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20/09/2016 | FRANCE | N°15-83070

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 20 septembre 2016, 15-83070


Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Jean X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 9 avril 2015, qui, pour provocation à la discrimination ou à la haine raciale, l'a condamné à 4 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 juin 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, A

scensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de c...

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Jean X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, chambre 2-7, en date du 9 avril 2015, qui, pour provocation à la discrimination ou à la haine raciale, l'a condamné à 4 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 21 juin 2016 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Bonnal, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Lemoine ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller BONNAL, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de la société civile professionnelle SPINOSI et SUREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LEMOINE ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 24 alinéa 8 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable du délit de provocation publique à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée et l'a condamné en répression à une amende de 4 000 euros, outre 500 euros de dommages-intérêts à verser au MRAP, partie civile ;
" aux motifs que l'appelant, qui conteste viser les musulmans dans ses propos, a expliqué à l'audience que lorsqu'il parlait du « Grand Remplacement », il visait l'immigration en général qui peut être largement musulmane mais ce n'est pas la seule ; qu'il vise les délinquants qui viennent principalement d'Afrique, mais que le fait qu'ils soient musulmans est secondaire ; qu'il affirme qu'il se présente comme écrivain et chef du partie de « l'Innocence » ce qui l'a conduit à être candidat à la Présidence de la République, candidature qui n'a pas recueilli les 500 signatures nécessaires ; qu'il a précisé être engagé dans l'action politique et que le but de son parti est de promouvoir le respect de la civilisation ; qu'il conteste tout appel à la haine, ou incitation à la violence, s'agissant notamment des problèmes liés à l'immigration puisque son message vise à lutter contre la violence qu'il déplore en général ; que la partie civile souligne que M. X... désigne sans ambiguïté les musulmans par plusieurs références telles que « les origines nomades de cette civilisation » en utilisant le terme de « razzia », en faisant référence aux « manifestations politiques récentes » et en s'exprimant sous l'égide des « Assises Internationales sur l'islamisation de nos pays » ; que ces propos exhortent à la haine des musulmans en parlant de « vitrines brisées », « pillage des magasins », « leur violence », « de fureur ils cassent tout, ils pillent, ils incendient, ils posent des bombes « cette innocence est leur fait », en les désignant comme responsables de la grande majorité des actes nuisibles ; qu'en s'exprimant ainsi, M. X... incite à rejeter les musulmans en tant qu'envahisseurs supposés donc en tant qu'ennemis amenant insidieusement à une lutte contre l'envahisseur et faisant naître chez l'auditeur l'idée de la nécessité d'une lutte para-étatique, compte tenu de l'incapacité des pouvoirs publics à mettre un terme à cette prétention invasion musulmane ; que les propos visés, qui émanent d'un écrivain qui a préparé son intervention, constituent une très violente stigmatisation des musulmans et plus généralement des personnes issues de l'immigration, qu'il présente comme des « voyous », « des soldats », « le bras armé de la conquête », « des auteurs de vol », « d'arrachements de sacs de vieilles dames », « de rackets au sein des écoles », « de cambriolages », « d'attaques à main armée », « de trafics de drogue », « de grand banditisme », « de crime organisé » ; qu'il qualifie ainsi ce groupe d'individus de « colonisateurs » chargé du « grand remplacement de notre peuple », nécessairement originaires de l'étranger et principalement, comme le prévenu l'a lui-même précisé à l'audience, originaire d'Afrique, cherchant à provoquer « la fuite des blancs » et se rendant coupables d'attaques dont sont victimes les pompiers, les policiers et même les médecins ; qu'en imputant aux immigrés, visés en tant que formant un groupe de personnes à raison de leur non-appartenance à la communauté d'origine française, « rendant la vie impossible aux indigènes », des méfaits aussi graves, l'auteur suscite immédiatement chez l'auditeur des réactions de rejet, de discrimination, voire de haine ou de violence ; que cette incitation est renforcée par le fait que l'auteur spécifique bien que la réponse à de telles actions ne peut être légale, dans la mesure où « les réseaux de lois, de règlements, de directives européennes et même de traités internationaux laissent la nation sans défense » soulignant ainsi la « mollesse » de la police et des tribunaux, propos qui conduisent l'auditeur à assurer par lui-même et donc éventuellement par la violence sa propre résistance à « l'envahisseur » qui veut le soumettre ; que le jugement sera en conséquence confirmé sur la culpabilité » ;
" 1°) alors que le juge chargé d'examiner des propos susceptibles de constituer une incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, ne saurait dénaturer lesdits propos pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de leur auteur ; que M. X..., président d'un parti politique, définissait préalablement dans son allocution publique la notion de nocence comme assimilable à celles de « nuisance » ou de « déliquance » et stigmatisait dès lors, en reprenant ce terme, la seule criminalisation de comportements émanant de certains individus qu'il présentait comme issus de l'immigration et qui auraient basculé dans la délinquance ; que ces propos ne sont que l'expression d'une simple opinion politique dénuée de toute incitation à la haine ou à la violence à l'égard de quiconque, et relèvent par là même de sa liberté d'expression ; qu'en entrant, néanmoins, en voie de condamnation à l'encontre de M. X... en énonçant que celui-ci avait tenu des propos exhortant à la haine « des musulmans », la cour d'appel a dénaturé lesdits propos et exposé sa décision à la censure ;
" 2°) alors que le juge doit étudier les propos prétendument discriminants qui lui sont soumis pour déterminer si ceux-ci sont pénalement répréhensibles, sans les extrapoler ni substituer son opinion personnelle à celle de leurs auditeurs ; qu'en estimant en l'espèce, pour entrer en voie de condamnation à l'encontre de M. X..., que les propos qu'il avait proférés « conduisent l'auditeur à assurer par lui-même, et donc éventuellement par la violence sa propre résistance à « l'envahisseur » qui veut le soumettre », quand les paroles de M. X... ne contenaient aucune incitation à la violence et que l'auteur se contentait de décrire « l'impuissance du système pénal, qu'il soit policier ou judiciaire », la cour d'appel a encore dénaturé les propos de M. X... et violé les textes susvisés ;
