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12/05/2016 | FRANCE | N°14-29959

France | France, Cour de cassation, Chambre civile 1, 12 mai 2016, 14-29959


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir successivement authentifié, entre le 18 décembre 2007 et le 16 juillet 2008, la donation-partage conjonctive consentie par Mme X...et M. Y..., mariés sans contrat pr

éalable le 9 décembre 1987, aux deux enfants issus de leur union, de la ...

LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1382 du code civil ;
Attendu que le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels il est requis de donner la forme authentique ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, qu'après avoir successivement authentifié, entre le 18 décembre 2007 et le 16 juillet 2008, la donation-partage conjonctive consentie par Mme X...et M. Y..., mariés sans contrat préalable le 9 décembre 1987, aux deux enfants issus de leur union, de la nue-propriété de cinq immeubles dépendant de la communauté existant entre les époux, leur changement de régime matrimonial et le partage de la communauté consécutif à l'adoption par ceux-ci du régime de séparation de biens, puis la donation consentie, à titre de partage anticipé, par l'épouse aux enfants communs, d'une partie du solde créditeur d'un compte courant d'associé lui revenant à l'issue du partage de la communauté, M. Z... (le notaire), a reçu, le 9 septembre 2008, l'acte portant donation par Mme X... à M. Y..., du solde de cette créance ainsi que de la moitié indivise en usufruit de quatre des immeubles objets de la donation-partage et abandon de la soulte due par M. Y... à l'issue du partage de communauté ; qu'au mois de février 2009, M. Y... a manifesté son intention de divorcer ; que, les 22 et 23 février 2010, Mme X... a assigné son époux, le notaire et la SCP A... (la SCP), au sein de laquelle celui-ci exerce, aux fins, notamment, d'annulation de la donation entre époux pour dol ou erreur, et, subsidiairement, d'indemnisation d'une perte de chance de ne pas y consentir, du fait d'un manquement du notaire à son devoir de conseil ;
Attendu que, pour rejeter la demande indemnitaire dirigée contre le notaire et la SCP, l'arrêt retient que Mme X... ne peut, sans se contredire, demander la confirmation du jugement qui a retenu que son consentement n'avait été vicié ni par l'erreur ni par le dol, ce dont il résulte qu'elle reconnaît avoir signé cet acte en ayant conscience de son sens et de sa portée, et reprocher au notaire d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas sur la teneur et la portée du même acte ;
Qu'en statuant ainsi, alors que le devoir d'information et de conseil du notaire ne se limite pas à s'assurer de l'intégrité du consentement du donateur au regard de l'erreur ou du dol, la cour d'appel, qui s'est prononcée par des motifs impropres à démontrer que Mme X... avait effectivement reçu du notaire une information complète et circonstanciée sur les incidences patrimoniales des libéralités consenties à son époux, dont elle était désormais séparée de biens, qui concernaient la quasi-intégralité de ses droits dans le partage de communauté, et sur les risques découlant, notamment en cas de divorce, de l'irrévocabilité de ces libéralités, a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 11 septembre 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne M. Z... et la SCP A... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. Z... et la SCP A..., et les condamne à payer à Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du douze mai deux mille seize.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir débouté Madame Somsri X..., épouse Y..., de ses demandes indemnitaires à l'encontre de Maître Michel Z... et de la SCP A... ;
AUX MOTIFS QUE par des motifs précis et pertinents que la Cour adopte et qui ne sont d'ailleurs pas contestés par Madame X... qui conclut à la confirmation du jugement déféré en toutes ses dispositions, comme par Monsieur Y... qui demande que soit constaté que la donation litigieuse est devenue ferme et définitive, le Tribunal a retenu que le consentement de cette dernière n'a été vicié ni par l'erreur, ni par le dol ; que Madame X... qui reconnaît donc avoir signé l'acte de donation du 9 septembre 2008 en ayant parfaitement conscience de son sens et de sa portée, ne peut dès lors, sans se contredire, reprocher à Maître Michel Z... d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas de la teneur et de la portée dudit acte ; que le jugement déféré doit donc être infirmé en ce qu'il a dit que Maître Michel Z... a commis une faute engageant sa responsabilité à l'égard de Madame X..., épouse Y..., et en ce qu'il a condamné in solidum Maître Michel Z... et la SCP A... à payer à celle-ci la somme de 435. 000 euros à titre de dommages et intérêts outre intérêts, et statuant à nouveau, Madame X... sera déboutée de ses demandes formées à l'encontre de Maître Michel Z... et la SCP A... ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE cependant, si Somsri X... est d'origine thaïlandaise, elle vit en France depuis 1987 ; qu'il ressort des pièces versées aux débats qu'elle a obtenu un baccalauréat gestion en affaires à Phitsanulok en 1985, qu'elle travaille depuis 2000 comme secrétaire aide-comptable dans l'entreprise ATSI gérée par son mari et fait partie du conseil d'administration de l'association Thaï-Provence ; que même si deux attestations émanent de salariés de son époux, l'ensemble des pièces produites établissent que Somsri X... maîtrise correctement la langue française à l'écrit et l'oral ; que le fait que Somsri X... ne soit pas familière des termes juridiques employés dans les actes notariés ne saurait suffire à caractériser l'erreur alléguée sur la portée de ceux-ci, d'autant plus que plusieurs donations et donations-partages avaient déjà été effectuées par les époux Y... à leurs enfants en 1999 et 2007, puis par Somsri X... aux enfants du couple le 16 juillet 2008 ; que s'il est exact que par l'acte du 9 septembre 2008, Somsri X... a fait donation à son époux de quasiment tout ce qui restait, après la donation du 16 juillet 2008, de la part lui revenant suite à la liquidation de la communauté du 19 juin 2008, à l'exception de l'usufruit de la moitié du domicile conjugal, elle ne saurait utilement soutenir que son consentement a été vicié par erreur, et le fait que sa culture ne lui permette pas d'avoir le moindre esprit critique envers son mari ne saurait suffire à entacher son consentement d'erreur ; qu'aux termes de l'article 1116 alinéa 2 du Code civil, le dol ne se présume pas et doit être prouvé ; que Somsri X... soutient que son consentement a été vicié par dol car au moment de la formation du contrat, il n'était nullement question de divorce et que ce n'est qu'en février 2009 que Gilles Y... a révélé son intention de divorcer ; qu'aucun élément ne permet néanmoins d'étayer l'allégation selon laquelle Gilles Y... aurait interdit à son épouse de parler à quiconque des actes qu'il lui faisait signer ; que le fait que les donations successives aux enfants puis au mari avaient pour but exprimé « d'aider son mari à payer moins d'impôts » n'est pas contesté et, si le motif exact pour lequel Somsri X... s'est dépouillée de sa part de communauté au profit de son mari moins de trois mois après la liquidation de cette communauté reste inexpliqué, la preuve de manoeuvres dolosives de Gilles Y... pour amener Somsri X... à se dépouiller dans l'optique d'un divorce en lui faisant croire qu'elle oeuvrait dans l'intérêt de la famille n'est pas rapportée par les pièces versées aux débats, et la seule proximité chronologique de la donation et de l'introduction d'une procédure de divorce est insuffisante pour caractériser des manoeuvres dolosives ; que la demande de nullité de la donation du 9 septembre 2008 pour erreur ou pour dol sera donc rejetée ;
ALORS QUE, D'UNE PART, les notaires tirent de leurs obligations celle d'éclairer les parties et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; que le domaine de ce devoir de conseil et de mise en garde dépasse donc la seule protection contre l'erreur et le dol garantie par les dispositions du Code civil ; qu'en écartant tout manquement de Maître Z... à son obligation de conseil et de mise en garde à l'égard de Madame X... lors de la donation de la quasi-intégralité de ses biens à son époux au motif que le consentement de l'intéressée n'a été vicié ni par l'erreur ni par le dol, la Cour viole l'article 1382 du Code civil, ensemble méconnaît son office au regard de l'article 12 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, les notaires sont tenus d'éclairer ses clients et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; que le domaine de ce devoir de conseil dépasse la seule protection contre l'erreur et le dol garantie par les dispositions du Code civil de sorte que le fait qu'une partie n'invoque pas que son consentement a été vicié par une erreur ou un dol ne vaut pas reconnaissance d'une information complète et circonstanciée par le notaire sur les risques découlant de son engagement ; qu'en retenant le contraire au motif central que Madame X... ne se prévalait plus d'une erreur ni d'un dol en cause d'appel reconnaissait ainsi avoir eu parfaitement conscience de son sens et de sa portée et ne pouvait ainsi sans se contredire reprocher un manquement de Maître Z... d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas de la teneur et de la portée de son engagement cependant que Madame X... demandait la confirmation du jugement entrepris en ce qu'il avait reconnu que le notaire avait manqué à son devoir de conseil en ne la mettant pas en garde sur les risques à faire donation à son époux de la quasi-intégralité de ses droits sur les biens de la communauté, la Cour viole les articles 1382 du Code civil et 12 du Code de procédure civile ;
ET ALORS ENFIN QUE, les notaires sont tenus d'éclairer leurs clients et d'appeler leur attention, de manière complète et circonstanciée, sur la portée, les effets et les risques des actes auxquels ils sont requis de donner la forme authentique ; qu'il en va d'autant plus ainsi lorsque la situation juridique, économique et familiale de ses clients présente des facteurs de risques dont le notaire a connaissance ; qu'en déboutant Madame X... de sa demande de dommages et intérêts pour manquement de Maître Z... à son devoir de conseil sans rechercher, comme l'y invitaient les écritures de Madame X... (pages 8 et 9) si le notaire, parfaitement au fait du nouveau régime matrimonial des époux Y.../ X..., en l'occurrence le régime de la séparation de biens, avait précisément appelé l'attention de Madame X..., d'origine thaïlandaise et profane sur le plan juridique, sur les risques qu'elle encourait à faire donation à son époux de la quasi-intégralité de ses droits sur les biens de la communauté, la Cour prive sa décision de base légale au regard de l'article 1382 du Code civil.


Synthèse
Formation : Chambre civile 1
Numéro d'arrêt : 14-29959
Date de la décision : 12/05/2016
Sens de l'arrêt : Cassation partielle
Type d'affaire : Civile

Analyses

OFFICIERS PUBLICS OU MINISTERIELS - Notaire - Responsabilité - Obligation d'éclairer les parties - Etendue - Obligation d'information sur les risques de l'acte - Donation entre époux - Absence d'erreur ou de dol viciant le consentement du donateur - Portée

Le devoir d'information et de conseil du notaire qui instrumente une donation entre époux ne se limite pas à s'assurer de l'intégrité du consentement du donateur au regard de l'erreur ou du dol. Il est tenu de délivrer à l'époux donateur une information complète et circonstanciée sur les incidences patrimoniales des libéralités qu'il consent à un conjoint dont il était depuis peu séparé de biens et qui portaient sur la quasi-intégralité de ses droits dans le partage de communauté, et de le mettre en garde sur les risques découlant, notamment en cas de divorce, de l'irrévocabilité de ces libéralités, consenties le 9 septembre 2008. Dès lors, encourt la cassation l'arrêt qui, pour écarter la responsabilité du notaire instrumentaire, retient que l'épouse donatrice ne peut, sans se contredire, demander la confirmation du jugement qui a retenu que son consentement n'avait été vicié ni par l'erreur ni par le dol, ce dont il résulte qu'elle reconnaît avoir signé cet acte en ayant conscience de son sens et de sa portée, et reprocher au notaire d'avoir manqué à son devoir de conseil en ne l'informant pas sur la teneur et la portée du même acte, de tels motifs étant impropres à démontrer que le notaire s'était effectivement acquitté de son devoir d'information et de conseil envers celle-ci


Références :

article 1382 du code civil

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 11 septembre 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Civ. 1re, 12 mai. 2016, pourvoi n°14-29959, Bull. civ. d'information 2016, n° 850, I , n° 1310
Publié au bulletin des arrêts des chambres civiles d'information 2016, n° 850, I , n° 1310

Composition du Tribunal
Président : Mme Batut
Avocat général : M. Cailliau
Rapporteur ?: Mme Verdun
Avocat(s) : Me Blondel, SCP Boré et Salve de Bruneton

Origine de la décision
Date de l'import : 03/08/2018
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2016:14.29959
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