LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué et les productions, que la société Crédit immobilier de France Méditerranée (la banque) a consenti à M. et Mme X... un prêt à taux révisable destiné à financer l'achat d'un terrain et la construction d'une habitation ; qu'à la suite de difficultés de remboursement des échéances du prêt puis de l'engagement par la banque d'une procédure de saisie immobilière, M. et Mme X... l'ont assignée en paiement de dommages-intérêts en lui imputant des manquements à ses obligations contractuelles d'information et de mise en garde ; que Mme X... ayant été mise en liquidation judiciaire, Mme Y...a été désignée en qualité de liquidateur ;
Sur le moyen unique, pris en sa deuxième branche :
Vu l'article 1147 du code civil ;
Attendu que pour qualifier M. et Mme X... d'emprunteurs avertis, l'arrêt retient, par motifs propres et adoptés, que, respectivement cadre dirigeant dans une importante société immobilière et chirurgien dentiste dans un cabinet prospère, ils exerçaient au moment de l'octroi du prêt des activités professionnelles à responsabilité et rémunératrices, et qu'ils avaient procédé auparavant à une acquisition immobilière ;
Qu'en se déterminant par de tels motifs, impropres à établir que les emprunteurs étaient avertis, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
Et sur le moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que l'arrêt retient encore que le prêt litigieux, qui portait le taux d'endettement des emprunteurs à 33 % du montant de leurs revenus prévisibles tels qu'ils les annonçaient eux-mêmes, était adapté à leurs capacités financières ;
Qu'en statuant ainsi, sans répondre aux conclusions de M. et Mme X... faisant valoir que la banque avait accordé le prêt sur la base d'une estimation erronée de leurs revenus conduisant à une charge de remboursement égale à 46 % du montant de ceux-ci et que les emprunteurs, dont l'apport personnel ne représentait que 3, 2 % de la somme empruntée, avaient contracté un autre prêt en cours de remboursement, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 6 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Nîmes ;
Condamne la société Crédit immobilier de France Méditerranée aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à M. X... ainsi qu'à Mme Y..., en qualité de liquidateur judiciaire de Mme X..., la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du cinq avril deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X... et Mme Y..., ès qualités.
Il est fait grief à la Cour d'appel d'Aix En Provence d'avoir débouté M. X... et Mme Z...de leur action en responsabilité contre le CIFM ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les Epoux X... font valoir qu'au moment du prêt, en novembre 2006, M. X... occupait un emploi de développeur de réseaux de débits de boissons et Mme Z...était chirurgien-dentiste ; que M. X... autodidacte avait débuté sa carrière dans la restauration avant d'évoluer vers le développement de la franchise en tant que commercial ; qu'il avait créé une société en juin 2007 qui a été dissoute le 2 juillet 2008 ; qu'il a ensuite créé une société d'importation de meubles, dissoute le 9 mars 2011 ; qu'il a encore créé avec une autre personne une agence immobilière le 8 octobre 2010 mais en a démissionné le 29 août 2011 n'ayant aucune expérience dans ce domaine ; que ces expériences montrent qu'il n'était pas un emprunteur averti ; que les Epoux X... reprochent au CIFM de n'avoir pas vérifié leur capacité financière avant de leur accorder un prêt excessif et d'avoir manqué à son devoir de mise en garde ; qu'il s'évince des éléments qu'ils communiquent eux-mêmes, qu'ils étaient des emprunteurs avertis, contrairement à ce qu'ils soutiennent, ceci résultant des activités rémunératrices et à responsabilité qui ont été les leurs, le fait étant qu'au moment de l'octroi du prêt M. X... était cadre niveau 6 chez INBEV France au salaire de 57. 000 euro par an (contrat de travail pièce 3) et qu'il a perçu un salaire net imposable de 7. 320, 20 euro en juin 2006 outre une prime annuelle variable entre 15. 000 et 19. 500 euro (pièce 1 et 2) ; que Mme Z...était chirurgien-dentiste à la tête d'un cabinet prospère à COGOLIN (Var) depuis le 6 juillet 2006, les bilans de son prédécesseur et le prévisionnel qu'elle a communiqués augurant d'un revenu qui ne pouvait être inférieur à 9. 718, 10 euro par mois, retenu par le CIFM après un abattement pratiqué par prudence ; que dans ces conditions pour avoir été déjà confrontés au circuit de distribution du crédit et au risque de l'endettement dans un cadre professionnel et pour avoir une première fois auparavant fait une acquisition immobilière, ils n'étaient créanciers d'aucun devoir de mise en garde du prêteur, le fait n'étant ni allégué ni établi que le CIFM avait sur leurs capacité de remboursement ou sur les risques de l'opération financée des informations qu'ils ignoraient euxmêmes ; que surabondamment il sera relevé que le projet était en rapport avec les revenus du couple et les perspectives d'activité de Mme Z...puisque portant leur taux d'endettement à hauteur de 33 % du montant de leur revenus prévisibles tels que présentés par eux-mêmes ;
