LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Joint les pourvois n° D 14-50.038 et Q14-19.826 ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Aix-en-Provence, 13 février 2014), que M. et Mme X... ont confié, en 1989, la construction d'une maison à une société, assurée par la société Groupama ; qu'après une déclaration de sinistre en 1998, la société Saretec, expert amiable, a indiqué que des fissures affectaient toutes les façades, l'escalier extérieur et certaines pièces ; que le Bureau d'études 2 PI, assuré auprès de la SMABTP, a préconisé l'exécution d'un joint de rupture entre la zone compacte et la zone compressible et la mise en place de vingt-six micro-pieux à une certaine profondeur ; que la société Groupama a versé, en novembre 1999, une indemnité de 308 467,53 francs (47 550,49 euros) à M. et Mme X... ; qu'au cours du mois de mars 2001, les travaux confortatifs ont été réalisés par une entreprise assurée par la société Sagena, sous la maîtrise d'oeuvre de la société 2 PI, pour un montant de 13 720,41 euros ; que, parallèlement, des travaux d'extension de la maison ont été confiés à une société assurée auprès de la société Covéa Risks ; que M. et Mme X... ont vendu leur villa à la SCI Les Aubarides (la SCI) ; que dénonçant l'existence de fissures, la SCI a, après expertise, assigné, notamment, M. et Mme X..., la société Sagena, le liquidateur chargé de la liquidation judiciaire de la société 2 PI, et la SMABTP aux fins de les voir, sur le fondement des articles 1641 et 1792 du code civil, condamnés à payer certaines sommes au titre du coût des travaux de reprise et des préjudices financier et de jouissance ; que M. et Mme Y... agissant tant en leur nom personnel qu'en qualité de représentants légaux de leur fils mineur (les consorts Y...), associés de la SCI, sont intervenus volontairement à l'instance ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant relevé, par motifs adoptés, que M. et Mme Y... avaient vécu dans un immeuble affecté de fissures traversantes, de problèmes de menuiseries et subi la présence d'étaiements de mise en sécurité, la cour d'appel a souverainement évalué le montant de la réparation due au titre du préjudice de jouissance ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article L. 113-1 du code des assurances ;
Attendu que pour déclarer la SMABTP fondée à opposer le dol de son assuré, l'arrêt retient que la société 2PI a, en toute connaissance de cause, avalisé, en sa qualité de maître d'oeuvre, des travaux non conformes à ceux qu'elle avait personnellement recommandés pour mettre fin aux désordres, a faussement affirmé que les travaux étaient conformes aux prescriptions du cabinet Saretec et à l'étude de sol et attesté que les travaux réalisés avaient été bien exécutés, alors que les vérifications techniques démontrent le contraire, que ces manquements graves de la société 2PI, qui n'ignorait pas les conséquences du défaut de respect de ses propres préconisations, quant à la survenance de nouveaux désordres, qui se sont révélés, caractérisent la faute dolosive par la violation délibérée et consciente de ses obligations professionnelles, faisant disparaître l'aléa qui est de l'essence même du contrat d'assurance ;
Qu'en statuant ainsi, sans caractériser la volonté de la société 2PI de créer le dommage tel qu'il est survenu, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision de ce chef ;
PAR CES MOTIFS :
Rejette les demandes de mise hors de cause de M. et Mme X... et de la société Covéa Risks ;
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la SMABTP fondée à opposer le dol de son assuré, l'arrêt rendu le 13 février 2014, entre les parties, par la cour d'appel d'Aix-en-Provence ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;
Condamne les sociétés SMABTP et Sagena aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne les sociétés SMABTP et Sagena à payer la somme globale de 3 000 euros aux consorts Y... et à la SCI Les Aubarides ; rejette les autres demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier juillet deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits aux pourvois par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. et Mme Y... et la société Les Aubarides.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR condamné in solidum les époux X... et Monsieur A... à payer aux consorts Y... la somme de 19.565 ¿ au titre de leur préjudice de jouissance, et D'AVOIR condamné in solidum les époux X..., et la société TTRB et la société COVEA RISKS, venant aux droits des MUTUELLES DU MANS ASSURANCES, à payer aux consorts Y... la somme de 1.935 ¿ au titre de leur préjudice de jouissance ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE « la SCI LES AUBARIDES, qui a vendu la villa par acte des 27 et 30 avril 2009, soutient avoir subi un préjudice de jouissance du dernier trimestre 2004 au mois de mars 2009, qu'elle chiffre à la somme de 107.500 ¿, soit 50 mois x 2.150 ¿, et un préjudice financier résultant de la perte de valeur de la villa du fait des désordres ; que les défendeurs ayant contesté son intérêt à agir du chef du préjudice de jouissance, les consorts Y... sont intervenus volontairement à la procédure pour reprendre, à titre subsidiaire, la demande à leur compte ; que, sur le préjudice de jouissance, l'expert mentionne dans son rapport que les époux Y... ont vécu avec des fissures, dont certaines importantes et laissant passer l'air, des problèmes d'occultation de certaines menuiseries et la présence d'étaiements de mise en sécurité ; qu'il indique que la valeur locative de la maison ayant été estimée selon l'IMMOBILIERE GOLF entre 2.000 et 2.300 ¿ par mois, il pourrait en être retenu 20%, soit pour la période de fin 2004 à juin 2007 : 30 mois x 2.150 ¿ x 20% = 12.900 ¿ ; que l'appréciation de l'expert, qui n'est pas sérieusement contestée, sera adoptée ; que la somme allouée sera donc de : 50 mois x 2.150 ¿ x 20% = 21.500 ¿ ; que l'expert précise qu'il conviendra de faire la part des préjudices engendrés par les désordres dans le corps principal de la maison et ceux subis dans l'extension, qui représente moins de 10% de la surface, soit environ 7% ; que la proportion de 9% qui existe entre les travaux de reprise relatifs aux fondations et à l'extension sera prise pour base de l'évaluation des dommages, soit une part de préjudice de jouissance de 1.935 ¿ pour l'extension et de 19.565 ¿ pour la maison principale ; que ces sommes seront allouées aux consorts Y..., victimes des mauvaises conditions d'occupation de la villa » (jugement, p. 10) ;
ET AUX MOTIFS PROPRES QUE « par motifs adoptés, le tribunal a très précisément et très judicieusement procédé au calcul des préjudices de jouissance subis par les occupants de la villa, lesquels sont intervenus volontairement à la procédure pour pallier au moyen tiré de l'irrecevabilité de la SCI à revendiquer un préjudice de jouissance ; la seule qualité de propriétaire ne suffit pas pour démontrer que la SCI aurait subi un trouble de jouissance propre, en ce qu'elle n'a perdu aucune possibilité de location, dès lors que les locaux étaient habités par les associés ; le jugement, qui a parfaitement délimité l'imputabilité des désordres et leurs conséquences entre les responsables des travaux de reprise en sous-oeuvre et ceux concernés par les travaux d'extension de la villa, sera confirmé de ce chef » (arrêt p. 8) ;
ALORS QUE le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l'équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime dans la situation où elle se serait trouvée si l'acte dommageable ne s'était pas produit ; que les consorts Y... insistaient, dans leurs conclusions (p. 12), sur l'importance et la gravité des malfaçons et désordres caractérisés par les constatations de Monsieur B..., et sollicitaient par conséquent une juste indemnisation de leur préjudice de jouissance à hauteur de 107.500 ¿ ; qu'en ne leur allouant que la somme totale de 21.500 ¿ de ce chef, quand elle rappelait les conclusions du rapport d'expertise, dont il résultait que les époux Y... avaient vécu avec des fissures, dont certaines importantes et laissant passer l'air, des problèmes d'occultation de certaines menuiseries et la présence d'étaiements de mise en sécurité, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, et a violé le principe de la réparation intégrale, ensemble les articles 1792 et 1792-1 du code civil.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué D'AVOIR déclaré la SMABTP fondée à opposer à la SCI LES AUBARIDES et aux consorts Y... le dol de son assurée, la société 2 PI ;
AUX MOTIFS ADOPTES QUE « l'article L. 113-1 du code des assurances dispose que l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ; qu'en application de l'annexe I à l'article A 243-1 du code des assurances qui prévoit les clauses types applicables aux contrats d'assurance de responsabilité décennale, la clause figurant aux conditions particulières du contrat d'assurance « responsabilités professionnelles » souscrit par la société 2PI auprès de la SMABTP, mentionnant que « ne sont jamais garantis les dommages résultants de votre fait intentionnel ou dol », est bien applicable en l'espèce ; que contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, elle leur est opposable dès lors qu'elle constitue une exclusion et non une déchéance de garantie, laquelle n'est effectivement pas opposable aux bénéficiaires des indemnités ; qu'il résulte de l'exposé du litige qu'alors que le BET 2 PI avait établi un rapport technique le 8 septembre 1999 retenant le principe de la réalisation de 26 micropieux descendus à une profondeur moyenne de 9m, ainsi que la création d'un joint de rupture ou de dilatation, pour un montant de 47.550,49 ¿, somme qui a été payée par l'assureur de responsabilité décennale, il a laissé Monsieur A... effectuer des travaux de reprise des fondations totalement différents de ceux préconisés ; que bien plus, dans son rapport de réception des travaux, il a attesté que les 9 plots réalisés par cet entrepreneur avaient partout atteint le bon sol, que le contact des fondations anciennes et nouvelles avait bien été assuré alors qu'il résulte des investigations complémentaires de FONDASOL, commandées par l'expert judiciaire, que sur les 9 plots, 6 seulement ont pu être localisés, que l'existence et la localisation des trois autres lots n'a pu être confirmée et que s'agissant des 6 plots qui ont pu être localisés, ils n'ont manifestement pas été descendus jusqu'au toit d'ancrage du bon sol, tel que cela a pourtant été attesté ; que le BET 2 PI, qui a avalisé des travaux de reprise totalement différents et d'un coût nettement moindre que ceux qu'il avait lui-même prescrits, en affirmant faussement qu'ils étaient conformes à ces derniers, et qui a attesté de leur bonne exécution alors qu'il n'a pu ignorer que ceux-ci avaient été mal ou insuffisamment exécutés, couvrant des manquements graves et dont il savait qu'ils ne manqueraient pas de provoquer les dommages objet de la présente instance, a commis une faute dolosive par la violation délibérée et consciente de ses obligations contractuelles, faisant disparaître l'aléa qui est de l'essence même du contrat d'assurance ; que son assureur, la SMABTP, est donc fondé à opposer aux parties au litige l'exclusion de garantie prévue au contrat » (jugement, pp. 11 et 12) ;
ET AUX MOTIFS PROPRES QU'« au soutien de sa contestation, la SCI LES AUBARIDES prétend que la SMABTP ne rapporte pas la preuve des conditions de l'exclusion de garantie fondée sur le dol de la SARL 2 PI ; comme le soutiennent la SMABTP et la SA SAGENA, et comme le tribunal l'a parfaitement apprécié, il résulte de l'article L. 113-1 et 2 du code des assurances que l'assureur ne répond pas des pertes et dommages provenant d'une faute intentionnelle ou dolosive de l'assuré ; ces prescriptions sont mentionnées dans la police responsabilité professionnelle souscrite par la SARL 2 PI auprès de la SMABTP ; il est démontré que dans le cadre de l'expertise confiée par GROUPAMA à la société SARETEC, destinée à la recherche des solutions concernant le mode réparatoire des désordres affectant l'immeuble des époux X..., que le BET 2 PI a établi un rapport technique le 8 septembre 1999 aux termes duquel il a préconisé une reprise en sous-oeuvre par micropieux sur la partie aval ; il a recommandé la pose de 26 micropieux de 9 ml, et la création d'un joint de rupture entre les deux zones (cf. rapport d'expertise, p.2) ; le BET 2 PI a établi le 20.04.2001 un rapport de réception des travaux de renforcement de fondations (9 plots) facturés par A... le même jour, et il a attesté dans ce rapport : - que ces travaux ont été exécutés en aval de la villa conformément aux rapports des experts géologues ainsi que de SARETEC, - que les 9 plots réalisés par A... ont partout atteint le bon sol, - que le contact des fondations anciennes et nouvelles a bien été assuré et que conformément aux rapports d'expertise, il a été exécuté également un joint de rupture entre l'amont et l'aval de la cuisine jusqu'à la porte d'entrée ; il résulte des investigations complémentaires de FONDASOL (sapiteur de l'expert