LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que la société Ancienne briqueterie de Limonest (la société ABL), propriétaire d'un terrain sur lequel une installation classée pour la protection de l'environnement a été exploitée jusqu'en 1980, a assigné les sociétés exploitantes et leurs ayants droit prétendus aux fins d'obtenir leur condamnation à procéder à la dépollution du site et au retirement des déchets industriels stockés, ainsi qu'au paiement d'une provision à valoir sur l'indemnisation de son préjudice ;
Sur le premier moyen :
Attendu que ce moyen n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;
Mais sur le second moyen :
Vu la loi des 16-24 août 1790, ensemble l'article 34 du décret n° 77-1133 du 21 septembre 1977 pris pour l'application de la loi n° 76-663 du 19 juillet 1976 relative aux installations classées pour la protection de l'environnement, alors en vigueur, et l'article 1147 du code civil ;
Attendu que les juridictions de l'ordre judiciaire ont compétence pour se prononcer sur l'action en responsabilité exercée par le propriétaire privé d'un terrain, sur lequel une installation classée pour la protection de l'environnement est implantée, contre l'exploitant de droit privé de cette installation et qui tend à obtenir l'exécution, en nature ou par équivalent, de l'obligation légale de remise en état du site pesant sur ce dernier ;
Attendu que, pour déclarer les juridictions de l'ordre judiciaire incompétentes pour connaître du litige et renvoyer les parties à mieux se pourvoir, l'arrêt, après avoir relevé que la demande de la société ABL, même si elle pouvait être en lien avec des relations contractuelles entre sociétés commerciales, tendait à une condamnation à la dépollution du site litigieux et au retirement des déchets industriels, énonce que l'administration, qui est en charge de la police des installations classées, contrôle de telles opérations, dont le contentieux est de la compétence exclusive de la juridiction administrative ;
Qu'en statuant ainsi, la cour d'appel a méconnu l'étendue de ses pouvoirs et violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 31 octobre 2013, entre les parties, par la cour d'appel de Lyon ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Grenoble ;
Condamne la société Elf Aquitaine, M. X..., la société Motul, M. Y..., Mme Z..., prise en qualité de mandataire ad hoc de la société Sopaluna, et la société MDP, prise en la personne de M. A..., en qualité de mandataire ad hoc de la société Elipol, aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, signé par Mme Crédeville, conseiller doyen, conformément aux dispositions des articles 456 et 1021 du code de procédure civile, en remplacement du conseiller référendaire empêché et prononcé par le président en son audience publique du dix-huit février deux mille quinze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Bénabent et Jéhannin, avocat aux Conseils, pour la société Ancienne briqueterie de Limonest.
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté les fins de nonrecevoir présentées par la société ABL tendant à déclarer irrecevables les demandes de la société ELF AQUITAINE et de Monsieur Jean-Pierre X... relatives à l'incompétence de la cour, de s'être déclarée incompétente matériellement, comme le tribunal de commerce en première instance, pour connaître des demandes de la société ABL et d'avoir invité les parties à mieux se pourvoir ;
AUX MOTIFS QUE « la société ABL conclut à l'irrecevabilité des demandes d'ELF AQUITAINE et de Jean-Pierre X... relatives à l'incompétence matérielle de la cour aux motifs que :
- elles porteraient sur des points non jugés en première instance,
- elles constitueraient de nouvelles prétentions en appel ;
Que, sur le premier point, en l'absence de limitation des appels à certains chefs, il résulte des dispositions de l'article 562 du code de procédure civile que la dévolution s'opère pour le tout, c'est à dire, pour reprendre les dispositions de l'article 561 du même code, « pour qu'il soit à nouveau statué en fait et en droit », l'appel remettant la chose jugée en question devant la juridiction d'appel ; qu'ainsi la saisine de la cour demeure la même que celle des premiers juges, indépendamment du fait qu'ils aient ou non statué sur l'ensemble des points dont ils étaient saisis ;
Qu'à cet égard les magistrats consulaires étaient saisis, comme cela ressort du jugement du 25 mars 2011, par trois actes d'huissiers signifiés les 18, 19 et 20 décembre 2006 ;
Qu'il suffit de se reporter aux conclusions récapitulatives de la société ABL (page 19) pour constater que l'acte du 18 décembre 2006, par lequel elle avait notamment assigné la société ELF AQUITAINE et Jean-Pierre X..., demandait entre autres au tribunal de commerce de :
«- Condamner solidairement ou in solidum la société ELF AQUITAINE, Monsieur Jean Pierre X..., Monsieur Michel B..., la Société Spécialisée dans l'Investissement et la Gestion SSIG, Monsieur Vincent C..., Monsieur Ernest Y... et la société MOTUL, sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard, qui commencera à courir dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir, à procéder à la dépollution du site du Bouquis,
- Condamner la société ELF AQUITAINE et la société MOTUL solidairement ou in solidum à procéder au retirement de l'ensemble de leurs déchets industriels illicitement stockés sur le site du Bouquis sous astreinte de 10 000 euros par jour de retard qui commencera à courir dans le délai de deux mois à compter de la signification du jugement à intervenir » ;
Qu'il est ainsi indéniable que les questions de la dépollution du site et du retirement des déchets industriels, et conséquemment de l'incompétence d'ordre public de la juridiction consulaire à connaître de ces contentieux, faisaient partie de la saisine des premiers juges et, donc font partie de celle de la cour ;
Que, sur le second point, la société ELF AQUITAINE verse aux débats ses conclusions de première instance des 29 avril 2008, 17 septembre 2010 et 5 octobre 2010 (ses pièces 22-1 à 22-3) qui, avant toute défense au fond, et même si elles ne s'opposaient pas à la demande de sursis à statuer, soulevaient l'incompétence ratione materiae du tribunal de commerce ; que, de même, Jean-Pierre X... produit ses conclusions pour l'audience du 9 septembre 2008 devant le juge rapporteur du tribunal de commerce (sa pièce 13) qui, si elles sollicitaient le sursis à statuer, soulevaient expressément la question de l'incompétence matérielle de la juridiction consulaire ; que ces demandes formées en première instance ne peuvent donc être qualifiées de demandes nouvelles en appel ;
Que les demandes présentées par ELF AQUITAINE et Jean-Pierre X... tendant à l'incompétence matérielle de la juridiction sont donc recevables ;
Qu'au demeurant la demande d'irrecevabilité présentée par la société ABL était d'un intérêt très limité, la cour pouvant, en application de l'article 92 du code de procédure civile, soulever d'office son incompétence en cas de violation d'une règle de compétence d'attribution lorsque cette règle est d'ordre public, notamment si l'affaire relève de la compétence d'une juridiction administrative » ;
ALORS QU'en matière de procédure orale, les conclusions écrites d'une partie ne saisissent valablement les juges que si elles sont réitérées oralement à l'audience, cette réitération devant résulter des mentions du jugement ; qu'en l'espèce, pour décider que la prétendue incompétence matérielle du Tribunal de commerce avait été soulevée en première instance avant toute demande au fond et rejeter la fin de non-recevoir présentée par la société ABL, la Cour d'appel a retenu que : « la société ELF AQUITAINE verse aux débats ses conclusions de première instance des 29 avril 2008, 17 septembre 2010 et 5 octobre 2010 (ses pièces 22-1 à 22-3) qui, avant toute défense au fond, et même si elles ne s'opposaient pas à la demande de sursis à statuer, soulevaient l'incompétence ratione materiae du tribunal de commerce ; que, de même, Jean-Pierre X... produit ses conclusions pour l'audience du 9 septembre 2008 devant le juge rapporteur du tribunal de commerce (sa pièce 13) qui, si elles sollicitaient le sursis à statuer, soulevaient expressément la question de l'incompétence matérielle de la juridiction consulaire » (arrêt, p. 11, alinéa 5) ; qu'en se fondant ainsi sur les conclusions écrites de la société ELF AQUITAINE et de Monsieur X..., quand il ne résultait d'aucune des mentions du jugement du Tribunal de commerce qu'elles avaient été réitérées oralement à l'audience, la Cour d'appel a violé l'article 860-1 du Code de procédure civile, ensemble l'article 74 du même Code.
SECOND MOYEN DE CASSATION :
(SUBSIDIAIRE)Il est fait grief à la Cour d'appel de s'être déclarée incompétente matériellement, comme le tribunal de commerce en première instance, pour connaître des demandes de la société ABL et d'avoir invité les parties à mieux se pourvoir ;
AUX MOTIFS QUE « Sur l'exception d'incompétence matérielle :
Qu'il résulte des dispositions des articles L 512-1 et suivants du code de l'environnement et des articles R 512-1 et suivants du même code que les installations classées dépendent de la compétence du Préfet ; qu'aux termes de l'article L 514-6 du même code le contentieux de ces installations est un contentieux de pleine juridiction ;
Qu'il n'est pas contesté que la décharge du Bouquis est une installation classée ;
Que, d'ailleurs lorsque la société ABL a souhaité obtenir que soit opérée une dépollution du site, elle s'est adressée au Préfet par lettres des 19 décembre et 22 avril 2008, le Préfet ayant, avec la DREAL, le pouvoir d'ordonner des mesures de remise en état ou de suivi de nature à assurer l'innocuité du site ; que, de même, la société ABL a adressé au maire de DARDILLY une demande tendant à l'excavation des terres polluées, déchets et résidus du site du Bouquis, le pouvoir de police en matière de déchets ressortant de la compétence de l'autorité municipale ; qu'elle a ensuite déféré les décisions du Préfet et du maire devant le tribunal administratif qui s'est déclaré compétent pour en connaître ;
Qu'il suffit en outre de se reporter au jugement du tribunal de commerce de LYON du 1er octobre 2008, dans le litige opposant l'ADEME à la société ABL (pièce 24 d'ELF AQUITAINE), pour constater que la société ABL soutenait à l'époque que « le tribunal de commerce est incompétent pour connaître d'un litige relatif à la police d'installations classées » ;
Qu'aujourd'hui la société ABL argue de ce que le litige qui est soumis à la cour découlerait de relations contractuelles entre sociétés commerciales ce qui aurait justifié, en première instance, la saisine du tribunal de commerce ;
Mais que, même si elle peut être en lien avec des relations contractuelles entre sociétés commerciales, la demande de la société ABL, comme il l'a été précédemment souligné, tend d'abord à une condamnation à la dépollution du site du Bouquis, au retirement de « l'ensemble de leurs déchets industriels illicitement stockés » ainsi qu'à une demande accessoire de provision de 4 200 000 euros ; que l'administration, qui est en charge de la police des installations classées, contrôle de telles opérations dont le contentieux est de la compétence exclusive de la juridiction administrative ;
Qu'au regard de l'article 92 du code de procédure civile, la cour ne peut donc que se déclarer incompétente matériellement, la juridiction administrative étant seule compétente pour connaître d'un tel litige ;
Qu'il convient en conséquence d'infirmer en toutes ses dispositions la décision entreprise, le tribunal de commerce étant incompétent matériellement pour connaître du litige ou même surseoir à statuer et de renvoyer les parties à mieux se pourvoir » ;
ALORS QUE les juridictions de l'ordre judiciaire sont matériellement compétentes pour connaître de la demande d'une société de droit privé, propriétaire d'une installation classée, formée à l'encontre d'autres sociétés de droit privé ayant exploité l'installation classée aux fins que ces dernières remplissent leur obligation légale de dépollution et de remise en état du site industriel ; qu'en l'espèce, la Cour d'appel a pourtant retenu que « même si elle peut être en lien avec des relations contractuelles entre sociétés commerciales, la demande de la société ABL tend d'abord à une condamnation à la dépollution du site du Bouquis, au retirement de « l'ensemble de leurs déchets industriels illicitement stockés » ainsi qu'à une demande accessoire de provision de 4 200 000 euros ; que l'administration, qui est en charge de la police des installations classées, contrôle de telles opérations dont le contentieux est de la compétence exclusive de la juridiction administrative » (arrêt, p. 12, alinéa 3) ; qu'en statuant ainsi, quand la demande de remise en état et aux fins de dépollution formée à l'encontre de sociétés privées ne relevaient aucunement de la police des installations classées mais d'une action en responsabilité civile relevant de la compétence des juridictions de l'ordre judiciaire, la Cour d'appel a violé la loi des 16 et 24 août 1790, ensemble l'article 1147 du Code civil.