention de la partie civile en faisant état de données et de preuves de nature à permettre à cette autorité de s'opposer à la mise en liberté de l'intéressé, de sorte qu'il ressortait explicitement des propos tenus qu'il était imputé à M. Y... un rôle et une implication dans l'attentat commis le 14 février 2005 sur la personne de Rafic Z..., reposant sur des données et des preuves suffisamment convaincantes pour justifier que la partie civile soit maintenue en détention, imputation contraire à l'honneur et à la considération de l'intéressé ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et, dès lors que le passage incriminé, dont les éléments extrinsèques ont été souverainement appréciés, imputait à la partie civile, sous forme d'insinuation, son implication dans l'assassinat de Rafic Z..., en confirmant l'existence de preuves de sa participation à cet attentat, fait de nature à être sans difficulté l'objet d'une preuve et d'un débat contradictoire, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 29, alinéa 1er, 32, alinéa 1er, de la loi du 29 juillet 1881, 593 du code de procédure pénale, défauts de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de diffamation envers un particulier par parole, écrit, image ou moyen de communication au public par voie électronique ;
" aux motifs que sur l'excuse de bonne foi (…) comme l'a estimé le tribunal, s'il était légitime que M. X... ayant occupé le poste de directeur des services secrets militaires libanais de 1977 à 1982 et les fonctions d'ambassadeur du Liban en France de 1990 à 1994, s'exprime sur les conséquences de l'assassinat de Rafic Z... dont il était proche, et s'il n'est pas astreint, s'exprimant en tant qu'homme politique, opposant, notamment de M. Emile A..., ancien président de la République ayant entretenu des relations conflictuelles avec Rafic Z..., à apporter les éléments d'enquête exigés d'un journaliste, il devait néanmoins, pour faire état d'éléments justifiant le maintien en détention de la partie civile pour son rôle éventuel dans l'assassinat de Rafic Z..., dispose d'une base factuelle suffisante ; qu'il suffit à la Cour de constater qu'il n'est plus même fait état, par la défense, de la seule pièce qui avait été versée en première instance au titre de l'offre de preuve, et dont le tribunal a constaté que, s'agissant d'une décision du juge de la mise en état du tribunal international du 29 avril 2009 ordonnant la mise en liberté de la partie civile, en concluant que les personnes détenues devaient être immédiatement libérées en application de la réglementation internationale, elle ne pouvait permettre au prévenu de se prévaloir d'un base factuelle suffisante corrélative à l'imputation relevée et à sa gravité ; que le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a retenu que le troisième passage poursuivi est constitutif du délit de diffamation publique à l'égard de la partie civile ;
" 1°) alors que l'article 10, alinéa 1er, de la Convention européenne des droits de l'homme garantit la liberté d'expression, laquelle ne peut faire l'objet d'une limitation qu'à la condition d'être nécessaire dans une société démocratique et proportionnée au but légitime poursuivi ; que la cour européenne des droits de l'homme rappelle que cet article ne laisse guère de place pour des restrictions à la liberté d'expression dans le domaine du discours politique ; que les limites de la critique admissible sont plus larges à l'égard d'un homme politique visé en cette qualité que d'un simple particulier ; qu'en l'espèce, dans le contexte d'une exacerbation de la tension politique au sein de l'opinion publique libanaise à la suite de l'assassinat du premier ministre, les propos tenus par M. X..., dénués d'invective ou d'injure, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression ; qu'en jugeant du contraire, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 2°) alors que le prévenu poursuivi du chef de diffamation peut rapporter la preuve de sa bonne foi, laquelle se caractérise par la prudence dans l'expression de la pensée, le respect du devoir d'enquête préalable, l'absence d'animosité personnelle et la poursuite d'un but légitime ; que la bonne foi doit être appréciée en tenant compte du caractère d'intérêt général du sujet sur lequel portent les propos litigieux et du contexte politique dans lequel ils s'inscrivent ; qu'en se bornant, pour exclure le demandeur du bénéfice de la bonne foi, à affirmer que le prévenu ne pouvait se prévaloir d'une base factuelle suffisante corrélative à l'imputation relevée et à sa gravité cependant que les propos tenus par M. X... traitaient de façon mesurée, à l'exclusion de toute attaque sur la vie privée ou personnelle de M. Y..., d'un sujet d'intérêt général non seulement dans le cadre du débat politique mais dans le contexte spécifique d'une enquête pour assassinat qui avait abouti au placement en détention provisoire de la partie civile par les autorités libanaises, ce dont il se déduisait nécessairement que M. X... disposait, au moment où il a tenu les propos litigieux concomitamment à cette détention, d'une base factuelle suffisante pour faire état de la prolongation de l'incarcération provisoire du général Y..., la cour n'a pas légalement justifié sa décision au regard des textes et principes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter l'excuse de bonne foi invoquée par le demandeur, l'arrêt relève que s'il était légitime que M. X..., ayant occupé les fonctions de directeur des services secrets libanais et celles d'ambassadeur du Liban en France, s'exprime sur les conséquences de l'assassinat de Rafic Z... dont il était proche, et s'il n'était pas astreint, s'exprimant en tant qu'homme politique opposant d'Emile A..., ancien président de la République ayant entretenu des relations conflictuelles avec Rafic Z..., à apporter les éléments d'enquêtes exigés d'un journaliste, il devait néanmoins, pour tenir les propos incriminés, disposer d'une base factuelle suffisante corrélative à l'imputation relevée et à sa gravité, alors que la défense ne faisait plus état d'aucune pièce à cet égard ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que, même s'ils concernaient un sujet d'intérêt général, en ce qu'ils portaient sur l'assassinat d'un ancien président du conseil des ministres du Liban, et s'inscrivaient dans le cadre d'une polémique entre des adversaires politiques, les propos en cause excédaient les limites de la liberté d'expression, en ce qu'ils étaient dépourvus de base factuelle suffisante en l'absence d'éléments accréditant le fait que la partie civile aurait joué un rôle dans la commission de cet attentat et que ne pouvait constituer le seul fait que la partie civile fût placée en détention provisoire au moment où les propos incriminés ont été tenus puisque ceux-ci consistaient précisément à justifier cette mesure de sûreté ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. Johnny X... devra payer à M. Jamil Y... au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande de M. Johnny X... présentée au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le deux novembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-84614
Date de la décision : 02/11/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 01 juillet 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 02 nov. 2016, pourvoi n°15-84614


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Boré et Salve de Bruneton, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.84614
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award