LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Attendu, selon l'ordonnance attaquée et les pièces de la procédure, que M. X..., de nationalité pakistanaise, en situation irrégulière en France, a fait l'objet, le 31 août 2012, d'un contrôle d'identité sur le fondement de l'alinéa 4 de l'article 78-2 du code de procédure pénale ; que, le même jour, lui ont été notifiés un arrêté portant obligation de quitter le territoire et une décision de placement en rétention administrative ; que cette mesure a été prolongée par un juge des libertés et de la détention ;
Sur le premier moyen :
Vu la loi des 16-24 août 1790 et l'article R. 552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;
Attendu qu'il résulte du premier de ces textes que le juge doit vérifier la régularité de sa saisine, fût-elle l'oeuvre d'une autorité administrative et que, selon le second, à peine d'irrecevabilité, la requête du préfet est motivée ;
Attendu que, pour rejeter la demande tendant à voir déclarer irrecevable, comme non motivée, la requête du préfet, l'ordonnance retient que le contentieux relatif au contenu de cette requête échappe au juge judiciaire pour relever du juge administratif ;
Qu'en statuant ainsi, alors qu'il lui incombait de se prononcer sur la recevabilité de la requête, le premier président, méconnaissant l'étendue de ses pouvoirs, a violé, par fausse application, les textes susvisés ;
Vu l'article L. 411-3 du code de l'organisation judiciaire ;
Et attendu que les délais légaux de rétention étant expirés, il ne reste plus rien à juger ;
PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres moyens du pourvoi :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'ordonnance rendue le 7 septembre 2012, entre les parties, par le premier président de la cour d'appel de Lyon ;
DIT n'y avoir lieu à renvoi ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance cassée ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept décembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Fabiani et Luc-Thaler, avocat aux Conseils, pour M. X...
PREMIER MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté la demande de Monsieur X... tendant à voir déclarer irrecevable, comme non motivée, la requête préfectorale et d'avoir, en conséquence, ordonné la prolongation de son maintien en rétention administrative pour une durée de 20 jours à compter du 5 septembre 2012 ;
AUX MOTIFS QUE « Le contentieux relatif au contenu de la requête préfectorale, jointe à la procédure, échappe au juge judiciaire pour relever du juge administratif » ;
ALORS QU'à peine d'irrecevabilité, la requête de l'autorité administrative aux fins de prolongation de rétention doit être motivée et accompagnée de toutes pièces justificatives utiles ; que la recevabilité affectant le pouvoir du juge de trancher le litige, il appartient au juge judiciaire d'apprécier lui-même la régularité de sa saisine ; qu'en se déclarant incompétente au profit du juge administratif pour statuer sur le contenu de la requête préfectorale, quand il lui appartenait de se prononcer sur la recevabilité de celle-ci, contestée par Monsieur X..., le délégué du premier président a violé la loi des 16 et 24 août 1790, par fausse application, et l'article R.552-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, par refus d'application.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté la demande de Monsieur X... tendant à voir déclarer nulle la procédure de placement en rétention administrative, pour irrégularité du contrôle d'identité, et d'avoir, en conséquence, ordonné la prolongation de son maintien en rétention administrative ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE :
« Monsieur X... a été régulièrement contrôlé en gare internationale de Chambéry à bord du TGV à destination de Milan lors d'un contrôle aléatoire des passagers fondé sur l'article 78-2, alinéa 8, du code de procédure pénale, que cet alinéa dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2011 a été déclaré conforme à la constitution et se trouve aussi conforme au droit européen ; qu'il constitue un fondement autonome de contrôle d'identité qui n'est pas assujetti, comme l'allègue l'avocat, à des éléments objectifs le justifiant, de même que le conseil ne démontre pas en quoi le contrôle n'aurait pas été aléatoire » ;
Et AUX MOTIFS ADOPTES QUE :
« Si effectivement, la Cour de justices des Communautés européennes a édicté le principe de la prohibition des contrôles systématiques des personnes aux fins de s'assurer de leur situation au regard de la législation nationale sur les séjours des étrangers, l'article 78-2 du code de procédure pénale a été modifié afin de respecter ce principe, par la loi du 14 mars 2011 ; qu'en l'espèce, ni la loi ni la jurisprudence, dans le cadre des contrôles opérés au titre de l'article 78-2, alinéa 4, du code de procédure pénale, ne prescrivent aux policiers ou gendarmes de rendre compte du processus intellectuel qui les a amenés à contrôler telle personne plutôt qu'une autre » ;
