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24/05/2016 | FRANCE | N°14-88401

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 24 mai 2016, 14-88401


Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Jean-Yves X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 20 novembre 2014, qui, pour homicide involontaire aggravé, et infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d'amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Buisson, conseiller

rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ; ...

Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Jean-Yves X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel de METZ, chambre correctionnelle, en date du 20 novembre 2014, qui, pour homicide involontaire aggravé, et infraction à la réglementation sur la sécurité des travailleurs, l'a condamné à huit mois d'emprisonnement avec sursis et à 10 000 euros d'amende ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 30 mars 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Buisson, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Zita ;
Sur le rapport de M. le conseiller BUISSON, les observations de la société civile professionnelle DIDIER et PINET, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CUNY ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 121-3, 221-6 du code pénal, L. 4741-1 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X... coupable d'homicide par imprudence et de non-respect des obligations en matière de sécurité des salariés et l'a condamné à une peine de huit mois d'emprisonnement avec sursis et à une amende de 10 000 euros ;
" aux motifs qu'il résulte des constatations de l'inspection du travail et des enquêteurs que les travaux avaient été entrepris par M. X..., gérant de la société Wz construction alors même que dès l'origine, le plan général de coordination prévoyait expressément que des dispositions devaient être prises pour éviter l'effondrement du talus, dispositif de blindage, paroi berlinoise ou paroi moulée ; qu'en l'absence de mise en place de tels dispositifs après les travaux de terrassement et avant la pose des fondations de l'immeuble, l'effondrement du talus était inéluctable ; que cette attitude délibérée d'entreprendre des travaux dans ces conditions, de les poursuivre malgré les signes annonciateurs de la catastrophe dès début septembre, de continuer ainsi après les événements de la nuit du 5 au 6 octobre 2010, malgré les avertissements et mises en demeure relève de la responsabilité du chef d'entreprise ; que, pour qu'une délégation de pouvoir joue son rôle exonératoire, aucune faute personnelle ne doit pouvoir être reprochée au chef d'entreprise délégant ; que les choix opérés par M. X... de se dispenser des équipements de protection et de poursuivre le chantier malgré les graves risques pesant sur ses salariés répondent à une logique exclusivement économique, comme celui de recourir systématiquement au travail temporaire pour pourvoir les postes mêmes stratégiques au sein de l'entreprise ; que l'injonction du service prévention de la CRAM du 6 octobre 2010, les observations et mises en demeure du coordonnateur de sécurité dans le registre journal entre le 6 octobre 2010 et le jour de l'accident ont été notifiées personnellement au gérant de la société Wz constructions, M. X... ; que sa présence effective sur ce chantier lors des réunions consacrées au problème récurrent du talus est établie ; qu'il y a donc en l'espèce " une participation personnelle " qui ôte toute efficacité à la délégation de pouvoir alléguée ; que M. X... ne pouvait ignorer que, malgré l'interdiction et malgré l'absence de plan de phasage, des salariés de son entreprise évoluaient dans la zone dangereuse ; qu'à aucun moment, il n'a utilisé son pouvoir disciplinaire et son pouvoir de direction pour faire respecter ladite interdiction ; que M. X... a donc violé de manière délibérée une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, notamment celles prévues par les articles L. 4121-2, R. 4534-8, R. 4534-38 du code du travail, cette violation étant à l'origine de l'accident mortel de ses salariés présents sur le site à un risque d'une particulière gravité ; que les infractions à la réglementation en matière de sécurité du travail et les faits d'homicide sont parfaitement établis ;
" et aux motifs éventuellement adoptés qu'au jour de l'accident, aucune des recommandations pourtant rappelées à plusieurs reprises à la SARL Wz constructions n'avait été mise en oeuvre par elle, s'agissant des travaux de terrassements ce qui a conduit à l'effondrement de l'ancien mur de soutènement le 5 octobre 2010 ; que les dispositifs de blindage préconisés par le plan général de coordination sécurité et protection de la santé et le cahier des clauses techniques particulières du gros oeuvre ne figuraient pas au plan particulier de sécurité et de protection de santé de la SARL Wz constructions ; que les événements qui se sont succédés, entre le 5 et le 26 octobre 2010, démontrent que les choix ainsi opérés par la SARL Wz constructions de se dispenser de ces équipements avaient déterminé les conditions de travail des ouvriers présents sur ce site en les exposant à un danger réel et répondaient en réalité à une logique commerciale, le maître de l'ouvrage ayant admis avoir choisi de confier le gros-oeuvre à la SARL Wz constructions en raison du prix qu'elle proposait ; que M. X..., gérant de la SARL avait participé aux réunions de la CRAM du 5 octobre 2010, il était également présent et représentait la SARL Wz constructions lors du procès verbal de constat établi par huissier à la suite de l'éboulement du mur et d'une partie du domaine public de la commune de Saint-Avold dans la nuit du 5 au 6 octobre 2010, il a été destinataire des documents d'alerte de Dekra du 11 octobre 2010, et de Génie TEC le 15 octobre 2010 ; qu'il savait qu'aucun travaux ne devait être entrepris dans la zone interdite tant que la méthodologie adoptée en réunion du 19 octobre 2010 n'avait pas été validée ; que malgré cette connaissance des risques importants d'effondrement et des prescriptions de sécurité auxquels sa société était astreinte en vue de la reprise des travaux dans la zone, il a validé, le vendredi 22 octobre 2010, la proposition de construction de piliers de béton dans la zone interdite que lui avait présentée M. Luis Z..., le chef de chantier ; que l'audition de M. Z...par les enquêteurs ses déclarations à l'audience ainsi que les déclarations de l'audience de M. Damien A...établissent sans équivoque que le " patron » était M. X... ; que M. Z...recevait ses instructions de la part de ce dernier qui seul décidait sur le chantier de l'arrêt ou de la reprise des travaux ;
" 1°) alors que le juge répressif ne peut prononcer une peine sans avoir relevé tous les éléments constitutifs de l'infraction qu'il réprime ; que, lorsque la faute du prévenu n'est pas la cause directe du décès de la victime, les juges doivent constater l'existence d'une violation manifestement délibérée d'une obligation particulière de sécurité prévue par la loi ou le règlement ou d'une faute caractérisée exposant autrui à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer ; que, pour retenir la culpabilité de M. X..., la cour d'appel affirme qu'il a méconnu ses obligations de sécurité en laissant travailler les salariés dans une zone qu'il savait dangereuse, pour avoir assisté aux réunions de chantier au cours desquelles était discutée la question de l'élaboration d'une méthodologique pour renforcer le talus surplombant ledit chantier ; qu'en ne constatant pas que le prévenu avait méconnu de manière manifestement délibérée de telles obligations ou même qu'il avait commis une faute caractérisée ayant causé le décès de la victime, quand les faits reprochés apparaissaient être en lien de causalité indirecte avec l'accident, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 2°) alors que les juges doivent constater quelles obligations particulières de sécurité prévues par la loi ou le règlement ont été méconnues dans des conditions ayant causé le dommage ; que la cour d'appel estime que M. X... a méconnu les articles L. 4121-2, R. 4534-8 du code du travail et R. 4534-38 du code du travail ; qu'en cet état, alors que l'article L. 4121-2 du code du travail ne vise que les principes généraux de sécurité et non des obligations particulières de sécurité, que l'article R. 4534-8 du code du travail interdit de laisser à l'abandon sur le chantier des planches munies de pointes saillantes, sans lien avec les faits en cause en l'espèce, et que l'article R. 4534-38 du code du travail impose d'interdire l'accès de la zone dans laquelle l'éboulement est appelé à se produire, en cas d'abattage en sous-cave, quand il est reproché à M. X... de n'avoir pas pris des mesures pour empêcher les salariés de se trouver dans la zone dangereuse tant qu'aucune méthodologie de renforcement du talus n'aurait pas été adoptée et ne portait pas sur les modalités des travaux en sous-cave pendant un tel renforcement, la cour d'appel a encore privé son arrêt de base légale ;
" 3°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que la cour d'appel estime que M. X... a décidé d'entreprendre les travaux de réalisation des fondations sans avoir prévu de méthodologie concernant le risque d'effondrement du talus et d'avoir continué les travaux malgré les avertissements et mises en demeures en ne pouvant ignorer que les salariés évoluaient dans la zone dangereuse malgré les avertissements reçus, au vu des observations du registre journal tenu par le coordonnateur de sécurité, en méconnaissant son obligation d'assurer la sécurité de ses salariés ; qu'en ne constatant pas que le prévenu avait donné l'ordre de continuer les travaux dans la zone dangereuse, malgré le périmètre de sécurité, et en se contentant d'affirmer que le prévenu n'ignorait pas que les salariés travaillaient dans cette zone au vu des observations portées dans le livre journal quand le coordonnateur de sécurité ne fait état que d'une mise en demeure adressée à M. X... d'informer le chef de chantier, M. Z..., de la méthodologie de mise en oeuvre des fondations dans la zone d'effondrement avant le 22 octobre 2010, date à laquelle il a constaté l'absence de méthodologie, ce qui n'établit pas que le prévenu ne pouvait ignorer que, malgré le périmètre de sécurité et dans l'attente de cette méthodologie, ses salariés évoluaient dans la zone présentant un risque d'éboulement, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
" 4°) alors qu'en affirmant, par motifs éventuellement adoptés, que M. X... avait validé le 22 octobre 2010, la proposition de construction de piliers de béton dans la zone interdite que lui avait présenté M. Luis Z..., le chef de chantier, ce dont il ne résulte pas que M. X... avait par la même ordonné de commencer les travaux, quand le chef de chantier avait reconnu avoir pris l'initiative de construire les piliers après en avoir informé le conducteur de travaux, M. A..., qui était titulaire d'une délégation de pouvoir en matière de sécurité, la cour d'appel a encore privé son arrêt de base légale ;
" 5°) alors que nul n'est pénalement responsable que de son propre fait ; que le chef d'entreprise ne peut voir sa responsabilité engagée s'il a donné une délégation de pouvoir en matière d'hygiène et de sécurité, sauf s'il s'est immiscé dans la gestion de cette sécurité dans des conditions telles qu'elles ont participé à l'infraction ; que, pour considérer que la délégation de pouvoir donnée à M. A...ne pouvait exonérer le chef d'entreprise, la cour d'appel estimé que le prévenu s'était immiscé dans la sécurité, en participant aux réunions de chantier au cours desquelles la question du renforcement du talus avait été discutée ; que, dès lors qu'il n'en résulte pas que par cette action, il a interféré dans les mesures de sécurité qui s'imposaient sur le chantier dans l'attente d'une méthodologie de renforcement de la sécurité, en donnant l'ordre de continuer ou de reprendre les travaux, dans la zone dangereuse, et quand, selon le livre-journal, M. A...avait été informé par la coordonnateur de sécurité de la nécessité d'une méthodologie avant toute intervention sur la zone dangereuse, la cour d'appel a encore privé sa décision de base légale " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure qu'Alvaro B...
C..., ouvrier de la SARL Wz constructions (la société) dont M. X... est le gérant, est décédé sur le chantier de construction d'une résidence, après avoir été enseveli sous une importante masse de sable résultant de l'effondrement d'un imposant talus alors qu'il était occupé à édifier des piliers de béton au pied de ce talus démuni de tout dispositif de sécurisation ; qu'à la suite de ces faits, M. X... a, avec ses co-prévenus, dont la société, été poursuivi pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d'une obligation de sécurité ou de prudence dans le cadre du travail et emploi de travailleur sans respect des règles de sécurité sur chantier de terrassement à ciel ouvert ; que condamné par le tribunal correctionnel des chefs précités en même temps que la société, M. X... a formé appel de cette décision, avec le procureur de la République à titre incident ;
Attendu que, pour confirmer le jugement entrepris, l'arrêt retient, notamment, que M. X... a entrepris les travaux en dépit du plan général de coordination édictant expressément la nécessité d'établir, pour éviter l'effondrement, des dispositifs dont l'absence, après les travaux de terrassement et avant la pose des fondations de l'immeuble, a rendu inéluctable l'effondrement du talus ; que relève de la responsabilité du chef d'entreprise l'attitude délibérée du prévenu d'entreprendre les travaux dans ces conditions, puis de les poursuivre malgré les signes annonciateurs de la catastrophe, les avertissements et les mises en demeure d'interdiction du service de prévention de la caisse régionale d'assurance maladie ainsi que du coordonnateur de sécurité ; que les juges ajoutent, d'une part, que la participation personnelle de M. X... aux réunions de chantier consacrées au problème récurrent du talus ôte toute efficacité à la délégation de pouvoir alléguée, d'autre part, que n'ayant jamais usé de son pouvoir disciplinaire et de son pouvoir de direction pour faire respecter l'interdiction d'évoluer dans la zone dangereuse où se trouvaient des ouvriers, ce qu'il ne pouvait ignorer, M. X... a violé de manière délibérée une obligation de sécurité imposée par la loi ou le règlement, violation à l'origine de l'accident mortel, et exposé délibérément l'ensemble de ses salariés sur le site à un risque d'une particulière gravité ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, et dès lors que, par ses énonciations, elle a, d'une part, caractérisé les manquements délibérés aux obligations qui, visées par les textes mentionnés dans la citation à comparaître, ont ainsi contribué à créer la situation ayant permis la réalisation du décès de la victime au sens de l'article 121-3 du code pénal, d'autre part, justement retenu que les délits reprochés ont été commis dans le cadre d'un pouvoir de direction conservé par le chef d'entreprise, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être admis ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt-quatre mai deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-88401
Date de la décision : 24/05/2016
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Criminelle

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Metz, 20 novembre 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 24 mai. 2016, pourvoi n°14-88401


Composition du Tribunal
Président : M. Guérin (président)
Avocat(s) : SCP Didier et Pinet

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.88401
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