Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Benoît X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel d'ORLÉANS, chambre correctionnelle, en date du 15 avril 2014, qui, pour faux et usage, escroquerie, tromperie, utilisation frauduleuse du signe " agriculture biologique ", l'a condamné à un an d'emprisonnement avec sursis, 30 000 euros d'amende et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 20 janvier 2016 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, Mme Pichon, conseiller rapporteur, M. Soulard, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de Mme le conseiller référendaire PICHON, les observations de la société civile professionnelle THOUIN-PALAT et BOUCARD, de Me RICARD, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général LE BAUT ;
Vu les mémoires produits en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de procédure que, par ordonnance du juge d'instruction, en date du 22 décembre 2010, dans le cadre d'une information judiciaire ouverte le 30 mai 2001, M. X..., gérant d'une société spécialisée dans le négoce de céréales, graines et produits phytosanitaires, a été renvoyé devant le tribunal correctionnel, des chefs de faux et usage, escroquerie, tromperie et utilisation frauduleuse du signe " agriculture biologique " ; qu'il a été relaxé des chefs de faux et usage, déclaré coupable des autres infractions et condamné à un an d'emprisonnement avec sursis et 30 000 euros d'amende ; que les premiers juges ont prononcé sur les intérêts civils ; que le prévenu, le procureur de la République et les parties civiles ont interjeté appel ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles préliminaire, 398, 510, 512, 591, 592, 593 du code de procédure pénale et 6 de la Convention européenne des droits de l'homme ;
" en ce que l'arrêt attaqué, qui a rejeté les exceptions de procédure soulevées par M. X..., est entré en voie de condamnation à l'encontre de ce dernier, a statué sur la répression et les intérêts civils, a été rendu au terme d'une audience des débats tenue devant une juridiction irrégulièrement composée ;
" alors que tout jugement ou arrêt doit établir la régularité de la composition de la juridiction qui l'a rendu ; que la chambre des appels correctionnels est composée d'un président de chambre et de deux conseillers ; qu'il résulte de l'arrêt attaqué, d'une part, que la cour d'appel était composée lors des débats, du délibéré et du prononcé de l'arrêt, notamment, de Mme Madec, conseiller faisant fonction de président de chambre, désignée par ordonnance, en date du 17 février 2014, de Mme le premier président de la cour d'appel d'Orléans, et d'autre part, que l'audience des débats s'est déroulée le 12 février 2014, sous la présidence de Mme Madec, soit antérieurement à sa désignation par l'ordonnance précitée du 17 février 2014 ; qu'un tel arrêt, qui a été rendu au terme d'une audience des débats tenue devant une juridiction irrégulièrement composée, encourt la nullité " ;
Attendu que le moyen, qui fait valoir que l'arrêt attaqué a été rendu par une composition présidée par un magistrat désigné par une ordonnance du premier président postérieure aux débats est inopérant, dès lors qu'il se déduit des mentions de l'arrêt que le président titulaire était empêché et qu'en l'absence de son remplacement par une ordonnance antérieure aux débats, l'audience devait être présidée, conformément aux dispositions de l'article R. 312-3 du code de l'organisation judiciaire, par le magistrat du siège présent dont le rang était le plus élevé ; qu'il n'est pas contesté que tel fut le cas ;
Sur le deuxième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 47, alinéa 2, de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué, qui a rejeté les exceptions de procédure soulevées par M. X..., est entré en voie de condamnation à l'encontre de ce dernier, a statué sur la répression et les intérêts civils, à l'issue d'une procédure ayant excédé un délai raisonnable ;
" aux motifs qu'il est constant en l'espèce, comme l'a pertinemment relevé la chambre de l'instruction de cette cour dans son arrêt du 27 janvier 2011 ayant modifié les obligations du contrôle judiciaire de M. X..., que la durée de la procédure d'information, que ne peut expliquer la complexité des faits reprochés aux trois prévenus, excède « de très loin » le délai raisonnable dans lequel toute personne à droit à ce que sa cause soit entendue ; que la plainte initiale date du 8 novembre 2000, que l'enquête diligentée par la brigade des recherches de Tours, saisie par le parquet le 17 novembre 2000, a donné lieu à l'ouverture d'une information judiciaire le 30 mai 2001, les mises en examen étant intervenues la même année ; que, le 22 novembre 2001, le parquet a requis la mise en examen supplétive de M. X...pour tromperie sur les qualités substantielles de 483 955 tonnes de blé tendre issues d'une cargaison du navire ukrainien Northern Lady en mars 1999, et utilisation frauduleuse d'une certification ; que, ce n'est cependant que le 25 juillet 2008 que M. X...a été entendu sur ces faits nouveaux ; que, l'ordonnance de renvoi est intervenue le 22 décembre 2010 et le jugement sur le fond le 7 février 2013, soit environ quatorze ans après les faits ; qu'il est encore constant que le non-respect du délai raisonnable dans la conduite de l'information a été de nature à générer un état d'anxiété, des désagréments et des incertitudes quant aux résultats de la procédure ; qu'il se déduit, toutefois, des articles préliminaire du code de procédure pénale et 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme que si la méconnaissance du délai raisonnable peut ouvrir droit à réparation sur le fondement de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, l'Etat étant en effet « tenu de réparer les dommages causés par le fonctionnement défectueux du service de la justice », elle est sans incidence sur la validité des procédures (chambre criminelle 24 avril 2013, bulletin criminel 2013, n° 100) ; qu'il n'en va pas différemment du manquement allégué à l'article 47, alinéa 2, de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne, invoqué par le demandeur à l'exception ; que cette lecture ne se heurte pas davantage à l'article 171 du code de procédure pénale qui ne concerne que les nullités encourues au stade de l'instruction préparatoire, lesquelles ne peuvent plus, sauf exception, être invoquées postérieurement au règlement de la procédure en application des dispositions des articles 175 et 385 du code de procédure pénale, alors que l'article 6, § 1, de la Convention européenne des droits de l'homme concerne exclusivement les juridictions appelées à se prononcer sur le fond, de sorte qu'elles ne peuvent être invoquées contre les décisions des juridictions d'instruction qui ne préjugent pas de la culpabilité ; qu'ainsi, la primauté du droit au recours indemnitaire sur le droit à l'annulation de la procédure, actuellement prônée par la chambre criminelle, s'explique-t-elle par le principe d'une bonne administration de la justice qui vise à préserver les procédures et qui se trouve également consacré par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, mais dont la portée est plus générale que le principe de célérité des procédures judiciaires (CEDH, 12 octobre 1992, Boddaert c/ Belgique) ; qu'accueillir l'exception soulevée par l'avocat de M. X..., dont l'argumentation est reprise par les avocats de MM. Laurent Z...et Freddy A..., conduirait par conséquent à ne faire aucun cas des infractions imputées aux prévenus et à dénier la qualité de victime éventuelle à la collectivité nationale, ainsi définitivement privée de son droit à en solliciter la réparation, alors qu'une fois l'ensemble des voies de recours épuisées, les prévenus conserveront quant à eux la faculté d'agir sur le fondement des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire ;
" alors que la violation du droit à être jugé dans un délai raisonnable entraîne la nullité de la procédure ; qu'en décidant le contraire aux motifs inopérants qu'admettre une telle nullité reviendrait à ne faire aucun cas des infractions imputées aux prévenus et à dénier la qualité de victime éventuelle à la collectivité nationale, ainsi définitivement privée de son droit à en solliciter la réparation, cependant qu'une fois l'ensemble des voies de recours épuisées, les prévenus conserveront quant à eux la faculté d'agir sur le fondement des dispositions de l'article L. 141-1 du code de l'organisation judiciaire, la cour d'appel a méconnu les textes et principes susvisés " ; Attendu que la méconnaissance du délai raisonnable, à la supposer établie, est sans incidence sur la validité des procédures ;
D'où il suit que le moyen est inopérant ;
Sur le troisième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 179, 184, 186, 385, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir négatif ;
" en ce que l'arrêt attaqué, qui a rejeté les exceptions de procédure soulevées par M. X..., est entré en voie de condamnation à l'encontre de ce dernier, a statué sur la répression et les intérêts civils ;
" aux motifs que, sur l'imprécision des poursuites, ce moyen a été soulevé au stade de l'information dans le cadre des dispositions de l'article 175 du code de procédure pénale ; qu'il sera ici rappelé que c'est l'ordonnance de renvoi, qui comporte l'énoncé des éléments à charge et à décharge retenus à l'encontre des prévenus et des faits poursuivis, qui saisit la juridiction répressive et non la citation à comparaître ultérieurement délivrée, qui a pour seule finalité d'indiquer à la personne poursuivie la date, l'heure et le lieu de l'audience ; que, dans un arrêt du 2 mars 2011, la chambre criminelle de la Cour de cassation a rappelé que « l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel dont les juges d'appel ont, sans insuffisance ni contradiction, constaté qu'elle précisait les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen, en l'absence d'observation des parties, satisfaisait aux exigences de l'article 184 du code de procédure pénale » ; qu'en l'espèce, le magistrat instructeur a répondu de manière détaillée à l'argumentation développée par l'avocat de M. X...qui, postérieurement au réquisitoire définitif, a formulé des observations le 12 octobre 2010, dans le cadre des dispositions de l'article 175 du code de procédure pénale, observations auxquelles le magistrat instructeur a répondu par point, étant observé que la cour saisie de l'appel des prévenus, des parties civiles et du parquet contre le jugement du tribunal correctionnel de Tours n'a pas à apprécier la pertinence de la motivation retenue par le magistrat instructeur ; que l'ordonnance de renvoi, qui contient l'énoncé détaillé des charges retenues contre les prévenus et des faits poursuivis, n'encourt, dès lors, aucune critique, étant encore observé que la juridiction répressive, saisie in rem, n'est pas liée par les qualifications retenues ; qu'il convient, dès lors, de confirmer, mais par substitution de motifs, le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception de nullité soulevée ;
" 1°) alors que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel indique la qualification légale du fait imputé à la personne mise en examen et, de façon précise, les motifs pour lesquels il existe contre elle des charges suffisantes ; que cette motivation est prise au regard des réquisitions du ministère public et des observations des parties qui ont été adressées au juge d'instruction en application de l'article 175, en précisant les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen ; que la juridiction de jugement est tenue de contrôler la régularité de l'ordonnance au regard des exigences légales ; qu'en s'abstenant, en l'espèce, de contrôler la régularité de l'ordonnance de renvoi de M. X...devant le tribunal correctionnel au motif inopérant que ce dernier avait formulé des observations à l'encontre du réquisitoire définitif auxquelles le magistrat instructeur avait répondu, et en retenant qu'elle n'avait pas à apprécier la pertinence de la motivation retenue par le magistrat instructeur, la cour d'appel, qui a refusé d'exercer son office, a violé les textes et principes susvisés ;
" 2°) alors qu'en retenant, de surcroît par voie de simple affirmation, que l'ordonnance de renvoi litigieuse contenait l'énoncé détaillé des charges retenues contre les prévenus et des faits poursuivis, après avoir considéré qu'elle n'avait pas à contrôler la pertinence de la motivation de sa décision par le magistrat instructeur, la cour d'appel a statué par motifs contradictoires, en violation des textes et principes précités ;
" 3°) alors que l'ordonnance de renvoi précise les éléments à charge et à décharge concernant chacune des personnes mises en examen ; qu'en se bornant à relever que l'ordonnance de renvoi litigieuse contenait l'énoncé détaillé des charges retenues contre les prévenus et des faits poursuivis, sans s'assurer qu'elle contenait également les éléments à décharge, la cour d'appel a violé les textes et principes susvisés ;
" 4°) alors qu'en relevant que la juridiction répressive, saisie in rem, n'était pas liée par les qualifications retenues, la cour d'appel s'est prononcée par un motif impropre à assurer le contrôle de la régularité de l'ordonnance de renvoi au regard de l'ensemble des exigences de l'article 184 du code de procédure pénale, en violation des textes et principes susvisés " ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi fondée sur l'imprécision des poursuites, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que l'ordonnance de renvoi devant le tribunal correctionnel dont les juges d'appel ont, comme en l'espèce, sans insuffisance ni contradiction, constaté qu'elle précise les éléments à charge et à décharge concernant la personne mise en examen, M. X..., et répond aux articulations essentielles des observations de celle-ci, satisfait aux exigences de l'article 184 du code de procédure pénale, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Sur le quatrième moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, préliminaire, 8, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut et insuffisance de motifs, manque de base légale, excès de pouvoir négatif ;
" en ce que l'arrêt attaqué, qui a rejeté les exceptions de procédure soulevées par M. X..., est entré en voie de condamnation à l'encontre de ce dernier, a statué sur la répression et les intérêts civils ;
" aux motifs que, selon l'article 8 du code de procédure pénale, en matière délictuelle, la prescription de l'action publique est de trois années révolues ; qu'aux termes de la jurisprudence constante de la chambre criminelle, lorsque des infractions sont connexes, un acte interruptif de la prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre, il en est de même lorsque les infractions poursuivies n'ont pas le même auteur ; qu'en outre, un acte d'instruction ou de poursuite interrompt valablement la prescription à l'égard de tous les autres auteurs, co-auteurs et complices de l'infraction, même s'ils ne sont pas personnellement impliqués dans cet acte ; qu'en l'espèce, ainsi que l'a justement souligné le magistrat instructeur dans son ordonnance de renvoi, entre le 6 mars 2003 et le 10 juin 2008, l'interrogatoire de M. Z...du 27 juillet 2005, a interrompu la prescription, et entre le réquisitoire supplétif du 22 novembre 2001 et la mise en examen supplétive de M. X...le 25 juillet 2008, un rapport d'expertise comptable a été déposé le 27 janvier 2003 et notifié aux parties le 6 mars 2003 et le 10 juin 2008 ; que l'avocat de M. X...fait valoir au soutien de son argumentation que la réitération de notification d'un même acte par le magistrat instructeur, de même qu'une mise en examen dépourvue de toute base légale, ne sauraient constituer des actes interruptifs de prescription ; que, si le moyen tiré de la prescription de l'action publique peut être soulevé en tout état de cause, force est de constater que la chambre de l'instruction n'a été saisie à aucun moment d'une requête en annulation des actes d'information critiqués ; qu'il sera également rappelé qu'aux termes de l'article 179 du code de procédure pénale, l'ordonnance de renvoi devenue définitive couvre, s'il en existe, les vices de procédure ; qu'en conséquence, les infractions visées dans l'ordonnance de renvoi n'étant pas prescrites, il convient de confirmer le jugement déféré en ce qu'il a rejeté l'exception soulevée par la défense ;
" alors que si, en cas d'infractions connexes, un acte interruptif de prescription concernant l'une d'elles a nécessairement le même effet à l'égard de l'autre, encore faut-il que le juge caractérise le lien de connexité entre les infractions en cause ; qu'en rejetant l'exception de prescription par la référence abstraite à la règle précitée sans caractériser, dans les circonstances de l'espèce, le lien de connexité entre les différentes infractions poursuivies ni même constater l'existence d'un tel lien, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des textes et principes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter l'exception de prescription tirée de ce que l'interrogatoire d'un autre mis en examen, M. Z..., n'était pas interruptif de prescription à l'égard de M. X...s'agissant des faits de tromperie sur les qualités substantielles de blé sans résidus produits par des producteurs locaux, d'une part, de blé provenant d'Ukraine, d'autre part, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en statuant ainsi, et dès lors que la Cour de cassation est en mesure de s'assurer que M. Z...était, lors de son interrogatoire du 27 juillet 2005, mis en examen du chef de tromperie en lien avec la vente de faux blé biologique, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen ne peut être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que M. X...devra payer à la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles au titre de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le neuf mars deux mille seize ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.