LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail ;
Attendu qu'il résulte de ces textes que la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des missions successives avec le même salarié, soit, pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu, soit, pour faire face à un accroissement temporaire de son activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Mme X... a effectué 200 missions d'intérim auprès de la société de biscuiterie Poult entre le 17 juin 2002 et le 20 décembre 2009 en qualité de manutentionnaire ; qu'elle a saisi la juridiction prud'homale aux fins de requalification de ses contrats de travail temporaire depuis le 29 juillet 2002 en contrat à durée indéterminée et de paiement de diverses sommes en conséquence de la requalification et de la rupture ;
Attendu que pour débouter la salariée de ses demandes, l'arrêt retient qu'elle a effectivement accompli des missions d'intérim entre septembre 2003 et janvier 2006 puis entre mai 2008 et décembre 2009, que l'interruption totale des missions pendant 27 mois entre février 2006 et avril 2008 ne lui permet pas de prétendre à une requalification des contrats d'intérim en contrat à durée indéterminée à effet du 1er septembre 2003, qu'à partir de mai 2008, le nombre important de contrats (114) et le fait qu'ils aient été réguliers ne suffisent pas à établir qu'ils auraient eu pour but de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la société Poult souhaitant privilégier l'embauche en intérim d'une personne qui connaissait bien son travail et dont elle était satisfaite, plutôt que l'embauche d'un salarié intérimaire inconnu qu'elle allait devoir former, que tous les contrats de mission temporaire mentionnaient le motif soit d'accroissement temporaire d'activité, avec les références de la commande, soit de remplacement d'un salarié absent, avec le nom du salarié et le motif de son absence, que la salariée ne conteste pas la réalité des commandes et des absences de salariés, que les contrats pour accroissement temporaire d'activité étaient entrecoupés par les contrats pour remplacement de salarié absent de sorte que les surcroîts d'activité étaient bien ponctuels et non permanents, qu'il convient donc de dire que le recours à l'intérim était régulier, et n'y avoir lieu à requalification des contrats d'intérim en contrat à durée indéterminée ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il ressortait de ses constatations qu'entre 2002 et 2006, puis en 2008 et 2009, la salariée avait occupé le même emploi de manutentionnaire quel que soit le motif de recours au travail temporaire, ce dont il résultait qu'il y avait été recouru pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre et que l'emploi qu'elle occupait était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 5 juillet 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Toulouse ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel d'Agen ;
Condamne la société Poult aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Poult à payer à la SCP Bouzidi et Bouhanna la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du trois juin deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour Mme X...
LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT CONFIRMATIF ATTAQUÉ D'AVOIR jugé que les contrats d'intérim conclus entre Mme X..., épouse Y..., et la société Poult ne présentent pas de défaut et débouté l'exposante de l'ensemble de ses demandes ;
AUX MOTIFS QUE, Aux termes des articles L 1251-40 et L 1251-41 du code du travail, lorsqu'une entreprise utilisatrice a recours à un salarié en méconnaissance des dispositions des articles L 1251-5 à L 1251-7, L 1251-10 à L 1251-12, L 1251-30 et L 1251-35, ce salarié peut faire valoir auprès de l'entreprise utilisatrice les droits correspondant à un CDI prenant effet au 1er jour de sa mission et prétendre à une indemnité de requalification qui ne peut être inférieure à un mois de salaire ; que Mme X...- Y... reproche à la SAS POULT d'avoir recouru à ses services à compter du 1er septembre 2003 pour pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise en violation de l'article L 1251-5 et non pour accroissement temporaire d'activité ou remplacement de salariés absents conformément à l'article L 1251-6 ; que de tels manquements, s'ils étaient avérés, seraient effectivement de nature à entraîner la requalification des contrats d'intérim en CDI ; qu'en revanche, le non paiement de l'indemnité de fin de mission prévue à l'article L 125 1-32 et le non respect du délai de carence prévu à l'article L 1251-36 ne sont pas sanctionnés par la requalification des contrats d'intérim en CDI de sorte que les discussions engagées par les parties à ces sujets sont sans intérêt ; que Mme X...- Y... a effectivement accompli des missions d'intérim entre septembre 2003 et janvier 2006 puis entre mai 2008 et décembre 2009 ; que compte tenu de l'interruption totale des missions pendant 27 mois entre février 2006 et avril 2008, Mme X...- Y... ne peut pas prétendre à une requalification des contrats d'intérim en CDI à effet du 1er septembre 2003 ; qu'à partir de mai 2008, le nombre important de contrats (114) et le fait qu'ils aient été réguliers ne suffisent pas à établir qu'ils auraient eu pour but de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise ; que cela montre simplement que la SAS POULT souhaitait privilégier l'embauche en intérim de Mme X...
Y..., qui connaissait bien son travail et dont elle était satisfaite, plutôt que l'embauche d'un salarié intérimaire inconnu qu'elle allait devoir former ; que tous les contrats de mission temporaire mentionnaient un motif :- soit accroissement temporaire d'activité, avec les références de la commande (nom du client, n° de commande, date de livraison)- soit remplacement d'un salarié absent, avec le nom du salarié et le motif de son absence (maladie, congés payés, repos...) ; que Mme X...- Y... ne conteste pas la réalité des commandes et des absences de salariés ; que les contrats pour accroissement temporaire d'activité étaient entrecoupés par des contrats pour remplacement de salarié absent de sorte que les surcroîts d'activité étaient bien ponctuels et non permanents ; que quant au fait que les bulletins de paie étaient établis mensuellement et non pas après chaque mission, Mme X...- Y... ne peut en tirer argument dès lors que ces bulletins étaient établis par l'entreprise de travail temporaire AXE, et non par l'entreprise utilisatrice la SAS POULT ; que Mme X...- Y... n'établit pas une concertation entre les deux entreprises lors de l'établissement de ces bulletins ; qu'il convient donc de dire que le recours à l'intérim était régulier, et n'y avoir lieu à requalification des contrats d'intérim en CDI ; que par suite, à l'issue de la dernière mission d'intérim le 20 décembre 2009, la SAS POULT était libre de ne plus faire appel à Mme X...- Y... et n'avait pas à mettre en oeuvre une procédure de licenciement ; que Mme X...- Y... sera donc déboutée de ses demandes en paiement de l'indemnité de requalification, de l'indemnité compensatrice de préavis, de l'indemnité de licenciement, de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, de dommages-intérêts pour conditions brusques de rupture, et de dommages-intérêts pour non respect de la procédure de licenciement, ainsi que de sa demande de remise sous astreinte des documents sociaux rectifiés, et le jugement sera confirmé de ces chefs ;
ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE, sur la requalification, l'examen des contrats successifs montre que :- ceux concernant le remplacement d'une personne absente, l'ont été à juste titre,- ceux concernant un accroissement temporaire d'activité l'ont été pour des périodes relativement courtes entrecoupées de délais de carence suffisamment importants ; que la S. A. Poult n'a pas dérogé aux articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail qui disposent que le recours par une entreprise utilisatrice à un salarié bénéficiant d'un contrat de travail temporaire, ne peut avoir pour objet ou pour effet de pourvoir durablement à un emploi lié à son activité normale et permanente ; qu'il ne peut être autorisé que pour les besoins d'une ou plusieurs tâches résultant du seul accroissement temporaire d'activité, notamment en cas de variations cycliques de production ; qu'en conséquence la demande de requalification ne sera pas retenue ; que si la requalification n'est pas retenue, les autres demandes ne peuvent être retenues ;
ALORS D'UNE PART QUE la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de mission successifs avec le même salarié intérimaire pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu ou pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ; qu'il en résulte que l'entreprise utilisatrice ne peut recourir de façon systématique aux missions d'intérim pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre ; qu'ayant expressément constaté en l'état des faits constants du dossier, qu'entre septembre 2003 et janvier 2006 puis entre mai 2008 et décembre 2009 l'exposante avait accompli des missions d'intérim (au nombre de 114 pour la seconde période) auprès de la société Poult et qu'à cette occasion elle avait occupé le même emploi de manutentionnaire ce dont il résultait que cet emploi était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel qui a refusé de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée a violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail ;
ALORS D'AUTRE PART, et à titre subsidiaire, QU'ayant constaté que l'exposante avait effectivement accompli des missions d'intérim entre septembre 2003 et janvier 2006 puis entre mai 2008 et décembre 2009 auprès de la société Poult et qu'à l'occasion de ces contrats réguliers, elle avait occupé le même emploi de manutentionnaire, la cour d'appel qui pour conclure que l'exposante ne pouvait prétendre à une requalification des contrats d'intérim en CDI à effet du 1er septembre 2003, se borne à relever l'interruption totale des missions pendant vingt-sept mois entre février 2006 et avril 2008, sans nullement rechercher si les missions d'intérim accomplies régulièrement par l'exposante entre septembre 2003 et janvier 2006 n'étaient pas destinées à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise justifiant la requalification de la relation de travail en un contrat à durée indéterminée, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 1251-5 et 1251-6 du code du travail ;
