LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, a rendu l'arrêt suivant :
Statuant sur le pourvoi formé par :
- La société Bonneterie cévenole, partie civile,
contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de NÎMES, en date du 21 janvier 2014, qui, dans l'information suivie, sur sa plainte, contre personne non dénommée du chef de tentative d'escroquerie, a confirmé l'ordonnance de non-lieu rendue par le juge d'instruction ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 17 février 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président et conseiller rapporteur, M. Straehli, M. Finidori, conseillers de la chambre ;
Greffier de chambre : M. Bétron ;
Sur le rapport de M. le conseiller GUÉRIN, les observations de la société civile professionnelle POTIER DE LA VARDE et BUK-LAMENT, de la société civile professionnelle BORÉ et SALVE DE BRUNETON, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général CORDIER ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Sur le moyen unique de cassation 313-1 du code pénal, L. 2411-1-17 et L. 2411-22 du code du travail, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
"en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance de non-lieu ;
"aux motifs adoptés qu'il apparaît que l'infraction dénoncée par la partie civile ne peut être caractérisée ni en droit ni en fait ; qu'en effet, l'escroquerie est un délit d'action ; que sa commission requiert l'accomplissement d'un acte positif : il faut avoir usé d'un faux nom ou d'une fausse qualité, abusé d'une qualité vraie ou commis une manoeuvre frauduleuse ; qu'une abstention, une omission, un silence, une réticence, aussi coupables soient-ils, ne constituent pas des manoeuvres frauduleuses, celles-ci requérant l'accomplissement d'un acte positif ; qu'en l'espèce, les investigations réalisées mettent en évidence, d'une part, que M. X... était un salarié protégé et, d'autre part, qu'il n'a pas entendu revendiquer cette qualité lors de la procédure de licenciement, ce qu'il reconnaît ; que ces investigations n'établissent pas, pour autant, qu'il a volontairement dissimulé cette qualité en ce qu'il a fait signer à M. Z... un document pour son élection prud'homale et a fait passer des notes de frais relatives à son activité de conseil prud'homal ; qu'autrement dit, même si M. Z... n'avait pas personnellement connaissance de la qualité de son salarié, ni n'avait accès aux notes de frais, ces éléments montrent que M. X... n'a pas pour autant entendu dissimuler cette qualité, qui était connue formellement de l'entreprise ; que par ailleurs, et de surcroît, au regard des règles de droit susvisées, quand bien même M. X... aurait volontairement gardé le silence sur sa qualité de salarié protégé, le statut de salarié non-protégé ne saurait constituer une qualité susceptible de constituer un élément de l'escroquerie dès lors qu'il ne s'agit que d'un statut par défaut d'une qualité vraie, celle de salarié protégé ; qu'autrement dit, sur le fondement de l'utilisation indue d'une fausse qualité, l'infraction d'escroquerie ne saurait être caractérisée ; que s'agissant des manoeuvres frauduleuses évoquées par la partie civile, il conviendra de constater que de nombreuses zones d'ombres persistent compte tenu des déclarations contradictoires de la partie civile et du témoin assisté ; qu'ainsi la volonté ou non de celui-ci de faire partie du plan de licenciement de même que le contrat passé avec M. Z... sur les conditions financières de son départ ne sont étayés par aucun élément objectif du dossier ; que subsiste également un doute sur la rédaction de la lettre de licenciement, les investigations réalisées ne permettant de corroborer complètement l'une ou l'autre des versions, à l'exception de l'audition de M. A... ; qu'il résulte en revanche de l'analyse des pièces et des auditions que M. X..., en sa qualité de directeur des ressources humaines, a eu un rôle actif dans la procédure de licenciement, en ce qu'il était l'interlocuteur privilégié des partenaires extérieurs tout comme M. Z..., présent lors de plusieurs réunions de concertation avec le personnel ; que par ailleurs, il est également constant que M. X... n'a pas entendu faire usage de sa qualité de salarié protégé et a même adressé à la direction du travail un document dans lequel il se désignait comme salarié non-protégé ; que, pour autant, quand bien même M. X... aurait organisé son licenciement en taisant sa qualité de salarié protégé, ces faits ne constituent pas pour autant des faits de tentative d'escroquerie au jugement, lesquelles consistent en le fait de tromper la religion du juge notamment par la production de faux documents ou de documents authentiques mais sans valeur et de nature à surprendre la religion du juge ; qu'or M. X... n'a pas, dans le cadre de l'action prud'homale, produit des documents visant à démontrer qu'il avait alerté son employeur sur sa qualité de salarié protégé ; qu'il a toujours indiqué au contraire ne pas avoir revendiqué un tel statut ; qu'autrement dit, la question de la validité de son licenciement relève d'une question de droit social eu égard à sa non-déclaration, pendant la procédure, de son statut de salarié protégé, mais non pas de la constitution d'une infraction ;
" et aux motifs propres que la partie civile reproche à M. X... d'avoir tenté de commettre une escroquerie au jugement devant la juridiction prud'homale en ne dévoilant pas volontairement sa qualité de salarié protégé avant son licenciement économique à son employeur, omission ayant déterminé ce dernier à ne pas respecter la procédure spécifique en la matière ; qu'en droit, le délit d'escroquerie au jugement - qui, imposant un acte positif, relève de l'action et non de l'omission - n'est constitué que par le fait, pour un individu, soit de présenter en justice, de mauvaise foi, des documents mensongers, forgés par lui ou sous sa direction ou devenus sans valeur et destinés à tromper la religion du juge soit, dans les mêmes conditions, de faire usage d'une fausse qualité ; que, de plus, de simples mensonges ne peuvent constituer des manoeuvres frauduleuses ; que sur le plan chronologique, aucun élément probant ne permet de considérer que M. X... ait déjà été à l'origine du plan social puis de sa mise en place, son rôle s'étant limité « à l'aspect de reclassement et suivi administratif dudit plan » ; que l'intéressé n'a pas rédigé sa lettre de licenciement - dont le modèle avait été établi par un cabinet juridique - mais, après signature par M. Z..., l'a uniquement expédiée ; que par ailleurs, au regard de la nature contradictoire des données recueillies (témoignages, notes de frais, etc), demeure une interrogation majeure sur la connaissance qu'avait la société Bonneterie cévenole, au moment du licenciement, de la qualité de salarié protégé de M. X... à la suite de son élection en tant que conseiller prud'homal ; que, sur la fausse qualité, objectivement, M. X... était en droit d'arguer de sa qualité de salarié de l'entreprise ayant fait l'objet d'un licenciement ; que l'assertion de la partie civile selon laquelle M. X... avait été « l'auteur volontaire de son propre licenciement » relève de l'affirmation gratuite et ne peut constituer en tout état de cause « un faux intellectuel » sa lettre de licenciement décidée et signée par un tiers ; qu'en outre, et comme l'a justement relevé le premier juge, « quand bien même M. X... aurait volontairement gardé le silence sur sa qualité de salarié protégé, le statut de salarié non-protégé ne peut constituer une qualité susceptible de constituer une escroquerie dès lors qu'il ne s'agit que d'un statut par défaut par rapport à celui de salarié protégé » ; qu'enfin, le témoin assisté n'a pas, dans le cadre de son action prud'homale, produit de quelconques documents visant à établir qu'il avait informé son employeur de son nouveau statut et a toujours indiqué au contraire ne pas avoir revendiqué un tel statut ; que pas davantage n'ont été produites de pièces dont l'authenticité a été contestée ; que, dès lors, c'est à bon droit qu'a été prononcée en raison de l'insuffisance de charges une décision de non-lieu, laquelle, en conséquence, par adoption et addition de motifs, sera confirmée ;
"1°) alors que le fait, pour un salarié, de ne pas informer son employeur, à l'occasion de son licenciement, de sa qualité de salarié protégé au titre d'un mandat extérieur à l'entreprise constitue un acte positif de la prise de fausse qualité de salarié non-protégé, qualité comportant en cas de licenciement économique des conséquences juridiques propres ; qu'en retenant que, quand bien même M. X... n'avait pas fait état, lors de son licenciement, de sa qualité de salarié protégé tenant à sa qualité de conseiller prud'homme et avait même adressé à la direction du travail un document dans lequel il se désignait comme salarié non-protégé, le délit d'escroquerie ne pouvait être caractérisé sur le fondement de l'utilisation d'une fausse qualité dès lors que ce délit implique l'accomplissement d'un acte positif et que le statut de salarié non-protégé ne saurait constituer une qualité susceptible de constituer un élément de l'escroquerie, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;
"2°) alors que jusqu'à l'intervention de la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-242 QPC du 14 mai 2012, commettait le délit d'escroquerie le salarié qui, à l'occasion de son licenciement, taisait volontairement sa qualité de salarié protégé au titre d'un mandat extérieur à l'entreprise dans le but d'obtenir les indemnités qui étaient alors automatiquement dues en cas de licenciement d'un salarié protégé en méconnaissance des dispositions relatives à la procédure d'autorisation administrative ; qu'en se fondant également, pour dire n'y avoir lieu à suivre, sur la circonstance, inopérante, que l'escroquerie dénoncée ne s'analysait pas en une escroquerie au jugement en l'absence de manoeuvre destinée à tromper le juge prud'homal sans rechercher si ce n'était pas dans le dessein de se voir remettre, fût-ce par le truchement d'une décision de justice, les indemnités dues au salarié protégé licencié sans autorisation administrative que M. X... s'était abstenu d'informer la société Bonneterie cévenole, lors de son licenciement survenu en 2009, de sa qualité de conseiller prud'homme, la chambre de l'instruction n'a pas justifié sa décision" ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que M. X..., directeur des ressources humaines de la société Bonneterie cévenole, a été licencié pour motif économique le 24 août 2009 ; qu'il a saisi le conseil de prud'hommes en demandant, notamment, l'octroi d'indemnités pour méconnaissance par l'employeur de son statut de salarié protégé résultant de son élection en décembre 2008 en qualité de conseiller prud'homme ; que la société Bonneterie cévenole qui soutenait ignorer cette élection a porté plainte et s'est constituée partie civile du chef de tentative d'escroquerie au jugement ; qu'elle a interjeté appel de l'ordonnance de non-lieu rendue à l'issue de l'information ;
Attendu que, pour confirmer l'ordonnance entreprise, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a justifié sa décision, dès lors que, contrairement à ce qui est soutenu par le moyen, l'abstention, par un salarié, d'informer l'employeur de la protection dont il bénéficie, au regard du droit du licenciement, au titre d'un mandat extérieur, ne peut constituer l'usage d'une fausse qualité au sens de l'article 313-1 du code pénal ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
FIXE à 2 000 euros la somme que la société Bonneterie cévenole devra payer à M. Michel X... en application de l'article 618-1 du code de procédure pénale ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le quatorze avril deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président et le greffier de chambre.