LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l'article 1709 du code civil, ensemble l'article 1131 du même code ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué (Papeete, 29 août 2013), que Mme X... a donné à bail à sa fille Mme Y... un terrain moyennant paiement d'un loyer d'un franc symbolique ; que Mme Y... et son époux M. Z... y ont édifié une maison dans laquelle ils ont vécu avec leurs enfants ; que les époux ont divorcé en 2004 ; que M. Z... a assigné Mme Y... en nullité du bail et en paiement d'une indemnité au titre de la maison au profit de l'indivision post-communautaire ;
Attendu que pour rejeter les demandes de M. Z..., l'arrêt retient que le bail contient un article 6 au terme duquel le preneur peut enlever les constructions à ses frais en fin de bail mais que s'il ne les enlève pas, ce qui est le cas ici, les constructions et améliorations restent la propriété du bailleur, ainsi qu'un paragraphe stipulant qu'à l'expiration du bail les constructions édifiées deviennent la propriété du bailleur sans indemnité, et que le fait pour le bailleur de récupérer en fin de bail la valeur des constructions constitue une contrepartie sérieuse qui équivaut à un loyer, de sorte que le bail a une cause et ne peut être jugé nul ;
Qu'en statuant ainsi, alors que l'existence d'une contrepartie s'apprécie au jour de la formation du contrat, la cour d'appel, qui s'est fondée sur des faits postérieurs, a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 29 août 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Papeete ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Papeete, autrement composée ;
Condamne Mme X... et Mme Y... aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf mai deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Waquet, Farge et Hazan, avocat aux Conseils, pour M. Z....
IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué D'AVOIR débouté M. Z... de ses demandes d'indemnités fondées sur l'article 555 du code civil ;
AUX MOTIFS QU'il est constant que le bail n'a pas été signé par Michel Z..., mais par son épouse seule, qui avait donné procuration à sa mère ; qu'un époux est autorisé seul à signer un bail en vue de loger la famille ; que l'époux non signataire devient co-titulaire du bail, dont les clauses lui sont opposables ; qu'il est impossible que Michel Z... ait ignoré l'existence d'un bail, puisqu'il avait besoin d'un titre d'occupation pour obtenir un permis de construire ; qu'il ne peut pas plus prétendre (et ne prétend pas) que Patua A... épouse X... avait mis à sa disposition le terrain gratuitement ; qu'en effet, le couple ne payait pas de loyer et Michel Z... ne pouvait ignorer que la mise à disposition du terrain avait une contrepartie ; qu'en revanche, il n'est pas exclu que, par sa propre négligence, il n'en ait connu les clauses précises que lorsque ce bail lui a été communiqué par le notaire en 2009 lors de la liquidation du régime matrimonial ; que le bail contient les clauses résumées ici :
- selon l'article 6 alinéa 1, le preneur peut enlever les constructions à ses frais en fin de bail mais, aux termes du second alinéa, si le preneur ne les enlève pas (ce qui est le cas ici), les constructions et améliorations restent la propriété du bailleur ;
- en page 4, un paragraphe stipule qu'à l'expiration du bail les constructions édifiées deviennent la propriété du bailleur sans indemnité ; que le fait pour le bailleur de récupérer en fin de bail la valeur des constructions constitue une contrepartie sérieuse qui équivaut à un loyer, de sorte que le bail a une cause et ne peut être jugé nul contrairement à ce qu'a dit le premier juge ; que dès lors que le sort des constructions en fin de bail était réglé par le contrat, Michel Z... ne peut prétendre à une indemnité en application de l'article 555 du code civil ; que son action est fondée sur l'article 555-3 du code civil (sic, il faut lire : 555, alinéa 3, du code civil auquel renvoie son alinéa 4) qui s'applique aux tiers de bonne foi évincés ; qu'or, M. Z... n'est pas de bonne foi puisqu'il prétend ne pas être lié par le bail et feint d'en ignorer les clauses ; que, de plus, il n'est pas évincé, le bail renouvelé continuant à courir jusqu'en 2028 et la maison étant occupée par la famille ; que, d'ailleurs, en-dehors d'une mention dans un courrier du notaire, il n'est nullement justifié d'un quelconque congé ;
ALORS, DE PREMIERE PART, QU'un contrat de bail liant deux parties aux intérêts nécessairement contradictoires ne peut, lorsqu'il est passé par écrit, être valablement signé par une seule partie, d'une part, à titre personnel, en qualité de bailleur et, d'autre part, comme mandataire de son cocontractant, en qualité de preneur ; que la Cour d'appel qui a elle-même constaté que le bail litigieux, passé par écrit, avait été signé exclusivement par Mme X..., d'une part, pour le compte de sa fille, en qualité de preneur et, d'autre part, à titre personnel, en qualité de bailleresse, sans en déduire que ce bail était nécessairement nul, en l'absence d'une signature personnelle de la fille de Mme X..., en raison de ses intérêts de preneur nécessairement contradictoires avec ceux du bailleur, a violé les dispositions combinées des articles 1234 et 1322 du code civil ;
ALORS, DE DEUXIEME PART, QUE les époux ne peuvent, l'un sans l'autre, disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ; qu'en affirmant que la stipulation d'un bail signé exclusivement par la mère de l'épouse, pour le compte de sa fille, en qualité de preneur (outre sa signature en qualité de bailleresse à titre personnel), selon laquelle les constructions édifiées par le preneur seraient acquises au bailleur en fin de bail sans indemnité était opposable à M. Z..., non signataire, et en faisant ainsi produire effet contre lui à une stipulation réduisant la portée des droits par lesquels était assuré le logement de la famille en l'absence du consentement légalement requis de ce dernier, aux côtés de son épouse, la Cour d'appel a violé les dispositions combinées de l'article 215, alinéa 3, du code civil et de l'article 1165 du même code ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QUE si le droit au bail est réputé appartenir aux deux époux par l'article 1751 du code civil, par souci de protection de chacun des époux, locataire en titre ou non, lorsque le local concerné sert ou a servi effectivement à l'habitation des deux époux, cette disposition protectrice n'a pas pour effet de rendre opposable à l'époux non locataire en titre, une stipulation contractuelle du bail conclu au cours du mariage par son conjoint qui anéantit, sans son consentement, au profit du bailleur tout droit à indemnité au titre de constructions financées par les époux au cours du bail ; que si, la Cour d'appel a entendu faire application de l'article 1751 du code civil en affirmant que « l'époux non signataire devient co-titulaire du bail, dont les clauses lui sont opposables », elle l'a alors violé par fausse application ;
ALORS, DE QUATRIEME PART, QU'en affirmant qu'il était « impossible que M. Z... ait ignoré l'existence d'un bail, puisqu'il avait besoin d'un titre d'occupation pour obtenir un permis de construire » et qu'il avait commis une négligence en ne cherchant pas à connaître ses conditions exactes avant le 30 septembre 2009 (arrêt, p. 4, alinéa 2), au lieu de rechercher si Mme A..., épouse X..., bailleresse, rapportait la preuve lui incombant du consentement donné à titre personnel par M. Z... à la stipulation litigieuse, voire, si M. Z... ne rapportait pas la preuve contraire en établissant que Mme A..., épouse X... avait mené seule la réalisation de la construction (y compris la demande de permis de construire) pendant que M. Z..., Mme Y... et leurs enfants vivaient encore en métropole et établi alors un bail contenant cette stipulation, signé par elle seule, tant en qualité de bailleur à titre personnel qu'en qualité de preneur pour le compte de sa fille, la Cour d'appel a statué par des motifs inopérants au regard des dispositions combinées des articles 1134 et 1315 du code civil ;
ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE l'existence de la contrepartie de nature à constituer un prix sérieux de la jouissance et à conférer ainsi au bail une cause, s'apprécie à la date de conclusion du bail ; qu'en l'espèce, le premier juge avait déclaré le bail nul pour défaut de prix sérieux au motif que, selon le bail, le preneur pouvait choisir de priver le bailleur des constructions de nature à constituer une contrepartie à son occupation, en les détruisant à ses frais en fin de bail ; que la Cour d'appel qui a neutralisé l'incidence de cette faculté au motif inopérant que le preneur ne l'avait pas exercée ¿ « le preneur peut enlever les constructions à ses frais en fin de bail mais, s'il ne les enlève pas (ce qui est le cas ici), les constructions restent la propriété du bailleur » (arrêt, p. 4) ¿ au lieu de s'expliquer sur son incidence quant à l'existence d'une contrepartie à la jouissance des lieux dans l'intention commune des parties, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1108 du code civil ;
ALORS, DE SIXIEME PART, QUE la mauvaise foi du constructeur ne peut le priver de son droit à indemnité dès lors que le propriétaire opte pour la conservation des constructions ; qu'en affirmant que M. Z... était de mauvaise foi, aux motifs d'ailleurs inopérants que celui-ci « (prétendait) ne pas être lié par le bail et (feignait) d'en ignorer les clauses », sans rechercher si Mme A..., épouse X..., propriétaire du terrain, qui ne rapportait pas la preuve lui incombant que M. Z... eût été personnellement lié par les clauses du bail du 14 janvier 1988, en réalité porté à sa connaissance le 30 septembre 2009 et jamais accepté, n'était pas débitrice d'une indemnité à l'égard de celui-ci, même s'il avait construit pour autrui, a privé sa décision de base légale au regard de l'article 555 du code civil ;
ALORS, DE SEPTIEME PART, QUE ayant elle-même relevé que le divorce des époux Z... remontait à l'année 2004 (arrêt, p. 2, alinéa 3), la Cour d'appel ne pouvait affirmer que M. Z... n'était « pas évincé », « le bail renouvelé continuant à courir jusqu'en 2028 et la maison étant occupée par la famille », sans caractériser la situation matérielle et juridique personnelle de M. Z... au regard du « bail renouvelé » auquel elle se réfère ; que la Cour d'appel a ainsi privé à nouveau sa décision de base légale au regard de l'article 555 du code civil.