LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Rouen, 15 mai 2013), que, par un marché à prix global et forfaitaire non révisable, la société d'HLM Construction immobilière familiale de Normandie « Dialoge » (la société CIFN) a confié à la société Peinture Normandie (la société PN) le lot peinture de la construction de logements ; que, le chantier ayant pris du retard, la société CIFN a réactualisé le calendrier d'intervention de l'entreprise et établi un planning rectificatif signé par la société PN ; qu'un désaccord est apparu entre les parties sur le solde restant dû à l'entreprise, celle-ci ayant adressé au maître d'ouvrage un décompte intégrant les coûts induits par le retard de mise à disposition du chantier, alors que la société CIFN s'en tenait aux stipulations du marché à forfait ; que la société PN et M. Berel, mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la société PN, ont assigné la société CIFN en paiement des surcoûts entraînés par le retard ;
Sur le moyen unique :
Attendu qu'ayant retenu que le retard du chantier n'était pas imputable au maître d'ouvrage à l'égard duquel aucune faute n'était démontrée, qu'aucun avenant au contrat n'avait été signé et que la société PN avait signé le calendrier des travaux réactualisé pour tenir compte du retard, la cour d'appel a pu en déduire que le caractère forfaitaire du marché n'avait pas été modifié et que la société PN ne pouvait invoquer une augmentation de prix résultant du report de son intervention ;
D'où il suit que le moyen, pris en ses deux premières branches, n'est pas fondé ;
Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur les troisième, quatrième et cinquième branches du moyen qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Peinture Normandie et M. Berel, ès qualités, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Coutard et Munier-Apaire, avocat aux Conseils, pour la société Peinture Normandie et M. Berel, ès qualités,
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné la société CIFN à payer à la société PEINTURE NORMANDIE, et Maître BEREL ès qualités, la somme de seulement 14.130,08 ¿ au titre du solde du marché, avec intérêts au taux légal à compter de l'assignation du 16 juillet 2009 jusqu'à parfait paiement, et capitalisation des intérêts dans les conditions de l'article 1154 du code civil ;
AUX MOTIFS PROPRES QU'« aux termes de l'article 1793 du code civil, « Lorsqu'un architecte ou un entrepreneur s'est chargé de la construction à forfait d'un bâtiment, d'après un plan arrêté et convenu avec le propriétaire du sol, il ne peut demander aucune augmentation de prix, ni sous le prétexte de l'augmentation de la main-d'oeuvre ou des matériaux, ni sous celui de changements ou d'augmentations faits sur ce plan, si ces changements ou augmentations n'ont pas été autorisés par écrit, et le prix convenu avec le propriétaire » ; suivant l'article 1134 du même code, les conventions légalement formées font la loi des parties et doivent être exécutées de bonne foi ; à cet égard, des circonstances imprévisibles ne sont pas de nature à entraîner la modification du caractère forfaitaire du contrat et seules des modifications entraînant un bouleversement de l'économie de ce contrat, imputables au maître d'ouvrage, peuvent faire écarter le caractère forfaitaire du marché ; au cas d'espèce, la société PNSA indique que le délai d'exécution des travaux a été reporté à plusieurs reprises, de sorte que son intervention s'est trouvée décalée de treize mois, le début réel des travaux de peinture ne commençant qu'au mois de juin 1998 ; alors qu'il est constant qu'aucun avenant relatif aux reports des délais d'exécution des travaux de peinture n'a été établi entre les parties, il convient de rechercher si la société PNSA, à laquelle incombe la charge de cette preuve, démontre concrètement que le retard d'exécution de ses travaux est à l'origine d'un bouleversement de l'économie du contrat justifiant de déroger à la convention des parties, nonobstant les clauses formelles du CCAP prévoyant que toute prolongation de délai doit faire l'objet d'un avenant de même que toute modification du marché ou toute prolongation du délai de déroulement du chantier ou entre tous travaux modificatifs commandés par le maître d'ouvrage ; à cet égard, la société PNSA ne peut revendiquer l'application de la norme AFNOR P 03-001 de septembre 1991 à laquelle se réfère l'article 1.1.4 du CCAP, laquelle indique que le maître d'ouvrage doit indemniser l'entrepreneur d'un retard dans le commencement des travaux, dès lors que les règles de cette norme AFNOR ne peuvent prévaloir sur les dispositions légales de l'article 1793 du code civil ; la société PNSA détaille son préjudice comme suit : - dépréciation résultant de l'inflation : 2.834,86 ¿, - présence aux réunions de chantier imposées hors période contractuellement envisagée : 9.413,29 ¿, - absence d'amortissement du chef de chantier : 38.390 ¿, - absence d'activité pendant la période contractuelle : 8.593 ¿, - sous-activité pendant l'exercice 1997 : 12.613,22 ¿, outre des pénalités pour retard de paiement non chiffrées ; il sera constaté, en premier lieu, que les retards apportés à l'avancement du chantier sont imputables, selon le rapport de Monsieur X..., au maître d'oeuvre AMOYAL et non à un locateur d'ouvrage (CMR), tiers au contrat conclu entre les sociétés CIFN, maître d'ouvrage, et PNSA et que la transaction conclue entre CIFN et ces intervenants est sans incidence sur les relations contractuelles entre CIFN et PNSA, cette dernière ne pouvant l'invoquer pour soutenir que les indemnités transactionnelles perçues à cette occasion par CIFN doivent lui profiter à due proportion ; en deuxième lieu, il résulte des pièces produites aux débats que la société CIFN a transmis à la société PNSA, le 22 mai 1997, un planning de travaux établi par le maître d'oeuvre le 25 avril 1997 prévoyant une intervention reportée du 15 décembre 1997 au 15 juin 1998, puis, du fait des intempéries, reportée au 15 mars 1998 ; qu'en fait, les travaux ont démarré le 15 mai 1998 pour s'achever le 28 janvier 1999, soit un décalage de trois mois par rapport au planning de recalage ; ce planning a été signé par la société PNSA qui a donc été tenue informée du décalage de ses interventions et a pu modifier son carnet de commandes en conséquence ; en troisième lieu, la lecture des correspondances versées au dossier, échangées entre le maître d'oeuvre et la société PNSA, démontre que le décalage de trois mois d'achèvement des travaux par rapport au planning décalé d'intervention a également été causé par des défaillances de la société PNSA qui n'assistait pas aux réunions de chantier et ne mettait pas sur le site des compagnons en nombre suffisant ; en quatrième et dernier lieu, les préjudices allégués par PNSA reposent pour l'essentiel sur des calculs théoriques, s'agissant, notamment, de l'absence d'amortissement du chef de chantier et de l'absence d'activité pendant la période contractuelle et ne prennent pas en compte les prestations de peinture qu'elle a été en mesure de réaliser sur d'autres chantiers pendant la période neutralisée, alors qu'elle n'était pas liée par un contrat d'exclusivité à la société CIFN ; par ailleurs, le prix du marché ayant été fixé à un montant initial non révisable de 133.647,43 ¿, le total des préjudices énumérés par la société PNSA, calculés de façon très surévaluée comme il a été dit, ne permet pas de retenir un bouleversement effectif de l'économie du marché ; au vu de ces éléments, la société PNSA ne démontrant pas que le retard apporté à son intervention aurait eu pour conséquence un bouleversement de l'économie du marché, le jugement dont appel sera confirmé en ce qu'il l'a déboutée de sa demande tendant à voir écarter le caractère forfaitaire du marché de travaux ; enfin aucun abus de droit permettant d'accueillir une demande de dommages-intérêts de la société PNSA n'est établi ; l'absence d'opérations d'expertise, imputable à la carence de l'appelante, ne permet pas de départager les parties sur ce point en sorte que le retard d'exécution ne peut donc être imputé à faute au maître d'ouvrage avec une certitude suffisante ; le tribunal s'est contredit en affectant le DGD d'une actualisation des travaux alors qu'il avait précédemment constaté le caractère forfaitaire du marché incompatible avec cette actualisation et que la société CIFN a seulement accepté d'actualiser le prix convenu sur l'indice BT 46 pendant une période de trois mois, tout en déduisant indûment du DGD les pénalités contractuellement prévues au CCAP sous la rubrique « article 8 : mesures coercitives/contestations/prime arbitrage/résiliation » pour absences aux rendez-vous de chantier, non-respect des délais de remise du mémoire définitif, retards dans la levée des réserves et dans la remise des DOE sans pour autant que ces pénalités et déductions apparaissent justifiées ou incontestables ; les mesures d'instruction n'ayant pas pour objet de pallier la carence des parties dans l'établissement de la preuve, après comparaison des décomptes respectifs des parties et suppression des déductions correspondant à des modifications n'ayant pas donné lieu à l'établissement d'avenants modificatifs, à des absences à des rendez-vous de chantier tenus hors période contractuelle d'exécution des travaux ou encore à des travaux de reprise qui n'ont donné lieu à aucun accord ou décision de justice, il sera retenu que la société CIFN est redevable à la société PNSA, compte tenu des acomptes versés et sans prise en compte des indemnités pour retard réintégrées abusivement dans son décompte correspondant à l'option « marché forfaitaire non requalifié », d'une somme de 14.130,08 ¿ TTC, au titre du solde de tous les comptes consécutifs au contrat d'entreprise litigieux » (arrêt pp. 5 à 7) ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QU'« au regard des éléments apportés par les parties, il est fondé de considérer que les chantiers ont été lancés avec retard et que le déroulement des interventions n'a pas été conforme aux différentes commandes de marchés, néanmoins ces décalages habituels sur ce type d'opération ne peuvent remettre en cause le caractère forfaitaire des marchés et sont pris en compte par l'actualisation que le tribunal considèrera comme justifié » (jugement, p. 9) ;
1/ ALORS QUE toute obligation de faire ou de ne pas faire se résout en dommages et intérêts en cas d'inexécution de la part du débiteur ; que, dans sa relation contractuelle avec le maître d'ouvrage, exclusive des autres intervenants à la construction, l'entreprise de travaux n'a pas à subir les conséquences des retards de chantier imputables à des tiers au contrat, avec lesquels le maître d'ouvrage est conventionnellement liés et sur lesquels il dispose de moyens de pression aptes à leur faire respecter leurs engagements ; que commet nécessairement une faute engageant sa responsabilité, le maître d'ouvrage qui ne fait pas respecter le planning général contractuel des travaux par les différents constructeurs qu'il fait intervenir sur le chantier, ce qui conduit à plusieurs mois de retard accumulés, contraint l'entrepreneur situé en bout de chaîne à des sujétions et dépenses non prévues au contrat, et désorganise le fonctionnement de son entreprise ; qu'en constatant que le chantier avait eu plusieurs mois de retard (arrêt pp. 3 et 6) et que, contrairement à ce que prévoit le CCAP, aucun avenant au contrat n'avait été signé pour prendre en compte les reports des délais d'exécution des travaux de peinture (arrêt p. 5), et en refusant néanmoins de considérer comme établie la faute de la société CIFN qui n'avait pas fait respecter leurs engagements par les autres constructeurs, causant ainsi un préjudice indemnisable à la société PEINTURE NORMANDIE, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé les articles 1142 et 1147 du code civil ;
2/ ALORS QUE la cour d'appel constate que le CCAP prévoit formellement que toute prolongation de délai doit faire l'objet d'un avenant, de même que toute modification du marché ou toute prolongation du délai de déroulement du chantier ou entre tous travaux modificatifs commandés par le maître d'ouvrage (arrêt p. 5) ; qu'en écartant les demandes indemnitaires de la société PEINTURE NORMANDIE, au motif inopérant qu'elle avait signé un planning de recalage établi par le maître d'oeuvre reportant à mai 1998 le début des travaux initialement prévu en mai 1997, qu'elle était donc informée du décalage de ses interventions et avait pu modifier son carnet de commandes en conséquence, quand elle constatait par ailleurs qu'aucun avenant au contrat n'avait été signé entre l'entreprise de peinture et le maître d'ouvrage, afin de modifier les modalités contractuelles d'exécution des travaux, la cour d'appel a violé les articles 1134 et 1147 du code civil ;
3/ ALORS QUE la cour d'appel constate que le début des travaux était contractuellement prévu en mai 1997 et qu'ils n'avaient finalement commencé qu'en mai 1998 (arrêt p. 5), sans qu'aucun avenant au contrat n'ait été signé entre l'entreprise de peinture et le maître d'ouvrage (arrêt p. 5) ; qu'en écartant les demandes indemnitaires de la société PEINTURE NORMANDIE, au motif inopérant qu'un décalage de seulement trois mois aurait été imputable à cette dernière, sans s'expliquer sur les neuf autres mois de retard de mise à disposition du chantier, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1134 et 1147 du code civil ;
4/ ALORS QUE la cour d'appel affirme que les préjudices invoqués par la société PEINTURE NORMANDIE ne prendraient pas en compte les prestations de peinture qu'elle aurait été en mesure de réaliser sur d'autres chantiers durant la période neutralisée ; qu'en statuant par cette simple affirmation, sans constater l'existence effective d'un autre chantier sur lequel la société PEINTURE NORMANDIE serait intervenue, quand celle-ci déplorait, au contraire, une sous activité au cours de l'année 1997 en raison du décalage des chantiers, dont celui de la société DIALOGE (conclusions, p. 17), la cour d'appel n'a pas mis la Cour de cassation en mesure d'exercer son contrôle et elle a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
5/ ALORS QUE la cour d'appel affirme que, « l'absence d'opérations d'expertise, imputable à la carence de la société PEINTURE NORMANDIE , ne permettait pas de départager les parties » sur les demandes indemnitaires (arrêt p. 6) ; qu'en se fondant sur cette circonstance pour affirmer que le retard d'exécution ne pouvait être imputé à faute à la société CIFN avec une certitude suffisante, quand, comme le rappelait la société PEINTURE NORMANDIE (conclusions, pp. 8 et 9), il avait été jugé, par une ordonnance rendue le18 mars 2009 par le Premier Président de la cour d'appel de ROUEN, régulièrement produite aux débats (pièce n° 14), infirmant en toutes ses dispositions l'ordonnance de taxe du tribunal de commerce du HAVRE, que l'expert judiciaire ne pouvait légalement réclamer une rémunération complémentaire, de sorte qu'il ne pouvait être imputé à faute à la société PEINTURE NORMANDIE le refus de l'expert de rédiger et déposer le rapport pour lequel il avait été désigné, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1147 du code civil.