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15/12/2015 | FRANCE | N°14-86132

France | France, Cour de cassation, Chambre criminelle, 15 décembre 2015, 14-86132


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Gilles X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 12 août 2014, qui, pour apologie de crimes de guerre ou contre l'humanité, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 novembre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, MM. Straehl

i, Monfort, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, conseillers de...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :

- M. Gilles X...,

contre l'arrêt de la cour d'appel d'ANGERS, chambre correctionnelle, en date du 12 août 2014, qui, pour apologie de crimes de guerre ou contre l'humanité, l'a condamné à 3 000 euros d'amende, a ordonné une mesure de confiscation, et a prononcé sur les intérêts civils ;

La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 novembre 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Finidori, conseiller rapporteur, MM. Straehli, Monfort, Buisson, Mme Durin-Karsenty, MM. Larmanjat, Ricard, Parlos, conseillers de la chambre, MM. Barbier, Talabardon, conseillers référendaires ;
Avocat général : M. Desportes ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller FINIDORI, les observations de la société civile professionnelle CÉLICE, BLANCPAIN, SOLTNER et TEXIDOR, de la société civile professionnelle BOUZIDI et BOUHANNA, de la société civile professionnelle SPINOSI ET SUREAU et de Me HAAS, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires produits, en demande et en défense ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que le 21 juillet 2013, plus d'une centaine de véhicules conduits par des gens du voyage ont pénétré sur un terrain appartenant à la ville de Cholet qui l'avait donné en location à deux agriculteurs ; que M. Gilles X..., député-maire de la ville, venu exprimer son désaccord à cette installation, a été interpellé par une partie de ces personnes qui l'ont traité de raciste et qui lui ont adressé, par dérision, des saluts nazis ; qu'en quittant les lieux, l'élu a dit : "Comme quoi Hitler n'en a peut-être pas tué assez, hein" ; que les personnes auditionnées lors de l'enquête, fonctionnaires de police et agriculteurs locataires, n'ont pas entendu ces propos, seul un membre de la communauté affirmant les avoir perçus en substance et ajoutant qu'il avait également entendu d'autres propos dont il est établi qu'ils n'ont pas été tenus ; que la phrase prononcée a néanmoins été captée et enregistrée, à l'aide d'un téléphone mobile, par un journaliste qui se tenait alors derrière l'élu et qui les a divulgués le lendemain dans son journal, Le Courrier de l'ouest, qui a rendu l'enregistrement accessible sur son site internet ; que M. X..., poursuivi du chef d'apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité a été déclaré coupable de cette infraction ; que le prévenu, le procureur de la République et certaines parties civiles ont relevé appel de ce jugement ;
En cet état :
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 50 et 53 de la loi du 29 juillet 1881, 551, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a rejeté l'exception de nullité de la citation de première instance présentée par M. X... ;
"aux motifs que M. X... expose en ses écritures que la citation à comparaître devant le tribunal correctionnel serait nulle parce qu'elle dénoncerait de manière contradictoire et imprécise des faits matériellement et juridiquement inexacts ;qu'il reproche à cette citation de viser l'apologie de crime sens faire de distinction entre crime de guerre et crime contre l'humanité, et d'entretenir la confusion en faisant état d'un discours proféré dans un lieu public tout en retenant que la phrase incriminée aurait été prononcée dans le cadre d'une discussion ; que cette citation ne respecterait pas ainsi les exigences des articles 551 du code de procédure pénale et 53, alinéa 1, de la loi du 29 juillet 1881, il demande qu'elle soit déclarée nulle ; que la citation ainsi critiquée comportait les mentions requises par l'article 551 en ce qu'elle visait précisément le lieu et la date des faits reprochés, exposait précisément ceux-ci et visait les textes prévoyant et réprimant l'infraction reprochée au prévenu ; que les dispositions de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881, visent à la fois les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et les crimes et délits de collaboration avec l'ennemi et, par le rappel très précis de la phrase imputée à M. X... et des personnes à l'égard desquelles cette phrase était formulée, la communauté des gens du voyage, la citation permettait à ce prévenu de connaître exactement le crime dont il lui était reproché d'avoir fait l'apologie et de préparer sa défense en conséquence ; que par ailleurs, le sens que M. X... entend donner au mot discours est une restriction manifeste de l'étendue de ce terme, qui est effectivement, comme l'indique en premier lieu, un développement oratoire fait devant une réunion de personne, mais n'implique nullement que l'on s'adresse à l'auditoire à haute et intelligible voix ni que les mots employés aient été préparés ; qu'un assemblage de mots et de phrases destinés à exprimer sa pensée, exposer ses idées, définition plus classique du discours, peut parfaitement s'insérer dans une discussion, c'est-à-dire un échange de paroles ; qu'il ne ressort donc du libellé de la citation aucune confusion, ni imprécision, ni contradiction, et il convient donc de rejeter l'exception de nullité ;
