LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur la recevabilité du pourvoi, contestée par la défense :
Vu l'article 606 du code de procédure civile ;
Attendu qu'en infirmant, dans le dispositif de son arrêt, le jugement déboutant M. et Mmes X... (les consorts X...) de leurs demandes en indemnisation contre la société LTE construction (l'employeur) et en disant que la responsabilité de cette société en qualité de commettant devait être retenue sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du code civil, avant de surseoir à statuer sur ces demandes, « avant dire droit » sur l'existence d'une cause d'exonération tenant à la démonstration d'une faute éventuelle de M. X..., dans l'attente d'une décision pénale définitive sur les faits de violences volontaires subis par ce dernier, la cour d'appel a statué sur une partie du principal ;
D'où il suit que le pourvoi est recevable ;
Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :
Vu l'article 1384, alinéa 5, du code civil ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. X..., engagé par l'employeur en qualité d'ouvrier d'exécution, a été victime le 22 juin 2007 d'un coup de pelle asséné volontairement par un collègue, engagé en cette même qualité, sur un chantier où ils travaillaient tous les deux ; que les faits ont donné lieu à l'ouverture d'une information pénale à l'encontre de leur auteur et à une déclaration d'accident du travail ; qu'à la suite de la reconnaissance du caractère professionnel de celui-ci, la caisse primaire d'assurance maladie de l'Essonne (la caisse) a attribué une rente à la victime devenue hémiplégique ; que les consorts X... ont assigné l'employeur, en présence de la caisse en indemnisation complémentaire de leurs préjudices ;
Attendu que l'arrêt, tout en retenant, sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du code civil, la responsabilité de l'employeur en qualité de commettant du salarié ayant frappé M. X..., sursoit à statuer, dans l'attente de la décision pénale définitive sur les faits de violences volontaires subis par ce dernier, sur l'examen d'une cause d'exonération de cette responsabilité tenant à la démonstration d'une faute de la victime à l'origine de son préjudice ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'elle ne pouvait pas retenir la responsabilité de l'employeur sans examiner la cause d'exonération tirée de l'éventuelle faute de la victime, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur la première branche du moyen :
CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'il dit n'y avoir lieu à sursis à statuer obligatoire sur le fondement de l'article 4 du code de procédure pénale, l'arrêt rendu le 14 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sauf sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;
Condamne M. X... et Mmes X... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt et un mai deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Delaporte, Briard et Trichet, avocat aux Conseils, pour la société LTE construction
Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que la responsabilité de la société LTE construction SARL en qualité de commettant de M. Y... devait être retenue sur le fondement de l'article 1384, alinéa 5, du code civil ;
Aux motifs que « la cour est saisie au principal de la question de la responsabilité de l'employeur en qualité de commettant à l'égard de son préposé au titre des violences exercées contre lui sur le lieu et au temps du travail par un autre préposé ; que le conseiller de la mise en état a à juste titre considéré que la discussion portant sur cette question pouvait être tranchée indépendamment de la décision du juge pénal et écarté la possibilité d'un sursis facultatif sur cette question ; que tribunal a justement rappelé les principes de la responsabilité du commettant du fait de son préposé sur le fondement de l'article 1384 alinéa 5 du code civil et retenu qu'il appartenait à M. Jorge X... qui recherchait la responsabilité de la société LTE CONSTRUCTION en qualité de commettant de M. Y... d'établir que l'acte dommageable n'était pas étranger aux fonctions de ce dernier ; qu'il convient d'ajouter que la caractérisation du lien entre les actes dommageables et les fonctions résulte d'un faisceau d'indices parmi lesquels figurent les critères de rattachement suivants : le temps du travail, le lieu du travail, les moyens mis à la disposition du salarié par son employeur, l'existence d'ordres ou de la volonté d'agir pour le compte du commettant ; qu'il ressort des pièces produites aux débats que M. Jorge X..., employé par la société LTE CONSTRUCTION en qualité d'ouvrier professionnel depuis le 3 janvier 2005, a été victime, le 22 juin 2007, d'un coup de pelle derrière la tête porté par M. Ramazan Y..., engagé par cette même société en qualité d'ouvrier d'exécution le 20 juin 2007, suite à une bagarre survenue sur le chantier où ils travaillaient tous deux ; qu'il a présenté un traumatisme crânio-encéphalique pariéto-occipital gauche avec embarrure ayant justifié plusieurs interventions chirurgicales et dont il est résulté une hémiplégie droite ; que ces faits ont donné lieu à une déclaration d'accident du travail de la part de la société LTE CONSTRUCTION et à la reconnaissance par l'assurance maladie du caractère professionnel de l'accident ; que la CPAM a considéré que M. Jorge X... était consolidé au 15 juillet 2009 et lui a attribué une rente avec majoration pour tierce personne ; que M. Jorge X... a été licencié pour inaptitude physique par lettre en date du 30 juillet 2009 ; que la prise en charge de l'accident au titre de la législation du travail, s'agissant pour la victime d'un fait accidentel survenu aux temps et lieu du travail et à l'occasion de l'exercice de son activité salariée, est insuffisante pour caractériser la responsabilité de la société LTE CONSTRUCTION en sa qualité de commettant de l'auteur des coups, ainsi que l'ont justement retenu les premiers juges ; que le tribunal a analysé les déclarations enregistrées par les services de police et produites aux débats, à savoir les témoignages de M. Z..., conducteur de travaux de la société LTE CONSTRUCTION, et de M. A..., salarié d'une entreprise de peinture qui se trouvait sur le chantier au moment des faits, et en a déduit que la scène décrite était une scène de violences réciproques pour laquelle M. Jorge X... et M. Y... s'étaient placés en dehors de leurs fonctions et qui ne pouvait engager la responsabilité du commettant ; que la cour note cependant : 1°) que les violences ont eu lieu sur le lieu du travail et pendant le temps du travail et que M. Y... a utilisé, pour porter le coup de pelle, du matériel mis à sa disposition par son employeur ; 2°) qu'il ressort du témoignage de M. A... ¿ qui a assisté au coup de pelle et qui a rapporté les déclarations de ses collègues de chantier pour les faits antérieurs ¿ que la bagarre a commencé alors que M. Jorge X... avait demandé à M. Y... de cesser de téléphoner pendant le travail, ce dernier étant régulièrement vu, aux dires du témoin, en train de téléphoner et non de travailler ; 3°) que M. Z... indique qu'il avait donné pour consignes à M. Jorge X... " de surveiller M. Y... afin qu'il travaille normalement et qu'il ne passe pas son temps à se balader ", de sorte que l'origine de la bagarre n'est pas étrangère à l'exercice des fonctions des deux salariés ; qu'il convient en conséquence d'infirmer la décision déférée en ce qu'elle a considéré que le dommage n'avait pas été causé par M. Y... dans l'exercice de ses fonctions et qu'il n'engageait pas la responsabilité de son commettant, la société LTE CONSTRUCTION ; que le commettant ne peut s'exonérer de la responsabilité de plein droit qui pèse sur lui en plaidant la cause étrangère ou l'absence de faute de sa part ; qu'il ne peut se défendre qu'en démontrant l'existence d'un cas de force majeure ou obtenir son exonération totale ou partielle en établissant l'existence d'une faute, exclusive ou non, de la victime à l'origine du dommage subi ; que la société LTE CONSTRUCTION soutient que M. Jorge X... aurait eu une attitude fautive, directement à l'origine de son préjudice, en portant les premiers coups à M. Y..., après s'être armé d'un pied de biche ; que force est pour la cour de constater qu'elle ne dispose pour l'informer sur le déroulement des faits que d'un seul témoignage d'une personne présente sur les lieux, M. A..., qui déclare avoir vu Jorge (M. Jorge X...) donner des coups de pied de biche à " une autre personne " (M. Y...) qui avait une petite blessure à l'arcade et le menacer avec cette arme par destination ; que seule l'information pénale en cours est de nature à éclairer les juges sur les circonstances plus précises de cette bagarre afin que puisse être appréciée l'existence d'une faute de la victime à l'origine de l'emballement des faits et de l'augmentation de la violence des protagonistes qui, après en être venus aux mains, ont utilisé des matériels de chantier (pied de biche pour l'un, pelle pour l'autre) pour porter des coups à leur adversaire ; que la question de la faute de M. Jorge X..., susceptible de constituer une circonstance atténuante pour le mis en examen et de justifier un partage de responsabilité sur le plan civil, sera examinée par la juridiction pénale dans le cadre de l'appréciation de la culpabilité et de la responsabilité de M. Y... ; qu'il convient en conséquence, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, de surseoir à statuer sur la question de l'appréciation de l'existence d'une faute de la victime susceptible d'exonérer totalement ou partiellement la société LTE CONSTRUCTION de sa responsabilité de plein droit ; qu'il sera sursis à statuer sur l'ensemble des demandes présentées par M. Jorge X... et par sa famille dans l'attente de la décision pénale définitive rendue sur les faits de violences volontaires » (arrêt attaqué, pages à 7) ;
Alors, premièrement, que le commettant n'est pas responsable du dommage causé par son préposé lorsque ce dernier a agi hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions ; que pour déclarer la société LTE construction SARL civilement responsable, en tant que commettant, du dommage causé par M. Y..., l'arrêt retient que les violences sont intervenues sur le lieu du travail, pendant le temps du travail, avec du matériel mis à disposition par l'employeur et que la bagarre a commencé après que la victime a demandé à M. Y... de cesser de téléphoner, de sorte que l'origine de la rixe n'est pas étrangère à l'exercice des fonctions des salariés ; qu'en statuant ainsi, cependant que le préposé qui, par l'effet d'une initiative personnelle sans rapport avec sa mission, se saisit d'un outil pour exercer des représailles à l'encontre d'un collègue, agit hors de ses fonctions d'ouvrier, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions, la cour d'appel a violé l'article 1384, alinéa 5, du code civil ;
Alors, secondement, qu'une faute de la victime entièrement exonératoire exclut le principe même de la responsabilité ; qu'après avoir retenu que le commettant peut obtenir son exonération totale ou partielle en établissant l'existence d'une faute, exclusive ou non, de la victime à l'origine du dommage et que seule l'information pénale permettra, en l'espèce, d'apprécier l'existence d'une faute de M. X... à l'origine de l'emballement des faits et de l'augmentation de la violence des protagonistes qui ont utilisé des matériels de chantier pour se porter des coups, de sorte qu'il convient de sursoir à statuer sur cette question ; qu'en énonçant néanmoins que la responsabilité de la société LTE construction SARL doit être retenue en qualité de commettant de M. Y..., la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales qui s'évinçaient de ses propres constatations, d'où il ressortait que le principe même de la responsabilité du commettant demeurait en suspens, une cause d'exonération totale pouvant encore être établie, et a ainsi violé l'article 1384, alinéa 5, du code civil.