LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu les articles 1585 du code civil et L. 622-13, alinéas 1 et 2, du code de commerce, celui-ci rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Bordeaux Magnum (la société débitrice), négociante en vins, a adressé à la société Philipponnat-Les Domaines associés (la société Philipponnat) plusieurs demandes de réservation de vins vendus en primeur, en lui réglant un acompte sur le prix convenu ; qu'elle a été mise en redressement judiciaire le 30 juin 2010 ; que, faisant valoir que la société débitrice ne lui avait pas payé des factures antérieures, la société Philipponnat a mis fin à la commande ; qu'estimant cette rupture fautive, la société débitrice l'a assignée en paiement de dommages-intérêts ;
Attendu que pour rejeter la demande, l'arrêt retient que les réservations faites par la société débitrice de choses futures, qui ne pouvaient être considérées comme des ventes parfaites à la date de l'ouverture de la procédure collective, dès lors que les vins n'étaient pas encore livrables à cette date, n'avaient pas donné naissance à un contrat en cours au moment du redressement judiciaire ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la vente au poids, au compte ou à la mesure oblige les parties à exécuter les engagements qu'elles ont contractés dès qu'il y a accord sur la chose et le prix, de sorte qu'ayant constaté l'existence, avant l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum, d'un accord de réservation portant sur la livraison de vins futurs, elle devait le qualifier de contrat de vente en cours au moment de l'ouverture de la procédure collective de l'acheteur, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 9 octobre 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Philipponnat - Les Domaines associés aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux novembre deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
.Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour la société Bordeaux Magnum.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la SARL Bordeaux Magnum de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions tendant à la condamnation de la société Philipponnat à lui verser les sommes de 90 000 euros et de 50 000 euros avec intérêts à compter de la date de l'assignation ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'en premier lieu, la société Philipponnat soutient que sa décision de ne pas donner suite aux réservations de la société Bordeaux Magnum avait pour motif non le redressement judiciaire de cette société, mais le non-paiement par elle, en dépit des relances qui lui avaient été adressées, de factures antérieures ; la Cour constate que cette allégation est confirmée par les termes de la lettre faisant connaître cette décision, laquelle, si elle évoque le redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum, rappelle que celle-ci reste redevable de la somme totale de 9 637,36 euros au titre des factures impayées ; elle constate, par ailleurs, que la réalité de ce défaut de paiement est établie, puisque la société Philipponnat verse aux débats la copie des factures d'origine, émises les 7 juin et 30 mars 2010 pour des montants de 2 115,48 euros et 6 289,20 euros (pièces n° 4 et 5), et d'une lettre de relance du 30 juin 2010 restée vaine (pièce n° 2) ; en second lieu, il n'est pas démontré que les réservations faites par la société Bordeaux Magnum aient donné naissance à un contrat en cours au moment du redressement judiciaire, qui relèverait par conséquent de l'article L. 622-13 du code de commerce ; en effet, les parties convenant que la transaction était régie par l'article 1585 du code civil, et les vins n'étant pas encore livrables au 11 août 2010, la simple réservation d'une chose future ne peut être considérée comme une vente parfaite, laquelle n'était donc pas encore réalisée au 30 juin 2010, date de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum ; il en résulte que les parties n'étaient pas liées par un contrat en cours lorsqu'a été prononcé ce redressement judiciaire et qu'en conséquence les dispositions de l'article L. 622-13 du code de commerce ne trouvent pas à s'appliquer ; (…) la société Bordeaux Magnum soutient qu'en tout état de cause, la société Philipponnat a abusivement annulé ses réservations et que, dès lors, elle engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1134 du code civil ; mais elle ne démontre pas en quoi la société Philipponnat aurait commis un abus en estimant ne pas devoir donner suite à ces réservations, compte tenu du défaut de paiement, non contesté, de réservations antérieures ; sa demande de dommages et intérêts sera donc rejeté et le jugement sera confirmé ;
ET AUX MOTIFS DES PREMIERS JUGES, À LES SUPPOSER ADOPTÉS, QUE le tribunal constate qu'expressément, l'annulation de réservation par la SA Philipponnat a eu pour motif l'existence d'impayées dont l'exigibilité était antérieure à la date d'ouverture de ladite procédure et que la SARL Bordeaux Magnum ne conteste pas ; dans ces conditions, la dette étant certaine, liquide et exigible, le tribunal dira que la SA Philipponnat pouvait, conformément à ses conditions générales de vente, « en cas de retard de paiement suspendre toutes les commandes en cours… », et en l'espèce, annuler de nouvelles réservations à la suite d'impayés sur des contrats antérieures ; au surplus, la vente du vin de cru en primeur porte par définition sur une chose future, qui à un stade avancé de production du produit, ne peut faire l'objet de réservation, terme d'ailleurs expressément utilisé par les parties ; en témoigne la jurisprudence du tribunal de commerce de Bordeaux dans son jugement du 28 juillet 2009 Bordeaux Magnum contre Baron Philippe X... : « L'usage des ventes en primeur est né à Bordeaux et s'est développé dans le courant des années 1980, la vente de vin en primeur portant sur une chose future, la perfection de la vente et le transfert corrélatif de propriété sont subordonnés