"1°) alors qu'est nulle la citation qui vise, pour un même propos, plusieurs qualifications alternatives, créant ainsi dans l'esprit du prévenu une incertitude quant à l'objet de la poursuite ; qu'au cas d'espèce, était nulle la citation qui reprochait à M. X... d'avoir fait l'apologie des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité, lui imputant ainsi deux délits alternatifs et ne lui permettant pas de déterminer avec certitude l'infraction qui était poursuivie ; qu'en rejetant l'exception de nullité de la citation de première instance présentée par M. X..., la cour d'appel a violé les textes visés au moyen ;
"2°) alors que la citation doit permettre au prévenu de connaître de façon certaine et claire les faits qui lui sont reprochés ; que ne satisfaisait pas à cette exigence la citation délivrée à M. X... , qui lui reprochait d'avoir fait "l'apologie des crimes de guerre ou des crimes contre l'humanité" sans préciser de quel(s) crime (s) de guerre ou crime(s) contre l'humanité il aurait fait l'apologie ; qu'en rejetant l'exception de nullité de la citation de première instance présentée par M. X..., la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Attendu que, pour rejeter l'exception de nullité de la citation introductive d'instance soulevée par le prévenu, les juges retiennent que l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 vise à la fois l'apologie des crimes de guerre et des crimes contre l'humanité et que la mention des propos incriminés, accompagnée de la précision qu'ils s'adressaient à la communauté des gens du voyage, permettait au prévenu de connaître exactement le crime dont l'apologie lui était reprochée ; que les juges en déduisent, à bon droit, que l'exploit introductif d'instance satisfait aux exigences de l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Mais sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881, 591 et 593 du code de procédure pénale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X..., coupable d'apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité ;
"aux motifs que M. X..., reprenant sur le fond une partie des arguments déjà présentés à l'appui de son exception de nullité, soutient qu'il n'y aurait pas eu discours, du fait qu'une simple phrase ne saurait composer un discours, qu'il ne s'adressait à personne, ceci tant confirmé à son sens par les déclarations des policiers présents qui ont dit ne pas avoir entendu le prévenu prononcer la phrase incriminée ; qu'il ressort pourtant des éléments de la procédure, et des propres assertions de M. X... dans ses écritures, que la phrase incriminée a bien été prononcée en présence de tierces personnes et qu'elle a été captée par le journaliste du Courrier de l'Ouest qui se tenait alors derrière le prévenu ; que de plus, la formulation de cette phrase, en particulier sa fin, fait apparaître que celui qui l'a prononcée recherchait l'adhésion d'un interlocuteur, même si celui-ci n'était pas précisément déterminé ; que M. X... fait ensuite valoir qu'il n'avait pas l'intention de faire une apologie de crime ; que, mais en exprimant publiquement, et à voix suffisamment audible pour être enregistrée par une personne à laquelle, comme le fait valoir le prévenu lui-même, sa phrase ne pouvait pas être précisément destinée, son regret que le crime contre l'humanité exercé par les autorités allemandes contre les gens du voyage durant la seconde guerre mondiale n'ait pas été mené assez loin, le prévenu a bien fait une telle apologie ; que M. X... fait encore valoir qu'il n'aurait fait que répondre de façon immédiate et irréfléchie à une provocation, en particulier à des menaces proférées par différentes personnes à l'encontre de sa personne et de sa famille et des injures réitérées à son égard ; qu'il convient tout d'abord de rappeler que l'excuse de provocation n'est plus mentionnée dans le code pénal français et qu'en outre, de telles circonstances, quelle que soit la manière dont elles sont dénommées, ne peuvent pas écarter la responsabilité pénale de l'auteur des faits mais seulement être éventuellement prises en compte dans la détermination de la peine ; que ces éléments sont suffisants pour retenir la culpabilité de M. X... ;
"alors que l'apologie des crimes contre l'humanité ou des crimes de guerre ne constitue un délit que si elle a été commise dans le cadre d'un discours proféré, c'est-à-dire tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public ; qu'en se bornant au cas d'espèce, pour dire M. X..., coupable d'une telle apologie, à retenir qu'il avait prononcé les propos incriminés "publiquement et à voix suffisamment audible pour être enregistrée par une personne à laquelle sa phrase ne pouvait pas être précisément destinée", motif impropre à caractériser, dans le chef de M. X..., une intention de rendre ces propos publics, la cour d'appel a violé les textes visés au moyen" ;
Vu les articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que le délit d'apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité n'est constitué que si les propos incriminés ont été "proférés" au sens de l'article 23 de la loi sur la presse, c'est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics ;
Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable du délit susvisé, l'arrêt, après annulation du jugement et évocation, prononce par les motifs repris au moyen ;
Mais attendu qu'en statuant par des motifs dont il se déduit que les propos ont été tenus par leur auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus énoncé ;
D'où il suit que la cassation est encourue ; que, n'impliquant pas qu'il soit à nouveau statué sur le fond, elle aura lieu sans renvoi, ainsi que le permet l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Par ces motifs :
CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel d'Angers, en date du 12 août 2014 ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel d'Angers et sa mention en marge ou à la suite de l'arrêt annulé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quinze décembre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.


