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27/09/2016 | FRANCE | N°15-83861

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 27 septembre 2016, 15-83861


Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Belinda X..., tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Corentin, Lucie et Célia Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 21 mai 2015, qui, dans la procédure suivie contre M. Thomas Z... du chef d'homicide involontaire aggravé, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 juin 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénal

e : M. Guérin, président, M. Fossier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseille...

Statuant sur les pourvois formés par :
- Mme Belinda X..., tant en son nom personnel qu'en qualité de représentante légale de ses enfants mineurs Corentin, Lucie et Célia Y..., parties civiles,
contre l'arrêt de la cour d'appel de DOUAI, 6e chambre, en date du 21 mai 2015, qui, dans la procédure suivie contre M. Thomas Z... du chef d'homicide involontaire aggravé, a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 28 juin 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Fossier, conseiller rapporteur, M. Pers, conseiller de la chambre ;

Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller FOSSIER, les observations de la société civile professionnelle MARLANGE et DE LA BURGADE, de la société civile professionnelle ROCHETEAU et UZAN-SARANO, avocats en la Cour, et les conclusions de Mme l'avocat général LE DIMNA ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs et le mémoire en défense produits ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles1382 du code civil, 2, 3, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale, ensemble violation du principe de la réparation intégrale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné en deniers ou quittances M. Thomas Z... à payer au titre du préjudice économique la somme de 242 045, 24 euros à Mme Bélinda X..., 41 011, 45 euros à Célia Y..., 32 282, 10 euros à Lucie Y... et 24 768, 87 euros à Corentin Y... ;
" aux motifs que l'indemnisation du préjudice économique du conjoint survivant et des enfants consiste dans un premier temps à déterminer le revenu global du couple avant le décès de l'un des conjoints, ce qui en l'occurrence résulte de l'avis d'imposition sur les revenus 2011, soit 20 160 euros pour Ludovic Y... et 13 500 euros pour Mme X..., épouse Y..., c'est-à-dire 33 210 euros par an ; que si Mme X... produit une attestation de l'employeur de son mari, en date du 26 septembre 2013, document faisant état d'une perspective d'augmentation de salaire de 300 euros pour Ludovic Y..., il ne peut être tenu compte de cette pièce qui s'avère très imprécise ne serait-ce que sur la date d'effet d'une telle promotion ; qu'il importe de déduire du montant susvisé la part d'autoconsommation du défunt, laquelle peut être arrêtée à la somme de 18 % compte tenu du nombre d'enfants du couple au jour du décès, soit trois enfants encore jeunes de douze ans, cinq ans et moins d'un an ; qu'il y a donc lieu de déduire des 33 210 euros de revenu global du couple la somme de 5 977, 80 euros ainsi que 12 356 euros de revenus du conjoint survivant, soit un solde de 14 876, 20 euros qui correspond à la perte globale supportée par les survivants et qu'il importe de répartir entre eux à raison de 55 % pour Mme X... et de 15 % pour chacun des enfants ; qu'il importe ensuite de définir le préjudice de chaque membre de la famille en utilisant le barème de capitalisation de la Gazelle du Palais 2013 (taux de 1, 20 %), barème le plus récent et le plus favorable aux victimes usuellement repris par la cour, ce qui fait apparaître les indemnités qui suivent :- préjudice économique de Mme X... : 14 876, 20 x 0, 55 x 34, 553 (euro de rente viagère d'un homme de 32 ans) = 282 709, 54 euros dont à déduire 6 068, 12 euros de capital-décès versé par l'organisme social, soit un montant de 276 641, 42 euros qui ne pourra toutefois pas être retenu dès lors que la partie civile a limité ses prétentions au titre de ce poste de préjudice à la somme de 242 045, 24 euros, seul ce montant devant être retenu ;- préjudice économique de Célia Y... (née le 27 janvier 2012) : 14 876, 20 euros x 0, 15 x 18, 379 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe féminin âgée de moins d'un an) = 41 011, 45 euros ;- préjudice économique de Lucie Y... (née le 19 avril 2007) : 14 876, 20 euros x 0, 15 x 14, 467 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe féminin âgée de 5 ans) = 32 282, 10 euros ;- préjudice économique de Corentin Y... (né le 23 juin 2003) : 14. 876, 20 euros x 0, 15 x 11, 10 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe masculin âgée de 9 ans) = 24 768, 87 euros ; que le jugement déféré sera en conséquence réformé en ses dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice économique de ces victimes, étant précisé que Mme X... doit être déboutée de sa prétention indemnitaire au titre de la perte d'augmentation de rémunération ;