à l'achèvement des opérations de vinification, d'élevage et de conditionnement du vin et aux quantités et qualités des vins produits, enfin il appartient aux propriétés de définir, notamment au regard de ses aléas, leur politique de vente et la répartition de leurs ventes entre ventes primeurs en une ou plusieurs trances et vente vins primeurs ou ultérieurement par millésime » ; les caractéristiques de la chose future étant susceptibles de pouvoir être remises en cause postérieurement à sa réservation, le tribunal dira que les réservations de primeurs en la cause ne peuvent être considérées comme étant un contrat dont le prix et la chose sont fixées, mais comme un contrat étant en cours à la date d'ouverture de la procédure collective ; (…) par mail daté du 7 juillet 2010 adressé à la SA Philipponnat, la SARL Bordeaux Magnum renonçait expressément à ses allocations de vins primeurs 2009 en déclarant les rétrocéder à une société tierce avec qui elle avait par ailleurs convenu d'une répartition de marge à la revente ; la SARL Bordeaux Magnum y indiquait avoir passé ladite convention « suite à ses difficultés financières actuelles » ; le tribunal dira que la SA Philipponnat était en droit de résilier les réservations de vins primeur 2009 qu'il avait accordé à la SARL Bordeaux Magnum et que ni l'article L. 622-13 du code de commerce, ni l'article L. 442-6-1, 5°, du même code, et ni au surplus les articles 1384 et 1585 du code civil ne trouvent applications au cas de l'espèce et, en conséquence, déboutera la SARL Bordeaux Magnum de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions ;
1°) ALORS QUE nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune indivisibilité, résiliation ou résolution d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ; que le cocontractant du débiteur doit remplir ses obligations malgré le défaut d'exécution par celui-ci d'engagements antérieurs au jugement d'ouverture ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'indemnisation formée par la société Bordeaux Magnum en raison du refus de la société Philipponnat le 11 août 2010, postérieurement à l'ouverture de la procédure de redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum le 30 juin 2010, de donner suite aux réservations de vins en primeur du mois de juin 2010, que cette annulation des réservations était justifiée par le non-paiement de factures antérieures à l'ouverture de la procédure collective, la cour d'appel a violé l'article L. 622-13 du code de commerce, rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code ;
2°) ALORS QUE la vente au poids, au compte ou à la mesure oblige les parties aux obligations qu'elles ont contractées dès qu'il y a eu accord sur la chose et sur le prix ; qu'en excluant que les réservations de vins en primeur 2009 faites par la société Bordeaux Magnum en juin 2010 auprès de la société Philipponnat caractérisent un contrat en cours au moment de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum le 30 juin 2010 après avoir pourtant constaté que les réservations litigieuses étaient soumises à l'article 1585 du code civil, de sorte qu'elles obligeaient les parties, et constituaient des contrats en cours, peu important que les vins n'aient pas encore été livrables, dès lors que le transfert de propriété n'avait pas encore eu lieu, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article L. 622-13 du code de commerce, ensemble les articles 1134 et 1585 du code civil ;
3°) ALORS QUE, en toute hypothèse, le contrat en cours est celui qui n'est pas arrivé à son terme et qui laisse subsister des effets essentiels à la charge du cocontractant du débiteur ; que les choses futures peuvent être l'objet d'une obligation ; qu'en retenant, pour exclure que les réservations de vins en primeur 2009 faites par la société Bordeaux Magnum en juin 2010 auprès de la société Philipponnat caractérisent un contrat en cours au moment de l'ouverture du redressement judiciaire de la société Bordeaux Magnum le 30 juin 2010, que la réservation d'une chose future ne pouvait être considérée comme une vente parfaite, quand la réservation d'une chose future faisait peser une obligation sur le cocontractant du débiteur, la société Philipponnat, la cour d'appel a violé l'article L. 622-13 du code de commerce, ensemble l'article 1130 du code civil ;
4°) ALORS QUE seul l'administrateur a la faculté de solliciter la résiliation des contrats en cours, qui doit être prononcée par le juge-commissaire ; qu'à supposer que les motifs des premiers juges tirés de ce que la société Bordeaux Magnum a par mail du 7 juillet 2010 renoncé à ses allocations de vins en primeur doivent être interprétés comme une renonciation à solliciter la poursuite du contrat, la cour d'appel, en se fondant sur une simple lettre du débiteur soumis à une procédure de redressement judiciaire depuis le 30 juin 2010, quand seule une décision du juge commissaire pouvait prononcer la résiliation des contrats en cours, la cour d'appel a violé l'article L. 622-13 du code de commerce rendu applicable au redressement judiciaire par l'article L. 631-14 du même code ;
5°) ALORS QUE la renonciation à un droit ne peut résulter que d'actes manifestant sans équivoque la volonté expresse ou tacite de renoncer ; qu'en retenant, pour rejeter la demande d'indemnisation formée par la société Bordeaux Magnum en raison de l'annulation, le 11 août 2010, par la société Philipponnat du contrat de vente de vins en primeur à la suite de l'ouverture d'une procédure de redressement judiciaire à l'encontre de la société Bordeaux Magnum que cette dernière avait informé la société Philipponnat le 7 juillet 2010 qu'elle renonçait à ses allocations, quand cette prétendue renonciation était équivoque puisque la société Bordeaux Magnum indiquait en réalité à la société Philipponnat qu'elle avait rétrocédé à une société tierce ses allocations de vins primeurs 2009 en convenant d'une répartition de marge à la revente, la cour d'appel a violé l'article 1134 du code civil.