LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en ses deuxième, quatrième et cinquième branches :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 11 septembre 2014), que le 25 mai 2007, la société Paris Le Havre et la société Bordeaux Magnum ont signé un protocole d'accord contenant une promesse de bail commercial, portant sur des locaux dépendant de la Galerie du Grand Hôtel de Bordeaux en vue de leur exploitation comme cave à vins, et l'engagement de la société Bordeaux Magnum de respecter les conditions d'exploitation définies au protocole et au bail à venir ; que la condition suspensive prévue au protocole ayant été levée, par acte du 24 septembre 2007 la société Paris Le Havre a donné les locaux à bail commercial à la société Bordeaux Magnum ; que la société Paris Le Havre a assigné la société Bordeaux Magnum en annulation du bail commercial et du protocole d'accord ainsi qu'en paiement de dommages-intérêts ; que la société Bordeaux Magnum ayant été mise en redressement judiciaire, la société Christophe Mandon a été nommée commissaire à l'exécution du plan ;
Attendu que la société Bordeaux Magnum et la société Christophe Mandon, ès qualités, font grief à l'arrêt de prononcer la nullité pour dol du protocole et du bail commercial alors, selon le moyen :
1°/ que la réticence dolosive ne peut être retenue entre deux cocontractants agissant dans l'exercice de leur activité professionnelle lorsqu'elle porte sur une circonstance présentant un caractère notoire dont le cocontractant pouvait avoir connaissance par lui-même ; qu'en retenant la réticence dolosive de la société Bordeaux Magnum, preneur à bail commercial, pour avoir dissimulé à la SNC Paris Le Havre, bailleur, l'existence d'un litige avec un potentiel partenaire commercial de la SNC Paris le Havre sans rechercher, comme elle y était invitée, si la SNC Paris Le Havre n'avait pas nécessairement connaissance de ce litige ou, à tout le moins, aurait pu aisément en avoir connaissance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
2°/ que le silence gardé par une partie sur une information ne peut suffire à caractériser une réticence dolosive que s'il présente un caractère intentionnel destiné à tromper le contractant et le déterminer à conclure ; qu'en se bornant à relever que la société Bordeaux Magnum n'avait pas informé sa cocontractante du procès qu'elle avait engagé à l'encontre de la société Château Latour et qu'il s'agissait d'un élément déterminant du consentement de la SNC Paris Le Havre sans constater que l'information avait été intentionnellement retenue par la société Bordeaux Magnum dans le but de tromper la SNC Paris Le Havre et de l'amener à conclure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code de procédure civile ;
3°/ que le silence gardé par une partie sur une information ne peut caractériser une réticence dolosive que si l'information révélée aurait nécessairement conduit l'autre partie à ne pas contracter, et les juges du fond doivent justifier le caractère illicite de ce silence ; qu'en se bornant à retenir que le litige ayant opposé la SARL Bordeaux Magnum et la société du Château Latour « exclut tout partenariat entre la société du Château Latour et la SARL Bordeaux Magnum, et partant avec la SNC Paris Le Havre, voire d'autres châteaux compte tenu de la nature du litige portant sur une pratique locale », sans caractériser en quoi ce litige portant sur une « pratique locale », et par lequel la société Bordeaux Magnum n'avait qu'exercer son droit d'agir en justice, et obtenu gain de cause, aurait nécessairement empêché la SNC Paris Le Havre de nouer un partenariat avec les viticulteurs bordelais, dont la société Château Latour, tendant à donner des noms de partenaires à des chambres du Grand Hôtel de Bordeaux et de proposer des vins à la clientèle de cet établissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève que les contrats conclus entre les parties reposaient sur un partenariat commercial avec les viticulteurs bordelais, le protocole d'accord prévoyant que le preneur devrait référencer impérativement et de façon permanente l'ensemble des partenaires de la société Paris Le Havre durant toute la durée du bail et ses renouvellements, que les produits partenaires seraient vendus à l'hôtel, au restaurant gastronomique et au club privé et que le gestionnaire de la cave à vins devrait tenir informé le gestionnaire de l'hôtel et celui du restaurant gastronomique des modifications intervenues sur les référencements partenaires de la société Paris Le Havre ; qu'il retient que la société Bordeaux Magnum a dissimulé volontairement à sa cocontractante qu'elle était engagée dans un litige portant sur une pratique locale, ce qui excluait tout partenariat entre elle et la société Château Latour dont les vins sont parmi les plus réputés du bordelais, et, partant avec la société Paris Le Havre, voire d'autres châteaux compte tenu de la nature du litige, et que ce litige était en totale contradiction avec le projet de partenariat conçu par la société Paris Le Havre avec les viticulteurs bordelais de renom ; qu'il en déduit que, par ce silence, la société Bordeaux Magnum a dissimulé à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; qu'en l'état de ces constatations et appréciations souveraines, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen, pris en ses première et troisième branches, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Bordeaux Magnum aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société Paris Le Havre et rejette les autres demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du sept juin deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Ricard, avocat aux Conseils, pour les sociétés Bordeaux Magnum et Christophe Mandon, ès qualités.