ALORS DE TROISIEME PART QUE l'exposante avait fait valoir que c'est uniquement parce qu'elle avait bénéficié d'un congé de maternité puis d'un congé parental d'éducation que les missions d'intérim avaient été totalement interrompues entre le 25 janvier 2006 et le 16 mai 2008 et que dans ces conditions, cette interruption ne pouvait démontrer qu'en l'espèce le recours au travail temporaire n'était pas destiné à pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'utilisateur (conclusions d'appel, p. 4 et p. 3) ; qu'en se bornant à relever que, compte tenu de l'interruption totale des missions pendant vingt-sept mois entre février 2006 et avril 2008, l'exposante ne pouvait pas prétendre à une requalification des contrats d'intérim en CDI à effet du 1er septembre 2003, la cour d'appel qui n'a pas répondu au moyen pertinent des conclusions d'appel dont elle était saisie, a violé les dispositions de l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS DE QUATRIEME PART QUE la possibilité donnée à l'entreprise utilisatrice de recourir à des contrats de mission successifs avec le même salarié intérimaire pour remplacer un ou des salariés absents ou dont le contrat de travail est suspendu ou pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, ne peut avoir pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à son activité normale et permanente ; qu'il en résulte que l'entreprise utilisatrice ne peut recourir de façon systématique aux missions d'intérim pour faire face à un besoin structurel de main d'oeuvre ; qu'ayant expressément constaté, en l'état des faits constants du dossier, qu'entre mai 2008 et décembre 2009 l'exposante avait accompli 114 missions d'intérim successives auprès de la société Poult et qu'à cette occasion elle avait occupé le même emploi de manutentionnaire ce dont il résultait que cet emploi était lié durablement à l'activité normale et permanente de l'entreprise, la cour d'appel qui a refusé de requalifier la relation de travail en un contrat à durée indéterminée a violé les articles L. 1251-5 et L. 1251-6 du code du travail ;
ALORS DE CINQUIEME PART et en tout état de cause QU'en relevant, pour rejeter la demande de requalification, qu'à partir de mai 2008, le nombre important de contrats (114) et le fait qu'ils aient été réguliers « montre simplement que la SAS Poult souhaitait privilégier l'embauche en intérim de Mme X...- Y... qui connaissait bien son travail et dont elle était satisfaite, plutôt que l'embauche d'un salarié intérimaire inconnu qu'elle aurait dû devoir former », la Cour d'appel s'est prononcée par un motif totalement inopérant comme insusceptible de caractériser le fait que l'exposante, bien qu'ayant occupé sur une longue période le même emploi de manutentionnaire suivant une succession de très nombreux contrats de missions temporaires, n'avait pas occupé durablement un emploi lié à l'activité durable et permanente de l'entreprise, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L 1251-40 du code du travail ;
ALORS ENCORE QU'il résulte des articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail qu'il ne peut être recouru pour pourvoir un même poste au sein de l'entreprise utilisatrice, à des contrats de missions successifs que dans les hypothèses limitativement énumérées par le second de ces textes et notamment pour remplacer un salarié temporairement absent en cas de nouvelle absence du salarié remplacé ; qu'il en résulte qu'un contrat de mission conclu pour le remplacement d'un salarié absent ne peut être immédiatement suivi d'un contrat de mission conclu pour un accroissement temporaire d'activité ; qu'après avoir retenu qu'à partir de mai 2008 un nombre important de contrats de missions (114) avait été régulièrement conclu jusqu'en décembre 2009, la cour d'appel qui énonce que « les contrats pour accroissement temporaire d'activité étaient entrecoupés par les contrats pour remplacement de salarié absent de sorte que les surcroîts d'activité étaient bien ponctuels et non permanents », n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations selon lesquelles les contrats de missions s'étaient succédés sans interruption entre mai 2008 et décembre 2009 au profit du même salarié pour pourvoir le même poste de manutentionnaire afin d'assurer le remplacement de salarié absent puis pour faire face à un accroissement temporaire d'activité, ce dernier motif ne rentrant pas dans le champ d'application de l'article L. 1251-37 du code du travail et partant que le recours au travail temporaire avait eu pour objet ou pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise utilisatrice, ce qui justifiait sa requalification et a violé les articles L. 1251-36 et L. 1251-37 du code du travail ;
ALORS DE SEPTIEME PART QU'en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, c'est à l'entreprise utilisatrice qu'il incombe de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat ; qu'après avoir retenu que tous les contrats de mission temporaire mentionnaient comme motif : soit l'accroissement temporaire d'activité, soit le remplacement d'un salarié absent, la cour d'appel qui retient que l'exposante ne conteste pas la réalité des commandes et des absences de salarié a inversé la charge de la preuve en violation des articles L. 1251-5, L. 1251-6 du Code du travail, ensemble l'article 1315 du code civil ;
ALORS ENFIN QU'en cas de litige sur le motif du recours au travail temporaire, il incombe à l'entreprise utilisatrice de rapporter la preuve de la réalité du motif énoncé dans le contrat ; que l'exposante avait expressément contesté la réalité du motif invoqué par l'employeur à l'appui de la majorité des contrats de travail temporaire soit l'accroissement temporaire d'activité, en faisant valoir que l'employeur ne prétendait pas démontrer ce motif autrement que par la production d'un document établi par lui-même et partant dépourvu de toute force probante ; qu'en se bornant à relever que l'exposante ne conteste pas la réalité des commandes et que les contrats pour accroissement temporaire d'activité étaient entrecoupés par les contrats pour remplacement de salarié absent, « de sorte que les surcroîts d'activité étaient bien ponctuels et non permanents », la cour d'appel qui n'a par là même nullement recherché, ainsi qu'elle y était pourtant invitée, si l'employeur rapportait la preuve de la réalité du motif d'accroissement temporaire d'activité qu'il avait énoncé à l'appui de la majorité des contrats de travail temporaire, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles L. 1251-5, L. 1251-6 et L 1251-40 du code du travail ;