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25/11/2015 | FRANCE | N°14-15591

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 25 novembre 2015, 14-15591


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2014), qu'engagée le 1er septembre 2004 par la société Gan prévoyance en qualité de conseiller, Mme X... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie ; qu'invoquant une situation de harcèlement moral, elle a saisi, le 9 juin 2008, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail et de différentes demandes en paiement ;
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demande

s en résiliation du contrat de travail et en paiement de dommages-intérê...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 février 2014), qu'engagée le 1er septembre 2004 par la société Gan prévoyance en qualité de conseiller, Mme X... a fait l'objet de plusieurs arrêts de travail pour maladie ; qu'invoquant une situation de harcèlement moral, elle a saisi, le 9 juin 2008, la juridiction prud'homale d'une demande de résiliation de son contrat de travail et de différentes demandes en paiement ;
Attendu que la salariée fait grief à l'arrêt de rejeter ses demandes en résiliation du contrat de travail et en paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral, alors, selon le moyen :
1°/ que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'ainsi, la charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié ; qu'après avoir expressément retenu que les éléments dont se prévalait la salariée, pris dans leur ensemble, étaient de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral, la cour d'appel, après avoir procédé à une seconde analyse de ces mêmes éléments, a toutefois considéré qu'ils ne constituaient pas une preuve complète de l'existence d'un harcèlement ; qu'en statuant ainsi, la cour d'appel, tout en affirmant respecter les règles de preuve spécifiques applicables en la matière, les a, en réalité, méconnues en imposant en définitive à la salariée la charge d'une preuve complète qui ne devait pourtant pas peser sur elle et a violé l'article L. 1154-1 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;
2°/ que par voie de conséquence, en ne recherchant, dès lors, pas si la société, quant à elle, ne rapportait pas, pleinement et positivement, la preuve que les faits dont se prévalait la salariée n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la cour d'appel, qui avait pourtant expressément retenu que ces même faits étaient de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, n'a pas recherché si l'employeur s'acquittait de la part de charge probatoire qui pesait sur lui en la matière, l'en a ainsi exempté, et a, de ce fait, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1154-1 du code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;
3°/ que tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en adoptant expressément les motifs du jugement de départage, lesquels avaient fondé le rejet des demandes de la salariée sur l'unique considération selon laquelle les faits dont la salariée se prévalait ne laisseraient pas présumer l'existence d'un harcèlement moral, tout en retenant, par motifs propres, que ces mêmes faits permettaient de présumer l'existence d'un tel harcèlement, la cour d'appel s'est contredite dans sa motivation et a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du code de procédure civile ;
Mais attendu que sous le couvert de griefs non fondés de violation de la loi et de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en discussion devant la Cour de cassation l'appréciation des éléments de fait par laquelle la cour d'appel a, sans méconnaître les règles de preuve applicables en matière de harcèlement, constaté que certains faits avancés par la salariée n'étaient pas établis et que les autres agissements étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que le moyen, qui manque en fait en sa troisième branche, n'est pas fondé pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne Mme X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-cinq novembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Spinosi et Sureau, avocat aux Conseils, pour Mme X...

Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté Mme Naïma X... de ses demandes de résiliation judiciaire du contrat de travail et de paiement de dommages-intérêts pour harcèlement moral ;
Aux motifs propres que : « Sur la résiliation judiciaire du contrat de travail
A l'appui de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, Mme Naïma X... invoque uniquement la situation de harcèlement moral dont elle affirme avoir été victime.
Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code prévoit qu'en cas de litige, le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement et il incombe alors à l'employeur, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
A l'appui du grief formulé par la salariée à l'encontre de l'employeur, celle-ci invoque en premier lieu des éléments médicaux.
Ainsi, elle indique qu'après avoir été victime d'un vol à l'arraché, le 11 avril 2007, elle s'est trouvée en arrêt de travail, pour accident du travail, pendant plusieurs semaines, jusqu'en mai 2007.
Qu'ayant été victime d'un autre accident du travail, en l'occurrence une chute dans les escaliers du métro ayant provoqué une entorse ligamentaire du genou droit, elle s'est trouvée à nouveau en situation d'arrêt de travail à compter du 10 septembre 2007.
Qu'après avoir repris le travail au mois de novembre, elle a été atteinte à nouveau par un arrêt de travail le 23 novembre 2007, en raison d'un syndrome anxio-dépressif et qu'elle n'a jamais repris le travail.