" 3°) alors que, pour que le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée soit constitué, il ne suffit pas que les propos incriminés soient de nature à susciter un sentiment, même fort, de rejet ou d'hostilité à l'égard de cette personne ou de ce groupe de personnes, encore faut-il qu'ils comportent une exhortation ou une incitation à la discrimination, à la haine ou à la violence ; qu'en l'espèce, M. X... avait fait valoir devant la cour d'appel qu'il était résolument opposé à toute forme de violence et que ses propos, qui n'étaient que le reflet de ses opinions personnelles, ne contenaient aucune exhortation ou incitation à commettre des actes de discrimination, de haine ou de violence ou une quelconque infraction pénale à l'égard de quiconque et encore moins à l'égard des musulmans, en sorte qu'ils relevaient de sa liberté d'expression ; qu'en entrant, néanmoins, en voie de condamnation à son égard sans caractériser aucun acte positif d'incitation à la violence ou à la haine, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
" 4°) alors la seule crainte d'un risque de racisme ne saurait priver les citoyens de la liberté de s'exprimer sur les conséquences de l'immigration dans leur pays ; qu'en l'espèce, les propos consistant à attribuer à une partie de la population immigrée la commission d'actes délictueux relèvent de la simple liberté d'opinion et que, faute de comporter une exhortation ou une incitation à commettre des actes des discrimination, de haine ou de violence à l'égard de quiconque, ces propos relèvent de la liberté d'expression et ne constituent nullement le délit prévu et réprimé par l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ; qu'en jugeant du contraire, la cour d'appel a exposé sa décision à la censure " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué, du jugement qu'il confirme et des pièces de la procédure que, le 18 décembre 2010, M. X... a, lors d'une réunion publique dénommée " Assises internationales sur l'islamisation de nos pays ", tenu notamment les propos suivants : " Ce n'est pas à des voyous que vous avez affaire, c'est à des soldats. Enfin si, ce sont bien des voyous, mais ces voyous sont une armée, le bras armé de la conquête. [...] La nocence, que ce soit le bruit, que ce soient les déprédations, que ce soient les occupations de halls d'immeubles et les exigences du regard baissé au passage, que ce soient les vols, les arrachements de sacs de vieille dame, les rackets au sein des écoles, les cambriolages, les attaques à main armée, le trafic de drogue, l'ensemble de ce qui est pudiquement appelé désormais le grand banditisme, ou bien, les formes nouvelles, ultraviolentes, du crime organisé, la nocence est l'instrument du Grand Remplacement du changement de peuple, de la contre-colonisation, de la conquête, de l'élargissement permanent des zones de territoire déjà soumis aux néocolonisateurs. En rendant la vie impossible aux indigènes, les nouveaux venus les forcent à fuir, à évacuer le terrain-c'est ce que les Anglo-Saxons appellent le " Whiteflight ", la fuite des blancs. Ou bien, pis encore, à se soumettre sur place, à s'assimiler à eux, à se convertir à leurs moeurs, à leur religion, à leur façon d'habiter la terre et ses banlieues qui sont l'avenir de la terre. [...] Ces colonisateurs qui sans cesse reprochent aux indigènes de ne pas les accueillir suffisamment, ni assez bien, ne semblent avoir rien de plus pressé, une fois dans la place, que de se l'assurer tout entière et, comme tous les colonisateurs, ils ne rêvent que d'être entre eux, les indigènes n'étant bons, éventuellement, qu'à faire tourner l'entreprise, à tenir le magasin [...] Les attaques dont font l'objet les pompiers, les policiers et même les médecins dès qu'ils s'aventurent dans les zones déjà soumises le montrent assez : c'est en termes de " territoire ", de défense du territoire et de conquête du territoire que se posent les problèmes qu'on réduit quotidiennement à des questions de délinquance, de lutte contre la délinquance. [...] en de pareilles proportions, la nocence n'est pas un phénomène qu'on peut abandonner à l'action policière ou à celle des tribunaux, dont on connaît d'ailleurs la mollesse, engluée qu'elle est dans un réseau de lois, de règlements, de directives européennes et même de traités internationaux qui laissent la Nation sans défense et qui font de la Cité une ville ouverte, une sorte de Troie [...] Le système pénal, qu'il soit policier ou judiciaire, est impuissant. Chaque fois qu'un indigène est sommé de baisser le regard et de descendre du trottoir, c'est un peu plus de l'indépendance du pays et de la liberté du peuple qui est traîné dans le caniveau " ;
Attendu que M. X... a été, à la requête du ministère public, cité à comparaître devant le tribunal correctionnel en raison de ces propos ; qu'il a seul relevé appel du jugement qui l'a déclaré coupable du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur appartenance à une religion déterminée ;
Attendu que, pour confirmer le jugement, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, la cour d'appel n'a méconnu aucun des textes invoqués, dès lors qu'elle a, à bon droit, déduit d'éléments extrinsèques aux propos poursuivis, qu'elle a souverainement analysés, que ceux-ci visaient l'ensemble des immigrés de religion musulmane, et qu'elle a exactement retenu que lesdits propos, au prétexte d'un débat légitime sur les conséquences de l'immigration et la place de l'islam en France, en ce qu'ils présentaient tous les membres du groupe ainsi visé, assimilé au " grand banditisme " et au " crime organisé ", comme des délinquants colonisant et asservissant la France par la violence, et affirmaient que cette situation ne pouvait être abandonnée " à l'action policière ou à celle des tribunaux ", dès lors que les lois et les institutions chargées de les faire respecter étaient impuissantes à protéger " l'indépendance du pays " et " la liberté du peuple ", tendaient, tant par leur sens que par leur portée, à provoquer autrui à la discrimination, à la haine ou à la violence ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. X... devra payer à l'association MRAP au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt septembre deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 15-83070
Date de la décision : 20/09/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Provocation à la discrimination, la haine ou la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée - Eléments constitutifs - Provocation - Notion