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir prononcé la nullité pour dol du protocole et du bail commercial conclus respectivement le 25 mai 2007 et le 24 septembre 2007 entre la SNC Paris Le Havre et la société Bordeaux Magnum ;
AUX MOTIFS QUE sur la nullité du protocole et du bail commercial pour vice du consentement ; il est indéniable que le protocole conclu le 25 mai 2007 et le bail commercial conclu le 24 septembre suivant forment un ensemble contractuel indivisible et ce même si le bail commercial ne fait pas référence explicitement au protocole, celui-ci en étant le préalable nécessaire et le fondement ; l'esprit animant ces deux conventions ressort des termes du protocole ci-dessus rappelés mais aussi de son préambule selon lequel l'objectif poursuivi par le Grand Hôtel était de créer un partenariat avec le vignoble bordelais, les champagnes et les spiritueux, en s'appuyant sur la qualité des produits concernés et leur compétitivité sur le marché international ; l'économie de ce partenariat était la suivante : .les suites , les chambres porteront le nom de ces partenaires .ces partenaires seront référencés dans la cave à vin dont est propriétaire la SNC Paris Le Havre et seront proposés à la clientèle de l'hôtel, que ce soit dans le restaurant gastronomique, dans la brasserie, dans le club privé ou lors d'opérations organisées dans les salons de réception de l'hôtel .les exploitations de l'hôtel et notamment du restaurant gastronomique et du club privé auront accès à la cave à vins durant les heures d'exploitation il y est précisé « dans cette optique il a été recherché un partenariat avec l'exploitant potentiel de la cave à vins » ; Or la SARL Bordeaux Magnum avait fait assigner le 3 mars 2006 la société civile du Vignoble Château Latour en dommages et intérêts pour rupture fautive de leurs relations commerciales et plus particulièrement des allocations en vins primeurs ; par jugement en date du 5 avril 2007 le tribunal de grande instance de Bordeaux a condamné la SC du Vignoble Château Latour au paiement d'une somme de 39 620 € de dommages et intérêts ; par arrêt en date du 30 avril 2009 la présente cour, statuant sur appel de la SARL Bordeaux Magnum a réduit le montant des dommages et intérêts qui lui avaient été alloués ; ce litige exclut tout partenariat entre la société du Château Latour et la SARL Bordeaux Magnum et partant avec la SNC Paris Le Havre, voire d'autres châteaux compte tenu de la nature du litige portant sur une pratique locale, et est donc en totale contradiction avec le projet de partenariat conçu par celle-ci avec les viticulteurs bordelais de renom ; il importe peu que la SNC ne justifie pas avoir établi un partenariat spécifique avec la société civile Château Latour, les partenariats avec les châteaux bordelais étant encore au stade de projet ou d'objectif lors de la signature des contrats ; certes dans un article paru dans le journal Sud-Ouest le 7 juillet 2007, postérieurement à la signature du protocole, la condamnation de la société des Vignobles Château Latour a été commentée ; mais il n'est pas démontré que la SNC Paris Le Havre ait eu connaissance de cet article ; il est en revanche acquis que la SARL Bordeaux Magnum n'a pas informé sa cocontractante du procès qu'elle avait engagé à l'encontre de la société Château Latour, manquant ainsi à son devoir de loyauté élémentaire ; or le dol peut être constitué par le silence d'une partie dissimulant à son cocontractant un fait qui, s'il avait été connu de lui, l'aurait empêché de contracter ; d'une part il est acquis que les vins des vignobles Château Latour sont parmi les vins les plus réputés du bordelais ; d'autre part les contrats conclus entre la SNC Paris Le Havre et la SARL Bordeaux Magnum reposent sur un partenariat commercial avec les viticulteurs bordelais ; il s'en déduit que l'absence de litige entre la SARL Bordeaux Magnum et ceux-ci, qu'il soient partenaires actuels ou potentiels, était un élément déterminant du consentement de la SNC Paris Le Havre ; en conséquence la SARL Bordeaux Magnum ne pouvant soutenir que son obligation d'information ait été remplie du fait de la parution dans la presse régionale d'un article relatif au procès qu'elle avait engagé à l'encontre de l'un des partenaires potentiels de la SNC Paris Le Havre, a commis un dol en dissimulant volontairement à sa cocontractante un fait qui s'il avait été connue de celle-ci l'aurait empêchée de contracter ; il convient en conséquence de réformer le jugement déféré et d'annuler le protocole et le bail commercial pour vice du consentement ; ces contrats étant censés n'avoir jamais existé, les parties seront remises dans leur état initial ;
