LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que l'EARL Véron apiculture a installé par erreur des ruches sur un terrain appartenant aux époux X..., éleveurs de chevaux ; qu'à la demande de ces derniers les ruches ont été enlevées et que, le même jour, trois chevaux au pré ont été attaqués par des abeilles ; que Alain X... et son épouse, Mme Y..., ont assigné l'EARL Véron apiculture et son assureur, la société Axa France IARD, en réparation de leurs préjudices ;
Attendu que, pour débouter Mme Y..., agissant tant en son nom personnel qu'en qualité d'héritière de Alain X..., de son action en responsabilité et de ses demandes d'indemnisations subséquentes, l'arrêt énonce que l'expert judiciaire, tout en étant moins affirmatif que l'expert amiable sur le type d'abeilles responsable de l'accident, indiquait ne pas pouvoir apporter de preuve irréfutable, chaque élément de son analyse des faits restant, de son propre aveu, discutable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'expert énonçait aussi dans son rapport qu'il pensait que l'attaque des chevaux était due à la présence d'abeilles orphelines et d'abeilles perdues, et indiquait étayer son analyse par un ensemble de faits convergents, à savoir, la concomitance des faits entre le retrait des ruches et l'attaque des chevaux, la présence très vraisemblable d'abeilles orphelines, la compatibilité avec l'origine d'abeilles de type « Buckfast », et le déplacement des ruches ne permettant pas d'empêcher avec certitude le retour d'abeilles perdues, la cour d'appel a dénaturé par omission ce rapport clair et précis et violé le principe susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 mars 2015, entre les parties, par la cour d'appel d'Agen ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Bordeaux ;
Condamne l'EARL Véron apiculture et la société Axa France IARD aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande et les condamne à payer à Mme Y..., tant en son nom personnel qu'ès qualités, la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Marlange et de La Burgade, avocat aux Conseils, pour Mme Y...
Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'AVOIR débouté Mme X..., tant en son nom personnel qu'en sa qualité d'héritière de M. X..., de ses demandes en réparation,
AUX MOTIFS QUE « (…) sur le fondement de l'article 1385 ; qu'il incombe à l'appelant d'établir sur ce fondement que l'Earl intimée est propriétaire de l'animal qui a causé le dommage ; que force est de constater que Mme X... se contente de procéder par affirmation qu'aucune des pièces qu'elle produit ne vient étayer ; qu'à cet égard on ne peut manquer de relever que l'expert amiable mandaté par son assureur concluait que «la responsabilité de l'Earl Z... semble difficile à engager au vu des éléments apportés» et notamment le fait que, selon lui, les abeilles responsables de l'attaque dont les chevaux ont été victimes étaient de type mellifera mellifera, c'est-à-dire des abeilles sauvages, alors que celles appartenant à l'Earl sont de type buckfast ; de même que l'expert judiciaire, tout en étant moins affirmatif sur le type d'abeilles en cause, indiquait ne pas pouvoir « apporter de preuve irréfutable », chaque élément de son analyse des faits restant, de son propre aveu, discutable ; sur le fondement des articles 1382 et 1383, que s'il est constant que l'Earl a, par erreur, installé 35 ruches sur un terrain appartenant aux époux X... et que trois chevaux ont été piqués par des abeilles après que les ruches aient été retirées, Mme X... ne rapporte pas la preuve qui lui incombe d'un lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage subi, en ce qu'elle n'établit pas, pour les motifs exposés plus haut, que ce sont des abeilles provenant des ruches de l'apiculteur qui ont attaqué ses chevaux ; que la seule présence de ruches sur son terrain ne suffit à l'évidence pas à caractériser un lien de causalité, étant d'ailleurs relevé que l'hypothèse émise par le docteur A..., selon laquelle des abeilles sauvages auraient pu être attirées par des résidus, a été formellement écartée par l'expert judiciaire selon qui la thèse du pillage est à exclure ; qu'ainsi au vu de ces éléments, l'appelant ne démontre pas l'existence du lien de causalité qu'exigent les articles 1382 et 1383 ; que la demande de dommages intérêts présentée par Mme X... pour résistance abusive sera rejetée, AXA ayant à bon droit, compte tenu de ce qui précède, refusé de garantir son assuré (…) » (arrêt attaqué, p. 3),
