LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Auchan France (la société Auchan) a lancé dans l'un de ses magasins situé à Marne-la-Vallée une campagne publicitaire qui comparait le prix de quatorze produits de consommation courante, vendus par deux magasins Carrefour du département du Val-de-Marne, exploités respectivement par la société Carrefour hypermarchés et la société CSF France (les sociétés Carrefour) ; qu'estimant que la société Auchan avait effectué une publicité comparative illicite et trompeuse, les sociétés Carrefour l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts pour concurrence déloyale et dénigrement ;
Sur le premier moyen, pris en sa quatrième branche :
Vu l'article L. 121-8 du code de la consommation ;
Attendu que pour dire que la société Auchan a commis des actes de concurrence déloyale et de dénigrement au détriment des sociétés Carrefour en effectuant une publicité comparative illicite utilisant le slogan "Une preuve de plus qu'Auchan est moins cher" et pour, en conséquence, la condamner à verser la somme de 30 000 euros à la société Carrefour hypermarchés et celle de 15 000 euros à la société CSF France à titre de dommages-intérêts, l'arrêt, après avoir relevé que la publicité comparative vise à démontrer, par la comparaison des prix de quatorze produits de grande marque, que Auchan est moins cher que l'enseigne Carrefour dont deux magasins sont nommément désignés, retient que cette publicité ne repose pas sur un panel suffisamment représentatif de produits couramment consommés ; qu'il en déduit qu'une telle publicité, qui ne remplit pas la condition d'objectivité exigée par l'article L. 121-8 du code de la consommation, n'est pas licite ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans décrire les produits comparés, ni rechercher concrètement s'ils étaient représentatifs des différentes catégories de produits couramment consommés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Sur le même moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu l'article L. 121-8 du code de la consommation ;
Attendu que pour statuer comme il fait, l'arrêt retient encore que la publicité repose uniquement sur des produits sélectionnés par la société Auchan elle-même ;
Qu'en se déterminant ainsi, par un motif impropre à caractériser l'absence de condition d'objectivité, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
Et sur le second moyen, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article L. 121-9, 2° du code de la consommation ;
Attendu que pour qualifier la publicité de dénigrante, l'arrêt retient que la véracité de la publicité comparative dont le slogan véhicule l'idée que les magasins exploités par les sociétés Carrefour pratiquent des prix nettement, voire très supérieurs à ceux de la société Auchan, n'est ni démontrée ni vérifiable par les consommateurs ;
Qu'en se déterminant ainsi, par un motif inopérant, la cour d'appel a privé sa décision de base légale ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 18 septembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne la société Carrefour hypermarchés et la société CSF aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, les condamne à payer à la société Auchan France la somme globale de 3 000 euros et rejette leur demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du douze avril deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat aux Conseils, pour la société Auchan France
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la société AUCHAN avait commis des actes de concurrence déloyale et de dénigrement au détriment de la société CARREFOUR HYPERMARCHES et de la société CSF FRANCE en effectuant à la fin de l'année 2009 une publicité comparative illicite utilisant le slogan « Une preuve de plus qu'Auchan est moins cher » et d'avoir, en conséquence, condamné la société AUCHAN à verser la somme de 30 000 euros à la société CARREFOUR HYPERMARCHES et la somme de 15 000 euros à la société CSF FRANCE à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de cette publicité ;
