LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la SCI 235 bis cours Lafayette (la SCI), a réalisé, en qualité de maître d'ouvrage, une opération de construction d'immeubles ; qu'après avoir été indemnisée pour divers désordres par la société Albingia (l'assureur) en exécution d'une police « Tout risque chantier », la SCI a obtenu en référé la condamnation de la société BTP (la banque), caution au titre de la garantie d'achèvement, au paiement d'une somme identique ; que Mme X..., conseil de la SCI, a remis cette somme à sa cliente, qui, ayant ainsi reçu une double indemnisation, a chargé la société Sogelym Dixence, qui assurait le suivi administratif et comptable de l'opération immobilière, d'émettre, au bénéfice de l'assureur, une traite du même montant, dont elle a demandé la restitution cinq mois plus tard, le 29 août 1994, annonçant le virement imminent d'une somme équivalente sur le compte CARPAL de l'avocat ; qu'en mars 2005, l'assureur a, en vain, réclamé aux associés de la SCI dissoute la restitution des fonds avancés ; que, reprochant, d'une part, à l'avocat, qui devait l'informer des suites du pourvoi formé par la banque, d'avoir omis de lui communiquer en temps utile l'arrêt rendu le 20 novembre 1996 par la Cour de cassation et de veiller à la restitution des fonds, d'autre part, à la société Sogelym Dixence, d'avoir obtenu la remise de la traite par la promesse non tenue d'un virement, l'assureur les a assignés en indemnisation ;
Sur le premier moyen, pris en ses quatre premières branches, et sur le second moyen, ci-après annexés :
Attendu que ces griefs ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le premier moyen, pris en sa cinquième branche :
Vu les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;
Attendu que, pour réduire l'indemnisation due par l'avocat à l'assureur, l'arrêt retient que la réparation du préjudice subi par ce dernier doit être limitée à la somme de 1 500 euros, eu égard aux fautes de négligence par lui commises et aux manquements de la SCI à son obligation d'information sur les suites du litige qu'elle avait initié ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'avocat avait sollicité, dans l'hypothèse où sa responsabilité serait engagée, la confirmation du jugement qui avait évalué ce préjudice à la somme de 6 000 euros, la cour d'appel a méconnu les termes du litige et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il condamne Mme X...à payer à la société Albingia la somme de 1 500 euros à titre de dommages-intérêts, l'arrêt rendu le 10 juin 2014, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Chambéry ;
Condamne Mme X...aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, la condamne à payer la somme de 2 000 euros à la société Albingia et rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Albingia
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt infirmatif attaqué D'AVOIR limité à la somme de 1. 500 ¿ le montant des dommages-intérêts qu'il a condamné Me Monique X...à payer à la Sa Albingia ;
AUX MOTIFS QU'« il est établi que Me X...est intervenue, en droit, en qualité de mandataire de la seule SCI 235 bis cours Lafayette ; que l'article 411 du code de procédure civile cantonne par ailleurs le mandat de l'avocat à la seule procédure devant les juridictions du fond, l'article 973 imposant la constitution d'un avocat à la cour devant la Cour suprême ; que par leur formulation, les lettres adressées par Me X...à la société Albingia les 4 janvier 1995 : « j'ai demandé à Maître Y..., avocat au conseil d'État, de se constituer au nom de la SCI 235 bis cours Lafayette. Je me manquerai pas de vous tenir informés de l'évolution de cette procédure et vous serez reconnaissante de bien vouloir me faire parvenir une provision selon note cijointe », laquelle n'est pas produite, et le 8 juin 1995 : « je vous adresse copie du mémoire établi par Maître Y... dans ce dossier qui oppose la SCI 235 bis cours Lafayette à la BTP Banque », valent incontestablement extension du mandat que Me X...a cru pouvoir s'assigner, sans réserve de la société Albingia, à l'égard de celle-ci, pour une mission, d'information de cette compagnie des suites de la procédure ; que ces termes n'étaient pas de nature pour autant à abuser le plaideur avisé qu'est cette compagnie d'assurances sur les limites de ce mandat par rapport à celui de l'avocat à la Cour de cassation, son interlocuteur désigné, ou tout au moins, celui de son assurée, qui ne justifie pas en avoir remis en cause l'exécution ; que l'engagement assumé par Me X...à l'égard de la société Albingia, non suivi d'effet, est constitutif d'une faute, qui a contribué à la perte de chance de prendre connaissance immédiatement de la décision de la Cour de cassation, à laquelle ont pour l'essentiel contribué la SCI 235 bis cours Lafayette, partie à ce procès, et la société Albingia elle-même qui s'en est désintéressée jusqu'à sa lettre du 7 juillet 2000 (pièce n° 19) à laquelle Me X...n'a apporté réponse que le 23 décembre 2004, après rappel du 29 janvier 2004 ; qu'il doit être tenu compte de l'expérience de la société Albingia dans la gestion des contentieux, des fautes de négligence dans le suivi du dossier de la société Albingia, de la SCI 235 bis cours Lafayette dans l'information de son assurance sur les suites de son contentieux pour cantonner la contribution limitée de Me X...à la perte de chance de la société Albingia à la somme de 1. 500 ¿ » ;
1°) ALORS, de première part, QUE l'avocat qui s'est engagé à tenir son client informé des suites d'une procédure, a l'obligation de lui communiquer en temps utile la décision rendue dans l'instance concernée ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a ellemême constaté que Me X...s'étaient engagée à assurer une « mission d'information de la société Albingia des suites de la procédure » devant la Cour de cassation, et que cet engagement n'avait pas été « suivi d'effets » ; que dès lors, en jugeant que cette faute avait seulement « contribué à la perte de chance » de prendre connaissance immédiatement de la décision de la Cour de cassation, cependant qu'il était certain que la société Albingia aurait eu connaissance de la décision en temps utile si l'avocat avait exécuté ses obligations, la cour d'appel a méconnu le principe de la réparation intégrale du préjudice et a violé l'article 1147 du code civil ;
2°) ALORS, en tout état de cause, QUE la cour d'appel a elle-même constaté que Me X...s'était engagée à assurer une « mission d'information de la société Albingia des suites de la procédure » devant la Cour de cassation qui concernait son assurée, et que cet engagement n'avait pas été « suivi d'effets » ; qu'elle a encore constaté que Me X...avait d'abord régulièrement informé la société Albingia de l'évolution de la procédure devant la Cour de cassation jusqu'en juin 1995, que l'arrêt de la Cour de cassation était intervenu le 20 novembre 1996, et que la société Albingia s'était enquise de l'état de la procédure auprès de Me X...le 7 juillet 2000 ; qu'il résultait de ces constatations, et de l'engagement pris par l'avocat de tenir la société Albingia informée des suites de la procédure, que l'assureur n'avait commis aucune faute en s'abstenant d'interroger son assuré ou l'avocat sur l'état de la procédure avant le 7 juillet 2000 ; que dès lors, en retenant une faute de négligence de l'assureur au motif qu'il se serait désintéressé du procès jusqu'au 7 juillet 2000, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé la faute commise, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;
3°) ALORS, de troisième part, QUE la compétence ou l'expérience du client ne décharge pas l'avocat de ses obligations de diligence et de conseil, et ne constitue pas une cause d'exonération, même partielle, de la responsabilité de l'avocat ; que dès lors, en jugeant qu'il devait être tenu compte de l'expérience de la société Albingia dans la gestion des contentieux, pour cantonner la contribution de Me X...à la somme de 1. 500 ¿, la cour d'appel a violé l'article 1147 du code civil ;
4°) ALORS, de quatrième part, QUE dans ses conclusions d'appel, la société Albingia soutenait que Me X...avait commis une faute distincte en ce que, au regard du mandat qui lui avait été confié, il lui appartenait, notamment après l'arrêt rendu par la Cour de cassation, de se préoccuper du recouvrement et du reversement des fonds dus par la SCI du 235 bis cours Lafayette à la société Albingia, et à tout le moins, au titre de son obligation de conseil, d'attirer l'attention de l'assureur sur l'absence de réception des fonds et sur les délais de prescription applicables à son action en recouvrement de créance (conclusions d'appel, p. 9-10, et p. 11-12) ; qu'en ne répondant pas à ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;
5°) ALORS, en toute hypothèse, QUE dans ses conclusions d'appel, la société Albingia demandait la condamnation de Me X...à l'indemniser de l'intégralité du préjudice subi, évalué à 82. 259, 81 ¿ ; que Me X...demandait à la cour d'appel, dans l'hypothèse où elle retiendrait une faute de sa part, de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il avait alloué la somme de 6. 000 ¿ à la compagnie Albingia à titre de dommages-intérêts ; que les parties s'accordaient donc sur une indemnisation minimale de 6. 000 ¿ si la cour d'appel retenait une faute de l'avocat ; que dès lors, en réduisant d'office à 1. 500 ¿ le montant des dommages-intérêts qu'elle condamnait Me X...à payer à la société Albingia, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et a violé les articles 4 et 5 du code de procédure civile.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré prescrite l'action de la société Albingia dirigée à l'encontre la société Sogelym ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE « la mission de la société Sogelym est une mission de prestataire de service afin de suivi administratif et comptable de l'opération de promotion de la SCI 235 bis, cours Lafayette ; que cette société n'a pas de lien contractuel avec la société Albingia, compagnie d'assurances de la SCI 235 bis, cours Lafayette ; que la prescription de 10 ans de l'article L. 110-4 du code de commerce dans sa version antérieure à la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 s'applique à l'action en responsabilité délictuelle ; que l'interruption du délai de 10 années fixé par ce texte est en l'espèce constituée par l'assignation du 16 novembre 2007 ; que la date alléguée de prise de connaissance de l'arrêt de la cour de cassation du 20 novembre 1996 par la société Albingia, soit le 4 mars 2005, n'est de nature à constituer le point de départ de ce délai que s'il est par ailleurs démontré que ce n'est que par la faute exclusive de Me X..., dont la responsabilité est aussi recherchée, que la société Albingia a aussi tardivement pris connaissance de la double indemnisation, et donc de son dommage ; que les fautes conjuguées de la SCI 235 bis cours Lafayette, qui n'a pas tenu sa compagnie d'assurances informée des suites du pourvoi, de la société Albingia qui s'est abstenue de toute démarche pendant près de 5 années, entre novembre 1996 et sa lettre du 7 juillet 2000, tant auprès de son assurée que de Me X..., excluent le caractère exclusif de la faute de Me X...; que l'action de la société Albingia à rencontre de la société Sogelym apparaît ainsi prescrite » ;
ET AUX MOTIFS éventuellement ADOPTES QU'« aux termes de l'article L. 110-4 du code de commerce les obligations nées à l'occasion de leur commerce entre commerçants et non commerçants se prescrivent par dix ans ; que cette prescription s'applique à toutes les obligations qu'elles soient contractuelles, quasi contractuelles ou délictuelles ; qu'il n'est pas contesté que la SCI du 235 bis cours Lafayette avait conclu avec la société Sogelym un contrat de prestation de services consistant dans le suivi administratif et comptable de l'opération immobilière, que cette mission a pris fin le 1er janvier 1995 ; que la société Albingia reproche à la société Sogelym de lui avoir annoncé, par courrier du 29 août 1994, au nom de la SCI du 235 bis cours Lafayette, de ce qu'elle versait sur le compte CARPAL de Me X...la somme de 539. 589 francs, ce qui l'aurait contrainte à restituer une traite qui constituait une garantie alors que le virement n'a jamais été exécuté ; que le point de départ de la prescription doit en conséquence être fixé à la date du 29 août 1994, date du manquement allégué par ladite compagnie, que dès lors l'action diligentée le 16 novembre 2007 doit être déclarée irrecevable comme étant prescrite ; qu'à titre surabondant, il convient de relever que la société Sogelym n'a jamais encaissé de fonds, que seule la SCI du 235 bis cours Lafayette a perçu la double indemnisation et qu'il appartenait à la société Albingia d'attendre l'effectivité du virement annoncé avant de restituer la traite » ;
1°) ALORS, d'une part, QU'en jugeant que la date alléguée de prise de connaissance de l'arrêt de la Cour de cassation du 20 novembre 1996 par la société Albingia, soit le 4 mars 2005, n'était de nature à constituer le point de départ du délai de prescription que s'il était démontré que ce n'était que par la faute exclusive de Me X...qu'elle avait pris aussi tardivement connaissance de la double indemnisation et donc de son dommage, sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations sur ce moyen qu'elle relevait d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;
2°) ALORS, d'autre part, QUE la circonstance que la société Albingia n'ait pas attendu l'effectivité du virement annoncé par la société Sogelym avant de restituer la traite, n'excluait pas la faute de la société Sogelym en ce qu'elle avait affirmé par courrier du 29 août 1994 à la société Albingia qu'elle établissait « ce jour » un ordre de virement à Me X..., laissant ainsi croire à l'assureur qu'il devait restituer la traite ; que dès lors, à supposer que la cour d'appel ait, aux motifs précités, exclu la responsabilité de la société Sogelym, elle a violé l'article 1382 du code civil.