LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Papeete, 3 juillet 2014), que M. X... est créancier de M. Y... en vertu d'une transaction conclue à hauteur de 132 millions de francs CFP le 1er août 1998 et d'un prêt de 48 millions de francs CFP consenti le 24 février 1999 ; que, les 5 et 6 octobre 1999, M. Y... et Mme Z... ont acquis en indivision un terrain au prix de 17,5 millions de francs CFP, dont 5,5 millions de francs CFP ont été financés à l'aide d'un emprunt personnel souscrit par M. Y..., d'un montant de 43,5 millions de francs CFP, dont le surplus a été affecté à la construction d'une maison d'habitation sur ce terrain ; que M. X... a assigné M. Y... et Mme Z... sur le fondement de l'action paulienne, afin que lui soit déclarée inopposable l'acquisition, par Mme Z..., de la moitié indivise du terrain et des constructions édifiées ;
Attendu que M. Y... et Mme Z... font grief à l'arrêt de dire que l'acquisition du terrain par la seconde constitue une donation déguisée inopposable aux créanciers du premier et de dire que M. X... pourra exercer son gage sur la totalité de l'immeuble, alors, selon le moyen :
1°/ que le demandeur à l'action paulienne doit établir que l'acte qu'il attaque a entraîné un appauvrissement de son débiteur ; qu'un acte d'acquisition d'un bien immobilier ne peut constituer un acte d'appauvrissement puisqu'il a au contraire pour conséquence de remplacer des biens mobiliers aisés à dissimuler par un bien immobilier plus facile à appréhender par un créancier ; que, dans le cas d'une acquisition immobilière en indivision, l'appauvrissement ne peut être caractérisé que si le débiteur finance seul cette acquisition ou de manière prépondérante dans des conditions permettant de retenir une donation déguisée au profit du coïndivisaire ; qu'en l'espèce la cour d'appel a relevé que M. X... n'apportait pas la preuve de ce que l'apport de 12 millions de FCFP payé au titre du prix d'acquisition du terrain n'avait pas été payé par Mme Z... ; qu'en retenant néanmoins que cet acte avait entraîné l'appauvrissement de M. Y... sans constater que Mme Z... n'aurait pas participé à l'acquisition à hauteur de sa quote-part indivise, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
2°/ que pour être déclaré inopposable au créancier par la voie de l'action paulienne l'acte litigieux doit avoir appauvri son débiteur ; que la cour d'appel constate qu'il n'est pas prouvé par le demandeur que Mme Z... n'aurait pas participé financièrement à l'acquisition litigieuse mais que M. Y... se serait appauvri en souscrivant un prêt immobilier ; qu'en se déduisant l'appauvrissement de M. Y... d'un acte distinct de celui visé par l'action paulienne et en s'abstenant dès lors de caractériser en quoi l'acte d'acquisition du terrain aurait appauvri M. Y..., la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du code civil ;
3°/ que pour déterminer s'il y a ou non fraude paulienne, le juge doit se placer à la date de l'acte par lequel le débiteur se dépouille de certains éléments de son patrimoine, de sorte qu'il doit rechercher si, à la date de l'acte litigieux, le débiteur avait conscience de causer un préjudice à son créancier en créant ou en augmentant son insolvabilité ; qu'en l'espèce M. Y... faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'à la date de l'acte d'acquisition immobilière litigieux, il était propriétaire de toutes les parts de la société qu'il avait acheté à M. X... au prix de 450 000 000 FCP, soit beaucoup plus que la valeur de l'immeuble acheté en indivision et que le redressement judiciaire de cette société n'avait été prononcé que 7 ans plus tard, ce qui démontrait qu'il n'était pas insolvable même en apparence à la date de l'acte litigieux et qu'il ne pouvait donc pas avoir conscience de causer un préjudice à ses créanciers ; qu'en se fondant sur un document manuscrit relatif à la procédure de divorce de M. Y... pour en déduire que sa situation était déjà obérée sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de M. Y... démontrant qu'il disposait alors d'un patrimoine très important et ne pouvait avoir conscience de causer un préjudice à son créancier, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu, d'abord, que l'arrêt relève que si, s'agissant de l'apport personnel de 12 millions de francs CFP, M. X... ne rapporte pas la preuve que ce solde de prix n'a pas été payé par Mme Z..., en revanche, M. Y... s'est appauvri et a aggravé son endettement en souscrivant un prêt immobilier de 43,5 millions de francs CFP, et que la moitié de la valeur du terrain et de la construction, supérieure à 55 millions de francs CFP, revient à Mme Z..., ce qui constitue une donation déguisée sous la forme d'une acquisition en indivision, destinée à soustraire la moitié de la valeur de l'immeuble du patrimoine de M. Y... ; qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a légalement justifié sa décision au regard de l'article 1167 du code civil ;
Attendu, ensuite, que, sous le couvert d'un défaut de réponse à conclusions, le moyen ne tend qu'à remettre en débat, devant la Cour de cassation, l'appréciation souveraine par les juges du fond, de la valeur et de la portée des éléments de preuve soumis à leur appréciation pour établir le caractère frauduleux de l'acte ; que le moyen en sa troisième branche n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne M. Y... et Mme Z... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de M. Y... et Mme Z... et les condamne in solidum à payer à M. X... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du quatorze janvier deux mille seize.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Ghestin, avocat aux Conseils, pour M. Y... et Mme Z...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir dit que l'acquisition par Anna Z... de la moitié indivise de l'immeuble cadastré à Punaauia, formant le lot 18 du lotissement Punavai Montagne, cadastré sous le numéro BM 69, constitue une donation déguisée inopposable aux créanciers de Auguste Y..., d'avoir dit que sous réserves d'hypothèques, Jean-François X... pourra exerce son gage sur la totalité de l'immeuble, et d'avoir condamné Auguste Y... à payer à Jean-François X... la somme de 600 000 FCP sur le fondement de l'article 407 du Code de procédure civile de Polynésie française ;
AUX MOTIFS QUE selon l'article 1167 l'action paulienne est ouverte aux créanciers qui souhaitent attaquer un acte de leur débiteur conclu en fraude de leurs droits ; que l'acte jugé frauduleux devient alors inopposable aux créanciers ; que pour cela, selon la jurisprudence, le créancier doit justifier, par tout moyen, que les 4 conditions suivantes sont réunies: - qu'il est titulaire d'une créance certaine en son principe antérieure à l'acte argué de fraude, même si elle n'était pas encore exigible, - que le débiteur s'est appauvri, - que le débiteur avait conscience du préjudice causé au créancier, même sans intention de nuire, - qu'à la date à laquelle l'action paulienne est engagée (22 décembre 2008) les biens du débiteur ne suffisaient pas à désintéresser le créancier ; que Jean-François X... Justifie, sans contestation sérieuse, ainsi qu'il a été rappelé dans l'exposé du litige, qu'il était créancier de Auguste Y... depuis 1998, c'est à dire avant l'acte litigieux, même si sa créance n'est devenue exigible en vertu de titres exécutoires que postérieurement à l'acte d'acquisition de l'immeuble ; que Jean-François X... soutient que Auguste Y... s'est appauvri sciemment en faisant bénéficier sa concubine d'une donation déguisée d'une valeur de la moitié de l'immeuble qu'elle ne pouvait payer ; que s'agissant de l'apport personnel de 12 millions payé par "l'acquéreur" Jean-François X... ne rapporte pas la preuve que le solde du prix du terrain n'a pas été payé par Anna Z... et ne saurait exiger qu'elle prouve son apport financier sans inverser la charge de la preuve ; qu'en revanche il n'est pas contesté que Auguste Y... s'est appauvri, dès lors que, lourdement endetté (comme le prouvent les diverses procédures ayant abouti à ses condamnations au profit de Jean François X... et les trois hypothèques définitives grevant l'immeuble), il a aggravé son endettement, déjà constitué des 140 millions qu'il devait à Jean-François X... en souscrivant un prêt immobilier de 43,5 millions de FCFP remboursable en 10 ans ; que la valeur de l'immeuble. terrain et construction s'élève nécessairement à plus de 55 millions de FCFP, dont la moitié revient à Anna Z..., ce qui constitue effectivement, comme le soutient à juste titre Jean-François X..., une donation déguisée qui a pour effet de vider le patrimoine de Auguste Y... de la moitié de la valeur de l'immeuble, de sorte qu'il s'est effectivement appauvri ; qu'en outre la situation de Auguste Y... était déjà obérée ; que Jean-François X... produit un document intitulé « éléments pour attestation » daté du 30 septembre 1999 dont il n'est pas contesté qu'il est de la main d'Auguste Y... ; qu'Auguste Y... qui était encore marié et en instance de divorce alors qu'il vivait avec Anna Z..., mentionne sur ce document ; que ses charges fixes mensuelles en septembre 1999 s'élevaient compte tenu de plusieurs prêts immobiliers à plus de 100 000 francs français par mois, soit 1 819 000 FCFP par mois (pour un revenu mensuel de 2 477 000 FCFP par mois) ; qu'il était propriétaire d'un appartement à Grenoble, « au nom de Anna Z... pour raison de divorce ; que sa capacité personnelle de remboursement était nulle pour une période de cinq ans à titre professionnel pour longtemps à titre personnel » ; que cette donation déguisée, sous couvert d'indivision constitue un montage destiné à soustraire la moitié de la valeur de l'immeuble de son patrimoine, tant au regard du gage des créanciers qu'au regard de la procédure de divorce ; qu'Auguste Y... avait nécessairement conscience de léser ses créanciers, puisqu'en 1999, au lieu de souscrire un prêt pour rembourser les dettes ; qu'il ne pouvait ignorer compte tenu de la transaction et de la reconnaissance de dette signée par lui, et qu'il aurait d'honoraire s'est encore plus endetté pour acheter un immeuble dont la moitié en faveur de sa compagne ; qu'Auguste BLOI$E soutient que l'action paulienne n'est pas justifiée, faute pour Jean-François X... de rapporter la preuve de l'insolvabilité de son débiteur à la date d'acquisition de l'immeuble ; que ce n'est pas à la date de l'acte que l'insolvabilité doit être démontrée (même si elle l'est, comme on l'a rappelé ci-dessus) mais à la date de "action paulienne ; qu'en l'espèce le patrimoine de Auguste Y... n'est apparemment constitué que de l'immeuble litigieux, grevé d'hypothèques, et de l'appartement de Grenoble mis au nom de Anna Z... (afin de le soustraire aux opérations de liquidation de son précédent mariage) et qu'il ne fait aucune offre de paiement des sommes dues à Jean-François X... ; qu'il est constant que Auguste Y... est insolvable ainsi qu'il le reconnaissait lui-même en 1999 ; qu'enfin le fait que l'immeuble soit grevé d'hypothèques n'est pas de nature à empêcher l'action paulienne, contrairement à ce que fait plaider Auguste Y... ; que s'il est vrai que si la donation déguisée en faveur de Anna Z... est inopposable à Jean-François X..., celui-ci devra faire son affaire des créances hypothécaires ; que dans ces conditions l'action paulienne est fondée et il convient de réformer le jugement déféré ; qu'il s'ensuit que l'acquisition par Anna Z... de la moitié indivise de l'immeuble cadastré à Punaauia, formant le lot 18 du lotissement Punavai Montagne, cadastré sous le numéro BM 69 est inopposable aux créanciers d'Auguste Y... (arrêt attaqué p. 4, 5, 6 al. 1, 2, 3) ;
1°) ALORS QUE le demandeur à l'action paulienne doit établir que l'acte qu'il attaque a entrainé un appauvrissement de son débiteur ; qu'un acte d'acquisition d'un bien immobilier ne peut constituer un acte d'appauvrissement puisqu'il a au contraire pour conséquence de remplacer des biens mobiliers aisés à dissimuler par un bien immobilier plus facile à appréhender par un créancier ; que dans le cas d'une acquisition immobilière en indivision, l'appauvrissement ne peut être caractérisé que si le débiteur finance seul cette acquisition ou de manière prépondérante dans des conditions permettant de retenir une donation déguisée au profit du co-indivisaire ; qu'en l'espèce la Cour d'appel a relevé que M. X... n'apportait pas la preuve de ce que l'apport de 12 millions de FCFP payé au titre du prix d'acquisition du terrain n'avait pas été payé par Mme Z... ; qu'en retenant néanmoins que cet acte avait entrainé l'appauvrissement de M. Y... sans constater que Mme Z... n'aurait pas participé à l'acquisition à hauteur de sa quote-part indivise, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;
2°) ALORS QUE pour être déclaré inopposable au créancier par la voie de l'action paulienne l'acte litigieux doit avoir appauvri son débiteur ; que la Cour d'appel constate qu'il n'est pas prouvé par le demandeur que Mme Z... n'aurait pas participé financièrement à l'acquisition litigieuse mais que M. Y... se serait appauvri en souscrivant un prêt immobilier ; qu'en se déduisant l'appauvrissement de M. Y... d'un acte distinct de celui visé par l'action paulienne et en s'abstenant dès lors de caractériser en quoi l'acte d'acquisition du terrain aurait appauvri M. Y..., la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1167 du Code civil ;
3°) ALORS QUE pour déterminer s'il y a ou non fraude paulienne, le juge doit se placer à la date de l'acte par lequel le débiteur se dépouille de certains éléments de son patrimoine, de sorte qu'il doit rechercher si, à la date de l'acte litigieux, le débiteur avait conscience de causer un préjudice à son créancier en créant ou en augmentant son insolvabilité ; qu'en l'espèce M. Y... faisait valoir dans ses conclusions d'appel qu'à la date de l'acte d'acquisition immobilière litigieux, il était propriétaire de toutes les parts de la société qu'il avait acheté à M. X... au prix de 450 000 000 FCP, soit beaucoup plus que la valeur de l'immeuble acheté en indivision et que le redressement judiciaire de cette société n'avait été prononcé que 7 ans plus tard, ce qui démontrait qu'il n'était pas insolvable même en apparence à la date de l'acte litigieux et qu'il ne pouvait donc pas avoir conscience de causer un préjudice à ses créanciers ; qu'en se fondant sur un document manuscrit relatif à la procédure de divorce de M. Y... pour en déduire que sa situation était déjà obérée sans s'expliquer sur le moyen des conclusions de M. Y... démontrant qu'il disposait alors d'un patrimoine très important et ne pouvait avoir conscience de causer un préjudice à son créancier, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.