AUX MOTIFS QUE les sociétés CARREFOUR font valoir que la publicité effectuée par la société AUCHAN FRANCE dans son magasin de Marne-la-Vallée dans la seconde quinzaine du mois de novembre 2009 est trompeuse par la méthode de calcul des pourcentages mentionnés dans la publicité plus favorable pour elle, qui ne correspond pas à la méthode qui aurait dû être appliquée compte tenu de la teneur du slogan et ce dans le seul but de creuser l'écart en sa faveur ; qu'il résulte des dispositions de l'article L. 121-8 du code de la consommation que toute publicité qui met en comparaison des biens ou services en identifiant, implicitement ou explicitement, un concurrent ou des biens ou services offerts par un concurrent n'est licite que si elle n'est pas trompeuse ou de nature à induire en erreur, si elle porte sur des biens ou services répondant aux mêmes besoins ou ayant le même objectif et si elle compare objectivement une ou plusieurs caractéristiques essentielles, pertinentes, vérifiables et représentatives de ces biens et services, dont le prix peut faire partie ; que des photographies versées aux débats il résulte que les affiches publicitaires de grande taille en cause montrent chacune un produit de grande marque en indiquant son prix de vente, le 13 novembre 2009, au magasin AUCHAN VAL d'Europe et en dessous son prix de vente dans le magasin CARREFOUR Bay 2 ou CARREFOUR Coupvray ; que cette publicité comparative est licite et non contestée ; que les affiches publicitaires mentionnent, après le prix AUCHAN et avant le prix CARREFOUR, un pourcentage négatif, qui indique au consommateur de quel pourcentage le magasin AUCHAN est moins cher par rapport au magasin CARREFOUR qui lui est comparé ; que les sociétés CARREFOUR produisent un tableau reprenant les prix et les pourcentages portés sur les affiches publicitaires, qui comporte notamment des colonnes intitulées « Baisse affichée AUCHAN » et « Baisse calculée CARREFOUR », qui montre que le pourcentage varie, certaine fois de façon significative, selon qu'il est calculé par AUCHAN ou par CARREFOUR, sans que soit précisée la règle arithmétique utilisée dans chaque cas ; qu'il apparaît des exemples de calcul contenus dans les conclusions des sociétés CARREFOUR que la méthode de calcul préconisée par ces sociétés (Prix de vente concurrent – Prix de vente annonceur) / Prix de vente annonceur x 100 est celle qui a été utilisée par la société AUCHAN FRANCE pour calculer le pourcentage correspondant à l'écart de prix en faveur de son magasin et que les pourcentages mentionnés dans la rubrique « Baisse calculée CARREFOUR » sont calculés avec la formule arithmétique contestée par les sociétés CARREFOUR ; qu'il n'est ainsi pas démontré que la formule arithmétique utilisée par la société AUCHAN FRANCE n'était pas exacte et que la publicité comparative était trompeuse ; que cette publicité comparative est faite sous le slogan « Une preuve de plus qu'AUCHAN est moins cher » ; que la publicité vise donc à démontrer, par la comparaison des prix de 14 produits de grande marque, que « AUCHAN est moins cher » que les autres distributeurs ; que bien que cette affirmation soit de portée générale, la comparaison concerne explicitement l'enseigne CARREFOUR dont deux magasins sont nommément désignés ; que cette publicité dont l'objet est de démontrer que la société AUCHAN pratique des prix inférieurs à ceux des autres distributeurs et notamment à ceux des sociétés CARREFOUR, ne repose pas sur un panel suffisamment représentatif de produits couramment consommés, mais uniquement sur 14 produits sélectionnés par la société AUCHAN elle-même ; qu'en conséquence, une telle publicité comparative, qui ne remplit pas la condition d'objectivité exigée par l'article L. 121-8 du code de la consommation, n'est pas licite ;
1°) ALORS QUE la comparaison du prix de plusieurs produits est objective et représentative au sens de l'article L. 121-8 du code de la consommation lorsque la publicité présente des produits appartenant aux diverses catégories de produits couramment consommés ; que le défaut d'objectivité et représentativité d'une publicité ne saurait se déduire du seul nombre de produits utilisés dans la comparaison ; qu'en l'espèce, en retenant, pour exclure le caractère objectif et représentatif de la publicité litigieuse, que la comparaison des prix reposait uniquement sur 14 produits, la cour d'appel a violé le texte précité ;
2°) ALORS QU'en se référant, pour apprécier si la condition d'objectivité posée par l'article L. 121-8, 3° du code de la consommation était remplie, au slogan et à l'objectif poursuivi par la publicité litigieuse dont la subjectivité n'est pourtant pas en soi illicite et dont elle avait exclu le caractère trompeur, la cour d'appel a encore violé le texte susvisé ;