" 1°) alors qu'en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, le préjudice doit être réparé sans perte ni profit pour les parties ; que pour évaluer le préjudice économique subi par les proches de la victime directe à la suite de son décès, il convient de prendre en compte non seulement les revenus à la date du décès, mais également le potentiel d'augmentation de ces revenus ; qu'en l'espèce, Mme X... faisait valoir, en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs, que son mari Ludovic Y..., âgé de 31 ans et reconnu pour ses qualités professionnelles, devait obtenir une augmentation de 300 euros, en fournissant plusieurs attestations dont une attestation de son employeur ; qu'en refusant de prendre en compte le potentiel d'augmentation des revenus de Ludovic Y..., en se bornant à relever qu'il ne peut être tenu compte de l'attestation de son employeur qui s'avère très imprécise, mais sans rechercher si Ludovic Y... n'avait pas une chance certaine d'obtenir une telle augmentation, au regard de sa situation et de l'ensemble des attestations fournies, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que constitue un préjudice direct et certain la disparition, par l'effet d'un délit, de la probabilité d'un événement favorable, encore que, par définition, la réalisation d'une chance ne soit jamais certaine ; qu'en l'espèce, pour débouter Mme X..., en son nom personnel et ès qualités de représentante légale de ses enfants mineurs, de sa demande de dommages-intérêts fondée sur la perte de chance d'une augmentation du salaire de son mari, la cour d'appel a énoncé que « si Mme X... produit une attestation de l'employeur de son mari en date du 26 septembre 2013, document faisant état d'une perspective d'augmentation de salaire de 300 euros pour Ludovic Y..., il ne peut être tenu compte de cette pièce qui s'avère très imprécise ne serait-ce que sur la date d'effet d'une telle promotion » ; qu'en se déterminant ainsi, la cour d'appel, qui a exigé la démonstration d'une certitude concernant l'augmentation de salaire là où une éventualité favorable suffisait à justifier une indemnisation, a méconnu les textes et principes susvisés " ;
Attendu que, pour rejeter la prétention des parties civiles à voir intégrer dans les éléments de calcul de la perte économique des proches du défunt, la perte d'une chance d'augmentation du dernier salaire, la cour d'appel prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a fait qu'user de son pouvoir souverain d'apprécier les éléments de preuve contradictoirement produits ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 1382 du code civil, 2, 3, 515, 591 à 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et de réponse à conclusions, manque de base légale, ensemble violation du principe de la réparation intégrale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a condamné en deniers ou quittances M. Z... à payer au titre du préjudice économique la somme de 242 045, 24 euros à Mme X..., 41 011, 45 euros à Célia Y..., 32 282, 10 euros à Lucie Y... et 24 768, 87 euros à Corentin Y... ;
" aux motifs que l'indemnisation du préjudice économique du conjoint survivant et des enfants consiste dans un premier temps à déterminer le revenu global du couple avant le décès de l'un des conjoints, ce qui en l'occurrence résulte de l'avis d'imposition sur les revenus 2011, soit 20 160 euros pour Ludovic Y... et 13 500 euros pour Mme X... c'est-à-dire 33, 210 euros par an ; si Mme X... produit une attestation de l'employeur de son mari, en date du 26 septembre 2013, document faisant état d'une perspective d'augmentation de salaire de 300 euros pour Ludovic Y..., il ne peut être tenu compte de cette pièce qui s'avère très imprécise ne serait-ce que sur la date d'effet d'une telle promotion ; qu'il importe de déduire du montant susvisé la part d'autoconsommation du défunt, laquelle peut être arrêtée à la somme de 18 % compte tenu du nombre d'enfants du couple au jour du décès, soit trois enfants encore jeunes de douze ans, cinq ans et moins d'un an ; qu'il y a donc lieu de déduire des 33 210 euros de revenu global du couple la somme de 5 977, 80 euros ainsi que 12 356 euros de revenus du conjoint survivant, soit un solde de 14 876, 20 euros qui correspond à la perte globale supportée par les survivants et qu'il importe de répartir entre eux à raison de 55 % pour Mme X... et de 15 % pour chacun des enfants ; qu'il importe ensuite de définir le préjudice de chaque membre de la famille en utilisant le barème de capitalisation de la Gazelle du Palais 2013 (taux de 1, 20 %), barème le plus récent et le plus favorable aux victimes usuellement repris par la cour, ce qui fait apparaître les indemnités qui suivent :- préjudice économique de Mme X... : 14 876, 20 x 0, 55 x 34, 553 (euro de rente viagère d'un homme de 32 ans) = 282 709, 54 euros dont à déduire 6 068, 12 euros de capital-décès versé par l'organisme social, soit un montant de 276 641, 42 euros qui ne pourra toutefois pas être retenu dès lors que la partie civile a limité ses prétentions au titre de ce poste de préjudice à la somme de 242 045, 24 euros, seul ce montant devant être retenu ;- préjudice économique de Célia Y... (née le 27 janvier 2012) : 14 876, 20 euros x 0, 15 x 18, 379 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe féminin âgée de moins d'un an) = 41 011, 45 euros ;- préjudice économique de Lucie Y... (née le 19 avril 2007) : 14 876, 20 euros x 0, 15 x 14, 467 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe féminin âgée de 5 ans) = 32 282, 10 euros,- préjudice économique de Corentin Y... (né le 23 juin 2003) : 14 876, 20 euros x 0, 15 x 11, 10 (euro de rente à 21 ans d'une personne de sexe masculin âgée de 9 ans) = 24 768, 87 euros ; que le jugement déféré sera en conséquence réformé en ses dispositions relatives à l'indemnisation du préjudice économique de ces victimes, étant précisé que Mme X... doit être déboutée de sa prétention indemnitaire au titre de la perte d'augmentation de rémunération ;

" 1°) alors qu'en vertu du principe de la réparation intégrale du préjudice, le préjudice doit être réparé sans perte ni profit pour les parties ; que le préjudice de la veuve se calcule en capitalisant le préjudice annuel du foyer sur la base du prix de l'euro de rente viagère et en déduisant le préjudice personnel des enfants, ce qui permet de faire revenir au conjoint survivant la part qui était absorbée par les enfants lorsque ceux-ci sont devenus financièrement autonomes ; qu'en l'espèce, la cour d'appel, qui n'a pas appliqué ce mode de calcul, mais a retenu un mode de calcul qui ne permet pas de faire revenir au conjoint survivant la part qui était absorbée par les enfants lorsque ceux-ci sont devenus financièrement autonomes, a violé les textes et le principe susvisés ;
" 2°) alors que Mme X... faisait valoir dans ses conclusions que la somme indiquée dans ses conclusions de première instance, d'un montant de 242 045, 24 euros relevait d'une erreur matérielle, ce qui avait été rectifié par les premiers juges ; que, dès lors, en estimant que bien que pouvant espérer une indemnisation d'un montant de 276 641, 42 euros, elle ne pouvait pas obtenir une somme supérieure à 242 045, 24 euros, correspondant à la somme indiquées dans ses conclusions de première instance, sans vérifier si un tel montant n'était pas le résultat d'une simple erreur matérielle, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des textes susvisés ;
" 3°) alors qu'à titre subsidiaire, le préjudice causé par une infraction doit être déterminé au jour de la décision ; que les dispositions de l'article 515 du code de procédure pénale, prohibant en cause d'appel les demandes nouvelles, ne sauraient interdire à une partie civile d'élever le montant de sa demande pour un chef de dommage déjà soumis au débat en première instance ; qu'en l'espèce, Mme X... a demandé la confirmation de la décision de première instance, en se fondant sur la méthode de calcul permettant de faire revenir au conjoint survivant la part qui était absorbée par les enfants lorsque ceux-ci sont devenus financièrement autonomes ainsi que sur le barème de capitalisation de la Gazette du Palais 2013, applicables au jour de la décision ; qu'en limitant néanmoins son indemnisation à la somme de 242 045, 24 euros, correspondant à la somme prétendument indiquée dans ses conclusions de première instance, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés " ;
Vu l'article 593 du code de procédure pénale ;
Attendu que tout jugement ou arrêt doit comporter les motifs propres à justifier la décision et répondre aux chefs péremptoires des conclusions des parties ; que l'insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence ;
Attendu que, pour évaluer le préjudice économique de l'épouse survivante, la cour d'appel énonce que cette perte s'établit à 14 877, 20 euros par an et que le prix du point de rente viagère pour un défunt de 32 ans est de 34, 553 soit un total de 514 017, 33 euros ; que les juges ajoutent cependant, après avoir chiffré le préjudice économique propre aux enfants à 98 062, 42 euros pour les trois, que Mme X... ne peut prétendre à la différence, à savoir 415 954, 91 euros, mais au plus à 55 pour cent de la perte économique de la famille, soit 282 709, 54 euros ; qu'enfin, ils limitent ce montant, au motif qu'il ne peut être retenu dès lors que la partie civile a limité ses prétentions au titre de ce poste de préjudice à la somme de 242 045, 24 euros, après déduction d'un capital-décès versé par l'organisme social ;
Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, par des motifs contradictoires, qui aboutissent à chiffrer la perte économique de la famille à 514 017, 33 euros dans un premier temps, à 380 771, 96 euros dans un deuxième et à 242 045, 24 euros dans un troisième, la cour d'appel, qui ne pouvait que rouvrir les débats pour que les parties précisent leurs prétentions en fonction des modes de calcul choisis par les juges, n'a pas justifié sa décision ;
D'où il suit que la cassation est encourue de ce chef ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Douai, en date du 21 mai 2015, mais en ses seules dispositions ayant déterminé le préjudice économique de l'épouse survivante et des enfants, toutes autres dispositions étant expressément maintenues ;
Et pour qu'il soit à nouveau statué, conformément à la loi, dans les limites de la cassation ainsi prononcée ;
RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Douai autrement composée, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Douai et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-sept septembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-83861
Date de la décision : 27/09/2016
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Douai, 21 mai 2015


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 27 sep. 2016, pourvoi n°15-83861


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Marlange et de La Burgade, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.83861
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