Elle produit un certificat médical du 30 juin 2006 faisant état d'une « symptomatologie anxio-dépressive due à des problèmes professionnels » et un autre certificat médical du 8 avril 2008 notant l'existence d'un « syndrome anxio-dépressif réactionnel à un conflit professionnel ».
Elle verse également aux débats les attestations de deux clients, M. Y... et M. Z..., dont il résulte qu'ils auraient constaté la dégradation de son état physique et recueilli les confidences de la salariée sur la pression qu'elle subissait dans le cadre de son travail.
Elle produit encore les éléments suivants :
- un procès-verbal de constat d'huissier en date du 23 mai 2008 dans lequel l'officier ministériel a relevé le contenu de quelques SMS échangés avec une autre salariée de la SA GAN Prévoyance, dans le courant du mois de mai 2008, Mme Patricia A..., et dans lesquels celle-ci faisait allusion à des consignes selon lesquelles il ne conviendrait pas de parler aux agents « qui ne produisent pas assez » et à une convocation qu'elle vient de recevoir en vue d'un licenciement ainsi qu'un SMS du supérieur hiérarchique de Mme Naïma X..., M. Hervé D..., du 2 octobre 2007, ainsi rédigé : « OK gardez le moral bon courage à demain ».

- une attestation d'une ancienne employée, chargée de clientèle, Mme C..., qui indique avoir démissionné le 17 février 2006 et qui dénonce la stratégie mise en oeuvre par la SA GAN Prévoyance en vue de mettre les collaborateurs « sous pression », à savoir : une pression permanente relative à des objectifs mensuels quasi irréalisables, des rapports hebdomadaires à remplir avec des commentaires pour expliquer l'absence de réalisation des objectifs, des réunions hebdomadaires organisées par la hiérarchie qui congratulait les meilleurs et pointait du doigt les plus faibles, des phrases types et des trames de vente à apprendre par coeur ayant pour objectif de contrer les objections des « prospects ».
- des « flashes nationaux quotidiens » avec un classement par attaché d'inspection et responsables d'inspection en date des 25 mai, 21 juin et 5 juillet 2005 et 14 décembre 2006.
Mme Naïma X... dénonce aussi un suivi dans la durée des performances des conseillers en prévoyance avec des tournois annuels nationaux, une théâtralisation de la remise des récompenses aux conseillers en prévoyance et produit en ce sens un document intitulé « tournoi 2005 », un autre, relatif également à un tournoi 2005 et comportant la précision « Atteindre le Graal et entrer dans la légende » ainsi qu'un article de presse interne rendant compte de la remise des récompenses, en date du 12 septembre 2005.
Elle se plaint également de ce qu'elle était soumise, comme les autres conseillers en prévoyance, à une surveillance très serrée avec une fourniture régulière d'objectifs et des rappels à l'ordre sur la procédure à suivre ou sur le traitement des opportunités.
Elle produit ainsi les rapports hebdomadaires des semaines 1, 7, 17, 16 de l'année 2005, des semaines 25 et 26 pour 2006 et des semaines 25, 28, 39 et 43 pour 2007.
On peut y noter des commentaires de la salariée elle-même tels que : « temps de planning sur cible travailleurs non salariés non suffisants » le 18 janvier 2005, « souhait de faire le point concernant mon portefeuille clients afin de pouvoir travailler sereinement et sans stress » le 4 juillet 2005, « démotivation due au manque d'écoute et des propos de ma hiérarchie pour le moins choquants et irrespectueux résultant d'un arrêt de travail pour maladie ¿ il est également inutile de me remettre des courriers qui ne font qu'augmenter la pression et le stress professionnel » le 3 juillet 2006, ou des commentaires du supérieur hiérarchique tel que : « boostez le nombre de rendez-vous sur les différentes cibles possibles (GR, CAE, portefeuille) pour remplir l'agenda de juillet » le 25 juin 2007, « dernière semaine avant vos vacances, mettez le paquet sur la production et sur les rendez-vous » le 16 juillet 2007, ou bien encore « le traitement des opportunités hochet papillon n'est toujours pas fait et ce malgré notre entretien individuel » le 29 octobre 2007.
Si tous ces éléments, pris dans leur ensemble, peuvent effectivement être de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral, c'est dans une motivation pertinente que la cour adopte que le conseil de prud'hommes a constaté qu'en réalité, les situations et les faits dont ces éléments rendent compte étaient exempts de tout harcèlement moral.
S'agissant des éléments médicaux, il faut noter que les événements du 11 avril 2007 (vol à l'arraché) et du 10 septembre 2007 (chute dans les escaliers) n'ont pas été considérés comme des accidents du travail par la caisse primaire d'assurance-maladie et que par ailleurs, Mme Naïma X... a connu des arrêts de travail dès l'année 2006 ainsi qu'en témoigne en particulier le certificat médical susvisé du 30 juin 2006.
Alors qu'elle n'avait été embauchée que le 1er septembre 2004, elle se plaignait d'une situation de stress et formait le souhait de pouvoir travailler sereinement dès le mois de juillet 2005, ainsi qu'elle l'indiquait dans un commentaire sur un compte rendu hebdomadaire.
Autrement dit, alors que Mme Naïma X... situe « le tournant dans les relations » au cours de l'année 2007, il apparaît qu'en réalité, elle s'est trouvée très vite dans une situation dépressive, incontestablement liée à son travail mais ce qui ne signifie pas pour autant qu'elle était imputable à l'employeur en raison d'une situation de harcèlement moral.
En effet, l'exigence de rapports hebdomadaires ou les fiches d'objectifs trimestriels étaient intimement liés, comme l'a parfaitement observé le conseil de prud'hommes, aux fonctions exercées par l'intéressée telles qu'elles résultaient de son contrat de travail aux termes duquel elle était chargée de prospecter une nouvelle clientèle afin de réaliser des contrats et de développer son portefeuille en constituant un fichier de prospects, en organisant et préparant des rendez-vous, en réalisant des entretiens de vente et en faisant souscrire des affaires nouvelles.
La seule fiche d'objectifs trimestriels produite aux débats et les quelques rapports hebdomadaires fournis par l'appelante pour les années 2005, 2006 et 2007 ne font nullement apparaître des exigences pressantes, répétées, des objectifs qui seraient excessifs ou irréalisables et au contraire, l'on peut constater au cours de ces trois années un seul commentaire négatif du supérieur hiérarchique de la salariée, les autres étant plutôt des encouragements ou en tout cas des indications à suivre mais dont il n'est pas démontré en quoi elles seraient excessives ou injustifiées au regard du rôle d'animateur et de direction qui est précisément celui du responsable d'inspection ou du responsable de l'animation commerciale.
Quant aux classements effectués régulièrement et aux concours, même s'il est loisible de considérer que ces méthodes peuvent avoir un caractère quelque peu ridicule ou infantilisant, Mme Naïma X... ne saurait s'en plaindre alors qu'il résulte des flashes nationaux qu'elle produit aux débats que le 25 mai 2005, le 5 juillet 2005 et le 14 décembre 2007, elle se classait en première position tandis que le 21 juin 2005 elle se trouvait en seconde position.
Lors du tournoi organisé au cours de l'année 2005, elle se trouvait 5ème sur 242 agents et le document relatif au « Graal excellence » démontrait qu'elle avait été désignée comme lauréate dans cette catégorie, ce qui lui permettait de prétendre à des récompenses.
Enfin, l'extrait du journal interne du 12 septembre 2005 la mettait en valeur et reproduisait ses propos dans lesquels elle affirmait sa fierté de servir l'entreprise etc.
Il faut noter à ce sujet que dans tous ces documents, n'apparaissent en aucune façon des appréciations ou des présentations qui seraient de nature à humilier ou « à montrer du doigt » les agents qui n'avaient pas obtenu de bons résultats.
De ce point de vue, l'attestation de Mme C...n'est pas convaincante car, abstraction faite d'appréciations subjectives et imprécises relatives aux objectifs quasi-irréalisables et aux réunions hebdomadaires (¿) qui pointaient du doigt les plus faibles, ce qu'elle décrit ne relève que d'une organisation, certes spécifique, mais qui ne déroge en rien à ce que la hiérarchie peut être en droit d'attendre de ses vendeurs dans ce type d'activité.
Dans ces conditions, l'existence d'un harcèlement moral n'est pas établie et par conséquent, la demande de résiliation judiciaire du contrat de travail comme les demandes subséquentes seront rejetées » ;
Et aux motifs adoptés que : « Sur le harcèlement moral
L'article L. 1152-1 du code du travail dispose qu'aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.