ALORS QUE 1°), la contradiction de motifs équivaut à leur absence ; qu'en écartant d'abord l'avis de l'expert judiciaire, selon lequel les abeilles ayant attaqué les chevaux pouvaient tout à fait provenir des ruches de l'EARL Véron, aux motifs que cet expert « indiquait ne pas pouvoir «apporter de preuve irréfutable », chaque élément de son analyse des faits restant, de son propre aveu, discutable » (arrêt, p. 3, § 4), puis en s'appuyant sur le rapport du même expert judiciaire, pour affirmer que « l'hypothèse émise par le docteur A..., selon laquelle des abeilles sauvages auraient pu être attirées par des résidus, a été formellement écartée par l'expert judiciaire selon qui la thèse du pillage est à exclure » (arrêt, p. 3, § 6), la cour d'appel, qui a ainsi tout à la fois retenu que l'expert judiciaire avait été dubitatif sur «chaque élément de son analyse », puis absolument « formel », a entaché sa décision d'une contradiction de motifs, en violation de l'article 455 du code de procédure civile,
ALORS QUE 2°), si, dans son rapport en date du 20 novembre 2013 (p. 8), l'expert judiciaire avait indiqué qu'il ne pouvait apporter de « preuve irréfutable, car chaque élément de l'analyse des faits réalisée (…) reste discutable », il avait néanmoins clairement conclu : « nous pensons que l'attaque des chevaux en fin de matinée est due à la présence d'abeilles orphelines ou perdues » issues des ruches de l'EARL Véron, en précisant : « nous étayons notre analyse par un ensemble de faits qui sont convergents, à savoir : la concomitance des faits entre le retrait des ruches et l'attaque des chevaux ; la présence très vraisemblable d'abeilles orphelines ; la compatibilité avec l'origine d'abeilles de type « Buckfast » ; le déplacement des ruches ne permettant pas d'empêcher avec certitude le retour d'abeilles perdues » ; qu'il ressortait ainsi de ce rapport que, selon l'expert judiciaire, l'attaque des chevaux par des abeilles issues des ruches de l'EARL Véron était l'hypothèse la plus « vraisemblable », corroborée par un « ensemble de faits qui sont convergents » ; qu'en se bornant cependant à énoncer que « l'expert judiciaire, tout en étant moins affirmatif sur le type d'abeilles en cause, indiquait ne pas pouvoir « apporter de preuve irréfutable », chaque élément de son analyse des faits restant, de son propre aveu, discutable », et en retenant ainsi que l'expert judiciaire aurait été dubitatif sur l'origine des abeilles ayant attaqué les chevaux, quand cet expert avait au contraire présenté comme hypothèse la plus vraisemblable, l'attaque par des abeilles orphelines ou perdues issues des ruches de l'EARL Véron, la cour d'appel a dénaturé le rapport d'expertise judiciaire susvisé, en violation de l'article 1134 du code civil,
ALORS QUE 3°), subsidiairement, la responsabilité civile est engagée lorsqu'une faute a causé un préjudice ; qu'il est constant et ressort de l'arrêt attaqué que l'EARL Véron avait implanté par erreur 35 ruches sur le terrain de M. et Mme X... ; que trois chevaux ont été piqués par des abeilles après l'enlèvement des ruches par l'EARL ; que l'expert amiable de l'assureur avait émis l'hypothèse d'abeilles sauvages attirées par des résidus présents du fait de l'enlèvement des ruches ; que par ailleurs, Mme X... faisait valoir qu'il ressortait du rapport de l'expert judiciaire un lien évident entre l'enlèvement des ruches et l'attaque des chevaux par des abeilles ; que seul l'enlèvement des 35 ruches par l'EARL Véron permettait finalement d'expliquer cette attaque (conclusions d'appel de l'exposante, p. 8) ; qu'en refusant néanmoins de reconnaître l'existence d'un lien de causalité entre cette attaque et l'enlèvement des ruches irrégulièrement implantées, sans expliquer en quoi cette attaque aurait pu avoir une autre cause, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du code civil,
ALORS QUE 4°), dans ses conclusions d'appel (p. 7), l'exposante faisait également valoir que l'EARL Véron avait commis une faute en retirant les 35 ruches qu'elle avait irrégulièrement implantées sur le terrain des époux X..., sans prévenir ces derniers ; que ce défaut d'information, de la part de l'apiculteur, avait mis les époux X... « dans l'incapacité de prendre les précautions les plus élémentaires à l'égard des chevaux à proximité des ruches » ; qu'en s'abstenant de répondre à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile.