LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu que l'arrêt attaqué (Douai, 17 juin 2013), fixe l'indemnité d'éviction revenant à Mme X..., par suite de l'expropriation, au profit de la société d'économie mixte Territoires soixante-deux anciennement dénommée société d'économie mixte Adevia (la SEM), de parcelles qu'elle exploitait ;
Sur le premier moyen, ci-après annexé :
Attendu qu'ayant constaté que la SEM avait relevé appel du jugement le 26 juin 2012, qu'elle avait déposé son mémoire d'appel et ses pièces le 21 août 2012 et que Mme X... avait adressé son mémoire en réponse contenant appel incident et ses pièces le 12 septembre 2012, la cour d'appel a pu statuer au vu du mémoire déposé par la SEM le 26 octobre 2012, dont il n'est pas soutenu qu'il comportait des éléments nouveaux et n'était pas une simple réplique au mémoire du 12 septembre ;
D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;
Mais sur le second moyen :
Vu l'article 455 du code de procédure civile ;
Attendu que pour fixer l'indemnité due à Mme X..., la cour d'appel a écarté les accords amiables produits par l'expropriée, l'autorité expropriante ayant pu être amenée à offrir aux exploitants agricoles concernées une indemnité plus importante dans le but d'obtenir rapidement disposition des parcelles en question ;
Qu'en statuant ainsi, par un motif purement hypothétique, la cour d'appel n'a pas satisfait aux exigences du texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 17 juin 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Douai ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Douai, autrement composée ;
Condamne la société d'économie mixte Territoires soixante-deux anciennement dénommée société d'économie mixte Adevia aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société d'économie mixte Territoires soixante-deux anciennement dénommée société d'économie mixte Adevia à payer à Mme X... la somme de 3 000 euros ; rejette la demande de la société d'économie mixte Territoires soixante-deux anciennement dénommée société d'économie mixte Adevia ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-quatre mars deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par Me Balat, avocat aux Conseils, pour Mme X....
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnité d'éviction agricole revenant à Mme Denise X... au titre des parcelles reprises au cadastre de la commune de Bully-les-Mines section ZC 90 et ZC 92 à la somme de 45.000 ¿ ;
AU VISA NOTAMMENT du « mémoire récapitulatif » que la société d'économie mixte Adevia a « adressé (¿) par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 octobre 2012 reçue au secrétariat-greffe de la chambre spéciale des expropriations de la cour d'appel de Douai le 29 octobre suivant, mémoire notifié par le secrétariat-greffe à Maître Meillier, conseil de Madame Denise X..., et au commissaire du Gouvernement par lettres recommandées avec accusé de réception reçues le 22 novembre 2012 » et aux termes duquel la société d'économie mixte Adevia « précise que la Call a bien constitué une réserve foncière et qu'elle a proposé en compensation aux quinze exploitants concernés par l'opération des terres que seuls deux d'entre eux, dont Madame Denise X..., représentant 7,3 hectares sur les 78 hectares en déclaration d'utilité publique, ont refusées » et « rappelle en outre que les dispositions de l'article L.13-16 du code de l'expropriation ne s'appliquent pas à la fixation de l'indemnité revenant au locataire exploitant évincé du fait de l'expropriation de sorte que le juge n'a à se référer ni aux accords amiables ni au protocole d'accord invoqué par Madame Denise X... » ;
ALORS QU'aux termes des dispositions de l'article R.13-49 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique, l'appelant doit, à peine de déchéance, déposer ou adresser son Jean-Christophe BALAT Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation 4 bis, rue de Lyon 75012 PARIS mémoire et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans un délai de deux mois à dater de l'appel, l'intimé devant pour sa part, à peine d'irrecevabilité, déposer ou adresser son mémoire en réponse et les documents qu'il entend produire au greffe de la chambre dans le mois de la notification du mémoire de l'appelant et le commissaire du Gouvernement devant quant à lui dans les mêmes conditions et lui aussi à peine d'irrecevabilité, déposer ses conclusions et l'ensemble des pièces sur lesquelles il fonde son évaluation dans les mêmes délais ; qu'il résulte de ces dispositions que ne sont pas recevables les mémoires et les pièces que l'appelant produit en complément de son mémoire d'appel plus de deux mois à compter de la date de l'appel et que la cour d'appel, qui ne peut dès lors se fonder sur ces mémoires et pièces tardivement déposés, ne doit pas les viser dans sa décision ; qu'en l'espèce, il ressort des mentions de l'arrêt attaqué que la société d'économie mixte Adevia « a relevé appel (¿) par lettre recommandée avec avis de réception du 25 juin 2012 reçue au secrétariat-greffe de la chambre spéciale des expropriations le 26 juin suivant » (arrêt attaqué, p. 2, alinéa 6), d'où il suit qu'elle disposait d'un délai expirant le 26 août 2012 pour produire ses écritures et ses pièces ; qu'en statuant dès lors au visa d'un mémoire récapitulatif irrecevable de la société Adevia adressé « par lettre recommandée avec accusé de réception du 26 octobre 2012 reçue au secrétariat-greffe de la chambre spéciale des expropriations de la cour d'appel de Douai le 29 octobre suivant », qu'elle aurait dû exclure de ses visas, la cour d'appel a violé le texte susvisé.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
Il est reproché à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir fixé l'indemnité d'éviction agricole revenant à Mme Denise X... au titre des parcelles reprises au cadastre de la commune de Bully-les-Mines section ZC 90 et ZC 92 à la somme de 45.000 ¿ ;
AUX MOTIFS QUE l'article L.13-13 du code de l'expropriation dispose que les indemnités allouées doivent couvrir l'intégralité du préjudice direct, matériel et certain causé par l'expropriation ; que conformément à l'article L.13-15 de ce même code, les indemnités doivent être évaluées au jour du jugement en fonction de l'usage effectif du bien à la date de référence, laquelle doit être fixée à un an avant l'ouverture de l'enquête préalable à la déclaration d'utilité publique prescrite par arrêté préfectoral du 4 décembre 2008 ; qu'il est constant que Mme X... exploite les parcelles cadastrées sur les communes de Bully-les-Mines section ZC 90 pour une contenance de 16.350 m² et ZC 92 pour une contenance de 29.320 m², soit une surface totale de 35.820 m² ; que le premier juge a élaboré le calcul de l'indemnité d'éviction devant revenir à Mme X... à partir d'une part du protocole relatif à l'indemnisation des propriétaires et exploitants agricoles signé le 19 juin 2007 entre la communauté d'agglomération de Lens-Liévin et les représentants de la profession agricole du Pas-de-Calais et d'autre part d'accords d'indemnisation d'exploitants agricoles dans le secteur sur la base de 2 ¿ le m² ; que si le premier document vise expressément l'opération d'extension de la ZAC dite de l'Alouette, ses dispositions n'ont pas, contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, vocation à s'appliquer en l'espèce dès lors qu'il est expressément indiqué que son objet consiste à « constater des accords intervenus entre parties à l'acte sur les opérations à entreprendre à l'occasion de la réalisation des projets communautaires afin de réparer les préjudices causés aux propriétaires fonciers et aux exploitants agricoles et de permettre la libération en temps utile des terrains nécessaires » et qu'il « n'est valable que dans le cadre de l'accord amiable intervenant aux différents stades de la procédure d'expropriation » ; que les modalités de calcul de l'indemnité d'éviction dépendent au demeurant d'un élément aléatoire qui est celui de la compensation ou non de la perte des terres expropriées par l'octroi à l'exploitant des terres en remplacement de celles dont il a été évincé au plus tard dans le délai de trois ans suivant son éviction, délai non expiré à la date du premier jugement ; que les accords d'indemnisation d'exploitants agricoles, en ce compris Mme X... à l'occasion d'autres procédures d'expropriation, s'ils font état d'une indemnisation de l'éviction agricole intervenue sur la base de 2 ¿ le m² pour des parcelles situées dans le secteur en cause ne sauraient davantage être utilement retenus pour l'appréciation de l'indemnité d'éviction due à Mme X... relativement aux parcelles litigieuses, l'autorité expropriante ayant pu être amenée à leur offrir une indemnité plus importante dans le but d'obtenir rapidement disposition des parcelles en question ; que Mme X... ne saurait enfin valablement reprocher à la société Adevia de ne pas lui avoir proposé, en remplacement des terres dont elle est évincée, d'autres terres pour lesquelles elle lui aurait consenti un bail alors qu'il ressort des éléments de la procédure qu'elle n'a pas donné suite à la proposition d'adhésion au protocole Call qui lui a été adressée le 23 décembre 2011 et qui seule offrait cette possibilité ; qu'il convient en ces conditions d'appliquer le protocole départemental pour l'indemnisation des exploitants agricoles évincés par expropriation signé le 16 mars 2007 entre l'administration fiscale et les représentants de la profession agricole dans le département du Pas-de-Calais en ce qu'il a équitablement pourvu à la réparation de l'éviction des exploitants ruraux en prévoyant, en ses articles 10 et 11, de leur accorder une indemnisation à concurrence de 0,72 ¿ le m² au titre de l'indemnité d'exploitation à laquelle s'ajoute 0,1011 ¿ le m² au titre de l'indemnité de fumure et arrière fumure, soit 0,8211 ¿ le m², évaluation qui prend notamment en compte la pression foncière qui s'y exerce et qui trouve son origine dans des opérations d'urbanisation continuelles ; que l'indemnité d'éviction telle que prévue aux articles 10 et 11 du protocole susvisé s'élève en conséquence au cas d'espèce à la somme de 37.000 ¿ ; que toutefois, Mme X... soutient qu'elle subit un grave déséquilibre d'exploitation dès lors qu'en raison de l'expropriation en cause et des divers prélèvements intervenus et à intervenir, elle se trouve privée de 47,7% soit près de la moitié des terres qu'elle exploite, situation que la société Adevia ne prend pas en compte ; qu'à cet égard, le protocole départemental pour l'indemnisation des exploitants agricoles évincés par expropriation signé le 16 mars 2007 entre l'administration fiscale et les représentants de la profession agricole dans le département du Pas-de-Calais qui, aux termes de son article 1er concerne tous les exploitants agricoles individuels ou associés assujettis à l'assurance maladie des exploitants agricoles prévoit en son article 20, que pour tenir compte du déséquilibre causé à l'exploitation par l'emprise ou les emprises successives, l'exploitant agricole concerné bénéficiera d'une majoration de l'indemnité d'éviction définie aux articles 10 et 11 ; que le pourcentage d'emprise sera déterminé en tenant compte des emprises successives pendant une période de dix années ayant précédé l'opération concernée, dans les conditions prévues à l'article L.13-11, 3°, du code de l'expropriation ; que selon le 3° de cet article, lorsque au cours d'une période de dix ans plusieurs expropriations sont réalisées sur une exploitation déterminée, le déséquilibre visé au premier alinéa du présent article doit être apprécié pour toute exploitation agricole partiellement expropriée, sous réserve qu'elle ait été exploitée depuis le début de la période susvisée par le même exploitant, son conjoint ou ses descendants, par rapport à la consistance de l'exploitation à la date de publication de l'acte déclaratif d'utilité publique préalable à la première expropriation ; qu'il sera toutefois tenu compte, dans l'appréciation de ce déséquilibre, des améliorations qui auront pu être apportées entre-temps aux structures de l'exploitation avec le concours de la puissance publique ou d'organismes soumis à la tutelle de celle-ci ; qu'en l'espèce, à défaut de justifier de la superficie de son exploitation à la date de publication de l'acte déclaratif d'utilité publique préalable aux expropriations ayant donné lieu aux accords de versement d'indemnités d'éviction les 14 novembre 2008, 17 février 2009 et 3 juillet 2009, les emprises réalisées à ce titre en 2008 et 2009 ne sauraient être retenues pour déterminer le pourcentage d'emprise susceptible d'ouvrir droit à une majoration de l'indemnité d'éviction définie aux articles 10 et 11 ; qu'à défaut par ailleurs pour Mme X... de justifier de l'antériorité par rapport à l'opération d'extension de la zone d'activité de l'Alouette du projet d'extension de la zone d'activité dite Quadraparc, laquelle la priverait, selon ses dires, de 75.770 m² supplémentaires, il ne saurait davantage être tenu compte de l'emprise ainsi alléguée ; que Mme X... justifie en revanche qu'à la date de publication de l'acte déclaratif d'utilité publique préalable à la présente expropriation, le 4 décembre 2008, son exploitation comprenait, selon relevé parcellaire de la mutualité sociale agricole du Nord-Pas-de-Calais de 263.638 m² ; que l'emprise de la présente expropriation étant de 45.670 m², le pourcentage d'emprise est de 17,32% ; que Mme X... a dès lors droit, conformément aux dispositions de l'article 20 est constituée par le montant de l'indemnité d'éviction, soit en l'espèce 37.500 ¿ ; que dès lors le montant dû au titre du supplément pour déséquilibre d'exploitation est de 7.500 ¿ ; que le total de l'indemnité revenant à Mme X... au titre de l'éviction des parcelles reprises au cadastre de la commune de Bullyles-Mines section ZC 90 et ZC 92 s'élève par conséquent à la somme de 45.000 ¿ ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge de l'expropriation doit tenir compte des accords réalisés à l'amiable entre l'expropriant et les divers titulaires de droits à l'intérieur du périmètre des opérations faisant l'objet d'une déclaration d'utilité publique ; que dans son mémoire récapitulatif et en défense (p. 9), Mme X... faisait valoir que l'indemnisation amiable des agriculteurs dont les parcelles étaient situées dans la zone litigieuse avait été assurée sur la base d'une évaluation à hauteur de 2 ¿ le m² ; qu'en constatant effectivement que « les accords d'indemnisation d'exploitants agricoles, en ce compris Mme Denise X... à l'occasion d'autres procédures d'expropriation (¿) font état d'une indemnisation de l'éviction agricole intervenue sur la base de 2 euros le m² pour des parcelles situées dans le secteur en cause » (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 3), puis en écartant cette base d'évaluation, « l'autorité expropriante ayant pu être amenée à (¿) offrir une indemnité plus importante dans le but d'obtenir rapidement disposition des parcelles en question » (ibid.), cependant que le fait que soient en cause des accords amiables ne justifiait en rien qu'il en soit fait abstraction dans le cadre de l'évaluation judiciaire de l'indemnité d'expropriation, dans la mesure où, si l'autorité expropriante a été amenée à indemniser aimablement les agriculteurs expropriés sur la base d'une évaluation à hauteur de 2 ¿ le m², c'est que les parties ont considéré que cette somme correspondait effectivement au préjudice subi par les agriculteurs expropriés, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article L.13-13 du code de l'expropriation pour cause d'utilité publique ;
ALORS, D'AUTRE PART, QU' en écartant la base d'évaluation retenue dans le cadre des indemnisations amiables, « l'autorité expropriante ayant pu être amenée à (¿) offrir une indemnité plus importante dans le but d'obtenir rapidement disposition des parcelles en question » (arrêt attaqué, p. 6, alinéa 3), la cour d'appel a statué par une motivation hypothétique, violant ainsi l'article 455 du code de procédure civile ;
ALORS, ENFIN, QUE le juge doit, en toutes circonstances, faire observer et observer lui-même le principe de la contradiction ; que dans le cadre de l'évaluation de la majoration de l'indemnité d'éviction prévue par le protocole départemental du 16 mars 2007, Mme X... faisait valoir devant la cour d'appel, comme le relève l'arrêt attaqué (p. 6, alinéa 7), qu'elle subissait « un grave déséquilibre d'exploitation dès lors qu'en raison de l'expropriation en cause et des divers prélèvements intervenus et à intervenir, elle se trouve privée de 47,7% soit près de la moitié des terres qu'elle exploite, situation que la SEM Adevia ne prend pas en compte » ; qu'en estimant que Mme X... ne justifiait pas de ce que les mesures d'expropriation cumulées provoqueraient une réduction de plus de 47% de sa surface d'exploitation et que n'était pas rapportée la preuve de ce que les opérations envisagées s'inscrivaient dans le délai de cinq ans prévu par le protocole départemental (arrêt attaqué, p. 7, alinéas 3 et 4), cependant que ni l'autorité expropriante, ni le commissaire du gouvernement, ne contestaient les affirmations de l'exposante, la cour d'appel a soulevé d'office ce moyen sans inviter préalablement les parties à présenter leurs observations, violant ainsi l'article 16 du code de procédure civile.