Synthèse
Formation : Chambre criminelle
Numéro d'arrêt : 14-86132
Date de la décision : 15/12/2015
Sens de l'arrêt : Cassation sans renvoi
Type d'affaire : Criminelle

Analyses

PRESSE - Apologie de crimes de guerre - Apologie de crimes contre l'humanité - Eléments constitutifs - Propos proféré - Définition - Propos tenu à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de le rendre public

Il résulte des articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse que le délit d'apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l'humanité n'est constitué que si les propos incriminés ont été "proférés" au sens du premier de ces textes, c'est-à-dire tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics. Encourt la censure l'arrêt qui, pour déclarer un prévenu coupable de ce délit, statue par des motifs dont il se déduit que les propos ont été tenus par leur auteur dans des circonstances exclusives de toute volonté de les rendre publics


Références :

articles 23 et 24 de la loi du 29 juillet 1881

Décision attaquée : Cour d'appel d'Angers, 12 août 2014

Sur l'exigence de propos tenus à haute voix dans des circonstances traduisant une volonté de les rendre publics, dans le même sens : Crim., 8 avril 2014, pourvoi n° 12-87497, Bull. crim. 2014, n°105 (rejet)

arrêt cité


Publications
Proposition de citation : Cass. Crim., 15 déc. 2015, pourvoi n°14-86132, Bull. crim. criminel 2015, n° 297
Publié au bulletin des arrêts de la chambre criminelle criminel 2015, n° 297

Composition du Tribunal
Président : M. Guérin
Avocat général : M. Desportes
Rapporteur ?: M. Finidori
Avocat(s) : Me Haas, SCP Bouzidi et Bouhanna, SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 22/03/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.86132
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