Statuant sur le pourvoi formé par :
- M. Joël X...,
contre l'arrêt de la cour d'appel de ROUEN, chambre correctionnelle, en date du 17 juin 2013, qui, pour diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à 2 000 euros d'amende, et a prononcé sur les intérêts civils ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 3 février 2015 où étaient présents dans la formation prévue à l'article 567-1-1 du code de procédure pénale : M. Guérin, président, M. Buisson, conseiller rapporteur, M. Straehli, conseiller de la chambre ;
Greffier de chambre : Mme Randouin ;
Sur le rapport de M. le conseiller BUISSON, les observations de la société civile professionnelle PIWNICA et MOLINIÉ, de Me BROUCHOT, avocats en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général DESPORTES ;
Vu les mémoires en demande, en défense et les observations complémentaires produits ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que Mme Delphine Y...a fait citer M. X..., chirurgien, directeur d'une clinique, devant le tribunal correctionnel pour diffamation publique envers un particulier, à la suite de la publication, dans un journal local, d'un article intitulé « Le docteur X...: mon seul tort a été de l'embaucher » qui rapportait les propos tenus par ce dernier en ces termes : « mon seul tort a été de l'embaucher alors qu'elle n'avait aucune qualification et des problèmes d'argent. Je lui ai tendu la main pour faire plaisir à ma fille car c'était une bonne amie à elle. Ce jour-là, j'ai fait la plus grande connerie de ma vie car aujourd'hui, elle cherche à me salir », « ¿ que de l'argent a disparu dans la clinique », « que des soupçons portaient sur Mme Delphine Y...et qu'à partir de ce moment-là, elle a monté un dossier contre moi. C'est une manipulatrice et les deux témoignages qu'elle a apportés contre moi sont faux », « ¿ dans un procès comme celui-là, c'est la parole de l'un contre celle de l'autre. Je n'ai pas pu prouver qu'il n'y avait pas eu harcèlement. Or, vous savez dans ces cas-là que le doute profite à la victime. Ce n'est pas parce que j'ai été condamné que je suis coupable » ;
Attendu que le tribunal, accueillant l'exception régulièrement soulevée par le prévenu, a prononcé la nullité de la citation directe délivrée par Mme Y...pour défaut de notification au ministère public ; que la partie civile et le ministère public ont interjeté appel de ce jugement ;
En cet état ;
Sur le premier moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 53 de la loi du 29 juillet 1881, R. 123-15 du code de l'organisation judiciaire, préliminaire, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a rejeté le moyen de nullité de la citation tiré de l'absence de notification régulière au ministère public ;
" aux motifs que (¿) par ailleurs, l'article 53 de la loi du 29 juillet 1881 fait obligation au plaignant à peine de nullité de la poursuite, de notifier la citation tant au prévenu qu'au ministère public ; qu'en l'espèce, il résulte de la procédure que la citation a été signifiée au procureur de la République du tribunal de grande instance de Dieppe le 9 janvier 2012 par remise à M. Sylvain Thereau, greffier correctionnel, qui a accepté de recevoir et a signé l'acte ; que la qualité de ce fonctionnaire pour recevoir la citation a été confirmée par le substitut du procureur en réponse à un courrier de l'avocat du prévenu ; que la remise de l'acte à un fonctionnaire habilité à recevoir les citations délivrées au ministère public constitue bien la notification prévue par l'article 53 ; que la formalité substantielle de la notification de la citation au procureur de la République ayant été satisfaite, la cour, infirmant le jugement, rejette le moyen de nullité ;
" alors que la citation doit être notifiée au ministère public à peine de nullité de la poursuite ; que la remise d'une citation à un greffier correctionnel ne peut valoir notification au ministère public ; qu'en décidant le contraire, la cour d'appel a méconnu les textes susvisés " ;
Attendu que, pour écarter l'exception de nullité de la citation, tirée de ce qu'elle avait été notifiée, en l'absence du procureur de la République, à M. Sylvain Thereau, greffier correctionnel, qui ne pouvait être habilité à recevoir les actes destinés au ministère public, s'agissant d'un fonctionnaire affecté au service du siège, l'arrêt prononce par les motifs repris au moyen ;
Attendu qu'en se déterminant ainsi, et dès lors que l'habilitation d'un fonctionnaire du greffe pour recevoir des citations en application de l'article 559 du code de procédure pénale est présumée, que le procureur de la République a confirmé l'habilitation de ce greffier, et que la preuve contraire n'a pas été rapportée en l'espèce, la cour d'appel a justifié sa décision ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Sur le second moyen de cassation, pris de la violation des articles 6 et 10 de la Convention européenne des droits de l'homme, 23, 29 et 32 de la loi du 29 juillet 1881, 121-6, 121-7 du code pénal, 591 et 593 du code de procédure pénale, défaut de motifs, manque de base légale ;
" en ce que l'arrêt attaqué a déclaré M. X...coupable d'avoir commis le délit de diffamation publique envers un particulier, l'a condamné à une amende délictuelle de 2 000 euros et à payer à Mme Y...la somme de 3 000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral ;
" aux motifs que (¿) en défense, le prévenu prétend encore n'avoir pas eu l'intention de diffamer publiquement la plaignante dans la mesure où ses propos auraient été exprimés dans le cadre d'une conversation téléphonique, donc privée, avec la correspondante habituelle du journal, également sa patiente, à propos de l'arrêt rendu par la chambre sociale de la Cour de cassation dans la procédure l'ayant opposé à Mme Delphine Y..., ayant rejeté son pourvoi et au cours de laquelle il lui avait fait part essentiellement de la difficulté pour un employeur de se défendre contre des accusations pour harcèlement moral ; que cependant, en matière de délit de presse, la preuve de la bonne foi incombe au prévenu qui l'invoque ; qu'en l'espèce, il apparaît que M. X..., qui connaissait l'activité professionnelle de son interlocutrice, ne pouvait pas ignorer que ses propos pouvaient être repris dans la presse ; qu'en outre, l'affirmation selon laquelle ses propos avaient été tronqués, est neutralisée par le défaut d'usage de son droit de réponse ; qu'en définitive, la cour déclare établie la culpabilité de M. X...pour diffamation envers un particulier par moyen de presse et prononce à son encontre une amende de 2 000 euros ; qu'il convient de déclarer recevable la constitution de partie civile de Mme Y...et de condamner M. X...à lui payer la somme de 3 000 euros en réparation du préjudice moral que lui a occasionné la publication de ces propos diffamatoires dans la presse locale ;
" 1°) alors que le prévenu faisait valoir que l'élément intentionnel du délit faisait défaut, n'ayant jamais eu l'intention de diffamer publiquement la plaignante ; qu'en retenant, pour entrer en voie de condamnation, qu'en matière de délit de presse, la preuve de la bonne foi incombe au prévenu qui l'invoque, tandis que celui-ci se prévalait de l'absence d'élément intentionnel, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 2°) alors que la diffamation publique est un délit intentionnel ; que le prévenu faisait valoir qu'il n'avait ni voulu, ni permis la publication incriminée ; que l'entretien téléphonique qu'il avait eu avec Mme Z..., avec laquelle il entretenait de longue date une relation de confiance, avait un caractère strictement confidentiel et n'était nullement une interview destinée à être reproduite dans la presse ; qu'en retenant, pour entrer en voie de condamnation, que le prévenu, qui connaissait l'activité professionnelle de son interlocutrice, ne pouvait pas ignorer que ses propos pouvaient être repris dans la presse, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 3°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des restrictions que dans les cas où ces ingérences constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; que le prévenu faisait valoir que les propos qu'il avaient tenus avaient vocation à rester strictement confidentiels et qu'il n'avait ni voulu, ni permis la publication incriminée ; que la seule circonstance que le prévenu connaissait l'activité professionnelle de son interlocutrice ne permettait pas d'écarter la bonne foi ; qu'en prononçant par de tels motifs, insuffisants à exclure la bonne foi, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 4°) alors que la liberté d'expression ne peut être soumise à des restrictions que dans les cas où ces ingérences constituent des mesures nécessaires au regard de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, sans rechercher si les propos incriminés dépassaient les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 5°) alors qu'en matière de diffamation, il appartient aux juges du fond de relever toutes les circonstances intrinsèques et extrinsèques aux faits poursuivis que comporte l'écrit qui les renferme ; qu'en l'espèce, le prévenu faisait valoir que les propos incriminés tenus à la suite d'une décision judiciaire le condamnant tandis que son adversaire se répandait dans la presse écrite et télévisée, donnant une très forte médiatisation à l'affaire, ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression ; qu'en prononçant comme elle l'a fait, sans rechercher si eu égard à ce contexte particulier, les propos incriminés ne dépassaient pas les limites admissibles de la liberté d'expression, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision ;
" 6°) alors qu'aucune conséquence ne pouvait être tirée de l'absence d'usage, par le prévenu, d'un droit de réponse ; qu'en retenant cette circonstance pour en déduire que la preuve de la bonne foi n'était pas rapportée, la cour d'appel n'a pas légalement justifié sa décision " ;
Attendu que les énonciations de l'arrêt attaqué et l'examen des pièces de la procédure mettent la Cour de cassation en mesure de s'assurer que la cour d'appel, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction et répondant aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a exactement apprécié le sens et la portée des propos incriminés et a, à bon droit, refusé au prévenu le bénéfice de la bonne foi, et a ainsi justifié l'allocation, au profit de la partie civile, de l'indemnité propre à réparer le préjudice en découlant ;
D'où il suit que le moyen ne saurait être accueilli ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le dix-sept mars deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.