LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X...a été licencié pour motif économique le 25 août 2008 par la société Essex qui a décidé la fermeture de son établissement de Chauny et qu'il s'est vu remettre une attestation d'exposition à l'amiante-benzène ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale pour contester le bien-fondé du licenciement et obtenir l'indemnisation d'un préjudice d'anxiété ;
Sur le premier moyen :
Vu l'article 4 du code de procédure civile ;
Attendu que pour condamner la société à payer au salarié des dommages-intérêts pour violation de l'ordre des licenciements, l'arrêt retient qu'il est de principe que l'ordre des licenciements s'apprécie au niveau de l'entreprise dans son ensemble et pas seulement au niveau d'un service ou d'un établissement, qu'il ressort en l'espèce du dossier que la société n'a pas appliqué les critères d'ordre des licenciements aux établissements de Mâcon, Meyzieu et Compiègne, dans la mesure où la fermeture du site de Chauny impliquait nécessairement le licenciement de tous les salariés de ce site ;
Qu'en statuant ainsi alors que dans ses conclusions reprises oralement à l'audience, le salarié ne formait aucune demande au titre de la violation de l'ordre des licenciements, la cour d'appel, qui a modifié l'objet du litige, a violé le texte susvisé ;
Et sur le second moyen :
Vu l'article L. 4121-1 du code du travail, ensemble l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;
Attendu que pour condamner la société à payer au salarié une indemnité au titre d'un préjudice lié à son exposition à l'amiante-benzène, l'arrêt retient qu'il n'est pas nécessaire que le salarié se soit vu reconnaître une maladie professionnelle, ni même qu'il présente des troubles de santé, qu'il soit suivi médicalement de manière régulière, que c'est la conscience d'être soumis au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave qui fonde l'anxiété invoquée, qui n'est pas contestable ;
Qu'en statuant ainsi, alors que la réparation du préjudice d'anxiété n'est admise, pour les salariés exposés à l'amiante, qu'au profit de ceux remplissant les conditions prévues par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et l'arrêté ministériel, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, l'arrêt rendu le 2 juillet 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Amiens ; remet, en conséquence, sur les autres points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai ;
Laisse à chacune des parties la charge des dépens par elle exposés ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept février deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, avocat aux Conseils, pour la société Essex.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société ESSEX à verser à Monsieur X... la somme de 5. 000 ¿ à titre de dommages-intérêts pour non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements ;
AUX MOTIFS QUE « Sur l'ordre des licenciements : Il est de principe que l'ordre des licenciements s'apprécie au niveau de l'entreprise dans son ensemble et pas seulement au niveau d'un service ou d'un établissement. Il ressort en l'espèce du dossier que la société ESSEX n'a pas appliqué les critères d'ordres des licenciements aux établissements de MACON, MEYZIEU et COMPIEGNE, considérant à tort que la fermeture du site de CHAUNY impliquait nécessairement le licenciement de tous les salariés de ce site. Il convient en conséquence d'infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de ce chef. Le préjudice résultant du non-respect de ces critères d'ordre sera justement indemnisé par une somme de 5. 000 ¿ » ;
ALORS QUE l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties et que le juge ne peut statuer que sur ce qui lui est demandé ; qu'au cas présent, il résulte des conclusions de Monsieur X..., auxquelles l'arrêt fait expressément référence pour l'exposé de ses moyens et prétentions (arrêt p. 3 al. 5), que Monsieur X... ne formulait aucune demande relative à une méconnaissance par la société ESSEX des dispositions relatives à l'ordre des licenciements ; qu'en condamnant néanmoins la société ESSEX à verser à Monsieur X... une somme de dommages-intérêts pour non-respect des règles relatives à l'ordre des licenciements, la cour d'appel a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir condamné la société ESSEX à verser à Monsieur Arnaud X... une somme de 8. 000 ¿ en réparation du préjudice subi du fait du non-respect par l'employeur de son obligation de sécurité et une somme de 200 ¿ au titre de l'article 700 du CPC ;
AUX MOTIFS QUE « SUR CE : L'action indemnitaire relative à un manquement de l'employeur à son obligation de sécurité, indépendamment de toute maladie professionnelle, relève de la compétence prud'homale. Il n'importe que l'entreprise ne figure pas dans l'un des établissements mentionnés par l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998. Le salarié n'invoque pas un préjudice d'anxiété spécifique, découlant de l'inscription sur la liste des établissements susvisés, mais demande la réparation d'un préjudice invoqué comme étant la conséquence du manquement de l'employeur à son obligation de sécurité. La demande sera désormais jugée recevable. L'obligation de sécurité pesant sur l'employeur est, par application des articles L. 4121-1 et suivants du code du travail, une obligation générale et de résultat. Cette obligation impose à l'employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité des travailleurs, mesures de prévention, de formation et d'information, et de mettre en place une organisation et des moyens permettant de parvenir à assurer cette sécurité. Il appartient au salarié en l'espèce d'établir qu'il a été exposé à des substances dangereuses dans l'accomplissement de son travail et que le préjudice dont il demande réparation est en lien avec cette exposition. L'employeur doit pour sa part et dans ce cas, apporter la preuve qu'il a assuré l'effectivité de son obligation de sécurité sus exposée. La délivrance au salarié de l'attestation d'exposition prévue à l'art R4412-58 du code du travail alors applicable, et signée de l'employeur et du médecin du travail, est destinée à lui permettre de bénéficier de prestations de sécurité sociale. Ce document n'en atteste pas moins de la présence dans l'entreprise des substances mentionnées et en l'espèce établit que le salarié a subi une exposition à l'amiante. Le fait que le salarié se soit trouvé, du fait de son employeur, exposé à des substances dangereuses impose à celui-ci d'apporter la preuve qui lui incombe qu'il avait mis en oeuvre toutes les mesures nécessaires pour protéger le personnel, de manière collective et individualisée. Il est constaté que l'employeur ne justifie par aucun document probant avoir mis en oeuvre, pendant la période de travail du salarié, des mesures concrètes et appropriées de protection, collective et individuelle, du salarié, alors qu'il admet qu'étaient présentes dans l'entreprise des installations contenant de l'amiante (notamment dans des fours), et que l'extrême nocivité de ce matériau a imposé une réglementation protectrice des travailleurs dès le début du 20ème siècle. Il n'est pas nécessaire que le salarié se soit vu reconnaître une maladie professionnelle, ni même qu'il présente des troubles de santé, qu'il soit ou non suivi médicalement de manière régulière. C'est la conscience d'être soumis au risque de déclaration à tout moment d'une maladie grave qui fonde l'anxiété invoquée, qui n'est pas contestable et constitue un préjudice indemnisable. La demande du salarié sera désormais accueillie et le jugement déféré sera infirmé sur ce point. Le préjudice sera réparé par l'allocation de la somme fixée au dispositif de l'arrêt. La société ESSEX, employeur du salarié, sera condamnée au paiement des dommages et intérêts ainsi fixés » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE l'employeur ne peut être condamné à verser des dommages-intérêts au salarié au titre de l'exécution du contrat de travail que s'il est caractérisé un manquement de sa part à une obligation lui incombant ; que la remise à un salarié, au moment de la rupture du contrat de travail, d'une « attestation d'exposition aux agents chimiques dangereux » en application de l'article R. 4412-58 du code du travail dont l'objet exclusif est de permettre, dans un but de prévention et de santé publique, au salarié qui a pu éventuellement être exposé à un risque, de bénéficier d'un suivi médical, n'est pas susceptible de caractériser l'existence d'un manquement de l'employeur ; que seule une exposition personnelle habituelle et avérée du salarié à un agent nocif, dans des conditions de nature à caractériser l'existence d'une faute, peut engager la responsabilité de l'employeur ; qu'au cas présent, la société ESSEX exposait, d'une part, que l'établissement de CHAUNY, qui ne fabriquait et ne traitait pas l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, n'était pas mentionné à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et ne figurait pas sur une liste établie par arrêté ministériel et, d'autre part, que le salarié ne prétendait établir ses conditions concrètes de travail, ni la nature, ni l'ampleur, ni la durée de sa prétendue exposition au risque au sein de l'établissement, de sorte qu'aucun manquement de sa part à l'égard du salarié n'était caractérisé ; qu'en prétendant condamner la société ESSEX au paiement de dommages-intérêts en réparation du préjudice d'anxiété du salarié, sur le seul fondement d'une exposition au risque établie par une attestation d'exposition remise au salarié au moment de la rupture du contrat de travail, la cour d'appel a statué par des motifs impropres à caractériser l'existence d'un manquement à son obligation de sécurité de résultat à l'égard du salarié et a violé les articles L. 4121-1 et R. 4412-58 du code du travail, ensemble l'article 1147 du code civil ;
ALORS, D'AUTRE PART ET SUBSIDIAIREMENT, QU'il appartient à celui qui demande la réparation d'un préjudice d'en rapporter la preuve ; que la remise au salarié d'une attestation d'exposition au risque ne saurait avoir pour objet, ni pour effet de constituer un titre de créance permettant l'octroi automatique au salarié d'une somme de dommages-intérêts devant le juge prud'homal ; qu'en allouant au salarié une somme de 8. 000 ¿ à titre de dommages-intérêts sur le fondement d'une exposition éventuelle au risque, sans caractériser ni la nature, ni l'ampleur, ni la durée de l'exposition, ni le moindre élément de nature à établir objectivement l'inquiétude du salarié, la cour d'appel a instauré une présomption de préjudice forfaitaire et n'a pas caractérisé l'existence d'un préjudice direct, actuel et certain, en violation de l'article 1147 du code civil et du principe de la réparation intégrale du préjudice.