ALORS QUE si, dans les zones accessibles au public des ports, aéroports et gares ferroviaires ou routières ouverts au trafic international, l'identité de toute personne peut être contrôlée en vue de vérifier le respect des obligations de détention, de port et de présentation des titres et documents prévues par la loi, de tels contrôles ne sont possibles qu'en vue de la prévention et de recherche des infractions liées à la criminalité transfrontalières ; qu'il en résulte que les policiers ne peuvent, dans ces zones, inviter une personne à justifier de son identité que pour autant qu'il existe un ou plusieurs raisons plausibles de soupçonner la commission, la tentative ou la préparation d'une de ces infractions ; qu'en énonçant le contraire, le délégué du premier président a violé l'article 78-2 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 14 mars 2011, ensemble les articles 67, §2, du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne et 20 et 21 du Règlement (CE) n° 562/2006 du Parlement européen et du Conseil du 15 mars 2006.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :
Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir rejeté la demande de Monsieur X... tendant à voir déclarer nulle la procédure de placement en rétention administrative, pour non-présence physique de l'interprète, et d'avoir, en conséquence, ordonné la prolongation de son maintien en rétention administrative pour une durée de 20 jours à compter du 5 septembre 2012 ;
AUX MOTIFS PROPRES QUE :
« Contre le texte de la notification qui indique le contraire dans sa dernière ligne avec les signatures, il y a bien eu traduction par l'interprète de la notification de la mise en rétention ; que personne n'a affirmé que l'intéressé parlait français, ainsi qu'il est indiqué dans les moyens invoqués ; que le critère de la nature de la langue en cause ne saurait être le critère de recours à l'interprétariat téléphonique comme l'écrit le conseil ; que la loi l'a autorisé, en cas d'impossibilité de présence physique ; que la cour a dû aussi procéder de la sorte avec l'appelant ; que contrairement à ses déclarations faites devant la cour pour les besoins de la cause, Monsieur X... comprend parfaitement l'anglais puisqu'à trois reprises il a eu recours à un interprète en langue anglaise au CRA et il est précisé sur l'imprimé idoine qu'il le comprend ; que de plus, il a pu au travers de cette langue effectuer une déposition circonstanciée de deux pages ; qu'il a donc bien consenti librement à suivre les policiers et à être entendu ; que les mentions légales portées en procédure quant à l'impossibilité de recourir à la présence physique d'un interprète justifient cette manière de procéder ; qu'au demeurant, aucun grief n'est invoqué à l'appui de la demande de nullité » ;
Et AUX MOTIFS ADOPTES QUE :
« Ce mode d'interprétariat est admis par la loi en cas d'impossibilité de bénéficier de la présence réelle d'un interprète auprès de la personne se trouvant dans un commissariat ou une gendarmerie ; que ni la loi, ni la jurisprudence n'exigent que l'interprétariat se fasse dans la langue maternelle de la personne en question, mais seulement dans une langue qu'elle comprend suffisamment pour communiquer avec les enquêteurs et être mis en mesure de faire valoir ses droits ; que l'impossibilité de bénéficier de la présence réelle d'un interprète est justifiée par les différentes mentions portées à la procédure ; qu'en l'espèce le procès-verbal dressé le 31 août à 11 heures 30 par la police relate une longue audition qui démontre que les enquêteurs ont pu échanger de façon suffisamment approfondie avec Monsieur X... en langue anglaise ; qu'au surplus, il n'est pas démontré pour Monsieur X... un préjudice qui résulterait du recours à cet interprétariat téléphonique en langue anglaise » ;
ALORS QU'il ne peut être recouru à l'interprétariat téléphonique qu'en cas de nécessité résultant de l'impossibilité pour un interprète de se déplacer ; que cette impossibilité ne suppose pas seulement que le premier interprète contacté n'est pas en mesure de se déplacer, mais qu'aucun interprète ne soit en mesure de se déplacer ; que cette impossibilité doit être justifiée par les actes de la procédure ; qu'en se bornant à relever que les différentes mentions portées à la procédure ¿ selon lesquelles Mme Y... a informé les services de police de son impossibilité de se rendre au commissariat (Procès-verbaux du 31 août 2012 à 11h18 et à 11h30) ¿ suffisaient à en démontrer la régularité, sans rechercher s'il avait été impossible d'obtenir la présence physique d'un autre interprète en langue anglaise, ce que ne mentionnent aucun des procès-verbaux, le délégué du premier président n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 706-71 du code de procédure pénale ;
ALORS, à tout le moins, QU'en retenant que les différentes mentions portées à la procédure justifient de recourir à l'interprétariat quand ces derniers indiquaient seulement que Mme Y... avait informé les services de police de son impossibilité de se rendre au commissariat (Procès-verbaux du 31 août 2012 à 11h18 et à 11h30), mais non qu'il avait été impossible d'obtenir la présence physique d'un autre interprète en langue anglaise, le délégué du premier président a dénaturé ces documents en violation de l'interdiction qui lui est faite de dénaturer les éléments de preuve qui lui sont soumis ;
ALORS, enfin, QUE la présence physique d'un interprète constitue une formalité substantielle dont l'inobservation affecte a régularité de la procédure sans qu'il soit besoin de prouver l'existence d'un grief ; qu'en opposant à Monsieur X... l'absence de préjudice qui résulterait du recours à l'interprétariat téléphonique, le délégué du premier président a violé l'article 706-71 du code de procédure pénale.