LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article L. 3121-1 du code du travail ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué rendu sur renvoi après cassation (Soc 23 novembre 2011, n° 05-43.504), que M. X..., salarié de la société France mélasses et exerçant, en dernier lieu, les fonctions de cargo superintendant responsable du contrôle du poids et de la qualité des mélasses chargées et déchargées dans différents ports, a saisi la juridiction prud'homale de demandes au titre des heures supplémentaires ;
Attendu que pour accueillir ces demandes, l'arrêt retient que le salarié a été contraint de se tenir prêt à répondre à un éventuel appel de son employeur de manière à pouvoir intervenir en cas de nécessité durant les opérations de chargement et de déchargement des navires, cela sans obligatoirement être présent à tout moment sur ses différents lieux de travail, et que ces périodes d'activité correspondaient à des permanences qu'il était tenu d'assurer sur les sites portuaires ou à leur proximité immédiate afin de répondre à toute demande d'intervention sur les navires, ce qui ne peut en conséquence que s'analyser en un temps de travail effectif devant être rémunéré comme tel ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans rechercher si pendant ces permanences le salarié était à la disposition de l'employeur et ne pouvait vaquer à des occupations personnelles, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 8 avril 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société France mélasses.
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR confirmé la décision entreprise en ce qu'elle a alloué à Monsieur X... sur le principe un rappel d'heures supplémentaires, d'AVOIR infirmé la décision sur le quantum et, statuant à nouveau, d'AVOIR condamné la société SA France Mélasses à régler à Monsieur X... la somme à ce titre de 181 785, 41 et celle de 18 178, 54 € de congés payés afférents, avec intérêts au taux légal partant du 15 mars 2001 ; d'AVOIR condamné la SA France Mélasses à payer à M. Jean-Yves X... les sommes de :-71 057, 37 € de rappel au titre des jours de repos compensateurs avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2001 :-1 000 € d'indemnité pour violation des durées maximales hebdomadaires de travail-1 000 € de dommages-intérêts pour défaut d'information sur les repos compensateurs avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt ; d'AVOIR ordonné la remise par la SA France Mélasses à M. Jean-Yves X... des bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi ainsi que d'un certificat de travail conformes au présent arrêt ; d'AVOIR condamné la SA France Mélasses à verser à M. Jean-Yves X... la somme de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et d'AVOIR condamné la SA France Mélasses aux dépens d'appel ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « M. Jean-Yves X... a été recruté pour une durée indéterminée par la SA Debayser appartenant au groupe France Mélasses aux termes d'une lettre d'embauche ayant pris effet le 27 décembre 1976 en tant que garçon de course-chauffeur, son contrat de travail ayant été repris le 1er juillet 1982 par la Sa Société Européenne des Mélasses (SEM) pour y occuper les fonctions d'employé commercial correspondant de fait à la qualification d'agent technico-commercial. Dès l'année 1982, M. Jean-Yves X... s'est vu progressivement confier des responsabilités dans la surveillance des opérations de chargement et de déchargements des mélasses sur différents sites portuaires en France et à l'étranger. Dans une note du 15 février 1996, la SEM s'adresse ainsi à l'intimé que : « Lors des chargements ou déchargements des navires, nous vous rappelons que votre présence ne doit pas se limiter au début et à la fin du chargement, mais doit être suffisante pour pallier toute difficulté pouvant survenir pendant les opérations »- pièce 8 du salarié. En janvier 1992, il a accédé aux fonctions de cargo superintendant responsable du contrôle du poids et de la qualité des mélasses chargées et déchargées dans différents ports. Sa mission comprenait plus précisément la vérification de la propreté des cuves des navires, le suivi des circuits de déchargement et de chargement ainsi que les opérations de calcul par double pesée. Dans une correspondance du ler juin 2001, trois mois après sa saisine du conseil de prud'hommes de Paris, M. Jean-Yves X... n'a pas manqué de rappeler à son employeur que ses nombreux déplacements professionnels en France et à l'étranger, en l'obligeant à être présent sur les sites concernés suffisamment de temps avant l'arrivée des cargos pour les opérations de déchargement-chargement ou inversement et ainsi de rester sur place tout le temps nécessaire, lui font accomplir un nombre important d'heures supplémentaires dont il sollicite le complet règlement-sa pièce 10. L'appelante a notifié à M. Jean-Yves X... son licenciement pour faute grave par une lettre du 21 novembre 2005. A titre liminaire, il y a lieu de relever que la qualification de cadre reconnue à M. Jean-Yves X... ressort de l'arrêt de la cour d'appel de Paris du 18 mai 2005 définitif sur ce point dès lors que la cassation intervenue, par un arrêt du 23 novembre 2011, porte exclusivement sur la question d'un rappel d'heures supplémentaires, étant en outre observé que le contrat de travail de ce dernier ne comporte aucune clause stipulant une rémunération forfaitaire sous la forme d'une convention individuelle de forfait dans les conditions prévues à l'article L. 3121-39 du code du travail. L'article L. 3121-1 du code du travail dispose que : « La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ». M. Jean-Yves X... a été de fait contraint de se tenir prêt à répondre à un éventuel appel de son employeur de manière à pouvoir intervenir en cas de nécessité durant les opérations de chargement et de déchargement des navires, cela sans obligatoirement être présent à tout moment sur ses différents lieux de travail. En pratique cette présence requise sur des périodes déterminées visait à préparer les conditions de réception des navires dans les ports en vue du chargement ou du déchargement des mélasses, présence nécessaire lors de leur arrivée et jusqu'au début des opérations de pompage après le jaugeage des soutes et l'échantillonnage des tanks, de même qu'à leur départ afin de pouvoir intervenir sur tout type d'événement susceptible de se produire. Contrairement à ce que soutient la Sa France Mélasses, ces périodes d'activité correspondaient en ce qui concerne l'intimé à des permanences qu'il était tenu d'assurer sur les sites portuaires ou à leur proximité immédiate afin de répondre à toute demande d'intervention sur les navires, ce qui ne peut en conséquence que s'analyser en un temps de travail effectif devant être rémunéré comme tel au sens du texte précité. M. Jean-Yves X... verse aux débats une synthèse générale des heures de travail effectuées pour le compte de son employeur sur la période en cause (1996/ 2001) représentant un total de 7 424 heures supplémentaires qui correspondent à des interventions sur différents navires précisément listés, semaine après semaine, avec, pour chacun, indication du port d'arrivée ou de départ-pièces 2/ 1 et 2/ 2. Ses différents bulletins de paie sont tous établis sur une base invariable de 169 heures mensuelles sans prise en compte du temps de travail réellement accompli – pièces 3/ 1 à 3/ 6-, alors qu'il produit des attestations de collègues de travail confirmant qu'il était joignable de manière quasi permanente sur les sites de chargement et de déchargement pièces 19 à 27. En réponse à cette demande suffisamment étayée comme reposant sur des éléments circonstanciés et précis, la SA France Mélasses se contente d'affirmer, au visa de l'article. L. 3171-4 du code du travail, que l'intimé ne fournit pas des données suffisamment complètes sur les horaires prétendument réalisés et qu'elle est en mesure de démontrer quels étaient les horaires exacts de son salarié en faisant état de plannings de congés ou de feuilles individuelles de congés totalement non pertinents sur ce point-ses pièces 1 à 6 et 16. Il convient en conséquence, pour l'ensemble de ces raisons, infirmant le jugement entrepris sur le quantum, de condamner la SA France Mélasses à régler à l'intimé la somme de 181 785, 41 € à titre de rappel d'heures supplémentaires représentant un total de 7 424 heures sur la période 1996/ 2001, ainsi que celle de 18 178, 54 € d'incidence congés payés, avec intérêts au taux légal partant du 15 mars 2001, date de réception par l'employeur de la convocation en bureau de conciliation. La SA France Mélasses sera condamnée à payer à l'intimé la somme de 71 057, 37 € à titre de rappel sur les repos compensateurs afférents qui correspondent à 509 jours restant au 30 avril 2005 (1078 jours de repos compensateurs acquis — 569 jours d'ores et déjà réglés) et auxquels s'ajoutent 37 autres jours entre mai et novembre 2005, ce qui représente un total de 546 jours, avec intérêts au taux légal à compter du 15 mars 2001. Il en est résulté pour l'intimé un préjudice spécifique résultant de la violation par la SA France Mélasses, d'une part, des durées maximales hebdomadaires de travail et, d'autre part, des règles d'information sur les repos compensateurs. L'appelante sera ainsi condamnée à verser à M. Jean-Yves X..., pour chacune de ces mêmes violations, la somme de 1 000 € à titre de dommages-intérêts, avec intérêts au taux légal partant du présent arrêt. Il sera ordonné la remise par la Sa France Mélasses à M. Jean-Yves X... des bulletins de paie, d'une attestation Pôle Emploi ainsi que d'un certificat de travail conformes au présent arrêt sans le prononcé d'une astreinte. L'appelante sera condamnée en équité à payer à M. Jean-Yves X... la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux dépens d'appel » ;
AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE « que Monsieur Jean-Yves X... réclame des rappels d'heures supplémentaires pour la période de janvier 1996 à mars 2001 ; Qu'il résulte tant de son contrat de travail que de la lettre émanant du Directeur Général, le 15 février 1996 que ses horaires de travail étaient de 9 H à 12 H et de 13 H à 17H48 ; Que ce courrier précise néanmoins " lors des chargements ou déchargements des navires nous vous rappelons que votre présence ne doit pas se limiter au début et à la fin du chargement, mais doit être suffisante pour pallier toute difficulté pouvant survenir pendant les opérations " ; qu'il résulte de l'article L. 212-4 du Code du Travail, en sa rédaction antérieure à la loi du 13 juin 1998 applicable à l'espèce pour partie que pour établir la durée du travail ne doivent être pris en compte que les heures consacrées à une activité productive ; Qu'ensuite, la définition légale du temps de travail impose la seule prise en compte du travail effectif ; qu'en l'espèce le litige porte sur les heures qualifiées de supplémentaires par le salarié, effectuées lors de déplacements hors des bureaux de Paris, dans les ports où il devait contrôler la mélasse que l'employeur commercialisait ; Que si l'employeur prétend que l'intervention de Monsieur Jean-Yves X... se bornait à une intervention à l'arrivée et au départ des bateaux, il résulte de la lettre susvisée que son intervention ne pouvait se borner à ces simples interventions mais " être suffisante pour pallier toute difficulté " pouvant survenir au cours des opérations de chargement et de déchargement des bateaux ; que s'il est exact, comme le soutient encore l'employeur que les temps libres entre les interventions, les temps de repas et sommeil ne constituent pas un travail effectif, il résulte des attestations produites, dont celle contestée devant la juridiction pénale doit être exclue, que suivant les horaires des bateaux et les horaires des marées le chargement et le déchargement des bateaux contenant la mélasse, qui sont de type " tankers ", amenait Monsieur Jean-Yves X... à intervenir à tout moment, même au cours de la nuit ; Que Messieurs Y..., Z..., A..., B..., C... et D... l'attestent et déclarent, en ayant été témoins directs que Monsieur Jean-Yves X... était toujours joignable et présent sur le lieu des opérations dès nécessaire, de jour comme de nuit sur chaque port où il intervenait et où ils étaient respectivement responsables ou employés ; en conséquence que les heures contestées au cours desquelles le salarié doit être, de façon permanente, en mesure de répondre à toute sollicitation afin d'assurer la mission confiée par l'employeur constituent des heures de travail effectif ; Qu'en effet, pendant ces heures, il se trouve effectivement à la disposition permanente de son employeur puisque prêt à tout moment à intervenir, sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; Que d'ailleurs les pièces produites " statement of facts " établissent diverses interventions entre 18 H et 8 H du matin le lendemain au cours de la période considérée sur les " Sea Flowers " " Anna Théréza " " Paras " " Laconie " Chem Pioneer " et autres tankers objets de ces rapports dont copie est versée au dossier, et corroborent les attestations susvisées ; en conséquence, qu'à défaut pour l'employeur de produire les éléments de nature à justifier les horaires qu'il prétend avoir été exécutés par Monsieur Jean-Yves X..., il sera intégralement fait droit à la demande de ce dernier ; Qu'en effet, l'employeur pour établir le calcul complet de la rémunération de Monsieur Jean-Yves X... et le seul reliquat d'heures supplémentaires reconnu, se borne à présenter une correction manuscrite des calculs de ce dernier, au crayon, sans produire la moindre pièce de nature à étayer ces corrections ou à les expliciter, les tableaux produits au titre de ses propres calculs n'étant par ailleurs pas assortis de justificatifs sérieux, mais de pièces internes à l'entreprise dont certaines sont raturées et ne sont en tout état de cause pas explicites ni incontestables ; que l'équité impose d'accueillir la demande formée en application de l'article 700 du Nouveau Code de Procédure Civile, mais de la réduire » ;
1°) ALORS QUE constitue un temps de travail effectif le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l'employeur et doit se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles ; qu'en l'espèce, Monsieur X... a produit un décompte des heures supplémentaires qu'il prétendait avoir effectuées lors des permanences sur les sites portuaires sur la base duquel il a sollicité le paiement de l'intégralité des heures comprises entre l'heure de départ de son domicile et l'heure de retour à son domicile, trajets compris, prétendant ainsi avoir travaillé 24 heures sur 24 pendant plusieurs jours d'affilée (cf. prod. 6) ; que la Cour d'appel, qui a retenu que le temps de travail effectif lors des permanences que Monsieur X... était tenu d'assurer sur les sites portuaires était circonscrit aux opérations de chargement et de déchargement des navires, c'est-à-dire à leur arrivée jusqu'au début des opérations de pompage et à leur départ (arrêt p. 3, § 10 et 11), a néanmoins fait droit à l'intégralité des demandes du salarié ; qu'en statuant de la sorte, la Cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail ;
2°) ALORS, EN TOUT ETAT DE CAUSE, QU'en entérinant purement et simplement le décompte des heures supplémentaires produit par Monsieur X..., sans rechercher si les horaires mentionnés correspondaient au temps de travail effectif dont elle avait elle-même défini les contours, c'est-à-dire à l'arrivée des navires jusqu'au début des opérations de pompage et à leur départ (arrêt p. 3, § 10 et 11), la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles L 3121-1 et L. 3171-4 du code du travail ;
3°) ALORS QUE les jugements doivent être motivés à peine de nullité ; que les juges du fond ne peuvent se prononcer sur une demande sans examiner, fût-ce sommairement, les éléments de preuve produits ; qu'en l'espèce, la société FRANCE MELASSES avait contesté l'exactitude des décomptes produits par le salarié en faisant valoir qu'ils « comportent de nombreuses erreurs : celles-ci portent sur 40 jours déclarés abusivement comme correspondant à des missions à l'extérieur » (conclusions d'appel, p. 16) ; qu'elle a identifié avec précision les inexactitudes des décomptes produits par le salarié en évoquant « pour la seule année 1996 :- le 8 janvier correspond à un jour de travail au bureau,- le 8 avril correspond à un jour férié,- le 5 juillet (feuille n° 18 de M. X...) correspond à un jour de vacances,- le 3 septembre (feuille n° 21 de M. X...) correspond à un jour de récupération,- les 2 et 3 octobre (feuille n° 24 de M. X...), correspondent à des jours de récupération,- le 8 novembre (feuille n° 26 de M. X...), correspond à un jour de récupération » (conclusions d'appel, p. 16 et 17) ; que la société a produit, à l'appui de sa contestation du décompte établi par salarié, les plannings de congés et les feuilles individuelles de congés signées par ce dernier, prouvant ainsi qu'il n'avait pas effectué les prétendues heures supplémentaires puisqu'il se trouvait en congé ou au bureau (cf. prod. 7 et 8) ; que la Cour d'appel, qui se borne à affirmer que ces pièces seraient « totalement non pertinentes » (arrêt p. 4, § 3) sans procéder à la moindre analyse, même sommaire, desdites pièces, a méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile.