LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa troisième branche :
Vu les articles 1382 et 1383 du code civil, ensemble les articles 1er et 2 du décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960 dans leur rédaction alors applicable ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. et Mme X... ont acquis en 1985 un bateau automoteur dont l'exploitation s'est révélée déficitaire ; qu'ils ont assigné en responsabilité l'établissement public industriel et commercial Office national de la navigation, devenu Voies navigables de France, pour manquement à ses obligations d'information et de conseil ;
Attendu que, pour rejeter les demandes des époux X..., l'arrêt retient que l'établissement public était tenu de fournir aux bateliers une information complète et exacte sur la faisabilité de leur investissement, mais qu'il n'est pas démontré que les données fournies, qui doivent être appréciées au moment où son étude a été établie, aient été erronées ou lacunaires et qu'il n'est pas établi que les époux X... aient été d'emblée dans l'incapacité d'assumer la charge de leur dette ;
Qu'en se déterminant ainsi, sans préciser si l'établissement public, tenu de s'informer pour informer en connaissance de cause, avait effectivement fourni à M. et Mme X... une information complète et exacte, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 décembre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'établissement public Voies navigables de France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'établissement public Voies navigables de France ; le condamne à payer aux époux X... la somme globale de 4 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du seize avril deux mille quinze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X....
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les époux X... de l'ensemble de leurs demandes tendant à voir condamner l'Etablissement public Les Voies Navigables de France à leur payer des dommages et intérêts pour manquements à une obligation de mise en garde de conseil et de renseignement ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE les appelants qui recherchent la responsabilité de l'Etablissement Voies Navigables de France sur le fondement des articles 1382 et 1383 du Code civil ont la charge d'administrer la preuve d'une faute commise par l'intimé en lien de causalité direct et certain avec le préjudice qu'ils invoquent ; que selon l'article 1er du décret du 26 décembre 1960 dans sa version alors applicable, l'Office National de Navigation, établissement public à caractère industriel et commercial créé par la loi du 27 février 1912, devenu l'Etablissement public national des Voies navigables de France, était chargé de centraliser et de porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant la navigation intérieure et de rechercher tous les moyens propres à développer la navigation, de provoquer, et, au besoin, de prendre toutes mesures tendant à améliorer l'exploitation des voies navigables ; que c'est dans le cadre de cette mission que l'ONN a initié un programme de modernisation de l'activité fluviale et procédé à ces fins à l'étude litigieuse ; que cette étude, même si elle n'a pas vocation à délivrer de conseil individualisé, avait bien pour finalité d'informer les bateliers sur la faisabilité de l'investissement, de sorte qu'il incombait à l'établissement public de fournir aux acquéreurs intéressés une information complète et exacte ; que cependant, pas plus qu'en première instance, les appelants ne démontrent pas que les informations alors communiquées reposaient sur des données erronées ou lacunaires ; qu'à la suite de l'appel d'offre infructueux du 29 juillet 1980, l'ONN a procédé le 27 mars 1981 à une actualisation de l'étude de rentabilité tenant compte de l'évolution des prix alors constatée, en déclinant de façon précise et détaillée plusieurs hypothèses de plan de financement sur la base d'un prix de construction compris entre 2.562.000 et 2.915.000 francs hors taxes et d'un financement bancaire de 70 ou 80 % en complément d'une aide de l'Etat et d'un apport personnel ; que le compte d'exploitation prévisionnel issu de l'étude a mis en balance des recettes de 755.700 francs et des dépenses hors emprunt de 443.694,50 francs laissant un disponible de 312.005 francs pour supporter les annuités des emprunts, dont le caractère irréaliste n'est pas établi en l'absence de toutes données économiques et financières communiquées permettant de vérifier qu'au moment où le programme a été engagé, les conditions d'exploitation effectives avaient été méconnues et les perspectives d'évolution prévisibles de l'activité mal appréciées ; que la différence avec le prix de 4.178.805 francs hors taxes auquel le marché de construction a finalement été conclu deux ans plus tard était clairement apparente pour les investisseurs ; que la majoration du prix a été accompagnée d'une augmentation de l'aide de l'Etat passant de 15 à 22,50 %, d'une avance de la région à hauteur de 39,50 % sans intérêts avec un différé d'amortissement de cinq ans, absente du montage initial, et d'une réduction à 33 % de la part de financement rémunéré, qui modifiaient avec évidence le dispositif financier, de sorte que les investisseurs professionnels ne pouvaient considérer que l'opération sur laquelle ils s'engageaient correspondait à une transposition pure et simple de l'étude précédemment publiée, les dispensant d'en vérifier l'économie
AUX MOTIFS PROPRES ENCORE QUE les appelants ne fournissent aucun justificatif de leur situation de patrimoine et de ressources permettant de considérer qu'au moment où ils se sont engagés dans l'opération, l'ONN devait les mettre en garde sur une insuffisance de leur capacité financière ; qu'ils ne communiquent pas non plus l'ensemble des conventions conclues pour financer l'acquisition, de façon à apprécier le niveau précis de leur endettement ; que le seul acte produit est relatif au prêt « pour le financement de la construction de l'automoteur » passé le 14 mai 1985 entre l'ONN et Monsieur X... d'un montant de 1.650.628 francs remboursable sans intérêts en trente versements semestriels de 55.021 francs avec un différé d'amortissement de cinq ans, correspondant à l'avance de 39,5 % débloquée par la région ; que ce prêt a effectivement donné lieu le 7 décembre 1994 à un plan de rééchelonnement portant sur les annuités de 1991 à 1994, puis à des aménagements ultérieurs définis dans des courriers de l'ONN de 1995 à 2003 ; que pour autant, les appelants ne justifient pas avoir d'emblée, comme ils le soutiennent, été dans l'incapacité d'assumer la charge globale de·la dette ; que le document intitulé « comparatifs sur quinze exercice du prévisionnel VNF et des réalisations » qu'ils produisent n'est accompagné d'aucun document comptable et n'est pas non plus certifié ; que les seules données comptables vérifiées sont celles communiquées à Voies navigables de France à partir de 1994 pour le rééchelonnement du prêt, ne faisant apparaître de résultat déficitaire qu'à compter de 1995 en indiquant un retour à l'équilibre en 2000 ; que les délais consentis le 7 décembre 1994 se référaient expressément à des circonstances conjoncturelles tenant à la situation difficile du marché du transport, laquelle n'est pas imputable à l'établissement intimé ; que les appelants invoquent en vain une lettre du 15 octobre 1996 des Voies navigables de France énonçant que le projet de dispositif financier entre la Région Nord-Pas-de-Calais et l'établissement « reposait sur une étude économique et financière réalisée par VNF dans le but d'ajuster précisément les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs» pour en déduire que l'ONN a reconnu que les prêts accordés l'ont été au vu de l'étude de 1979-1980 qui était erronée, alors que ce courrier concerne un projet d'avenant à la convention de 1982 « aujourd'hui dans l'impasse » et s'applique à une étude du 30 avril 1996 intitulée «Recherche de modalités réalistes de remboursement (et de leurs conséquences) tenant compte de la capacité économique des emprunteurs appréciée au 30 octobre 1995 », et en aucun cas au montage mis en place en 1985 et aux conditions économiques de cette époque ; que dès lors, le jugement qui a retenu que Monsieur et Madame X... ne rapportaient pas la preuve d'une faute de l'établissement Voies Navigables de France en lien de causalité directe avec le préjudice invoqué, et qui les a déboutés de leurs demandes, sera confirmé ; étant encore observé qu'il est équitable de compenser à hauteur de 1.000 euros les frais non compris dans les dépens que l'intimé a été contraint d'exposer ;
ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES DES PREMIERS JUGES, QUE contrairement à ce que soutiennent les époux X..., il n'existait aucune obligation de conseil et d'information de l'Office National de Navigation à leur égard, puisque, d'une part, un tel objet n'entrait pas dans la mission de cet établissement public et d'autre part, parce qu'il n'existait aucune relation contractuelle entre eux, l'Office ayant seulement été en rapport avec la SCNF qui n'est pas dans la cause ; la simple organisation par l'Office de réunions d'information auxquelles les époux X... ont assisté et dont ils ont pu recevoir le compte rendu, est insuffisante à créer un lien contractuel entre les parties ; que le rôle joué par l'Office dans le montage financier destiné à permettre l'acquisition des automoteurs ne le constitue pas pour autant en dispensateur de crédit ou en banquier des époux X..., qui aurait, en cette qualité, été tenu de vérifier leur degré d'endettement et de les mettre en garde, précision donnée que les demandeurs ne fournissent aucun élément sur leur situation patrimoniale et financière, ni au moment où ils ont contracté en 1985, ni maintenant ; que par ailleurs, le fait que l'étude réalisée en 1979-1980 par l'Office ne se soit pas confirmée dans la réalité ne le constitue pas nécessairement en faute, sauf pour les époux X... à démontrer, ce qu'ils ne font pas, que le travail de la défenderesse comportait des éléments inexacts dès cette époque ou que les prévisions faites étaient manifestement fausses comme ne correspondant pas à ce qui était alors généralement admis comme devant se produire dans le futur ; qu'en particulier, il n'est pas prouvé que les évolutions favorables dans le volume de fret que l'étude prévoyait et qui ont été largement démenties, étaient manifestement dépourvues de réalisme dès le départ, ni que le coût prévu par le nouvel automoteur 850 m3 était volontairement sous-évaluée ; qu'aucune garantie n'était apportée par l'Office quant aux résultats financiers à attendre de l'achat d'un automoteur 850 m3, l'étude qui a insisté au contraire sur la difficulté d'établir des prévisions de postes de dépenses dans des périodes de conjoncture incertaine, ayant un caractère simplement informatif et général ; que la démonstration d'un lien de causalité directe entre le préjudice allégué et la faute prétendue n'est pas davantage faite, les époux X... s'étant définitivement engagés seulement en 1985, soit plus de cinq années après la présentation de l'étude contestée et sans qu'il soit fait référence dans le contrat à l'étude querellée, alors que le coût de l'automoteur avait considérablement augmenté, ce qu'ils ne pouvaient ignorer, de sorte que cette étude, assimilable à une étude de marché à la durée de vie éphémère, ne peut être considérée comme un élément déterminant de leur consentement à l'achat ;
ET AUX MOTIFS, TOUJOURS A LES SUPPOSER ADOPTES ENCORE DES PREMIERS JUGES, QU'en tout état de cause, il appartenait aux demandeurs, en tant que professionnels de la batellerie, de réexaminer au moment de leur engagement définitif, la faisabilité de l'opération, au vu de leur situation financière et des perspectives prévisibles d'activité du domaine d'activité, telles qu'elles apparaissaient en 1985, incluant notamment les difficultés d'affrètement intervenues en 1983, et non telles qu'elles étaient prévues en 1979-1980, dont il était manifeste qu'elles n'avaient pas été réactualisées ; que l'existence d'une clause pénale, dont ils aurait pu discuter l'application ou demander la réduction sensible en cas de renonciation à rachat de l'automoteur, ne peut suffire à justifier leur attitude passive en 1985 ; qu'il ne saurait enfin être argué d'un courrier envoyé le 15 octobre 1996 à Monsieur X... faisant référence à une étude économique et financière par VNF pour établir le lien de causalité manquant, dans la mesure où il résulte du contexte de cette lettre que l'étude visée n'est pas l'étude litigieuse ; qu'en effet, outre que l'étude à laquelle il est fait référence a été faite par VNF et non pas l''Office National de Navigation, elle a pour but « d'ajuster les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs », ce qui n'était manifestement pas l'objet de l'étude de 1979-1980 ; que dans ces conditions, les époux X... ne rapportant pas la preuve d'une faute de l'établissement Voies Navigables de France, contractuelle ou délictuelle, en lien direct avec le préjudice dont ils se prévalent, doivent être déboutés de l'ensemble de leurs prétentions ;
ALORS QUE, D'UNE PART, celui qui a accepté de donner des renseignements a lui-même l'obligation de s'informer pour informer en connaissance de cause ; qu'en statuant comme elle l'a fait, tout en constatant que les appelants invoquaient en vain une lettre du 15 octobre 1996 des Voies Navigables de France énonçant que le projet du dispositif financier entre la région Nord-Pas-de-Calais et l'établissement « reposait sur une activité économique et financière réalisée par VNF dans le but d'ajuster précisément les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs », pour en déduire que l'ONN a reconnu que les prêts accordés l'ont été au vu de l'étude de 1979-1980 qui était erronée, alors que ce courrier - selon la Cour - concernerait un projet d'avenant à la Convention de 1982 « aujourd'hui dans l'impasse », et s'appliquait à une étude du 30 avril 1996 intitulée « recherche de modalités réalistes de remboursement (et de leurs conséquences) tenant compte de la capacité économique des emprunteurs appréciée au 30 octobre 1995 » et en aucun cas au montage mis en place en 1985 et aux conditions économiques de cette époque, la Cour qui statue à la faveur de motifs inopérants et insuffisants ne justifie pas légalement son arrêt au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble des articles 1 et 2 du décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960 dans leur rédaction alors applicable ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, il résulte de l'arrêt lui-même que le prêt « pour le financement de la construction de l'automoteur », passé le 14 mai 1985 entre l'Office National de la Navigation devenu Etablissement public national des Voies Navigables de France, et Monsieur X... était d'un montant de 1.650.628 francs remboursable sans intérêts en trente versements semestriels de 55.021 francs avec un différé d'amortissement de cinq ans, correspondant à l'avance de 39,5 % débloquée par la région, la Cour relevant encore que ce prêt a effectivement donné lieu le 7 décembre 1994 à un plan de rééchelonnement portant sur les annuités de 1991 à 1994, puis à des aménagements ultérieurs définis dans des courriers de l'ONN de 1995 à 2003, et notamment la lettre du 15 octobre 1996 ; qu'ainsi, l'Etablissement public industriel et commercial avait bien prêté à Monsieur X... une somme de 1.650.628 francs ; qu'il ne résulte d'aucune constatation de l'arrêt que l'emprunteur était averti en matière économique et financière n'étant qu'un professionnel de la batellerie ; qu'en confirmant le jugement au motif que Monsieur et Madame X... ne rapportaient pas la preuve d'une faute de l'Etablissement Voies Navigables de France en lien de causalité directe avec le préjudice invoqué, la Cour méconnaît l'article 1315 du Code civil, ensemble les articles 1382 et 1383 du même Code dans la mesure où c'est au débiteur d'une obligation de mise en garde, d'information et de conseil de rapporter la preuve qu'il a bien satisfait à cette obligation, et non à l'emprunteur de rapporter la preuve d'une absence d'information ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART, la Cour relève que dans le cadre de ses missions l'Office National de la Navigation avait initié un programme de modernisation de l'activité fluviale et avait procédé à une étude, même si elle n'avait pas vocation à délivrer de conseil individualisé, cette étude avait pour finalité d'informer les bateliers sur la faisabilité de l'investissement, de sorte qu'il incombait à l'Etablissement public de fournir aux acquéreurs intéressés une information complète et exacte ; qu'après avoir fait état de cette prémisse, la Cour méconnaît son office en ne vérifiant pas que l'Etablissement public avait effectivement fourni aux acquéreurs intéressés, et spécialement à Monsieur et Madame X..., une information complète et exacte, ce qui supposait que l'Etablissement lui-même qui avait accepté de donner des renseignements s'informe pour informer en connaissance de cause ; qu'en l'état de motifs inopérants et insuffisants, il ne résulte absolument pas de l'arrêt que l'obligation sus évoquée ait été satisfaite, ainsi que le soutenaient les appelants, d'où un manque de base légale au regard des articles 1382 et 1383 du Code civil, ensemble au regard des articles 1 et 2 du décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960 dans leur rédaction alors applicable ;
ET ALORS ENFIN QUE le principe de sécurité juridique, ensemble les exigences de l'article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, font qu'une même situation de fait, un même montage juridique et financier, soit jugé de façon égale s'agissant d'investisseurs confrontés à une situation identique en tous points ; qu'il ressort du dossier que dans ce même contentieux deux cassations ont déjà été prononcées et dans l'un des dossiers (Padié), la Cour de renvoi a suivi la doctrine claire de la Cour de cassation ; que les mêmes causes, exactement les mêmes, doivent en droit produire les mêmes effets ; que l'arrêt attaqué est contraire à la doctrine exprimée de la Cour de cassation dans les affaires Blanckeman et Padié ; qu'ainsi sa cassation s'impose au visa du principe sus évoqué, ensemble de l'article 6-1 de la Convention européenne.