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05/11/2015 | FRANCE | N°14-10382

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 05 novembre 2015, 14-10382


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 novembre 2013), que M. X... a été engagé le 3 août 1987 par la société Kis, aux droits de laquelle vient la société Photomaton, au poste de technicien pour occuper en dernier lieu les fonctions de responsable d'exploitation à compter du 1er juillet 2002 ; qu'il a été arrêté pour maladie le 29 avril 2010 avant d'être déclaré inapte le 8 décembre 2010 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale le 13 décembre 2010 en demande de résiliati

on judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur ; qu'il a ...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 14 novembre 2013), que M. X... a été engagé le 3 août 1987 par la société Kis, aux droits de laquelle vient la société Photomaton, au poste de technicien pour occuper en dernier lieu les fonctions de responsable d'exploitation à compter du 1er juillet 2002 ; qu'il a été arrêté pour maladie le 29 avril 2010 avant d'être déclaré inapte le 8 décembre 2010 ; qu'il a saisi la juridiction prud'homale le 13 décembre 2010 en demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts de l'employeur ; qu'il a été licencié pour inaptitude et impossibilité de reclassement par lettre du 25 février 2011 ;
Attendu que l'employeur fait grief à l'arrêt de dire que le salarié a été victime de faits de harcèlement moral et, en conséquence, de le condamner à lui payer des dommages-intérêts pour manquement à son obligation de préserver la santé de son salarié, outre des dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail à ses torts, alors, selon le moyen :
1°/ que pour contester la véracité de l'attestation versée aux débats par le salarié, établie par M. Y..., ancien délégué syndical, l'employeur a souligné que si les faits dénoncés par lui étaient exacts il était surprenant qu'en cette qualité il n'ait pas alerté les délégués du personnel, le comité d'entreprise ou le CHSCT desdits faits de harcèlement moral ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter cet argument, sur le fait que M. Y... n'avait pu, au quotidien, apprécier les faits de harcèlement, dont le propre est d'être diffus et répétés, dans leur gravité et leurs conséquences, la cour d'appel a statué par des motifs d'ordre général impropres à caractériser la véracité des faits rapportés par le témoin et n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
2°/ que pour contester la véracité de l'attestation versée aux débats par le salarié, établie par M. Y..., ancien délégué syndical, l'employeur a souligné que si les faits dénoncés par lui étaient exacts il était surprenant qu'en cette qualité il n'ait pas alerté les délégués du personnel, le comité d'entreprise ou le CHSCT desdits faits de harcèlement moral ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter cet argument, sur le fait que M. Y... n'avait pu, au quotidien, apprécier les faits de harcèlement, dont le propre est d'être diffus et répétés, dans leur gravité et leurs conséquence quand les faits de pression, de dénigrement, voire de « cabale » destinés à déstabiliser le salarié et à « le faire craquer » relatés par M. Y..., à les supposer véridiques, étaient explicites et reconnus comme intolérables par ce dernier lui-même, la cour d'appel a dénaturé l'attestation de ce salarié en violation du principe de l'interdiction faite au juge dénaturer les documents versés aux débats ;
3°/ que le seul fait, pour un employeur, de demander à son salarié, exerçant les fonctions de responsable d'exploitation avec le statut de cadre, de le joindre un soir à 20 heures pour faire un point entre deux réunions en listant quatorze points de discussion ne saurait être constitutif de harcèlement moral ; qu'en décidant néanmoins le contraire, la cour d'appel a violé l'article L. 1152-1 du code du travail ;
4°/ qu'il appartenait au salarié d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement moral et à la cour d'appel d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; que si le salarié a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les résultats d'un audit, confié à une entreprise extérieure, avaient été commentés devant ses équipes, l'obligeant à s'expliquer et à se justifier, ce comportement reproché à son employeur ne résultait que de ses seules affirmations ; qu'en décidant néanmoins que les éléments cumulés et concordants invoqués par le salarié constituaient des faits établis laissant présumer un harcèlement moral, la cour d'appel a violé les articles L. 1152. 1 et L. 1154-1 du code du travail ;
Mais attendu que le moyen revient à remettre en discussion l'appréciation souveraine par la cour d'appel des éléments de fait, qu'elle a retenus par une décision motivée et sans dénaturation, pour en déduire que le harcèlement moral invoqué par le salarié, afin de justifier la résiliation judiciaire de son contrat de travail, était caractérisé ; que le moyen n'est pas fondé ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société Photomaton aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Photomaton à verser à M. X... la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du cinq novembre deux mille quinze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt :


Moyen produit par la SCP Boutet-Hourdeaux, avocat aux Conseils, pour la société Photomaton
Le moyen reproche à la Cour d'appel d'avoir dit que Monsieur Eric X... a été victime de faits de harcèlement moral et d'avoir, en conséquence, condamné la société PHOTOMATON, son employeur, à lui payer, la somme de 10. 000 euros de dommages et intérêts pour manquement à son obligation de préserver la santé de son salarié, outre celle de 66. 000 euros de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail aux torts de l'employeur ;
AUX MOTIFS QUE Monsieur X... invoque des dénigrements, brimades, reproches en public pratiqués à son encontre par Monsieur Z..., Directeur d'exploitation, son supérieur immédiat, et par Monsieur A..., directeur Europe, à partir du retour dans l'entreprise de ce dernier en octobre 2009 ; qu'il produit pour en justifier : une attestation de Monsieur Y..., technicien travaillant dans l'équipe de Monsieur X..., qui atteste ainsi : « suite au retour de Monsieur A..., j'ai été témoin de la pression mise sur Monsieur X..., mon supérieur (...). En effet, lors de ses visites, Monsieur Z... n'hésitait pas à me faire part, à tort, du mauvais travail de Monsieur X... et essayait par tous les moyens de me faire confirmer et avouer ses faits. A noter que Monsieur Z... dénigrait systématiquement le travail de Monsieur X... notamment lors de ses visites dans la région (...) Messieurs Z... et A... (...) ont inventé des problèmes comme j'en ai été témoin à la FNAC à Marseille par exemple ou soit disant des plaintes graves avaient été formulées par le responsable du magasin. Il n'en était rien (...) Lors de mes visites pour des réunions de la DP de la plaine Saint Denis, certaines personnes du siège m'ont confirmé qu'une cavale (sic) avait été lancée à l'encontre de Monsieur X... afin de le déstabiliser, de le faire craquer et de monter un dossier contre lui (...) et j'ai assisté également à la détérioration de son état de santé liés à sa situation je l'ai vu le jeudi 29 avril 2010, jour précédent son arrêt de travail et il m'avait confié être à bout de forces (...). Par la suite j'ai reçu des pressions de Monsieur A... lors des réunions de délégués du personnel à Paris me demandant de faire une fausse attestation contre Monsieur X... » ; une attestation de Monsieur B..., se trouvant au même niveau hiérarchique que lui dans la branche commerciale de la société, qui atteste : « à mon arrivée chez PHOTOMATON, Eric X... m'a été présenté comme le meilleur responsable exploitation de la société ; il était fort apprécié par Monsieur A... qui faisait souvent des éloges de son travail, mais surtout Monsieur Z... son directeur. Monsieur A... a quitté le groupe puis l'a réintégré un an plus tard. A ce moment très précis, tout a basculé pour Eric, il était passé de meilleur responsable d'exploitation au plus mauvais. C'est là que j'ai assisté lors des réunions comme (...) le 4 janvier 2010 à une véritable humiliation à son égard de la part d'Eric A... (...) le regard n'était plus alors porté que sur le sud est où l'on nous demandait sans cesse des rapports, où tout était monté en dramaturgie, on avait des audits ; (on) m'avait mis en garde et m'avait dit de me méfier d'Eric et de prendre mes distances alors que nous avions les meilleurs résultats de France. Tous les coups étaient permis, comme celui de dire que les clients étaient insatisfaits du service d'Eric (..) idem pour la Fnac de Marseille Bourse où une multitude de problèmes imaginaires survenaient et qui nous prenaient un fou à démentir (...). Ils ont tout fait pour nous diviser et faire en sorte qu'Eric n'ait plus de soutien de personne afin de l'isoler totalement. La pire des attitudes est venue d'Antoine Z... qui, du jour au lendemain, s'est mis à harceler Eric sur son lieu de travail sans raison et sur sa vie privée et j'en passe (...) Il déboulait sur le secteur et n'arrêtait pas de critiquer le travail d'Eric en présence de ses techniciens et surtout de ses chefs d'équipe, il l'humiliait devant moi sans relâche pour le faire craquer ce n'était plus vivable pour Eric » ; qu'il établit encore, en illustration de ce comportement, que son supérieur hiérarchique Monsieur Z... lui a demandé de le joindre un soir à 20 heures le 19 janvier 2010 pour « faire un point » entre deux réunions, en