LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nîmes, 23 octobre 2014), que M. et Mme X..., ayant confié la maîtrise d'oeuvre complète à la société Manuel Z... architecte, assurée auprès de la société Mutuelle des architectes français (la MAF), pour la construction d'une habitation principale et de quatre appartements locatifs, ont obtenu un permis de construire pour la réalisation de deux logements ; que les travaux de construction de quatre appartements ont été interrompus par un arrêté du maire faisant état de la non-conformité au permis de construire ; que M. et Mme X..., reprochant un manquement de l'architecte à son devoir de conseil, l'ont assigné en référé pour obtenir une provision et l'affaire a été renvoyée devant le juge du fond ;
Sur le premier moyen :
Attendu que M. et Mme X...font grief à l'arrêt de déclarer la société Manuel Z... architecte responsable à concurrence de 60 % du préjudice subi par eux, laissant 40 % à leur charge, et de condamner l'architecte à les indemniser dans cette proportion, alors, selon le moyen, que le devoir d'information et de conseil auquel l'architecte est tenu à l'égard de son client porte sur les risques que celui-ci n'est pas à même de discerner seul, ou dont il ne peut maîtriser toutes les implications ; que, dès lors, le maître de l'ouvrage, non informé par l'architecte, ne peut être considéré comme ayant une pleine connaissance des risques concernés ; qu'en jugeant que M. et Mme X...avaient fait entreprendre et laissé poursuivre une opération immobilière irrégulière « en connaissance de cause », cependant qu'elle a retenu que la société Manuel Z... architecte ne les avait pas informés de l'incompatibilité technique de leur projet avec les contraintes urbanistiques, ni des risques inhérents à la réalisation de cette opération, pour laquelle elle avait été mandatée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 du code civil ;
Mais attendu qu'ayant relevé que si le contrat d'architecte initial portait sur la réalisation d'une habitation principale et de quatre appartements locatifs, la demande de permis de construire signée par M. et Mme X...indiquait un nombre de deux logements créés pour une résidence principale et le permis de construire délivré précisait que le projet ne devrait en aucun cas aboutir à la création de plus de deux logements, que les travaux entrepris, correspondant au projet initial de M. et Mme X..., avaient été arrêtés par le maire au motif qu'ils n'étaient pas conformes au permis de construire, la cour d'appel a pu retenir que M. et Mme X..., qui avaient signé la demande de permis de construire faisant apparaître la construction de deux logements, ne pouvaient se méprendre sur la portée de leur demande ni sur l'autorisation accordée qui ne leur permettait pas de réaliser le projet immobilier d'origine qu'ils ont fait entreprendre, et en déduire que M. et Mme X...avaient commis une faute ayant contribué à la réalisation de leur propre dommage, dans une proportion qu'elle a souverainement appréciée ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Sur le second moyen, ci-après annexé :
Attendu que la cour d'appel, qui a pu retenir que le préjudice financier invoqué n'était pas démontré par les maîtres de l'ouvrage, lesquels ne pouvaient pas espérer un revenu provenant de logements qu'ils n'avaient pas le droit d'édifier, et qui en a justement déduit qu'ils ne pouvaient demander la réparation de la perte d'une chance, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. et Mme X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. et Mme X..., les condamne à payer à la société Mutuelle des architectes français, la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un janvier deux mille seize.
Le conseiller rapporteur le president
Le greffier de chambre
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Ortscheidt, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir seulement déclaré la SAS MANUEL Z... responsable à concurrence de 60 % du préjudice subi M. X...et Mme Y...son épouse, 40 % restant à la charge de ces derniers, et de l'avoir condamnée à indemniser les époux à due proportion ;
AUX MOTIFS QUE la SAS Manuel Z... et son assureur ne contestent pas le principe de la responsabilité de l'architecte ; que le contrat d'architecte du 18 décembre 2008, signé par les époux X..., portait sur une opération consistant en la réalisation d'une habitation principale et de quatre appartements T2 ; que la demande de permis de construire du 14 janvier 2009 signée par les époux X...décrivait le projet comme étant la " création d'un ensemble de deux habitations en effet hameau " et dans les informations complémentaires, il était indiqué : " nombre de logements créés : 2 " et sur le mode d'utilisation principale des logements, la case correspondant à " résidence principale " a été cochée ; que le permis de construire délivré le 14 août 2009 a été accordé conformément à la demande, que ce permis de construire précisait clairement en NOTA que " le projet ne devra en aucun cas aboutir à la création de plus de deux logements " ; que les travaux entrepris et arrêtés à la suite de l'arrêté interruptif de travaux du maire de PERTUIS du 13 juillet 2010 n'étaient pas conformes au permis de construire, consistant en la création d'une maison principale et d'un immeuble de quatre logements, ce qui correspondait en fait au projet réel souhaité par les époux X...et pour lequel ils avaient donné une mission complète à l'architecte ; que l'offre de prêt du 22 avril 2009 avait pour objet le financement d'une construction et d'un terrain à destination de résidence locative, que la deuxième offre de prêt du 25 mai 2010 avait pour objet le financement d'une construction seule à destination de résidence principale ; que ces financements, pour l'un antérieur au permis de construire, pour l'autre antérieur à l'arrêté interruptif de travaux confirment encore la volonté des époux X...de réaliser une habitation principale d'une part et un immeuble de quatre appartements d'autre part, contrairement aux termes de la demande formée dans le même temps sur le plan administratif ; que, comme l'a exactement relevé le tribunal, Manuel Z... a manqué à son obligation de conseil et d'information dès lors que le projet, pour lequel il a accepté une mission précise et dont la réalisation a été commencée, alors qu'il ne correspondait ni à la demande de permis de construire qu'il avait signée, ni au permis de construire accordé suite à cette demande et sur la base duquel il a exécuté sa mission, était voué à l'échec, compte tenu des règles d'urbanisme qu'il ne pouvait ignorer, qu'il devait informer le maître d'ouvrage de l'incompatibilité technique du projet réel souhaité et entrepris par les époux X...avec les contraintes urbanistiques ou en tous cas des risques inhérents à la réalisation de cette opération, pour laquelle il avait été mandaté ; que les époux X..., qui ont signé la demande de permis de construire qui faisait apparaître clairement deux logements comme indiqué ci-dessus et qui ont reçu le permis de construire qui leur a été accordé conformément à cette demande, permis de construire qui mentionnait expressément que le projet ne pouvait aboutir à la création de plus de deux logements n'ont pu se méprendre sur la portée de leur demande et sur l'autorisation accordée, qui ne leur permettait pas de réaliser leur projet immobilier réel et qu'ils ont tout de même décidé de mettre en oeuvre, que c'est donc en connaissance de cause, qu'ils ont fait entreprendre et laissé poursuivre une opération immobilière irrégulière ; que ce faisant, les époux X...ont commis une faute ayant contribué à la réalisation de leur propre dommage ; que c'est à juste titre que le tribunal a retenu à leur encontre une part de responsabilité, qui, compte tenu de sa nature et de leur qualité de profanes contrairement à l'architecte, professionnel en ce domaine, doit être évaluée à 40 % ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE la demande de permis de construire en date du 15 janvier 2009 porte sur une " maison individuelle " constituée de " deux logements à créer " ; que ce document a certes été établi par l'architecte mais a été également signé par les époux X...; qu'il en résulte que les époux X...ne pouvaient se méprendre sur la portée de leur demande qui a d'ailleurs été favorable accueillie par la mairie de Pertuis qui a accordé le 14 août 2009 un permis de construire pour " la construction d'une habitation qui ne devra en aucun cas aboutir à la création de plus de deux logements " ; que pour la réalisation du projet allégué comportant une maison d'habitation et un immeuble de quatre logements destinés à la location et pour la mise en oeuvre du montage financier consistant dans l'obtention de deux prêts destinés à l'achat de deux terrains d'assiette des constructions envisagées et du paiement des travaux, les époux X...avaient obtenu l'approbation de l'architecte sur sa faisabilité puisque le contrat d'architecte en date du 18 décembre 2008 porte sur la " réalisation d'une habitation principale et de quatre appartements T2 " ; que les offres de prêts tant pour le prêt destiné à la résidence principale que celui destiné à la résidence locative sont du 25 mai 2009 soit antérieurement à la délivrance du permis de construire ; qu'il en résulte que l'architecte qui avait accepté une mission pour la construction d'une habitation principale et quatre appartements a présenté aux époux X...un projet dont la réalisation était inéluctablement vouée à l'échec et qu'il a ratifié par la demande de permis de construire limitée à une maison individuelle comportant deux appartements ; que l'architecte tenu à un devoir de conseil sur la faisabilité technique et juridique au regard des règles d'urbanisme a donc failli à sa mission et vainement entend-il élever une contestation de sa responsabilité sur la dénomination de maison individuelle alors que la demande de permis de construire fait état de la création de deux logements tandis que la mission résultant du contrat d'architecte en comporte quatre, en sus de la maison principale ; que d'ailleurs l'architecte ne verse aucune pièce à son dossier pour se dégager de sa responsabilité et notamment aucun courrier de mise en garde n'a été adressé au maître de l'ouvrage ; qu'en revanche il apparaît du comportement des époux X...qui ont signé la demande de permis de construire pour une maison comportant seulement deux logements et qui avaient dès avant l'obtention du permis de construire sollicité la banque pour l'obtention de prêts destinés à l'acquisition de deux terrains et la construction de deux édifices non conformes à la demande de permis de construire qu'ils ont contribué à la réalisation de leur propre dommage en engageant une opération de spéculation immobilière qui comportait des risques qu'ils ne pouvaient ignorer tenant tant à la non-conformité du projet sollicité au regard des règles d'urbanisme que de l'incertitude de son rendement financier qui reposait sur les perspectives de revenus locatifs incertains ; qu'il convient par conséquent de retenir que la faute du maître de l'ouvrage a contribué à la réalisation de son propre dommage dans une proportion de moitié ;
ALORS QUE le devoir d'information et de conseil auquel l'architecte est tenu à l'égard de son client porte sur les risques que celui-ci n'est pas à même de discerner seul, ou dont il ne peut maîtriser toutes les implications ; que, dès lors, le maître de l'ouvrage, non informé par l'architecte, ne peut être considéré comme ayant une pleine connaissance des risques concernés ; qu'en jugeant que les époux X...avaient fait entreprendre et laissé poursuivre une opération immobilière irrégulière « en connaissance de cause », cependant qu'elle a retenu que la société MANUEL Z... ne les avait pas informés de l'incompatibilité technique de leur projet avec les contraintes urbanistiques, ni des risques inhérents à la réalisation de cette opération, pour laquelle elle avait été mandatée, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations, a violé l'article 1147 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt confirmatif attaqué d'avoir rejeté le préjudice des époux X...pour perte de chance de percevoir des revenus locatifs ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE le préjudice financier invoqué n'est pas démontré par les époux X...qui ne pouvaient pas espérer un revenu de logements qu'ils n'avaient pas le droit d'édifier, ce qui exclut la perte d'une chance ;
ET AUX MOTIFS EVENTUELLEMENT ADOPTES QUE la perte de revenu locatif constitue un préjudice purement hypothétique qui n'entre pas dans le périmètre de préjudice indemnisable compte tenu du caractère spéculatif de l'agencement du projet initial ;
ALORS QUE la perte de chance présente un caractère certain chaque fois qu'est constatée, par l'effet de la faute, la disparition d'une éventualité favorable ; que la disparition de cette éventualité doit être appréciée en fonction de la situation qui était celle de la victime au moment où la faute a été commise ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a exclu toute perte de chance de percevoir un revenu locatif en retenant que les époux X...n'avaient pas le droit d'édifier les logements considérés, se bornant ainsi à prendre en considération leur situation postérieure à l'achat du terrain ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle y était invitée, si la violation de son devoir de conseil par la société MANUEL Z..., qui était consommée avant même cet achat, n'avait pas privé les époux X...de la possibilité de réaliser l'opération envisagée sur un terrain qui s'y serait prêté, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil.