LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Attendu selon l'arrêt attaqué (Paris, 12 mars 2013), que la société EM Limited a demandé l'exequatur d'un jugement rendu le 27 octobre 2003 par la United States District Court for the Southern District of New York (Etats-Unis) ayant condamné la République Argentine à lui payer la somme de 724 801 662,56 dollars américains au titre du remboursement des obligations souscrites en application du Fiscal Agency Agreement conclu par cette dernière avec la Bankers Trust Company ;
Attendu que la République Argentine fait grief à l'arrêt d'accueillir cette demande, alors, selon le moyen :
1°/ qu'est contraire à la conception française de l'ordre public international, la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante ; qu'il incombe au demandeur de produire ces documents ; que la République Argentine faisait valoir que le juge de New York s'était borné, dans son « opinion » du 12 septembre 2003, à faire référence à des décisions précédemment rendues au profit d'autres créanciers obligataires de la République Argentine et n'intéressant pas la société EML ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en l'état de cette simple motivation par référence à de précédentes décisions de justice, non produites devant le juge de l'exequatur, le jugement ne devait pas être considéré comme dépourvu de motivation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile ;
2°/ que la République Argentine faisait valoir que les moyens qu'elle avait soutenus devant le juge new-yorkais n'étaient pas repris et analysés dans l'opinion du 12 septembre 2003 ; qu'il résulte, en effet, du mémoire produit le 11 juin 2003 par la République Argentine devant le juge new-yorkais que celle-ci, pour revendiquer dans cette affaire l'application de la doctrine de courtoisie, faisait valoir que la demande en litige portait sur un enjeu vingt fois supérieur à toutes les demandes dirigées contre elle dans le monde entier, et pour s'opposer au prononcé d'un jugement sommaire, développait une argumentation précise et circonstanciée d'où résultait que certains éléments de fait devaient être préalablement déterminés, particulièrement la date et les conditions dans lesquelles la société EML avait acquis les obligations ; qu'en s'abstenant de rechercher si le juge new-yorkais n'avait pas omis de motiver sa décision quant au recours à une procédure de jugement sommaire, en répondant effectivement aux contestations de la République Argentine, et s'il n'en résultait pas une atteinte à l'ordre public international de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile ;
Mais attendu que l'arrêt relève que, dans le motifs de son opinion, le juge fédéral américain, rappelant les prétentions de la société EM Limited, a énoncé les faits de la cause, identifié les titres de créance dont le paiement était poursuivi et rappelé les précédents constitués par des décisions identifiées rendues dans des litiges antérieurs opposant la République Argentine à d'autres titulaires de titres de dette l'ayant poursuivi en paiement devant la même juridiction et constaté que les écritures de la République Argentine contenaient de nombreuses références à des décisions relatives à d'autres affaires concernant des obligataires argentins soumises à la même juridiction américaine, et qu'il s'est ainsi prononcé sur les deux questions spécifiques sur lesquelles portait exclusivement la défense de la République Argentine, qu'en l'état de ces énonciations, la cour d'appel a souverainement estimé que la motivation du jugement rendu le 27 octobre 2003 ne pouvait être regardée comme défaillante ; que le moyen ne peut être accueilli ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la République Argentine aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la République Argentine et la condamne à payer à la société EM Limited la somme de 3 000 euros ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf novembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour la République Argentine
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir ordonné l'exequatur du jugement du 27 octobre 2003 du tribunal fédéral de première instance de New-York prononcé entre la République argentine et la société EM Limited sur le territoire français, AUX MOTIFS QUE le tribunal américain, qui a statué par jugement sommaire rendu après débats succincts lequel énonce, sous forme de dispositif, la condamnation prononcée, se trouve complété par l'« opinion » du juge qui a statué, laquelle, datée du 12 septembre 2003 doit être regardée comme faisant corps avec le jugement ; que selon le certificat de coutume traduit en français dont la teneur n'est pas contestée, versé aux débats, la procédure qui a été suivie devant la juridiction américaine, sur la requête de EML à laquelle, au demeurant, la République argentine, qui a exercé les voies de recours qui lui étaient ouvertes, s'est vainement opposée, suppose aux termes des règles fédérales de procédure civile (RFPC) qu'en l'absence de question de fait à déterminer, seules des questions de droit, avaient à être soumises aux débats ; qu'il résulte des écritures qu'elle a déposées devant le juge américain que la République argentine a, tout à la fois, sollicité un sursis à statuer au titre de la doctrine de courtoisie (Comity) afin de « donner une chance à la nouvelle administration du président Kirchner de développer son programme économique et de s'atteler à son endettement extérieur » et s'est opposée à la procédure de jugement sommaire après débats succincts, en discutant tant la recevabilité que le bien fondé de l'action de EML, en lui opposant notamment, d'une part, le défaut de justification de l'accomplissement des exigences procédurales spécifiques exigées par l'emprunt obligataire en pesos pour obtenir un paiement en dollars, d'autre part, la stratégie contentieuse développée par EML, de nature à rendre caduque la procédure par jugement sommaire rendu après débats succincts, et à imposer le recours à la procédure de production en justice de pièces, enfin la théorie de l'abus de droit ; qu¿il résulte des mémoires qui ont été soumis au juge américain par les parties et qui ont été versés aux débats que la République argentine qui n'a pas invoqué d'autres moyens a été en mesure de discuter les prétentions de son adversaire ; que dans les motifs de son « opinion », le juge qui, après avoir rappelé les prétentions de EML, a énoncé les faits de la cause, identifié précisément les titres de créances dont le paiement était poursuivi et rappelé les précédents constitués par des décisions nommément identifiées rendues dans des litiges antérieurs opposant la République argentine à d'autres titulaires de titres de dette l'ayant également poursuivie en paiement devant la même juridiction, étant observé que les écritures de la République argentine contiennent de nombreuses références à des décisions relatives à d'autres affaires concernant des obligataires argentins soumises à la même juridiction américaine, s'est prononcé expressément sur les deux questions spécifiques sur lesquelles portait exclusivement la défense de la République argentine ; que la motivation du jugement rendu le 27 octobre 2003 par le TPI de New York ne peut être regardée comme défaillante, la cour étant à même de vérifier que cette décision remplit les conditions exigées pour sa reconnaissance notamment quant au respect de l'ordre public étant observé au surplus que la République argentine ne soutient ni a fortiori ne démontre que cette motivation contiendrait des dispositions de nature à heurter la conception française de l'ordre public international ce qui ferait obstacle à sa reconnaissance sur le territoire français ; que la compétence indirecte du juge étranger n'étant pas contestée et aucune violation de l'ordre public de fond et aucune fraude n'étant, par ailleurs, alléguées, le jugement déféré qui a conféré l'exequatur à la décision définitive rendue le 27 octobre 2003 par le TPI de New-York doit être confirmé ;
ET AUX MOTIFS QU¿il ne saurait être reproché au juge étranger d'avoir motivé sa décision selon les exigences de sa loi de procédure et non selon celles de l'Etat où l'exécution est demandée ; que le fait de renvoyer à un précédent permet justement de connaître avec précision les raisons conduisant le juge américain à écarter la demande de sursis à statuer présentée par la défenderesse ; que dans son opinion du 12 septembre 2003, le juge américain renvoie explicitement à la décision rendue dans l'affaire « Lightwater Corporation Ltd v. The Republic of Argentina, 2003 WL 1878420 (S.D.N.Y) » pour considérer que l'affaire EML doit faire l'objet d'un traitement similaire en ce qui concerne le sursis à statuer ; que dans cette affaire, comme dans l'affaire EML, la République argentine sollicitait, en vain, un sursis dans le but de mener à bien les négociations nécessaires à la restructuration de sa dette ; qu¿on doit relever, avec la société EML, que les parties ont contradictoirement discuté de la question du sursis à statuer dans leurs écritures devant le tribunal de New-York ; qu¿en matière d'exequatur, les pièces complémentaires à la décision de référence peuvent être valablement produites par les parties pour servir d'équivalent à une motivation, dès lors que comme en l'occurrence ces pièces ont été versées aux débats devant le juge étranger avant qu'il ne se prononce ; que l'opinion du 12 septembre 2003 doit être considérée comme une décision suffisamment motivée, alors que le précédent qu'elle invoque quant au sursis à statuer est réel et que l'analyse des éléments de fait et de droit l'est bien également, ayant notamment permis de cerner le contexte de l'affaire (cf. supra) ; que le jugement amendé du 27 octobre 2003 qui fait référence expresse à l'Opinion du 12 septembre 2003 doit être considéré également comme une décision compatible avec la conception française de l'ordre public international de sorte qu'il y a lieu d'accueillir favorablement la demande d'exequatur ;
1° ALORS QU'est contraire à la conception française de l'ordre public international, la reconnaissance d'une décision étrangère non motivée lorsque ne sont pas produits des documents de nature à servir d'équivalent à la motivation défaillante ; qu'il incombe au demandeur de produire ces documents ; que la République argentine faisait valoir que le juge de New-York s'était borné, dans son « opinion » du 12 septembre 2003, à faire référence à des décisions précédemment rendues au profit d'autres créanciers obligataires de la République argentine et n'intéressant pas la société EML ; qu'en s'abstenant de rechercher si, en l'état de cette simple motivation par référence à de précédentes décisions de justice, non produites devant le juge de l'exequatur, le jugement ne devait pas être considéré comme dépourvu de motivation, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile ;
2° ALORS QUE la République argentine faisait valoir que les moyens qu'elle avait soutenus devant le juge new-yorkais n'étaient pas repris et analysés dans l'opinion du 12 septembre 2003 (page 7, § 44 et s.) ; qu'il résulte, en effet, du mémoire produit le 11 juin 2003 par la République argentine devant le juge new-yorkais que celle-ci, pour revendiquer dans cette affaire l'application de la doctrine de courtoisie, faisait valoir que la demande en litige portait sur un enjeu vingt fois supérieur à toutes les demandes dirigées contre elle dans le monde entier, et pour s'opposer au prononcé d'un jugement sommaire, développait une argumentation précise et circonstanciée d'où résultait que certains éléments de fait devaient être préalablement déterminés, particulièrement la date et les conditions dans lesquelles la société EML avait acquis les obligations ; qu'en s'abstenant de rechercher si le juge new-yorkais n'avait pas omis de motiver sa décision quant au recours à une procédure de jugement sommaire, en répondant effectivement aux contestations de la République argentine, et s'il n'en résultait pas une atteinte à l'ordre public international de procédure, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 509 du code de procédure civile.