3°) ALORS QUE le principe du contradictoire exige que les motifs sur lesquels se fonde le juge aient pu faire l'objet d'un débat contradictoire ; qu'à supposer que la cour d'appel ait considéré qu'en l'espèce, les produits sélectionnés pour la publicité n'étaient pas, par leur nature, représentatifs des différentes catégories de produits couramment consommés, un tel moyen n'avait pas été soulevé par les sociétés CARREFOUR ; qu'en relevant d'office ce moyen, sans inviter les parties à présenter leurs observations, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
4°) ALORS QU'en tout état de cause, en estimant que la publicité n'était pas objective, sans décrire les différents produits sélectionnés ni rechercher concrètement s'ils n'étaient pas représentatifs des différentes catégories de produits couramment consommés, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-8 du code de la consommation ;
5°) ALORS QUE la simple circonstance que la société AUCHAN ait elle-même sélectionné les produits choisis pour la comparaison ne permet pas de présumer que ces produits n'étaient pas représentatifs des différentes catégories de produits couramment consommés ; qu'en se fondant sur un tel motif inopérant pour considérer que la condition d'objectivité n'était pas remplie, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-8 du code de la consommation.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la société AUCHAN avait commis des actes de concurrence déloyale et de dénigrement au détriment de la société CARREFOUR HYPERMARCHES et de la société CSF FRANCE en effectuant à la fin de l'année 2009 une publicité comparative illicite utilisant le slogan « Une preuve de plus qu'Auchan est moins cher » et d'avoir, en conséquence, condamné la société AUCHAN à verser la somme de 30 000 euros à la société CARREFOUR HYPERMARCHES et la somme de 15 000 euros à la société CSF FRANCE à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi du fait de la diffusion de cette publicité ;
AUX MOTIFS QUE selon les dispositions de l'article L. 121-9, 2° du code de la consommation une publicité comparative ne peut entraîner le discrédit ou le dénigrement des marques, noms commerciaux, autres signes distinctifs, biens, services, activité ou situation d'un concurrent ; que la publicité comparative telle que diffusée par la société AUCHAN FRANCE dans son magasin de Marne-la-Vallée comporte un slogan qui véhicule l'idée que les magasins exploités par les sociétés CARREFOUR pratiquent des prix nettement, voire très supérieurs à ceux de la société AUCHAN ; qu'une telle publicité, dont la véracité n'est ni démontrée, ni vérifiable par les consommateurs, présente un caractère dénigrant à l'égard des sociétés CARREFOUR ;
1°) ALORS QUE la cour d'appel a constaté que le slogan litigieux était « Une preuve de plus qu'AUCHAN est moins cher » ; qu'elle en a déduit que ce slogan véhiculait l'idée que les prix pratiqués par les concurrents de la société AUCHAN étaient « nettement, voire très supérieurs » aux prix pratiqués par cette dernière ; qu'en exagérant ainsi le sens clair et précis du slogan, dont il résultait simplement que les produits AUCHAN étaient moins chers que ceux de ses concurrents, et non « nettement » moins chers, la cour d'appel a dénaturé le texte de la publicité litigieuse et violé l'article 1134 du code civil ;
2°) ALORS QUE la circonstance que la véracité du slogan ne soit ni démontrée ni vérifiable par les consommateurs relève non pas de la question du caractère dénigrant de la publicité, mais de celle de son caractère objectif ; qu'en se fondant sur un tel motif inopérant pour qualifier la publicité de dénigrante, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-9, 2° du code de la consommation ;
3°) ALORS QUE le caractère dénigrant d'une publicité résulte de la mise en avant d'une caractéristique négative du produit concurrent ; que la simple comparaison des prix de deux produits identiques ne peut être qualifiée de dénigrante ; qu'en estimant que la publicité présentait un caractère dénigrant, sans relever qu'elle mettait en avant une caractéristique négative des produits des sociétés CARREFOUR, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-9, 2° du code de la consommation.