N° C 16-82.176 FS-P+B
N° 3781
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à Paris, le vingt et un juin deux mille seize, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le rapport de M. le conseiller PARLOS, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Statuant sur la question prioritaire de constitutionnalité formulée par mémoire spécial reçu le 3 mai 2016 et présenté par M. Nordine X..., à l'occasion du pourvoi formé par le procureur général près la cour d'appel de Lyon contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de ladite cour, en date du 15 mars 2016, qui, dans l'information suivie contre lui des chefs d'infractions à la législation sur les stupéfiants en récidive et association de malfaiteurs en récidive, a prononcé sur sa demande d'annulation de pièces de la procédure ;
1. Attendu que la question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :
"L'article 11, 1°, de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction antérieure à la loi n° 2015-1501 du 20 novembre 2015 prorogeant l'application de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence et renforçant l'efficacité de ses dispositions, méconnaît-il les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, en tant qu'il ne précise pas les conditions dans lesquelles les perquisitions qu'il autorise peuvent intervenir et n'impose pas à l'autorité administrative recevant le pouvoir d'ordonner de telles perquisitions de s'expliquer sur les motifs de fait justifiant la perquisition au regard de protection de l'ordre public et de la protection contre les infractions, au domicile d'une personne déterminée et en quoi la perquisition de nuit s'impose ?" ;
2. Attendu qu'il résulte de l'article 11, 1°, de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 relative à l'état d'urgence, dans sa rédaction applicable à la procédure, que le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse, conférer au ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et au préfet, dans le département, le pouvoir d'ordonner des perquisitions à domicile de jour et de nuit ;
3. Attendu que cette disposition, dans la version applicable à la cause, est issue de l'ordonnance n° 60-372 du 15 avril 1960 modifiant certaines dispositions de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955 instituant un état d'urgence, prise sur le fondement de la loi n° 60-101 du 4 février 1960 autorisant le Gouvernement à prendre, par application de l'article 38 de la Constitution, certaines mesures relatives au maintien de l'ordre, à la sauvegarde de l'Etat, à la pacification et à l'administration de l'Algérie, et ayant, à l'article 11, remplacé les mots "La loi déclarant l'état d'urgence peut, par une disposition expresse" par les mots "Le décret déclarant ou la loi prorogeant l'état d'urgence peuvent, par une disposition expresse" ;
4. Que toutefois, cette disposition a été implicitement ratifiée par l'effet de la loi n° 85-96 du 25 janvier 1985 relative à l'état d'urgence en Nouvelle-Calédonie et dépendances, dont l'article 2 a conféré au haut-commissaire le pouvoir mentionné à l'article 11, 1°, de la loi du 3 avril 1955 instituant l'état d'urgence ;
5. Attendu que la disposition législative contestée, dans sa rédaction applicable à la procédure, n'a pas été déjà déclarée conforme à la Constitution dans les motifs et le dispositif d'une décision du Conseil constitutionnel ;
6. Attendu que la question, ne portant pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, n'est pas nouvelle ;
7. Attendu que la question posée présente un caractère sérieux, en ce que la disposition critiquée, qui confère, lorsque l'état d'urgence a été déclaré et pour la ou les circonscriptions territoriales où il entre en vigueur, au ministre de l'intérieur, pour l'ensemble du territoire où est institué l'état d'urgence, et au préfet, dans le département, le pouvoir d'ordonner, en dehors de tout indice préalable de commission d'une infraction, des perquisitions à domicile de jour et de nuit, mais ne détermine ni les conditions précises de son exercice, en vue de garantir le droit au respect de la vie privée et, en particulier, l'inviolabilité du domicile, ni celles permettant son contrôle juridictionnel, est susceptible de porter, aux libertés garanties par les articles 2 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et au principe du recours juridictionnel effectif, une atteinte disproportionnée par rapport à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public ;
D'où il suit qu'il y a lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;
Par ces motifs :
RENVOIE au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité ;
Ainsi jugé et prononcé par la Cour de cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;
Etaient présents aux débats et au délibéré : M. Guérin, président, M. Parlos, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Finidori, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Bonnal, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, Ascensi, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Desportes ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre ;