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10/12/2014 | FRANCE | N°13-21217;13-21218;13-21219;13-21220;13-21221;13-21223;13-21226;13-21227;13-21228;13-21229;13-21230;13-21231

France | France, Cour de cassation, Chambre sociale, 10 décembre 2014, 13-21217 et suivants


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° F 13-21.217, H 13-21.218, G 13-21.219, J 13-21.220, K 13-21.221, N 13-21.223, R 13-21.226, S 13-21.227, T 13-21.228, U 13-21.229, V 13-21.230, W 13-21.231 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 6 juin 2013), que M. X... et plusieurs autres salariés, qui ont travaillé pour le compte de l'établissement public Grand Port maritime de Marseille ( GPMM) et qui ont bénéficié de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (AC

AATA), ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnat...

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Vu leur connexité, joint les pourvois n° F 13-21.217, H 13-21.218, G 13-21.219, J 13-21.220, K 13-21.221, N 13-21.223, R 13-21.226, S 13-21.227, T 13-21.228, U 13-21.229, V 13-21.230, W 13-21.231 ;
Attendu, selon les arrêts attaqués (Aix-en-Provence, 6 juin 2013), que M. X... et plusieurs autres salariés, qui ont travaillé pour le compte de l'établissement public Grand Port maritime de Marseille ( GPMM) et qui ont bénéficié de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante (ACAATA), ont saisi la juridiction prud'homale pour obtenir la condamnation de leur ancien employeur à leur verser des dommages-intérêts réparant un préjudice économique ainsi qu'un préjudice d'anxiété ;
Sur le premier moyen :
Attendu que l'employeur fait grief aux arrêts de dire recevables les demandes indemnitaires du chef d'un préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen, que si elle atteint un niveau indemnisable, l'anxiété constitue nécessairement une pathologie correspondant à un déficit par rapport à l'état psychique d'une personne normale ; qu'en allouant 8 000 euros à chacun des demandeurs, au titre de la réparation d'un tel préjudice « subi lors de l'exercice de l'emploi », la cour d'appel a violé l'article L. 451-1 du code de la sécurité sociale ainsi que, par fausse application, l'article L. 4111-1 du code du travail ;
Mais attendu qu'ayant constaté que les salariés n'avaient pas déclaré souffrir d'une maladie professionnelle causée par l'amiante, la cour d'appel en a exactement déduit que les demandes en réparation d'un préjudice spécifique d'anxiété, distinct des préjudices liés à la déclaration d'une maladie professionnelle, fondées sur le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat, relevaient de la compétence de la juridiction prud'homale ; que le moyen n'est pas fondé ;
Sur les deuxième et troisième moyens réunis :
Attendu que l'employeur fait grief aux arrêts d'allouer aux anciens salariés une indemnité au titre d'un préjudice d'anxiété, alors, selon le moyen :
1°/ que le juge n'est pas fondé à appliquer une présomption légale en dehors de son objet propre, de sorte qu'en se fondant sur l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 instituant l'ACAATA dont avait bénéficié les défendeurs aux pourvois, pour affirmer que « la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié l'avais mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l'avait exposé à de telles inhalations nocives comme cela résulte de son inscription à l'ACAATA, la cour d'appel viole le texte susvisé, lequel substitue précisément à la preuve d'une exposition directe à l'amiante, un dispositif collectif ouvert à tous ceux qui remplissent seulement des conditions d'âge et d'ancienneté ;
2°/ que l'article 41 susvisé, à supposer qu'il permette de présumer la responsabilité de l'entreprise dans la survenance d'un préjudice d'anxiété, impose, par voie d'arrêté réglementaire, une solution exclusivement collective plaçant les parties dans une situation réglementaire, non susceptible comme telle, d'être remise en cause devant la juridiction prud'homale ; qu'il en résulte que le recours à la décision de classement, prise par l'administration, pour dispenser le demandeur d'établir le lien de causalité entre le préjudice d'anxiété invoqué et la faute imputée à l'entreprise place celle-ci dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en faisant néanmoins une application systématique de ce texte, sans vérifier qu'il réservait à l'employeur une quelconque possibilité d'apporter une preuve contraire, la cour d'appel a méconnu les règles du procès équitable en violation de l'article 6 de la CEDH ;
3°/ qu'il ne suffit pas d'invoquer une pollution environnementale pour être dispensé d'établir un lien de causalité entre la faute de l'entreprise et le préjudice d'anxiété invoqué ; que la cour d'appel qui se fonde sur une présence de l'amiante sur le site, imputable à tous les employeurs et sur la présence de ce produit dans certains bâtiments de GPMM pour reprocher à l'entreprise d'avoir simplement « affecté » les salariés sur le site, sans respecter les dispositions particulières du décret du 17 août 1977, tandis que ce texte, ainsi que l'article L. 4121-1 du code du travail ne concernent que les risques professionnels résultant de l'activité propre de l'entreprise, impliquant au cas particulier, une manipulation ou une transformation de l'amiante, viole par fausse application des articles susvisés ;
5°/ qu'en retenant une diffusion des poussières d'amiante sur le site portuaire concernant tous les employeurs, en raison notamment du « trafic commercial de l'amiante », activité totalement étrangère à GPMM, la cour d'appel, qui ne précise pas quelles précautions auraient permis d'éliminer le risque, mise à part une interdiction d'utilisation du produit, du transport et de la commercialisation sur le site, laquelle excédait manifestement les pouvoirs du Port, n'a pas caractérisé la faute imputée à l'entreprise, en violation des articles 1147 du code civil et L. 5312-2 et L. 3512-4 du code des transports ;
6°/ que le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour quiconque s'oppose à ce que le juge utilise une motivation standard pour déterminer la réparation et s'abstienne d'analyser les éléments produits aux débats auxquels il prétend se référer ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans préciser ni l'ampleur du risque environnemental, ni l'âge de la « victime », ni sa situation de famille, ni les contrôles auxquels elle se soumet, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du code civil et du principe susvisé ;
7°/ que l'accord collectif signé le 24 octobre 2002 entre GPMM et des organisations syndicales porte sur « les modalités de mise en oeuvre du dispositif de l'ACAATA » et comporte un ensemble de prestations concernant, outre une indemnité de départ, une garantie de financement de la retraite complémentaire, le maintien des prestations de la Commission des oeuvres sociales de l'entreprise ainsi que l'engagement de verser au conjoint survivant un capital décès en cas de disparition du salarié résultant d'une pathologie de l'amiante ; qu'en s'abstenant d'analyser globalement cette convention et en affirmant qu'elle aurait pour « seul objet » les modalités financières des départs anticipés et d'accorder un régime indemnitaire « plus favorable sur le quantum que le régime légal », la cour d'appel qui ne s'explique nullement sur la cause du versement d'une somme équivalente à 65 % du salaire annuel de chaque intéressé, comme le prévoit l'article 5 de ladite convention, a privé sa décision de toute base légale tant au regard de l'article 1134 du code civil que de l'article L. 2211-1 du code du travail ;
Mais attendu que la cour d'appel, qui a constaté que les salariés, qui avaient travaillé dans l'un des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 et figurant sur une liste établie par arrêté ministériel pendant une période où y étaient fabriqués ou traités l'amiante ou des matériaux contenant de l'amiante, se trouvaient, par le fait de l'employeur, lequel ne démontrait pas l'existence d'une cause d'exonération de responsabilité, dans une situation d'inquiétude permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, peu important la nature de l'exposition, fonctionnelle ou environnementale, qu'ils avaient subie, et qu'ils fassent l'objet d'une surveillance médicale ou non, a ainsi, sans méconnaître les règles du procès équitable, caractérisé l'existence d'un préjudice spécifique d'anxiété dont elle a souverainement apprécié le montant, sans être tenue d'en préciser les divers éléments ;
Et attendu qu'ayant fait ressortir que l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002, tout en assurant une compensation plus importante de la perte de revenu résultant de la cessation d'activité, n'interdisait pas une demande ultérieure en réparation d'un trouble psychologique résultant du risque de déclaration à tout moment d'une maladie liée à l'amiante, la cour d'appel, procédant à la recherche prétendument omise, a légalement justifié sa décision ;
PAR CES MOTIFS
REJETTE les pourvois ;
Condamne l'établissement Grand Port maritime de Marseille aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de l'établissement Grand Port maritime de Marseille et le condamne à payer à MM. X..., Y..., Z..., A..., B..., C..., D..., E..., F..., G..., H... et I... la somme globale de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix décembre deux mille quatorze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt :


Moyens produits par la SCP Célice, Blancpain et Soltner, avocat aux Conseils, pour l'établissement Grand Port maritime de Marseille
PREMIER MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi reproche aux arrêts attaqués d'avoir déclaré recevables les demandes indemnitaires du chef d'un préjudice d'anxiété et d'avoir condamné GPMM à verser à ce titre une indemnité de 8.000 ¿ à chaque défendeur aux pourvois ;
AUX MOTIFS QUE « sur la compétence et la fin de non recevoir Il convient d'abord de répondre au moyen soulevé par le GPMM lequel considère que le salarié, ayant sollicité le bénéfice du dispositif ACAATA et n'ayant développé aucune maladie professionnelle, ne peut prétendre à aucune indemnisation laquelle ne relèverait pas, au demeurant, de la compétence du conseil de prud'hommes. Ce moyen est inopérant s'agissant du préjudice d'anxiété. En effet, le fondement invoqué au soutien de la demande au titre du préjudice d'anxiété est l'existence d'un contrat de travail ayant lié les parties au cours duquel le salarié aurait, selon lui, été exposé aux poussières d'amiante sans que l'employeur ait pris les mesures suffisantes de protection contre ces poussières ce qui caractériserait le manquement de l'employeur à son obligation de sécurité de résultat. Les demandes sont donc fondées sur l'exécution entre les parties du contrat de travail. Or, il résulte de l'article L.1411-1 du Code du travail que les différends qui peuvent s'élever à l'occasion de tout contrat de travail entre les employeurs ou leurs représentants et les salariés qu'ils emploient relèvent de la compétence du conseil de prud'hommes. Les circonstances tirées de l'adhésion au dispositif ACAATA et de l'absence d'une pathologie ayant été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante ou d'une pathologie n'ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante ou d'une pathologie n'ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante mais dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA conformément à l'arrêté du 5 mai 2002, sont inopérantes à rendre irrecevable la demande d'indemnisation au titre du préjudice d'anxiété. En effet, cette demande indemnitaire porte sur la période exclusivement antérieure à la reconnaissance de la maladie provoquée par l'amiante puisque le salarié invoque son état d'anxiété à l'idée de voir la maladie se déclarer un jour ce qui suppose nécessairement et à l'évidence que la période concernée par la demande soit la période au cours de laquelle la pathologie n'était pas déclarée. Cette demande est donc indépendante et distincte de la reconnaissance de la maladie provoquée par l'amiante ainsi que de l'allocation compensant la cessation anticipée d'activité professionnelle. De même, la circonstance tirée de la faculté de saisir le FIVA et (ou) le TASS en cas de pathologie ayant été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante ou d'une pathologie n'ayant pas été reconnue comme une maladie professionnelle provoquée par l'amiante mais dont le constat vaut justification de l'exposition à l'amiante dans le cadre du FIVA conformément à l'arrêté du 5 mai 2002, n'est pas davantage de nature à rendre irrecevable la demande au titre du préjudice d'anxiété. Dans un tel cas de reconnaissance d'une maladie liée à l'amiante ou d'une exposition à l'amiante, l'offre indemnitaire qui pourrait être faite par le FIVA et (ou) l'indemnisation qui pourrait être fixée par le TASS n'engloberaient que les seuls préjudices découlant de la maladie reconnue. Ainsi, le préjudice moral pour lequel le salarié pourrait être effectivement indemnisé, ne concernerait que l'impact psychologique résultant de la maladie, une fois celle-ci déclarée puis reconnue, sans qu'une telle indemnisation ne puisse prendre en compte les préjudices pour la période antérieure à la reconnaissance de la maladie. (¿) et (p.7 al.7) « que le salarié invoque un préjudice d'anxiété subi lors de l'exercice de son emploi du fait de son exposition à l'amiante sur le site du Grand Port, lequel aurait entraîné le risque de développer l'une des maladies liées à l'amiante et une situation de stress et d'angoisse permanente de voir sa santé se dégrader à tout moment. Or, eu égard à ce qui précède, il est effectivement compréhensible, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec une exposition à l'amiante, compte tenu du délai de déclaration de la maladie, du grand nombre de salariés concernés par l'une des pathologies liées à l'amiante et de l'absence de chance de guérison, une fois la maladie déclarée que le demandeur ait été confronté à une anxiété permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie, qu'il fasse l'objet d'une surveillance médicale ou non » ;
ALORS QUE si elle atteint un niveau indemnisable, l'anxiété constitue nécessairement une pathologie correspondant à un déficit par rapport à l'état psychique d'une personne normale ; qu'en allouant 8.000 ¿ à chacun des demandeurs, au titre de la réparation d'un tel préjudice « subi lors de l'exercice de l'emploi » (p.7), la Cour d'AIX-EN-PROVENCE a violé l'article L.451-1 du Code de la Sécurité Sociale ainsi que, par fausse application, l'article L.4111-1 du Code du travail.
DEUXIEME MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi reproche aux arrêts attaqués d'avoir alloué aux défendeurs aux pourvois bénéficiaires de l'ACAATA une indemnité de 8.000 ¿ au titre d'un préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE « le principe de la responsabilité civile implique la démonstration d'une faute, d'un préjudice et d'un lien de causalité entre eux pour justifier le droit à réparation de l'intégralité des dommages subis. Il y a lieu de constater que par arrêté du 7 juillet 2000, le Port Maritime de Marseille a été inscrit sur la liste des ports susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA en faveur des salariés dockers professionnels ayant travaillé pendant la période relative aux années 1957 à. 1993, que l'article 44 de la loi de financement de la sécurité sociale du 21 décembre 2001 pour 2002 a étendu le dispositif de l'ACAATA aux personnels portuaires assurant la manutention et que l'arrêté du 11 décembre 2001 modifiant la liste des établissements de la construction et de la réparation navale susceptibles d'ouvrir droit à l'ACAATA a inclus dans ce dispositif le service technique de l'outillage, des ateliers et centre d'activité de la réparation navale et du dragage du Port Autonome de Marseille. En outre, un accord d'entreprise dans le Port Autonome de Marseille, en date du 24 octobre 2002, a stipulé que "les parties signataires ont convenu d'aménager les conditions de départ définies dans les textes en vigueur pour les personnels du Port Autonome de Marseille pouvant prétendre au bénéfice d'une cessation anticipée d'activité dans le cadre du dispositif amiante" et que " peuvent prétendre au bénéfice d'une cessation d'activité anticipée amiante, les agents ayant travaillé dans les services techniques de l'outillage, des ateliers et centres d'activité de la réparation navale et du dragage, ainsi que le personnel de manutention portuaire du Port Autonome de Marseille dans les périodes visées par les textes en vigueur." Par ailleurs, il ressort du compte rendu du comité paritaire d'hygiène et de sécurité relatif à la manutention portuaire du Port de Marseille du 22 décembre 1999 produit aux débats que, sur la période susvisée, une grande dispersion du risque d'amiante avait été constatée tant sur les navires, les quais et les locaux du fait d'une protection rare et inefficace en raison notamment du trafic commercial de l'amiante sur le site. Ce document, qui décrit précisément la manutention et le conditionnement de l'amiante sur l'ensemble du site, lesquels y ont favorisé la diffusion libre des poussières d'amiante, ajoute qu' "aucun poste de travail ne peut être certain d'avoir échappé au risque: dockers de bord, de terre, chauffeurs, grutiers, pointeurs, chefs d'équipe, contremaîtres, chefs de service, personnel d'entretien et mécaniciens. Tout le personnel travaillant sur le port ou à proximité a pu être exposé au risque amiante et la liste n'est pas exhaustive sans oublier le k personnel occasionnel ou complémentaire utilisé par les sociétés de manutention pour compléter les effectifs dockers sur les navires ou les exploitations". Ces constatations de la présence d'amiante et de la diffusion des poussières d'amiante du Port Maritime concernent tous les employeurs qui, pendant cette période, y avaient affecté, à un titre ou à un autre, leurs salariés lesquels dès lors avaient pu être exposés, du fait de leur employeur et compte tenu de l'emploi exercé comme il sera examiné plus loin, aux poussières d'amiante. Il sera d'ailleurs ajouté qu'il est acquis aujourd'hui et n'est sérieusement plus remis en question le fait que l'amiante, en raison de ses qualités d'isolant, avait été aussi utilisée dans les matériaux des bâtiments du port où les salariés du GPMM avaient travaillé, dans les systèmes de freins équipant les divers engins mis à leur disposition sur le port ainsi que dans tous les calorifugeages des tuyaux des terminaux pétroliers installés sur le port sur lesquels ils avaient pu intervenir. L'exposition à l'amiante a donc concerné tous les salariés qui étaient affectés par leur employeur, en ce compris le GPMM, sur le site portuaire peu important en définitive que les ouvriers dockers, dont le GPMM n'était pas l'employeur, aient été les plus exposés. Or, il est admis par la communauté scientifique que les poussières d'amiante avaient été identifiées comme vecteur potentiel de maladies professionnelles, dès 1945 et 1950, par l'inscription de pathologies liées à l' amiante au tableau des maladies professionnelles, que de nombreux documents, études et rapports publiés depuis le début du XX° siècle avaient apporté la preuve d'une connaissance bien antérieure à 1977 des dangers de l'amiante et qu'une pathologie liée à l'inhalation de poussières pouvait se révéler de nombreuses années plus tard. Si l'obligation de sécurité mise à la charge de l'employeur a été codifiée par l'article L.230-2 ancien du code du travail, devenu L. 4121-1, dont la rédaction est issue de la loi du 31 décembre 1991, il n'en demeure pas moins que sur le fondement de la responsabilité contractuelle résultant de l'article 1147 du code civil, ainsi qu'au visa des dispositions réglementaires prises antérieurement en matière de sécurité (loi du 12 juin 1893, décret d'application du 11 mars 1894, décret du 13 décembre 1948 visant de manière générale la protection contre les poussières et le décret du 17 août 1977 visant de manière spécifique la protection contre les poussières d'amiante), la carence d'un employeur dans la mise en oeuvre des mesures de prévention des risques auxquels un salarié est exposé pendant l'exercice de son emploi, en l'espèce le fait de ne pas avoir pris les précautions suffisantes pour éviter une exposition potentiellement nocive aux poussières d'amiante, est constitutive d'un manquement à ses obligations contractuelles de nature à engager sa responsabilité et à justifier la réparation intégrale des préjudices subis. Alors que l'exposition à l'amiante est établie, notamment par l'arrêté de classement du Port Maritime de Marseille du 7 juillet 2000, il n'est aucunement justifié par les pièces versées aux débats que le PAM devenu le GPMM avait pris de façon effective, sur le site où il avait décidé d'affecter ses salariés pendant la période considérée, les mesures nécessaires, notamment les mesures particulières visées par le décret du 17 août 1977, pour assurer la sécurité et protéger leur santé contre les poussières d'amiante alors que la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié, l'avait mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l'avait exposé à de telles inhalations nocives comme cela résulte de son inscription au dispositif ACAATA. Le fait invoqué par l'appelant d'avoir mis en place un mode de représentation des salariés concernant leur sécurité, puis un CHSCT sur la prévention des risques professionnels et l'amélioration des conditions de travail (protocoles d'accord des 20 avri11978, 22 février 1985 et 18 décembre 2001), initiatives qui ne portent pas directement sur des mesures spécifiques à la protection contre l'amiante, ne permet pas d'écarter la responsabilité de l'employeur qui ne démontre pas davantage avoir mis en oeuvre, au-delà de ces instances, un dispositif effectif de protection des salariés aux expositions nocives de nature à exclure tout risque de pathologie. (¿) Il s'ensuit que l'employeur qui figurait sur la liste des établissements mentionnés à l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 et qui, pour la période considérée, avait exposé ses salariés à des poussières d'amiante sans avoir mis en place des mesures de protection, quand bien même le demandeur ne serait pas atteint à ce jour d'une pathologie résultant de cette exposition, avait bien commis une faute » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le juge n'est pas fondé à appliquer une présomption légale en dehors de son objet propre, de sorte qu'en se fondant sur l'article 41 de la loi du 23 décembre 1998 instituant l'ACAATA dont avaient bénéficié les défendeurs aux pourvois, pour affirmer que « la nature de l'emploi exercé par cet ancien salarié l'avait mis en contact direct avec des matériaux contenant de l'amiante et donc l'avait exposé à de telles inhalations nocives comme cela résulte de son inscription à l'ACAATA » (p.7 al.2), la Cour d'appel viole le texte susvisé, lequel substitue précisément à la preuve d'une exposition directe à l'amiante, un dispositif collectif ouvert à tous ceux qui remplissent seulement des conditions d'âge et d'ancienneté ;
ALORS, D'AUTRE PART, ET DE TOUTE FACON, QUE l'article 41 susvisé, à supposer qu'il permette de présumer la responsabilité de l'entreprise dans la survenance d'un préjudice d'anxiété, impose, par voie d'arrêté réglementaire, une solution exclusivement collective plaçant les parties dans une situation réglementaire, non susceptible comme telle, d'être remise en cause devant la juridiction prud'homale ; qu'il en résulte que le recours à la décision de classement, prise par l'administration, pour dispenser le demandeur d'établir le lien de causalité entre le préjudice d'anxiété invoqué et la faute imputée à l'entreprise place celle-ci dans une situation de net désavantage par rapport à son adversaire ; qu'en faisant néanmoins une application systématique de ce texte, sans vérifier qu'il réservait à l'employeur une quelconque possibilité d'apporter une preuve contraire, la Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE a méconnu les règles du procès équitable en violation de l'article 6 de la CEDH ;
ALORS, DE TROISIEME PART, QU'il ne suffit pas d'invoquer une pollution environnementale pour être dispensé d'établir un lien de causalité entre la faute de l'entreprise et le préjudice d'anxiété invoqué ; que la Cour d'appel, qui se fonde sur une présence de l'amiante sur le site, imputable à tous les employeurs et sur la présence de ce produit dans certains bâtiments de GPMM pour reprocher à l'entreprise d'avoir simplement « affecté » les salariés sur le site, sans respecter les dispositions particulières du décret du 17 août 1977, tandis que ce texte, ainsi que l'article L.4121-1 du Code du travail ne concernent que les risques professionnels résultant de l'activité propre de l'entreprise, impliquant au cas particulier, une manipulation ou une transformation de l'amiante, viole par fausse application les textes susvisés ;
ALORS, ENFIN, ET SUBSIDIAIREMENT QU'en retenant une diffusion des poussières d'amiante sur le site portuaire concernant tous les employeurs, en raison notamment du « trafic commercial de l'amiante », activité totalement étrangère à GPMM, la Cour d'appel, qui ne précise pas quelles précautions auraient permis d'éliminer le risque, mise à part une interdiction d'utilisation du produit, du transport et de la commercialisation sur le site, laquelle excédait manifestement les pouvoirs du Port, n'a pas caractérisé la faute imputée à l'entreprise, en violation de l'article 1147 du Code civil et L.5312-2 et L.5312-4 du Code des Transports.
TROISIEME MOYEN DE CASSATION :

Le pourvoi reproche aux arrêts attaqués d'avoir alloué à tous les défendeurs aux pourvois une indemnité de 8.000 ¿ au titre d'un préjudice d'anxiété ;
AUX MOTIFS QUE « L'accord d'entreprise du 24 octobre 2002, dont se prévaut l'appelant, ne saurait l'exonérer de sa responsabilité au regard des règles relatives à la santé et la sécurité des salariés, cet accord n'ayant eu pour seul objet que de définir les modalités financières des départs anticipés comme il sera développé plus loin. (¿) Sur le préjudice d'anxiété A titre liminaire, il y lieu de constater que l'accord d'entreprise du 24 octobre 2002 ne saurait être considéré, contrairement à ce que prétend le GPMM, comme ayant indemnisé les salariés au titre de leurs préjudices "toutes causes confondues". En effet, cet accord n'a pour seul objet, après avoir visé les salariés concernés, que de leur accorder un régime indemnitaire plus favorable sur le quantum que le régime légal indemnisant la cessation anticipée d'activité mais cet accord n'inclut pas l'indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux indépendants du dispositif légal et qui d'ailleurs ne sont aucunement mentionnés dans l'accord. C'est donc à tort qu'il est opposé par l'intimé le caractère satisfactoire des sommes perçues au titre de cet accord. Le salarié, invoque un préjudice d'anxiété subi lors de l'exercice de son emploi du fait de son exposition à l'amiante sur le site du Grand Port, lequel aurait entraîné le risque de développer l'une des maladies liées à l'amiante et une situation de stress et d'angoisse permanente de voir sa santé se dégrader à tout moment. Or, eu égard à ce qui précède, il est effectivement compréhensible, quand bien même aucune maladie n'a été constatée à ce jour en lien avec une exposition à l'amiante, compte tenu du délai de déclaration de la maladie, du grand nombre de salariés concernés par l'une des pathologies liées à l'amiante et de l'absence de chance de guérison, une fois la maladie déclarée que le demandeur ait été confronté à une anxiété permanente face au risque de déclaration à tout moment d'une maladie, qu'il fasse l'objet d'une surveillance médicale ou non. La cour, en l'état des éléments produits aux débats, estime devoir réparer le préjudice d'anxiété du demandeur à hauteur de la somme de 8.000 ¿. Le jugement dont appel doit être réformé » ;
ALORS, D'UNE PART, QUE le principe de la réparation intégrale du préjudice sans perte ni profit pour quiconque s'oppose à ce que le juge utilise une motivation standard pour déterminer la réparation et s'abstienne d'analyser les éléments produits aux débats auxquels il prétend se référer ; qu'en statuant comme elle l'a fait, sans préciser ni l'ampleur du risque environnemental, ni l'âge de la « victime », ni sa situation de famille, ni les contrôles auxquels elle se soumet, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 1147 du Code civil et du principe susvisé ;
ALORS, D'AUTRE PART, QUE l'accord collectif signé le 24 octobre 2002 entre GPMM et des organisations syndicales porte sur « les modalités de mise en oeuvre du dispositif de l'ACAATA » et comporte un ensemble de prestations concernant, outre une indemnité de départ, une garantie de financement de la retraite complémentaire, le maintien des prestations de la Commission des oeuvres sociales de l'entreprise ainsi que l'engagement de verser au conjoint survivant un capital décès en cas de disparition du salarié résultant d'une pathologie de l'amiante ; qu'en s'abstenant d'analyser globalement cette convention et en affirmant qu'elle aurait pour « seul objet » les modalités financières des départs anticipés et d'accorder un régime indemnitaire « plus favorable sur le quantum que le régime légal », la Cour d'AIX-EN-PROVENCE qui ne s'explique nullement sur la cause du versement d'une somme équivalente à 65 % du salaire annuel de chaque intéressé, comme le prévoit l'article 5 de ladite convention, ni sur les autres prestations, a privé sa décision de toute base légale tant au regard de l'article 1134 du Code civil que de l'article L.2211-1 du Code du travail.


Synthèse
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 13-21217;13-21218;13-21219;13-21220;13-21221;13-21223;13-21226;13-21227;13-21228;13-21229;13-21230;13-21231
Date de la décision : 10/12/2014
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Sociale

Références :

Décision attaquée : Cour d'appel d'Aix-en-Provence, 06 juin 2013


Publications
Proposition de citation : Cass. Soc., 10 déc. 2014, pourvoi n°13-21217;13-21218;13-21219;13-21220;13-21221;13-21223;13-21226;13-21227;13-21228;13-21229;13-21230;13-21231


Composition du Tribunal
Président : M. Chollet (conseiller doyen faisant fonction de président)
Avocat(s) : SCP Célice, Blancpain et Soltner, SCP Masse-Dessen, Thouvenin et Coudray

Origine de la décision
Date de l'import : 15/09/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant ECLI : ECLI:FR:CCASS:2014:13.21217
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