L'article L. 1154-1 du même code énonce que, lorsque survient un litige relatif à l'application de l'article qui précède, le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Il résulte de ces textes que lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.
Sur le « tournant » dans les relations contractuelles
Madame Naïma X... explique que « le tournant », selon sa propre expression, dans ses relations avec l'employeur réside dans les deux « accidents du travail » dont elle a été victime les 11 avril 2007 et 10 septembre 2007. Or, le vol à l'arraché de son téléphone portable sur la voie publique le 11 avril 2007 n'a donné lieu à aucun préjudice corporel selon le récépissé de dépôt de plainte du 16 avril 2007 et la demanderesse ne justifie pas que ce fait ait été pris en charge par la caisse primaire d'assurance maladie au titre des accidents du travail. Quant à l'accident du 10 septembre 2007, qu'elle dit être survenu dans les couloirs du métro, après un complément d'instruction en date du 10 octobre 2007, la caisse primaire d'assurance maladie a refusé de le prendre en charge au titre des accidents du travail par décision du 3 décembre 2007. Dès lors, et contrairement à ce qu'elle affirme, Madame Naïma X... n'a été victime d'aucun accident du travail et ne saurait reprocher quoi que ce soit à son employeur à cet égard.
Sur la pression au travail et la course au chiffre
Madame Naïma X... soutient qu'elle a été victime d'une pression au travail et d'une « course au chiffre » qui caractérisent selon elle des méthodes de gestion mises en oeuvre par l'employeur constitutives de harcèlement moral.
* sur la pression exercée par la hiérarchie
L'annexe au contrat de travail que Madame Naïma X... a signée en même temps que le contrat lui-même définit ainsi ses fonctions : « Votre mission consiste à développer et maintenir un portefeuille d'assurance de personnes auprès d'une clientèle nouvelle ou existante, composée essentiellement de particuliers, mais aussi d'artisans, de commerçants et de professions libérales. Dans le respect des objectifs commerciaux de l'inspection et sur le district qui vous est confié, vous êtes chargée de :
- prospecter une nouvelle clientèle afin de réaliser des contrats et développer le portefeuille en :
- constituant un fichier prospects pour le compte de GAN PREVOYANCE,
- organisant et préparant vos rendez-vous,
- réalisant des entretiens de vente,
- faisant souscrire des affaires nouvelles (...) »
Cette même annexe prévoit notamment la signature par la salariée d'une fiche trimestrielle d'objectifs, la remise de comptes-rendus d'activité hebdomadaire ainsi que le respect de normes minimales à atteindre mensuellement s'agissant de contrats nouveaux et du montant des primes.
Il ressort de cette annexe au contrat que Madame Naïma X... a notamment pour mission de maintenir et développer un portefeuille d'assurance et est soumise à des objectifs en termes de contrats nouveaux et de chiffre d'affaires. Dès lors, la SA GAN PREVOYANCE était fondée, dans le cadre de son pouvoir de contrôle, à réclamer des comptes-rendus hebdomadaires sur l'activité de sa salariée et sur les résultats obtenus. A ce titre, Madame Naïma X... reproche d'abord à son supérieur hiérarchique, Monsieur Hervé
D...
, d'avoir rédigé les commentaires suivants dans les comptes-rendus des semaines 25 du 18 au 22 juin 2007 et 28 du 9 au 13 juillet 2007 : « Boostez le nombre de RDV sur les différentes cibles possibles (GR, GAE, Portefeuille TNS pour remplir l'agenda de juillet) » et « Dernière semaine avant vos vacances, mettez « le paquet » sur la production et les RDV ». Sauf à considérer que la moindre directive émise par un supérieur hiérarchique constitue un harcèlement moral, celles qui l'ont été par Monsieur Hervé
D...
ne sont que la mise en oeuvre banale de son pouvoir de direction. Elles ne constituent pas une « course au chiffre » comme le soutient la demanderesse dans la mesure où la prise de rendez-vous constitue l'objet même de sa mission telle que définie par l'annexe à son contrat et que son supérieur hiérarchique se borne à lui demander d'exécuter le travail pour lequel elle est rémunérée.
Madame Naïma X... reproche également à son supérieur hiérarchique de l'avoir rappelée à l'ordre sur le compte-rendu de la semaine 43 du 22 au 26 octobre 2007. Le commentaire rédigé par Monsieur Hervé
D...
est le suivant : « Le traitement dans opportunités hochets-papillon n'est toujours pas fait et ce malgré notre entretien individuel. » Madame Naïma X... a contesté ce commentaire par courriel qui n'est pas versé aux débats, et Monsieur Hervé
D...
a répondu dans les termes suivants par lettre en date du 7 novembre 2007 : « Je suis extrêmement surpris de votre contestation car vous avez été formée par Didier E..., délégué régional, dans un premier temps, puis par moi, dans un second temps, sur le process de traitement des opportunités mises en place et décidé par l'entreprise. Les procédures n'étant pas négociables, elles doivent être appliquées.
Je vous ai demandé par écrit sur votre rapport hebdomadaire de la semaine 40 de traiter les opportunités hochet papillon bien évidemment dans le respect des directives. J'ai même listé avec vous les prospects à traiter et les ai inscrits sur ledit rapport hebdomadaire.
Lors de l'analyse du rapport hebdomadaire semaine 43, soit 3 semaines après ma demande initiale, j'ai constaté avec surprise que les opportunités hochet papillon n'avaient pas été traitées en GRC, conformément à la formation que vous aviez reçue.
A l'avenir, je vous demande de suivre les directives de l'entreprise, aussi sachez que je reste à votre entière disposition, tant pour vous former à nouveau que pour vous accompagner pour un traitement efficace. »
Cette réponse de Monsieur Hervé
D...
est circonstanciée et détaillée, rédigée en termes mesurés et se termine par une proposition de formation et d'accompagnement. Les commentaires portés sur le compte-rendu de la semaine 43 sont expliqués et justifiés par le fait que la salariée n'avait pas effectué le travail demandé trois semaines avant de sorte que ce rappel à l'ordre était légitime et qu'aucun abus dans le mise en oeuvre du pouvoir de direction et de contrôle n'a été commis par l'employeur.
Madame Naïma X... reproche également à Monsieur Hervé
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de lui avoir adressé le sms suivant le 2 octobre 2007 à 20h27 : « OK gardez le moral bon courage et à demain ». Ce sms est manifestement une réponse à un sms précédent envoyé par la salariée et qui n'est pas produit et la demanderesse n'explique pas en quoi le fait d'encourager à garder le moral serait constitutif d'un harcèlement moral.
* sur les tournois et flashs nationaux
Madame Naïma X... reproche enfin à l'employeur d'avoir organisé un suivi des performances des conseillers en prévoyance avec des tournois annuels nationaux accompagnés d'une théâtralisation des remises de performances, une mise en scène, la promesse de cadeaux et des flashs nationaux quotidiens.
La SA GAN PREVOYANCE a effectivement organisé un tournoi national en 2005 baptisé « Atteindre le Graal et entrer dans la légende ». Outre que ce type de concours est classique dans les entreprises employant des salariés soumis à des objectifs de chiffre d'affaires afin d'entretenir une émulation, Madame Naïma X... a adhéré au principe de ce tournoi et s'y est pleinement investie puisqu'elle y a réalisé une excellente performance en terminant 5ème au niveau national sur plus de 242 participants, a été placée dans la catégorie « Graal excellence » et a reçu les félicitations du directeur commercial ainsi qu'une invitation à retirer les cadeaux de son choix. Madame Naïma X... ne peut se plaindre d'une théâtralisation de ce tournoi alors que la qualité de sa performance a été mise en valeur dans le journal interne de l'entreprise dans lequel elle exprimait sa satisfaction en ces termes : « Agréablement surprise de ce jour de rencontre, de toute cette attention de la part de la hiérarchie, je suis fière de représenter GAN PREVOYANCE. Une journée pleine de satisfaction et d'encouragements, qui me donne une seconde force, une grande motivation. GAN PREVOYANCE, une richesse à ne pas manquer ! »
Enfin, Madame Naïma X... ne peut affirmer que des classements étaient publiés dans des flashs nationaux quotidiens alors qu'au vu des quatre flashs de mai, juin, juillet 2005 et décembre 2006 versés aux débats, ces flashs sont mensuels et ne sont pas publiés mais sont à la disposition des conseillers qui peuvent y accéder après avoir entré leurs données de sorte que ces flashs et ces classements sont un outil pour les conseillers leur permettant d'évaluer leurs résultats et de les comparer à ceux obtenus par leurs collègues. Au demeurant, la demanderesse ne verse aucune pièce établissant que sa hiérarchie se soit fondée sur ces flashs pour l'évaluer. Au surplus, et comme précédemment, ces flashs mettent en exergue l'excellente qualité du travail accompli par Madame Naïma X... qui se classe 1ère en mai 2005, juillet 2005 et décembre 2006 et 2ème en juin 2005.
Sur la prise en compte des remarques
Sur le compte-rendu de la semaine 25 du 19 au 23 juin 2006, Madame Naïma X... a inscrit le commentaire suivant : « Démotivation due au manque d'écoute et de propos de ma hiérarchie pour le moins choquant et irrespectueux, résultant d'un arrêt de travail pour maladie. Il est également inutile de me remettre des courriers qui ne font qu'augmenter la pression et le stress professionnel. »
Toutefois, Madame Naïma X... n'indique pas quels propos choquants et irrespectueux lui a tenus sa hiérarchie de sorte que la juridiction ne peut les apprécier. Ces remarques ont manifestement été prises en compte par son responsable hiérarchique puisqu'elles n'apparaissent plus dans les comptes-rendus suivants dans lesquels la salariée ne se plaint que de rendez-vous annulés. Cette prise en considération est corroborée par la grande disponibilité de Monsieur Hervé
D...
qui ressort de sa lettre en date du 7 novembre 2007 citée ci-dessus, dans laquelle il dit se tenir à la disposition de la salariée pour la former et l'accompagner.
Sur le harcèlement moral
Il résulte de l'ensemble de ces éléments que les faits allégués par Madame Naïma X..., même pris dans leur ensemble, ne laissent pas présumer l'existence d'un harcèlement moral. Madame Naïma X... est déboutée de sa demande en paiement de dommages et intérêts pour harcèlement moral » ;
1/ Alors que, d'une part, lorsque le salarié établit la matérialité de faits précis et concordants constituant, selon lui, un harcèlement, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettent de présumer l'existence d'un harcèlement moral et, dans l'affirmative, il incombe alors à l'employeur de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; qu'ainsi, la charge de la preuve du harcèlement moral ne pèse pas sur le salarié ; qu'en l'espèce, après avoir expressément retenu que les éléments dont se prévalait Mme X..., pris dans leur ensemble, étaient de nature à laisser présumer une situation de harcèlement moral, la Cour d'appel, après avoir procédé à une seconde analyse de ces mêmes éléments, a toutefois considéré qu'ils ne constituaient pas une preuve complète de l'existence d'un harcèlement ; qu'en statuant ainsi, la Cour d'appel, tout en affirmant respecter les règles de preuve spécifiques applicables en la matière, les a, en réalité, méconnues en imposant en définitive à la salariée la charge d'une preuve complète qui ne devait pourtant pas peser sur elle et a violé l'article L. 1154-1 du Code du Travail, ensemble l'article 1315 du Code civil ;
2. Alors que d'autre part et par voie de conséquence, en ne recherchant, dès lors, pas si la société GAN PREVOYANCE, quant à elle, ne rapportait pas, pleinement et positivement, la preuve que les faits dont se prévalait Mme X... n'étaient pas constitutifs d'un harcèlement moral et que sa décision était justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement, la Cour d'appel, qui avait pourtant expressément retenu que ces même faits étaient de nature à laisser présumer l'existence d'un harcèlement moral, n'a pas recherché si l'employeur s'acquittait de la part de charge probatoire qui pesait sur lui en la matière, l'en a ainsi exempté, et a, de ce fait, privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 1154-1 du Code du Travail, ensemble l'article 1315 du Code civil ;
3. Alors qu'enfin, tout jugement ou arrêt doit être motivé à peine de nullité ; que la contradiction de motifs équivaut à un défaut de motifs ; qu'en l'espèce, en adoptant expressément les motifs du jugement de départage, lesquels avaient fondé le rejet des demandes de Mme X... sur l'unique considération selon laquelle les faits dont la salariée se prévalait ne laisseraient pas présumer l'existence d'un harcèlement moral, tout en retenant, par motifs propres, que ces mêmes faits permettaient de présumer l'existence d'un tel harcèlement, la Cour d'appel s'est contredite dans sa motivation et a ainsi méconnu les exigences de l'article 455 du Code de Procédure.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 14-15591
Date de la décision : 25/11/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Paris, 12 février 2014


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 25 nov. 2015, pourvoi n°14-15591


Composition du Tribunal
Président : Mme Lambremon (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain, Soltner et Texidor, SCP Spinosi et Sureau

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.15591
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