LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 20 mai 2014), que la société Grasse confort est locataire, dans un centre commercial soumis au statut de la copropriété, de locaux, appartenant à la société Les Georges, où elle exploite un commerce d'ameublement ; que la société Grasse confort, invoquant notamment un défaut de délivrance des aires de stationnement et contestant le montant des charges, a assigné la bailleresse aux fins de désignation d'un expert, allocation d'une provision sur son préjudice et limitation du montant des charges ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé qu'aux termes du bail, « parmi les charges qui seront supportées par le preneur figureront l'ensemble des charges de copropriété telles qu'elles seront facturées par le syndicat des copropriétaires et comportant notamment le nettoyage extérieur, les honoraires de bureau de contrôle les entretiens des détecteurs de fumée, leur contrôle, et la quote-part des frais de fonctionnement de la copropriété » et souverainement retenu que ce bail n'opérait pas de différenciation entre les charges de fonctionnement courantes et les charges exceptionnelles telles les dépenses pour travaux, et prévoyait au contraire la répercussion sur le preneur de toutes les charges de copropriété facturées par le syndicat, la cour d'appel a, sans modifier l'objet du litige et sans être tenue de répondre à des conclusions que ses constatations rendaient inopérantes, légalement justifié sa décision ;
Mais sur le premier moyen :
Vu les articles 4, 5 et 16 du code de procédure civile ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions des parties, sans les inviter à présenter des observations complémentaires ;
Attendu que, pour fixer à 10 000 euros, le préjudice définitivement subi par la société Grasse confort du fait de l'impossibilité d'exploiter de manière privative les places de stationnement prévues au bail, l'arrêt retient que l'appréciation des inconvénients subis de ce fait et ses répercussions sur le chiffre d'affaires ne présente aucune difficulté et ne nécessite pas une expertise ;
Qu'en statuant ainsi alors que la société Grasse confort n'avait formulé de ce chef qu'une demande d'indemnité provisionnelle, la cour d'appel qui a modifié l'objet du litige sans inviter les parties à compléter leur demande en vue de la réparation définitive de ce préjudice, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE et ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société les Georges à payer à la société Grasse confort la somme de 10 000 euros pour le trouble de stationnement, l'arrêt rendu entre les parties le 20 mai 2014 par le cour d'appel d'Aix-en-Provence, remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de d'Aix-en-Provence, autrement composée ;
Condamne la société Les Georges aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Les Georges, la condamne à payer à la société Grasse confort la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze février deux mille seize.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour la société Grasse confort.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
:Il est reproché à l'arrêt partiellement infirmatif attaqué de n'avoir alloué à la société Grasse Confort, au titre du trouble de stationnement, qu'une indemnité de 10.000 euros ;
AUX MOTIFS QUE le bail décrit la chose louée comme composée de locaux avec emplacement de parking ; que le 29 mai 2008, le Syndicat des Copropriétaires a fait sommation à la société Grasse Confort de cesser de s'accaparer des places de stationnement situées à proximité de son lieu d'exploitation car elles constituaient des parties communes sur lesquelles elle ne dispose d'aucun droit de jouissance exclusive ; qu'il n'est pas contesté que l'aire de stationnement située au droit du magasin de la société Grasse Confort constitue une partie commune ; qu'en visant au bail un emplacement de parking sans préciser qu'il constituait une partie commune à la copropriété, la société Les Georges lui a donné la qualité de partie privative qu'il ne possédait pas et a manqué à son obligation de délivrance ; que ne pouvant satisfaire à cette obligation promise par le bail, elle se doit de réparer le préjudice subi ; que la société Grasse Confort réclame une provision de 400.000 euros et une réduction provisionnelle de son loyer de 50 %, son préjudice étant fixé par l'expertise qu'elle sollicite ; qu'elle cerne mal le préjudice subi ne fournissant aucun élément sur le nombre d'aires de stationnement dont l'usage privatif lui aurait été soustrait et sa conséquence sur son activité ; qu'elle n'invoque aucune difficulté pour sa clientèle de stationner à proximité de son magasin et les éventuelles répercussions qu'elles auraient eues sur l'activité de son commerce ; que l'appréciation des inconvénients de l'absence de places de stationnement privatives et ses répercussions sur le chiffre d'affaires ne présente aucune difficulté technique qui ne peut être vaincue par la société Grasse Confort et ne nécessite pas une expertise qui ne peut avoir pour effet de pallier ses carences dans l'administration de la preuve ; qu'il convient de fixer à la somme de 10.000 euros le préjudice subi par elle du fait de l'impossibilité d'exploiter de manière privative ces places de stationnement pour la durée du bail en cours, leur éventuelle incidence sur le loyer devant s'apprécier lors du renouvellement du bail ;
ALORS QUE le juge ne peut modifier l'objet du litige tel qu'il est déterminé par les prétentions respectives des parties, sans les avoir préalablement invitées à présenter leurs observations ; que la société Grasse Confort n'ayant formulé, du chef du défaut de délivrance commis par le bailleur au titre des emplacements de stationnement, qu'une demande de provision, assortie d'une demande d'expertise judiciaire, la Cour ne pouvait procéder directement à la réparation de son préjudice, sans l'avoir préalablement invitée à compléter ses demandes en vue de l'évaluation définitive de ses préjudices, d'où il suit que l'arrêt a été rendu en violation des articles 4, 5, 16 du Code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ensemble en méconnaissance des exigences du principe dispositif.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
:Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté la société Grasse Confort de ses demandes tendant à voir juger, s'agissant des charges de copropriété, qu'elle ne pouvait être tenue de rembourser au bailleur que les seules charges d'entretien et de fonctionnement courant de la copropriété, à l'exclusion des charges exceptionnelles telles que les dépenses pour travaux, ensemble de sa demande d'expertise judiciaire aux fins de vérification des comptes de charges;
AUX MOTIFS PROPRES QUE, comme l'a rappelé exactement le premier juge, aucune disposition ne réglemente les charges locatives en matière de baux commerciaux et leur recouvrement par le bailleur sur le preneur s'effectue selon les clauses du bail ; que le bail stipule quant aux charges : « Parmi les charges qui seront supportées par le preneur figureront l'ensemble des charges de copropriété telles qu'elles seront facturées par le Syndicat des Copropriétaires et comportant notamment le nettoyage extérieur, les honoraires de bureau de contrôle, les entretiens des détecteurs de fumée, leur contrôle, et la quote-part des frais de fonctionnement de la copropriété » ; que la société Grasse Confort se plaint d'une forte augmentation des charges et expose que cette clause ne met à sa charge que les charges de fonctionnement courant et que son bailleur ne peut lui répercuter les dépenses de la copropriété dont elle ne tire aucun avantage ; qu'elle ne peut se limiter à prétendre qu'il faut distinguer les charges de fonctionnement courantes et charges exceptionnelles telles les dépenses pour travaux cependant que le bail ne fait pas cette différenciation et qu'il prévoit au contraire la répercussion sur le preneur de toutes les charges de copropriété facturées par le syndicat ; que si la société Grasse Confort estime que parmi les charges réclamées certaines ne sont pas dues, il lui appartient de les contester en indiquant clairement quelles sommes elle conteste et les motifs précis de sa contestation ; qu'à défaut pour elle de fournir cette précision et d'établir que des charges auraient été décomptées de manière fautive par un abus de droit ou des fraudes en faisant supporter par la copropriété des charges qui ne lui incombait pas pour pouvoir ensuite les récupérer sur les locataires, elle doit être déboutée de sa demande relative aux charges ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE l'examen du contentieux qui oppose les sociétés suppose tout d'abord d'examiner les clauses du bail relatives aux charges locatives, étant rappelé qu'il n'existe pas de texte réglementant la répartition des charges entre propriétaires et locataires en matière de baux commerciaux et qu'il convient en conséquence de se référer aux stipulations de se référer aux stipulations contractuelles liant les parties pour trancher le présent litige et aux articles 1719, 1720, 1724, 1730, 1731 et 1732 du Code civil, qui ne sont pas d'ordre public et auxquels les parties peuvent déroger ; que le bail du 9 juillet 1993 contient un chapitre relatif aux « charges et conditions » dans lequel il est rappelé que le local donné à bail fait partie d'une copropriété régie par un règlement initial du 9 juillet 1974 modifié par un règlement de copropriété du 19 février 1986 que le preneur déclare connaître en s'engageant le respecter ; que le preneur s'engage à entretenir les lieux loués en bon état de réparation locative en s'obligeant à supporter toutes réparations qui seraient nécessaires soit de son fait, de son personnel ou de sa clientèle ; que le preneur s'oblige à supporter (N.B. plus exactement « à souffrir », selon les termes exacts du contrat de bail) toutes les réparations, reconstructions et travaux quelconques que le propriétaire estimerait nécessaires, utiles ou simplement convenables pendant le cours du bail sans indemnité, ni diminution de loyer ; qu'il est stipulé dans l'article 12 que « le preneur aura à sa charge l'ensemble des impôts, taxes et droits de toutes natures qui seraient dus pour l'immeuble, sauf en ce qui concerne l'impôt foncier pour lequel il remboursera simplement 50 % de cet impôt » ; que ce même article stipule aussi que « parmi les charges qui seront supportées par le preneur, figureront les charges de copropriété telles qu'elles seront facturées par le Syndicat des Copropriétaires comportant notamment le nettoyage extérieur, les honoraires de bureau de contrôle, les entretiens de détecteurs de fumée, leur contrôle, et la quote-part des frais de fonctionnement de la copropriété » ; que quoique l'on puisse penser d'une telle clause qui fait peser sur le locataire l'ensemble des dépenses votées en Assemblée Générale de copropriété par son propriétaire, il convient de constater qu'elle est parfaitement claire et sans équivoque en mettant à la charge du locataire le poids des charges de copropriété ; qu'il n'est pas démontré d'autre part que les copropriétaires faisant partie de la copropriété SCI Plan de Campagne auraient commis un ou des abus de droit, voire des fraudes à la loi, en faisant supporter à la copropriété des charges qui leur incombaient personnellement en vertu de la loi pour pouvoir ensuite les récupérer en les faisant payer à leurs locataires ; qu'il n'y a pas lieu d'ordonner une expertise qui aurait exigé au préalable que la SCI Plan de Campagne soit dans la cause dès lors qu'il s'agirait d'examiner les charges qu'elle facture à la société Les Georges et que cette dernière facture ensuite à la société Grasse Confort ; que dans ces conditions, la seule affirmation demeurant non démontrée que la société Les Georges aurait trahi l'intérêt de son locataire ne permet pas d'écarter l'application de cette clause et de diminuer le loyer contractuellement ou judiciairement fixé ; qu'il y a donc lieu de l'appliquer conformément à l'article 1134 du Code civil ; que les demandes relatives aux charges locatives seront donc rejetées ;
ALORS QUE, D'UNE PART, la clause d'un bail commercial qui met à la charge du preneur « l'ensemble des charges de copropriété » de l'immeuble au sein duquel est exploité le local commercial doit être interprétée de façon restrictive, si bien qu'à défaut de précisions contraires expresses, les charges de copropriété récupérables sur le locataire s'entendent des seules charges pouvant être considérées comme locatives, comme se rapportant à la gestion courante de la copropriété et aux travaux de menus entretiens, à l'exclusion des charges exceptionnelles induites par des travaux de grosses réparations ou d'améliorations des parties communes ; qu'en décidant au contraire que la clause faisant supporter de façon générale et indifférenciée au preneur « l'ensemble des charges de copropriété » permettait au bailleur de répercuter l'intégralité desdites charges sur son locataire, sans qu'il puisse être procédé à la moindre distinction selon la nature et l'importance desdites charges, la Cour viole les articles 1134, 1720 et 1754 du Code civil ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART, ne peut être considérée comme claire et non équivoque la clause d'un bail commercial prévoyant que seront supportés par le preneur « l'ensemble des charges de copropriété », dès lors, d'une part, que cette stipulation est suivie d'une énumération indicative desdites charges, qui ne mentionne que des charges habituellement jugées récupérables sur le locataire comme se rapportant à l'entretien usuel de l'immeuble et au fonctionnement ordinaire de la copropriété et, d'autre part, qu'elle apparaît comme incohérente, en tant qu'elle viserait d'autres charges que celles habituellement considérées comme locatives, avec d'autres clauses du même contrat ne mettant à la charge du locataire, s'agissant de l'entretien et des réparations afférentes au local lui-même, que celles relevant de l'entretien et des réparations locatifs (cf. sur ce point, les dernières écritures de la société Grasse Confort, p. 12 et suivantes) ; qu'en refusant néanmoins d'interpréter ladite clause, motif pris qu'elle serait « parfaitement claire et sans équivoque » (cf. jugement entrepris, p. 3 pénultième alinéa), la Cour viole les articles 1134 et 1161 du Code civil, ensemble l'article 12 du Code de procédure civile ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, dès lors qu'il n'est pas contesté que le locataire dispose d'un intérêt légitime, actuel et concret à voir statuer sur la répartition entre bailleur et locataire des charges de copropriété, en l'état des difficultés d'interprétation suscitées par une clause du contrat de bail prévoyant le transfert desdites charges sur le locataire, la Cour ne peut rejeter les demandes formées à cette fin, au motif inopérant que la société locataire ne les aurait pas assorties de précisions concrètes quant à la nature et au montant des charges dont le paiement lui avait été réclamé et qu'elle entendait contester ; qu'en statuant de la sorte, par un motif impropre à justifier le refus par la Cour de remplir son office et le rejet des demandes qui lui étaient soumises, la Cour viole les articles 4 du Code civil et 12 du Code de procédure civile ;
ET ALORS QUE, ENFIN, et en tout état de cause, dès lors que, pour étayer ses demandes du chef de la répartition des charges de copropriété, la société Grasse Confort avait invoqué l'exemple concret des travaux de revêtement des voies de circulation relevant des parties communes de l'immeuble, dont il lui avait été demandé de supporter le coût (cf. les dernières écritures de la société Grasse Confort, p. 14 § 2), la Cour ne pouvait rejeter lesdites demandes, motif pris de leur trop grande imprécision, sans s'être à tout le moins expliquée sur le transfert des charges de copropriété afférentes à ces travaux, d'où il suit que sa décision est au minimum entachée d'une insuffisance de motifs, en violation des articles 455 du Code de procédure civile et 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.