Caractérisent le délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne ou d'un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée, prévu par l'article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, les propos qui, tant par leur sens que par leur portée, tendent à inciter le public à la discrimination, à la haine ou à la violence envers une personne ou un groupe de personnes déterminées. Entrent dans les prévisions de ce texte des propos qui, au prétexte d'un débat légitime sur les conséquences de l'immigration et la place de l'islam en France, assimilent les immigrés de religion musulmane au grand banditisme et au crime organisé, les présentent comme des délinquants colonisant et asservissant la France par la violence, et affirment que cette situation ne peut être abandonnée à l'action policière ou à celle des tribunaux, dès lors que les lois et les institutions chargées de les faire respecter sont impuissantes à protéger l'indépendance du pays et la liberté du peuple


Références :

article 24, alinéa 7, de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 09 avril 2015

Sur la caractérisation du délit de provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence à l'égard d'une personne à raison de son appartenance à une religion, à rapprocher :Crim., 17 mars 2015, pourvoi n° 13-87922, Bull. crim. 2015, n° 57 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 20 sep. 2016, pourvoi n°15-83070, Bull. crim.
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Lemoine
Rapporteur ?: M. Bonnal
Avocat(s) : SCP Spinosi et Sureau, SCP Thouin-Palat et Boucard

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:15.83070
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