listant 14 points de discussion, liste suivie du sigle « etc » ; que par ailleurs, il indique qu'un audit de sa région a été réalisé, à la demande de la direction, par une entreprise extérieure, que ce n'était pas une pratique habituelle dans l'entreprise, que les résultats en ont été commentés devant ses équipes, l'obligeant à s'expliquer et se justifier ; que la SAS PHOTOMATON conteste la véracité des attestations produites, affirmant qu'elles sont « de complaisance » et critiquant leur forme ; qu'or, chacune de ces attestations est accompagnée d'une copie de pièce d'identité de son auteur ; qu'elles contiennent toutes deux une description de la situation et des comportements des personnes impliquées qui concordent totalement entre elles sur le fond et sur la chronologie ; qu'elles diffèrent sur la narration elle-même, sur les faits rapportés dans leur détail, sur le style ce qui contribue à leur crédibilité et accrédite leur véracité comme ayant été établie, à chaque fois, par une personne qui a assisté personnellement à des faits, des propos, des attitudes et les rapporte avec son propre langage ; qu'il en résulte que rien ne permet de remettre en cause leur sincérité, le simple fait que l'une des personnes attestant ainsi, ait quitté l'entreprise ne suffisant pas, en soi, pour faire douter de la bonne foi de ce témoignage ; que le fait que Monsieur Y..., en sa qualité de délégué syndical n'ait pas signalé ces faits aux délégués du personnel ou au CHSCT n'est pas davantage un argument probant de l'inexactitude des faits rapportés, le propre des faits de harcèlement étant d'être diffus, répétés, et de ne pouvoir être appréciés dans leur gravité et leurs conséquences dramatiques qu'avec du recul et dans leur ensemble, ce que ne pouvait faire ce salarié au quotidien ; que ces éléments, cumulés et concordants, constituent des faits établis laissant présumer un harcèlement moral et c'est à l'employeur qu'il revient de démontrer qu'ils étaient justifiés par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement ; que sur point la société PHOTOMATON expose que les réunions et contacts téléphoniques étaient fréquents pour faire le point à défaut de bureaux ou de lieux proches pour se rencontrer ; qu'elle verse en ce sens deux mails qui font apparaître que des réunions téléphoniques étaient prévues respectivement à 9 heures et à 17 heures, heures habituelles de travail ; mais qu'en cela elle ne démontre pas qu'il était d'usage ou, dans ce cas précis, urgent et nécessaire, de réclamer au salarié des explications sur points à 20 heures ; que sur la mise en oeuvre de l'audit et sa restitution en public, la société PHOTOMATON ne fournit aucune explication, n'établit ainsi pas qu'il s'agissait d'une pratique habituelle ou nécessitée par les besoins du service, et par conséquent qu'elle était étrangère à tout harcèlement ; qu'il en résulte que Monsieur X... a bien été victime, en l'espèce, de faits de harcèlement répétés ayant pour effet de dégrader ses conditions de travail et affectant sa santé ; que ce dernier point résulte suffisamment de l'attestation de Monsieur Y... citée ci-dessus et des divers éléments médicaux versés par Monsieur X... : synthèse du dossier médical par le docteur C... le 19 juin 2010 (« consultation demandée pour souffrance au travail, troubles du sommeil majeurs avec cauchemars à thématique professionnelle, pas d'événement de vie intercurrent, phobies d'évitement de tout ce qui lui rappelle son travail) ; arrêts de travail pour état dépressif réactionnel et anxiété, traitement médical pour ces symptômes ; qu'en cela l'employeur a manqué à son obligation d'assurer la sécurité et de préserver la santé de son salarié et doit l'indemniser du préjudice qui en est résulté à hauteur de 10. 000 euros à titre de dommages et intérêts ; que le non respect par la société PHOTOMATON de son obligation d'assurer la sécurité et de préserver la santé de son salarié, constitue un manquement grave aux obligations de l'employeur qui justifie la résiliation du contrat de travail aux torts de ce dernier ; que cette rupture prend effet à la date du licenciement intervenu en l'espèce le 25 février 2011 et justifie que lui soit allouée la somme de 66. 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture du contrat de travail ;

ALORS D'UNE PART QUE pour contester la véracité de l'attestation versée aux débats par Monsieur X..., établie par Monsieur Y..., ancien délégué syndical, la société PHOTOMATON a souligné que si les faits dénoncés par lui étaient exacts il était surprenant qu'en cette qualité il n'ait pas alerté les délégués du personnel, le comité d'entreprise ou le CHSCT desdits faits de harcèlement moral ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter cet argument, sur le fait que Monsieur Y... n'avait pu, au quotidien, apprécier les faits de harcèlement, dont le propre est d'être diffus et répétés, dans leur gravité et leurs conséquences, la Cour d'appel a statué par des motifs d'ordre général impropres à caractériser la véracité des faits rapportés par le témoin et n'a pas satisfait aux exigences des articles 455 et 458 du code de procédure civile ;
ALORS D'AUTRE PART QUE pour contester la véracité de l'attestation versée aux débats par Monsieur X..., établie par Monsieur Y..., ancien délégué syndical, la société PHOTOMATON a souligné que si les faits dénoncés par lui étaient exacts il était surprenant qu'en cette qualité il n'ait pas alerté les délégués du personnel, le comité d'entreprise ou le CHSCT desdits faits de harcèlement moral ; qu'en se fondant néanmoins, pour écarter cet argument sur le fait que Monsieur Y... n'avait pu, au quotidien, apprécier les faits de harcèlement, dont le propre est d'être diffus et répétés, dans leur gravité et leurs conséquence quand les faits de pression, de dénigrement, voire de « cabale » destinés à déstabiliser Monsieur X... et à « le faire craquer » relatés par Monsieur Y..., à les supposer véridiques, étaient explicites et reconnus comme intolérables par ce dernier lui-même, la Cour d'appel a dénaturé l'attestation de ce salarié en violation du principe de l'interdiction faite au juge dénaturer les documents versés aux débats ;
ALORS ENCORE QUE le seul fait, pour un employeur de demander à son salarié, exerçant les fonctions de responsable d'exploitation avec le statut de cadre, de le joindre un soir à 20 heures pour faire un point entre deux réunions en listant quatorze points de discussion ne saurait être constitutif de harcèlement moral ; qu'en décidant néanmoins le contraire, la Cour d'appel a violé l'article L 1152-1 du Code du travail ;
ALORS ENFIN QU'il appartenait à Monsieur X... d'établir la matérialité de faits précis et concordants constituant selon lui un harcèlement moral et à la Cour d'appel d'apprécier si ces éléments, pris dans leur ensemble, permettaient de présumer l'existence d'un tel harcèlement ; que si Monsieur X... a fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que les résultats d'un audit, confié à une entreprise extérieure, avaient été commentés devant ses équipes, l'obligeant à s'expliquer et à se justifier, ce comportement reproché à son employeur ne résultait que de ses seules affirmations ; qu'en décidant néanmoins que les éléments cumulés et concordants invoqués par le salarié constituaient des faits établis laissant présumer un harcèlement moral, la Cour d'appel a violé les articles L 1152. 1 et L 1154-1 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 14-10382
Date de la décision : 05/11/2015
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel de Grenoble, 14 novembre 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 05 nov. 2015, pourvoi n°14-10382


Composition du Tribunal
Président : M. Chauvet (conseiller le plus ancien faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Boutet-Hourdeaux, SCP Rocheteau et Uzan-Sarano

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2015:14.10382
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