LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur les pourvois formés par :
- M. Jacques X...,
- M. Mohammad Y...,
- M. Henry Z...,
- Mme Aline A...,
- Mme Farida B..., épouse C...,
contre l'arrêt n°01122 de la cour d'appel de COLMAR, chambre correctionnelle, en date du 27 novembre 2013, qui, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion ou une nation déterminée, les a condamnés, chacun, à 1 000 euros d'amende avec sursis, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 8 septembre 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Monfort, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Guichard ;
Sur le rapport de M. le conseiller MONFORT, les observations de la société civile professionnelle LYON-CAEN et THIRIEZ, la société civile professionnelle WAQUET, FARGE et HAZAN et de Me CARBONNIER, avocats en la Cour, et les conclusions de M. le premier avocat général CORDIER ;
Joignant les pourvois en raison de la connexité ;
Vu le mémoire commun aux demandeurs, les mémoires en défense et les observations complémentaires, produits ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 7 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23 et 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, des articles 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs et manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré MM. X..., Z... et Y... et Mmes A... et B..., épouse C..., coupables de provocation à la discrimination à raison de l'origine et de l'appartenance nationale d'un groupe de personnes, les producteurs et fournisseurs israéliens, les a condamnés à une amende de 1 000 euros avec sursis et s'est prononcé sur les intérêts civils, prononçant une condamnation globale solidaire à payer 16 000 euros aux parties civiles déclarées recevables en leur action civile ;
"aux motifs qu'il importe peu que l'alinéa 9 de l'article 24 de la loi du 29 juillet 1881 incrimine la provocation à la discrimination économique définie par l'article 225-2 du code pénal dès lors que la juridiction pénale, saisie par les termes de la prévention, se doit d'examiner si les faits à elle déférés peuvent recevoir la qualification prévue par la citation, à savoir en l'espèce, celle résultant de l'alinéa 8 dudit article, sans possibilité, dans le cadre de ce type d'infraction de procéder à une requalification ; qu'il est établi par les termes du tract distribué et par les déclarations des prévenus que ceux-ci par leur action provoquaient à discriminer les produits venant d'Israël, incitant les clients du commerce en question à ne pas acheter ces marchandises en raison de l'origine des producteurs et fournisseurs lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l'espèce Israël, qui constitue une nation au sens de l'article d'incrimination et du droit international ; que la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d'opinion et d'expression dès lors qu'elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l'incitation à opérer une différence de traitement, à l'égard d'une catégorie de personnes, en l'espèce les producteurs de biens installés en Israël ; que le seul fait pour les prévenus d'inciter autrui par leur action précitée à procéder à une discrimination entre les producteurs et/ou les fournisseurs, pour rejeter ceux d'Israël, est suffisant à caractériser l'élément matériel de l'infraction en cause sans qu'il soit nécessaire de démontrer que les produits visés dans le tract distribué étaient effectivement d'origine israélienne ;
"alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où celles-ci sont prévues par la loi et constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 incrimine la provocation publique par écrit, geste ou parole à la discrimination à raison notamment de l'origine et de l'appartenance à une nation d'une personne ou d'un groupe de personnes ; que pour retenir le délit de l'article 24, alinéa 8, de la loi précitée à l'encontre des prévenus, la cour d'appel affirme que l'action en question constituerait une incitation à la discrimination à raison de l'origine et de l'appartenance nationale des producteurs et des distributeurs israéliens, laquelle ne relèverait pas, dès lors, de la liberté d'expression ; qu'en l'état de tels motifs d'où il ne résulte pas que les slogans et tracts en cause qui ne visaient pas les producteurs et fournisseurs israéliens manifestaient l'hostilité à l'égard de la population israélienne, les propos et tracts visés à la prévention appelant au boycott des produits israéliens, en expliquant qu'il s'agissait ainsi de dénoncer des actes qualifiés de criminels commis par le gouvernement israélien dans les territoires palestiniens, comme l'acte de prévention permet de s'en assurer, sans viser ni stigmatiser la population israélienne elle-même, ni même les producteurs et fournisseurs israéliens, ni appeler à une discrimination à leur égard, visant seulement le boycott des produits d'origine israélienne, lesdits propos et tracts polémiques s'inscrivant dans le cadre d'un sujet d'intérêt général et international majeur sur le sort fait au territoire et à la population palestinienne, qui ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression de la critique de la politique d'un gouvernement ou d'un Etat, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés et le principe ci-dessus rappelé" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que MM. X..., Y..., Z..., Mmes A... et B..., ont été interpellés, avec d'autres personnes, le 26 septembre 2009 à Illzach (68) dans les locaux du magasin Carrefour, alors qu'ils participaient à une manifestation appelant au boycott des produits en provenance d'Israël, en portant des vêtements comportant la mention "Palestine vivra, boycott Israël", et en distribuant des tracts sur lesquels on lisait : "Boycott des produits importés d'Israël, acheter les produits importés d'Israël, c'est légitimer les crimes à Gaza, c'est approuver la politique menée par le gouvernement israélien", mention suivie de l'énumération de plusieurs marques de produits commercialisées dans les grandes surfaces de la région ; qu'à la suite de ces faits, ils ont fait l'objet de citations à comparaître devant le tribunal correctionnel sur le fondement de l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881, pour provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence envers un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance à une ethnie, une race, une religion, une nation ; que le tribunal a renvoyé les prévenus des fins de la poursuite, et débouté les associations parties civiles de leurs demandes ; que toutes les parties et le ministère public ont relevé appel du jugement ;
Attendu que, pour infirmer le jugement entrepris, et déclarer les prévenus coupables, l'arrêt retient que ceux-ci, par leur action, provoquaient à discriminer les produits venant d'Israël, incitant les clients à ne pas acheter ces marchandises en raison de l'origine des producteurs et fournisseurs, lesquels, constituant un groupe de personnes, appartiennent à une nation déterminée, en l'espèce Israël, qui constitue une nation au sens de l'article d'incrimination et du droit international ; que les juges ajoutent que la provocation à la discrimination ne saurait entrer dans le droit à la liberté d'opinion et d'expression dès lors qu'elle constitue un acte positif de rejet, se manifestant par l'incitation à opérer une différence de traitement à l'égard d'une catégorie de personnes, en l'espèce les producteurs de biens installés en Israël ;
Attendu qu'en prononçant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance comme de contradiction, qui répondaient aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors qu'elle a relevé, à bon droit, que les éléments constitutifs du délit prévu par l'article 24, alinéa 8, de la loi du 29 juillet 1881 étaient réunis, et que l'exercice de la liberté d'expression, proclamée par l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, peut être, en application du second alinéa de ce texte, soumis à des restrictions ou sanctions qui constituent, comme en l'espèce, des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la défense de l'ordre et à la protection des droits d'autrui ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme,
REJETTE les pourvois ;
DIT n'y avoir lieu à application de l'article 618-1 du code de procédure pénale.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le vingt octobre deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.