C..., cf. son rapport du 23.11.2006 et rapport antérieur du 11.08.2006), que : - sur les 9 plots, 6 seulement ont pu être effectivement localisés, principalement en partie Est de la construction ; parmi ces 6 plots, l'un d'entre eux a été repéré à proximité de l'escalier extérieur d'accès à l'entrée de la maison, et un autre s'est avéré être de peu de consistance, à tel point qu'on peut légitimement s'interroger sur la qualification de plot de gros béton, - l'existence et la localisation des 3 autres plots n'a pu être confirmée, seule étant avancée une implantation supposée, - concernant les 6 plots qui ont été localisés, a été définie la profondeur de leur « sommet » respectif, soit entre 0,60 et 1 m par rapport au terrain naturel, ainsi que la nature de leur terrain d'assise constitué d'argile limoneuse marron (positionnée sur le diagramme de CASAGRANDE en limite de liquidité selon les essais en laboratoire pratiqués dans le cadre de l'expertise), - un tel sol est considéré comme sensible aux variations en teneur d'eau, c'est-à-dire comme présentant des modifications de ses caractéristiques mécaniques, particulièrement en cas de retrait, ce qui est le cas, - il s'avère donc qu'à la profondeur d'assise des plots, le sol rencontré est une argile de plasticité moyenne, particulièrement sensible aux variations de teneur d'eau, modifiant à terme son comportement, alors que le BET 2 PI a attesté que partout le bon sol avait été atteint, - en conclusion, il s'avère que l'implantation des six puits repérés ne contribuent en rien à l'efficacité de la reprise en sous-oeuvre effectuée, ces mêmes puits n'ayant manifestement pas été descendus jusqu'au toit d'ancrage du bon sol, tel que défini par le BET RILLIEUX en 1999 et confirmé par FONDASOL en août 2006, - en outre, en l'absence d'investigation sur le ferraillage des fondations superficielles de la construction d'origine, il était aventureux d'envisager un tel positionnement des plots, au risque d'entraîner une rupture desdites fondations, élément constaté par FONDASOL dans son rapport d'août 2006,- aucun système de drainage pourtant prévu n'a pu être repéré lors des sondages ; il s'évince de ces éléments techniques que la société 2 PI a, en toute connaissance de cause, avalisé, en sa qualité de maître d'oeuvre, des travaux non conformes à ceux qu'elle avait personnellement recommandé pour mettre fin aux désordres, et elle a faussement affirmé que les travaux étaient conformes aux prescriptions du cabinet SARETEC et à l'étude de sol ; en outre, elle a attesté que les travaux réalisés avaient été bien exécutés, alors que les vérifications techniques démontrent le contraire ; c'est à bon droit que le tribunal a retenu que ces manquements graves couverts par la SARL 2 PI, qui n'ignorait pas les conséquences du défaut de respect de ses propres préconisations, quant à la survenance de nouveaux désordres, qui se sont révélés, caractérisaient la faute dolosive par la violation délibérée et consciente de ses obligations professionnelles, faisant disparaître l'aléa qui est de l'essence même du contrat d'assurance ; le jugement sera confirmé en ce qu'il a retenu l'exclusion de garantie de la SMABTP et en ce qu'il l'a déclarée opposable aux bénéficiaires des indemnités » (arrêt pp. 9 et 10) ;
ALORS QU'il n'y a de faute intentionnelle ou dolosive au sens de l'article L 113-1 du code des assurances que si l'assuré a voulu non seulement l'action ou l'omission génératrice du dommage, mais encore le dommage lui-même tel qu'il s'est réalisé ; que la cour d'appel constate que la société 2 PI a consciemment avalisé, en sa qualité de maître d'oeuvre, des travaux non conformes à ceux qu'elle avait personnellement recommandé pour mettre fin aux désordres, qu'elle a faussement affirmé que les travaux étaient conformes aux prescriptions du cabinet SARETEC et à l'étude de sol, et qu'elle a attesté que les travaux réalisés avaient été bien exécutés, alors que les vérifications techniques démontraient le contraire ; qu'en statuant par ces motifs établissant seulement des erreurs de la société 2 PI, sans caractériser, comme elle y était expressément invitée (conclusions, p. 18), en quoi la faute qu'elle retenait à l'encontre de la société 2 PI aurait supposé la volonté de commettre le dommage tel qu'il s'est réalisé, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 113-1 du code des assurances.