LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 18 septembre 2014), que, le 4 juillet 2008, M. et Mme X... (les emprunteurs) ont acquis, en vue de le donner en location et de pouvoir bénéficier d'avantages fiscaux, un appartement dans un ensemble immobilier en l'état futur d'achèvement, au moyen d'un prêt consenti par la caisse de Crédit mutuel de Briec de l'Odet (la banque) ; que, les travaux de l'immeuble n'ayant jamais été achevés et le vendeur ayant été placé en liquidation judiciaire, les emprunteurs ont assigné la banque en résolution du contrat de prêt et paiement de dommages-intérêts pour manquement à son obligation de mise en garde ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Sur le second moyen, pris en sa première branche :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser aux emprunteurs la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts, alors, selon le moyen, que le préjudice résultant du manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde lors de la souscription d'un prêt consiste en une perte de chance de ne pas contracter ; que ne tire pas les conséquences de ses propres constatations et viole l'article 1147 du code civil la cour d'appel qui, après avoir retenu qu'« il ne peut être affirmé que les emprunteurs n'auraient pas contracté si le Crédit Mutuel avait satisfait à son obligation de mise en garde » condamne néanmoins la banque à verser aux époux X... la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance qu'ils auraient subie ;
Mais attendu que, loin de retenir que, si la banque avait satisfait à son devoir de mise en garde, les emprunteurs se seraient tout de même engagés, la cour d'appel, par la formulation employée, a fait ressortir qu'il existait une incertitude sur la décision qu'ils auraient prise en pareille hypothèse ; qu'elle a ainsi caractérisé l'existence de la perte de chance par eux subie ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, pris en ses deuxième et troisième branches, ci-après annexé :
Attendu que la banque fait grief à l'arrêt de la condamner à verser aux emprunteurs la somme de 45 000 euros à titre de dommages-intérêts ;
Attendu que, sous le couvert de griefs non fondés de violation de l'article 1147 du code civil et de défaut de base légale au regard de ce texte, le moyen ne tend qu'à contester l'appréciation souveraine par la cour d'appel du montant du préjudice résultant de la perte de chance pour M. et Mme X... de ne pas souscrire le contrat de prêt litigieux ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la caisse de Crédit mutuel de Briec de l'Odet aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-neuf juin deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la caisse de Crédit mutuel de Briec de l'Odet.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Ccm de Briec sur l'Odet à verser aux époux X... la somme de 45.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS PROPRES QU' « Il résulte des pièces versées aux débats que dans le cadre de leur demande de prêt en date du 10 juin 2008, les époux X... ont déclaré avoir des revenus annuels de 42.540 euros ; qu'après déduction de leurs charges d'un montant annuel de 18.066,84 euros, incluant celles afférentes au projet objet du financement, ils conservaient un revenu résiduel de 24.473,16 euros, soit 2.039,43 euros pour deux personnes ; le revenu fiscal de référence des époux X... mentionné sur l'avis d'impôt sur le revenu 2009 s'établit à 29.878 euros pour l'année 2008 ; qu'en tout état de cause l'endettement qui ressort des éléments déclarés par les emprunteurs dans leur demande de crédit, représentant 42,47 % de leurs revenus, apparaît excessif au regard de leurs capacités financières, dont aucun élément du dossier ne permet d'affirmer qu'elles allaient connaître une évolution particulièrement favorable, observation étant faite qu'il n'existait pas en l'espèce de garantie extrinsèque d'achèvement, ce que le prêteur ne devait pas ignorer dès lors qu'il finançait une opération de vente en l'état futur d'achèvement, et que le revenu locatif attendu ainsi que la déduction fiscale qu'il conditionnait présentaient un caractère aléatoire ; dans ce contexte, le Crédit Mutuel aurait dû attirer l'attention des emprunteurs sur le risque financier que présentait cette opération, en prenant en considération les aléas ci-dessus évoqués, nécessairement connus de la banque et distincts de l'analyse technique du projet immobilier et de l'opération de défiscalisation elle-même dont elle n'avait pas la charge ; le Crédit Mutuel qui ne justifie pas avoir mis en garde les époux X... contre le risque d'endettement excessif qu'impliquait la souscription de cet emprunt, a engagé sa responsabilité à leur égard » ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'obligation de mise en garde du banquier lui impose de se renseigner sur la capacité financière de l'emprunteur et consiste à l'avertir du risque pouvant altérer celle-ci ; que le risque non exceptionnel de non-achèvement du bien et l'aléa relatif à la perception des loyers escomptés ne pouvaient échapper à l'attention de l'établissement bancaire alors que l'absence de toute difficulté de ces deux chefs conditionnait l'existence d'une capacité réelle de remboursement sans risque de surendettement ; que le Crédit Mutuel devait de ce fait attirer l'attention des époux X... sur ces risques ; qu'il ne rapporte pas la preuve qui lui incombe conformément à l'article 1315 alinéa 2 du code civil d'avoir satisfait à cette obligation ; qu'à cet égard il résulte de l'avis d'impôts sur le revenu 2009 des époux X... que leur revenu fiscal de référence s'élevait à 29.878 € en 2008, année de souscription du prêt ; que ce revenu a atteint 32.530 € en 2010 ; que le prêt consenti génère des mensualités de 1.407,58 € ; que cette situation entraînait un taux d'endettement manifestement excessif de 57 % en 2008 et de 52 % en 2010 ; que l'avantage fiscal et les revenus locatifs escomptés étaient indispensables à la viabilité financière de l'opération alors qu'aucun élément ne permet de subodorer une amélioration de la situation financière propre des emprunteurs dans un délai prévisible ; que le revenu locatif attendu et la déduction fiscale qu'il conditionnait présentaient un caractère aléatoire de sorte que le prêteur ne peut s'en prévaloir pour justifier d'échéances excédant leurs véritables capacités financières et la disposition d'un indispensable reste à vivre ; qu'il ne justifie pas avoir attiré leur attention sur le risque financier présenté par cette opération et qui ne saurait se confondre avec l'analyse technique du projet immobilier et de défiscalisation que la banque n'avait pas l'obligation de mener » ;
ALORS QUE le banquier prêteur n'est tenu d'une obligation de mise en garde à l'égard de l'emprunteur que si l'opération financée expose ce dernier à un risque particulier d'endettement ; qu'en cas de financement d'un investissement locatif, l'existence d'un tel risque s'apprécie en tenant compte des revenus locatifs escomptés, sauf à ce que la perception des loyers soit affectée d'une incertitude particulière ; qu'en affirmant, pour dire que l'existence d'un risque d'endettement devait être appréciée sans tenir compte des revenus locatifs que les époux X... escomptaient tirer de l'investissement réalisé, que « le revenu locatif et la déduction fiscale qu'il conditionnait présentaient un caractère aléatoire de sorte que le prêteur ne peut s'en prévaloir pour justifier d'échéances excédant les véritables capacités financières des emprunteurs », sans constater que la perception des loyers était affectée d'un risque particulier, excédant le risque inhérent à tout investissement locatif, ou que les loyers escomptés auraient été manifestement surévalués, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir condamné la Ccm de Briec sur l'Odet à verser aux époux X... la somme de 45.000 € à titre de dommages-intérêts ;
AUX MOTIFS QU' « en ne respectant pas son obligation de mise en garde, le Crédit Mutuel a fait perdre aux époux X... une chance de ne pas contracter un tel engagement, et de choisir un autre type de placement, alors que les risques de non achèvement du bien et de non perception de revenus locatifs se sont réalisés ; la banque ne peut pour autant être tenue d'indemniser la totalité du préjudice résultant de la perte des avantages fiscaux et des loyers escomptés pendant une durée de 15 ans ; en effet, compte tenu des documents produits attestant des conditions dans lesquelles ce projet d'investissement a été présenté aux époux X..., de son état d'avancement lors de la réservation, et de la perspective de réaliser des économies d'impôts appréciables pendant plusieurs années, il ne peut être affirmé que les emprunteurs n'auraient pas contracté si le Crédit Mutuel avait satisfait à son obligation de mise en garde ; par ailleurs même si l'opération immobilière avait été menée à son terme, il n'est pas certain que les époux X... auraient bénéficié de la totalité des sommes qu'ils réclament, à savoir 48.274 euros au titre des avantages fiscaux et 75.660 euros au titre des loyers, et aucune indication n'est fournie sur la valeur du bien en son état actuel ; au vu de l'ensemble de ces éléments, la cour estime devoir indemniser la perte de chance subie par les intimés à la somme de 45.000 euros » ;
1°) ALORS QUE le préjudice résultant du manquement d'un établissement de crédit à son obligation de mise en garde lors de la souscription d'un prêt consiste en une perte de chance de ne pas contracter ; que ne tire pas les conséquences de ses propres constatations et viole l'article 1147 du Code civil la Cour d'appel qui, après avoir retenu qu' « il ne peut être affirmé que les emprunteurs n'auraient pas contracté si le Crédit Mutuel avait satisfait à son obligation de mise en garde » (arrêt, p. 7) condamne néanmoins la banque à verser aux époux X... la somme de 45.000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de la perte de chance qu'ils auraient subie ;
2°) ALORS QUE la réparation d'une perte de chance doit être mesurée à l'aune de la chance perdue, dont il appartient aux juges du fond de déterminer la probabilité ; qu'en allouant aux époux X... la somme de 45.000 € en indemnisation des préjudices résultant pour eux de la perte de chance de ne pas avoir contracté d'engagement auprès de la CCM de BRIEC L'ODET, au vu de « l'ensemble des éléments » qui lui étaient fournis et après avoir retenu que « même si l'opération immobilière avait été menée à son terme, il n'est pas certain que les époux X... auraient bénéficié de la totalité des sommes qu'ils réclament, à savoir 48.274 euros au titre des avantages fiscaux et 75.660 euros au titre des loyers, et [qu'] aucune indication n'est fournie sur la valeur du bien en son état actuel », sans déterminer le quantum de la chance qu'avaient perdue les époux X... de ne pas souscrire l'emprunt en cause auprès de la CCM de BRIEC L'ODET, et de choisir un autre type de placement leur permettant d'obtenir les avantages escomptés, la Cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
3°) ALORS QUE la perte des avantages escomptés d'une opération d'investissement ne peut constituer un préjudice indemnisable qu'à la condition qu'il soit établi que l'investisseur, si le fait dommageable n'avait pas eu lieu, aurait pu en bénéficier, ou avait à tout le moins perdu une chance sérieuse d'en bénéficier ; qu'en jugeant, pour indemniser les époux X... à hauteur de 45.000 €, qu'en ne respectant pas son obligation de mise en garde à l'occasion de la souscription du prêt qu'elle leur avait consenti, la CCM de BRIEC de l'ODET avait fait perdre aux époux X... une chance de ne pas contracter un tel engagement, et de choisir un autre type de placement, alors que les risques de non achèvement du bien et de non perception de revenus locatifs se sont réalisés, sans rechercher si, et selon quelle probabilité, les époux X... auraient pu bénéficier d'un autre programme d'investissement leur offrant les avantages escomptés de l'opération initiale, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil, ensemble le principe de réparation intégrale du préjudice.