LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Douai, 25 juin 2015), que la société civile immobilière D2 Félé (la SCI), propriétaire d'un immeuble à usage industriel et commercial donné à bail, pour partie à la société Autocit, et pour partie à la société Vertdis venant aux droits de la société Champ libre, a fait procéder, par la société Roussel, à une réfection de l'étanchéité de la toiture ; que des désordres sont apparus ; qu'après expertise, la SCI a assigné en responsabilité et indemnisation la société Roussel et ses assureurs, la société Axa corporate solutions, pour le risque décennal, la société Axa France IARD, pour les dommages immatériels, ainsi que les sociétés Autocit et Vertdis ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que la SCI fait grief à l'arrêt de rejeter sa demande d'indemnisation du préjudice financier ;
Mais attendu qu'ayant retenu que le préjudice financier consécutif à l'emprunt contracté par la SCI pour le financement des réparations n'entrait pas dans le domaine des préjudices réparés par la garantie décennale et que la SCI avait bénéficié de deux provisions importantes et n'avait pas satisfait à l'obligation de souscrire une assurance dommages-ouvrage destinée au préfinancement des travaux, la cour d'appel a pu en déduire que la demande de la SCI devait être rejetée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu les articles 1147, 1214 et 1251 du code civil ;
Attendu que, pour condamner, in solidum, la société Roussel et la SCI à payer aux sociétés Autocit et Vertdis certaines sommes à titre de provision et rejeter la demande de garantie présentée par la SCI contre la société Roussel, l'arrêt retient que les désordres affectant l'immeuble ont perturbé l'activité des locataires de façon durable, qu'ils sont à la charge du bailleur, d'une part, et du constructeur, d'autre part, mais sur des fondements différents et qu'il n'y a pas lieu de réformer le jugement sur la demande de garantie, étant observé que la société Axa France a été condamnée à garantir la société Roussel au titre de ces provisions ;
Qu'en statuant ainsi, sans caractériser une faute de la SCI de nature à laisser à sa charge une partie de l'indemnisation et sans fixer, ainsi qu'il le lui était demandé, la contribution de chaque obligé à la répartition de la dette, alors qu'elle relevait que les dommages étaient dus aux désordres affectant les travaux réalisés par l'entreprise, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne, in solidum, la société Roussel et la SCI D2 Félé à payer les sommes respectives de 150 000 euros et de 20 000 euros aux sociétés Autocit et Vertdis sans fixer la contribution de chaque coobligé à la charge de la dette, l'arrêt rendu le 25 juin 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société Roussel, la société Axa corporate solutions assurance et la société Axa France IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf septembre deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Delamarre, avocat aux Conseils, pour la SCI D2 Félé.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les demandes de la SCI D2 FELE relatives à son préjudice financier ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« La SCI D2 Félé soutient qu'elle a dû préfinancer une part importante des travaux et recourir à un emprunt de 600.000 €en principal ; qu'elle réclame à ce titre le coût des frais bancaires, d'actes, et le montant des intérêts et primes d'assurance connexes à l'emprunt, soit à Axa Corporate Solutions, soit à Axa France lard ; que la demande de préjudice financier consécutif à des emprunts destinés à financer la réparation est un dommage indirect qui n'entre pas dans le domaine des préjudices réparés par la garantie décennale ; qu'en outre la maître d'ouvrage ne peut demander réparation d'un préjudice consécutif au fait qu'il n'a pas satisfait à l'obligation légale de souscrire l'assurance prévue, étant rappelé en outre que la SCI a reçu une provision de 200.000 € en avril 2008, avant le début des travaux, et une provision complémentaire de 500.000 € en avril 2010 ; que le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a débouté la SCI de sa demande de ce chef » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE
« La demande de préjudice financier consécutive à des emprunts destinés à financer la réparation est un dommage indirect qui n'entre pas dans le domaine des préjudices réparés par la garantie décennale ; qu'en outre, le maître d'ouvrage ne peut demander réparation d'un préjudice consécutif au fait qu'il n'a pas satisfait à l'obligation légale de souscrire l'assurance dommages ouvrage, sachant au surplus qu'il a reçu une provision de 200.000 euros en 2008 avant le début des travaux fin 2009 et une deuxième provision de 500.000 euros dès la fin des travaux en avril 2010 » ;
ALORS, D'UNE PART, QU'
Une faute contractuelle peut donner lieu à une indemnisation s'il existe un dommage en relation de cause à effet avec cette faute ; que, dans la présente espèce, l'inexécution contractuelle imputée à la société ROUSSEL a obligé la société SCI D2 FELE à couvrir des frais de travaux et à recourir à un emprunt pour les financer ; qu'un tel préjudice résulte directement de l'inexécution contractuelle reprochée à la société ROUSSEL ; qu'en jugeant pourtant que le préjudice financier de la SCI D2 FELE n'était pas direct, la Cour d'appel a violé les articles 1147 et 1151 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU'
Une faute contractuelle peut donner lieu à une indemnisation s'il existe un dommage en relation de cause à effet avec cette faute ; que cette indemnisation est indépendante des assurances dommages ouvrages souscrites par le créancier de l'obligation fautivement inexécutée ; qu'en jugeant que la SCI D2 FELE ne pouvait se prévaloir d'un préjudice financier résultant de l'inexécution imputée à la société ROUSSEL, au motif que l'exposante n'avait pas souscrit une assurance de dommages ouvrages, la Cour d'appel a violé les articles 1147 et 1151 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est encore fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné in solidum la SCI D2 FELE et la société ROUSSEL à payer à la société AUTOCIT une provision de 150.000 euros et à la société CHAMP LIBRE une provision de 20.000 euros ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE
« Sur la demande de la SCI tendant à la voir garantie des indemnisations accordées à Autocit et Vertdis, ses locataires ; que la SCI fait valoir que la juridiction de premier degré n'a pas statué sur cette demande ; que les désordres très importants affectant l'immeuble ont perturbé l'activité des commerçants locataires de façon durable ; que les dommages qui en sont résultés sont à la charge in solidum, du bailleur d'une part, et de la société Roussel garantie par l'assureur Axa d'autre part, mais chacun sur un fondement différent ; que les premiers juges ont statué sur ce point en déboutant la SCI de sa demande de garantie puisqu'ils ont débouté les parties, la SCI notamment, "de leurs autres demandes" ; qu'il n'y a pas lieu de réformer le jugement sur ce point, étant observé que la société Axa France lard a été condamnée à garantir la société Roussel au titre des provisions allouée aux deux locataires ».
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'
« Il n'est pas contestable et il résulte du rapport d'expertise que les désordres ont été importants et ont perturbé durablement l'activité des commerçants locataires de l'immeuble avec cette circonstance aggravante que leur activité les conduisait à recevoir du public ; que les dommages qui en ont résulté sont à la charge in solidum du bailleur et de la société ROUSSEL garantie par l'assureur AXA, chacun sur un fondement différent ; (…) qu'en l'attente, une provision sera accordée à chacune de ces sociétés, à savoir la somme de 150.000 euros pour la société AUTOCIT et la somme de 20.000 euros pour la société CHAMP LIBRE ; que la SCI FELE d'une part et la société ROUSSEL garantie par l'assureur d'autre part seront condamnées in solidum à payer ces provisions » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE
Le codébiteur d'une obligation in solidum qui l'a payée en entier peut, comme celui d'une obligation solidaire, répéter contre les autres la part et portion de chacun d'eux ; que, pour prononcer une telle condamnation, le juge a l'obligation de déterminer, dans les rapports entre eux, la contribution de chacun dans la réparation du dommage ; qu'en se bornant à condamner in solidum la SCI D2 FELE et la société ROUSSEL à payer à la société AUTOCIT une provision de 150.000 euros et à la société CHAMP LIBRE une provision de 20.000 euros, sans fixer la contribution de chacun dans la réparation du dommage, tandis que le préjudice de jouissance imputé à la SCI D2 FELE n'était que la conséquence des manquements contractuels de la société ROUSSEL, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1214 et 1251 du Code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE
L'obligation à la dette, qui est totale pour chacune des personnes condamnées à l'égard de la victime, doit se distinguer de la contribution à la dette correspondant à la répartition de la dette de réparation en fonction de leur participation respective à la réalisation du dommage ; qu'en condamnant in solidum la SCI D2 FELE et la société ROUSSEL à payer à la société AUTOCIT une provision de 150.000 euros et à la société CHAMP LIBRE une provision de 20.000 euros, sans fixer la contribution de chacune dans la réparation du dommage, tandis que le préjudice de jouissance imputé à la SCI D2 FELE n'était que la conséquence des manquements contractuels de la société ROUSSEL, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147, 1214 et 1251 du Code civil.