1/ ALORS QUE le banquier qui a accordé à des particuliers un prêt immobilier à taux variable doit démontrer qu'il n'était pas tenu d'une obligation de conseil et de mise en garde dès lors que les emprunteurs étaient avertis lors de l'octroi du crédit ou dans le cas contraire, qu'il a satisfait à cette obligation ; qu'en subordonnant la responsabilité de l'établissement de crédit à la condition que les coemprunteurs aient démontré que le banquier avait sur la capacité de remboursement des emprunteurs ou sur les risques de l'opération financée des informations qu'ils ignoraient eux-mêmes, la cour d'appel a violé l'article 1147 du Code civil ensemble l'article 1315 du même Code ;
2/ ALORS SUBSIDIAIREMENT QUE le banquier dispensateur de crédit est tenu d'une obligation d'information et de mise en garde vis-à-vis de l'emprunteur non averti ; que ni l'exercice d'une activité rémunératrice et à responsabilité ni le fait d'avoir effectué une première acquisition immobilière, ne sont à elles seules propres à établir que deux co-emprunteurs ayant recours à un prêt à taux variable pour financer l'acquisition d'un terrain et la construction d'une maison d'habitation, étaient des emprunteurs avertis ; qu'en fondant son appréciation sur ces seules circonstances, impropres à établir que les co-emprunteurs étaient avertis, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du code civil ;
3/ ALORS QUE dans leurs conclusions, aux fins d'indemnisation, les Epoux X... avaient soutenu que M. X... qui était un autodidacte dans son métier de « développeur de réseau de clientèle dans le secteur de la restauration » exercé lors de l'octroi du prêt, n'avait aucune compétence en matière de crédit puisqu'il ne prenait en charge que la partie commerciale, l'un de ses collègues M. A...s'occupant du montage des dossiers de financement (cf. conclusions, p. 7 et 8) ; qu'avait été offert en preuve une attestation de M. A...; que ce moyen était péremptoire dans la mesure où lorsque le crédit est souscrit par deux co-emprunteurs, il appartient à la banque qui veut s'exonérer du devoir de mise en garde, d'établir que les deux co-emprunteurs sont avertis ; qu'en s'abstenant de répondre à ces conclusions la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
4/ ALORS QUE les juges ne peuvent fonder leur décision sur des faits qui ne sont pas dans le débat ; que pour dispenser la banque de toute obligation de conseil et de mise en garde, la cour d'appel a considéré que M. X... et Mme Z...avaient déjà été confrontés aux circuits de distribution du crédit et au risque de l'endettement dans un cadre professionnel ; qu'en retenant cette circonstance de fait qui n'était pas dans le débat et qui ne résultait pas nécessairement de leurs professions de cadre d'entreprise et de chirurgien-dentiste, la cour d'appel a violé l'article 7 du code de procédure civile ;
5/ ALORS QUE dans leurs conclusions d'appel M. X... et Mme Z...avaient soutenu que le CIFM avait accordé le prêt à taux variable sur la base d'une estimation erronée des revenus du couple (qui étaient non pas de 15. 412 euro mais de 11. 297 euro mensuels) de sorte que les échéances prévisibles du prêt à taux variable représentaient à la date de la conclusion du contrat 46 % des revenus du couple, que, de plus, les deux co-emprunteurs étaient déjà engagés par un autre prêt en cours de remboursement que, de plus encore, l'apport personnel des co-emprunteurs ne représentait que 3, 2 % du montant emprunté … et qu'enfin, loin d'avoir demandé un prévisionnel établi par un expert-comptable quant aux perspectives de revenus résultant de la reprise du cabinet de chirurgie dentaire par Mme Z..., le CIFM s'était borné à demander une simulation établie par Mme Z...elle-même ; qu'avaient notamment été offerts en preuve l'offre de prêt, la simulation de financement, le contrat de travail de M. X... et la copie de la simulation effectuée par Mme Z...; que ces moyens étaient péremptoires dès lors que la cour d'appel devait déterminer si la banque s'était informée selon ses obligations et si le crédit était adapté aux facultés de remboursement des emprunteurs ; qu'en considérant sans répondre à ces conclusions que, « surabondamment », « le projet était en rapport avec les revenus du couple », la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
6/ ET ALORS ENFIN QU'après avoir constaté que le CIFM avait octroyé un prêt à taux variable sur 25 ans à M. X... et à Mme Z..., la cour d'appel devait rechercher si l'établissement de crédit sur qui reposait la preuve de l'exercice du devoir d'information et de mise en garde, avait précisément appelé l'attention des emprunteurs sur la surcharge financière susceptible de résulter de l'application de taux d'intérêts variables pour ce prêt de longue durée ; qu'en s'abstenant de procéder à cette recherche, avant de statuer comme elle l'a fait, la cour d'appel n'a pas justifié légalement sa décision au regard de l'article 1147 du code civil.