1°) ALORS QUE le juge, tenu de respecter le principe de la contradiction, ne peut relever d'office un moyen sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations ; qu'en retenant d'office, pour annuler ensemble le protocole d'accord du 25 mai 2007 et le bail commercial conclu le 24 septembre suivant que, même si le bail commercial ne fait pas référence explicitement au protocole d'accord, celui-ci en était le préalable nécessaire et le fondement de sorte qu'ils constituaient un ensemble contractuel indivisible, sans inviter les parties à présenter leurs observations sur ce moyen relevé d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS QUE la réticence dolosive ne peut être retenue entre deux cocontractants agissant dans l'exercice de leur activité professionnelle lorsqu'elle porte sur une circonstance présentant un caractère notoire dont le cocontractant pouvait avoir connaissance par lui-même ; qu'en retenant la réticence dolosive de la société Bordeaux Magnum, preneur à bail commercial, pour avoir dissimulé à la SNC Paris Le Havre, bailleur, l'existence d'un litige avec un potentiel partenaire commercial de la SNC Paris le Havre sans rechercher, comme elle y était invitée (conclusions de la société Bordeaux Magnum p.5), si la SNC Paris Le Havre n'avait pas nécessairement connaissance de ce litige ou, à tout le moins, aurait pu aisément en avoir connaissance, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code civil ;
3°) ALORS QUE, les juges ne doivent pas méconnaître les termes du litige, qui sont déterminés par les conclusions des parties ; que pour retenir la réticence dolosive de la société Bordeaux Magnum consistant à avoir dissimulé à son cocontractant l'existence d'un litige avec la société Château Latour, la cour d'appel, après avoir constaté qu'un article paru dans le journal Sud Ouest du 3 juillet 2007, antérieurement à la signature du bail commercial, commentait la condamnation de la société Vignobles Château Latour prononcée au profit de la société Bordeaux Magnum, retient qu'il n'était pas démontré que la SNC Paris Le Havre avait connaissance dudit article ; qu'en statuant ainsi quand la société Bordeaux Magnum rappelait dans ses conclusions que la SNC Paris le Havre, affirmant qu'elle avait appris par voie de presse l'existence de l'information prétendument dissimulée, avait elle-même versé aux débats en première instance l'article paru le 3 juillet 2007 (conclusions de la société Bordeaux Magnum p.5, § 8 et s.) et que la SNC Paris le Havre ne discutait pas avoir pris connaissance dudit article qu'elle avait elle-même versé aux débats, mais se bornait à contester, sans toutefois l'établir, en avoir pris connaissance avant la signature du bail commercial (conclusions de la SNC Paris le Havre, p.4), la cour d'appel, qui a méconnu les termes du litige, a violé l'article 4 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QUE le silence gardé par une partie sur une information ne peut suffire à caractériser une réticence dolosive que s'il présente un caractère intentionnel destiné à tromper le contractant et le déterminer à conclure ; qu'en se bornant à relever que la société Bordeaux Magnum n'avait pas informé sa cocontractante du procès qu'elle avait engagé à l'encontre de la société Château Latour et qu'il s'agissait d'un élément déterminant du consentement de la SNC Paris Le Havre sans constater que l'information avait été intentionnellement retenue par la société Bordeaux Magnum dans le but de tromper la SNC Paris Le Havre et de l'amener à conclure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code de procédure civile.
5°) ALORS QUE le silence gardé par une partie sur une information ne peut caractériser une réticence dolosive que si l'information révélée aurait nécessairement conduit l'autre partie à ne pas contracter, et les juges du fond doivent justifier le caractère illicite de ce silence ; qu'en se bornant à retenir que le litige ayant opposé la SARL Bordeaux Magnum et la société du Chateau Latour « exclut tout partenariat entre la société du Chateau Latour et la SARL Bordeaux MAGNUM, et partant avec la SNC Paris Le Havre, voire d'autres châteaux compte tenu de la nature du litige portant sur une pratique locale », sans caractériser en quoi ce litige portant sur une « pratique locale », et par lequel la société Bordeaux Magnum n'avait qu'exercer son droit d'agir en justice, et obtenu gain de cause, aurait nécessairement empêché la SNC Paris Le Havre de nouer un partenariat avec les viticulteurs bordelais, dont la société Château Latour, tendant à donner des noms de partenaires à des chambres du Grand Hôtel de Bordeaux et de proposer des vins à la clientèle de cet établissement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1116 du code de procédure civile.