LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen unique, pris en sa première branche :
Vu l'article 1382 du code civil et les articles 1er et 2 du décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960, ces derniers dans leur rédaction applicable en la cause ;
Attendu que, selon les deux derniers de ces textes, l'Office national de la navigation, devenu Voies navigables de France, qui a notamment pour mission de centraliser et porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant la navigation intérieure, de rechercher tous les moyens propres à développer la navigation intérieure, de provoquer et, au besoin, prendre toutes mesures tendant à améliorer l'exploitation des voies navigables, tel le renouvellement du matériel fluvial, et de s'intéresser à toutes entreprises dont l'activité se rapporte directement à son objet, est responsable des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses activités, son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial chargé d'une mission de service public ne faisant pas obstacle à ce que sa responsabilité soit retenue pour manquement à l'obligation de renseignement et de conseil à laquelle il est tenu dans l'accomplissement de ses missions ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que les époux X... ont acquis en 1985 une péniche dont l'exploitation s'est révélée déficitaire et qu'ils ont assigné en responsabilité l'Office national de navigation, lui reprochant, en sa qualité de "dispensateur" de crédit, d'avoir manqué à son devoir d'information et de conseil pour s'être abstenu d'étudier leurs capacités réelles de remboursement ;
Attendu que, pour débouter les époux X... de leur demande, l'arrêt retient que l'Office est un établissement public industriel et commercial, et que sa qualité de personne morale de droit public chargée d'une mission de service public exclut toute mission de conseils individualisés au profit de particuliers ;
En quoi la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres branches du moyen :
CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 20 janvier 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Versailles ;
Condamne l'établissement public Les Voies navigables de France aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et le condamne à payer à M. et Mme X... la somme globale de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du treize novembre deux mille quatorze.
MOYEN ANNEXE au présent arrêt :
Moyen produit par Me Blondel, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...
Il est reproché à l'arrêt attaqué d'avoir débouté les époux X... de l'ensemble de leurs demandes et de les avoir condamnés au paiement d'une somme au titre des frais irrépétibles ;
AUX MOTIFS QUE les époux X... qui ont acquis le bateau automoteur 850 M3 en 1985, font valoir que « dispensateur de crédit l'ONN avait un devoir de mise en garde » envers eux ; que cet organisme a engagé sa responsabilité non pas du fait de la diffusion de son étude réalisée en 1980 encore que celle-ci soit en partie fausse, mais pour n'avoir pas étudié leurs capacités réelles de remboursement, ce qui les a conduits à une situation de surendettement ; que l'Office National de la Navigation, aujourd'hui Voies Navigables de France, est un établissement public industriel et commercial ; que sa qualité de personne morale de droit public chargée d'une mission de service public exclut toute mission de conseil individualisés au profit de particuliers ; que dans le cadre de ses missions relevant d'un service public administratif, l'O.N.N. a réalisé au cours de l'année 1980 une étude portant sur les possibilités de construction d'unités fluviales nouvelles ; qu'il s'agit d' une analyse prospective sur l'avenir de la batellerie en France, rédigée en termes généraux, réactualisée en 1981 en raison même de l'évolution des prix puisque basée sur des coûts existant en 1979 et établie à partir d'un plan de financement fixé à l'avance ; qu'il n'est pas contesté que cette étude restait très prudente, notamment quant à l'évaluation de chaque poste de dépenses et de recettes et de l'évolution de ces dernières et qu'elle n'a pas été visée dans les documents contractuels aux termes desquels les mariniers, dont les époux X..., se sont engagés plusieurs années après ;
AUX MOTIFS ENCORE QU'il n'apparaît pas de façon certaine que dans le courrier daté du 15 octobre 1996, adressé par Voies Navigables de France aux appelants, qui mentionne notamment : « Je vous rappelle que ce projet de dispositif financier entre la Région Nord Pas-de-Calais et Voies Navigables de France reposait sur une étude économique et financière réalisée par Voies Navigables de France dans le but d'ajuster précisément les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs », l'étude économique et financière visée soit, ainsi que le soutiennent les époux X..., celle initialement réalisée en 1980, alors qu'il est indiqué que le projet de dispositif financier devait faire l'objet d'un avenant n° 3 à la Convention de 1982 entre l'EPR (Etablissement Public Régional) et l'O.N.N., mais se trouvait toujours dans l'impasse faute d'avoir obtenu l'accord de la Région Nord Pas-de-Calais ; qu'en revanche est produit aux débats un document (pièce 11/1 à 11/8), daté du 30 avril 1996 ayant pour objectif la « recherche de modalités réalistes de remboursement (et de leurs conséquences) tenant compte de la capacité économique des emprunteurs appréciés au 30 octobre 1995 » qui fait un bilan de la situation financière de l'opération ; qu'en tout état de cause et à supposer que la lettre du 15 octobre 1996 fasse référence à l'étude initiale, la prudence et le caractère général de celle-ci, ne permettent pas de retenir que cinq ans plus tard, les époux X... ont été incités par l'O.N.N. afin de réaliser leur acquisition ; que dès lors que l'étude litigieuse ne peut être regardée comme ayant été déterminante du consentement à l'achat des époux X... ; que par ailleurs que dans le montage financier de l'opération dans lequel ont participé l'Etat et la Région Nord Pas-de-Calais, l'O.N.N. n'est intervenu qu'en tant que coordinateur, chargé de globaliser toutes les aides et de les répartir entre les différents acquéreurs ; que ce rôle est expressément défini au point n° 4 du compte-rendu de la réunion du 4 novembre 1981 ; que des protocoles ont ainsi été passés à cette fin entre les organismes prêteurs et l'O.N.N. et entre celui-ci et la SCMF (Société pour la Construction du Matériel Fluvial) : l'O.N.N. s'engageant à mettre à la disposition de la SCMF, et certes par voie de conséquence au profit des bateliers réunis en coopérative, le produit des emprunts effectués ou collectés par lui sur le marché financier privilégié ou ordinaire ; qu'il résulte d'une réunion en date du 15 avril 1985 que le financement du prix de l'automoteur a été assuré à hauteur de 22,5 % par l'Etat, de 39,5 % par la Région, de 33 % par le CEPME (Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprises ) et de 5 % par chaque batelier sous la forme d'un prêt consenti par le Crédit Lyonnais ; qu'il est notamment précisé concernant les prêts consentis par le CEPME que les demandes de prêt devront être présentées par la SCMF ou l'O.N.N. ; que ce dernier s'est vu également confié la mission d'assurer la gestion administrative des dossiers concernant la construction des bateaux neufs ; qu'ainsi l'Office n'a été qu'un intermédiaire dans l'opération mise en oeuvre afin de coordonner celle-ci et d'en faciliter la réalisation ; qu'il n'a nullement tenu le rôle de prêteur de deniers que lui attribuent les appelants ; qu'en effet, contrairement à ce que soutiennent les époux X..., l'O.N.N. n' a pas assuré de montage financier et ne peut en conséquence avoir manqué à une obligation de conseil, notamment au regard de leurs capacités d'endettement, à laquelle, en tout état de cause, de par sa qualité de personne morale de droit public chargée d'une mission de service public il n'était pas assujetti ; que dès lors les époux Blanckerman ne peuvent qu'être déboutés de leurs demandes et le jugement sera confirmé ;
ET AUX MOTIFS, A LES SUPPOSER ADOPTES DES PREMIERS JUGES, QUE les demandeurs qui ont acquis le bateau automoteur 850 M3 en 1985 recherche la responsabilité de l'établissement public en se fondant sur une étude de rentabilité réalisée sur des données de l'année 1980 ; que cette étude n'est pas visée dans les documents contractuels ; qu'en outre, il s'agit d'une étude prospective, générale et impersonnelle, conditionnelle et aléatoire ; qu'il n'est pas contesté qu'entre la date de l'étude et celle des prêts, une augmentation sensible du coût prévisionnel de production des automoteurs est intervenue ; qu'il s'ensuit que cette étude ne peut être considérée comme déterminante du consentement des demandeurs ; qu'il ne saurait davantage être reproché à l'établissement public de n'avoir pas appelé l'attention des demandeurs sur les limites de l'étude de rentabilité et le poids de l'investissement envisagé au regard de leur obligation extra-contractuelle de conseils et de renseignements ; qu'il appartenait, en effet, à Monsieur et Madame X... de se renseigner sur la viabilité de leur projet d'acquisition sans tenir pour acquis les chiffres avancés par une étude générale de 1980, même réactualisés l'année suivante ; qu'en outre, les conditions de financement privilégié dont ont pu bénéficier les demandeurs ne saurait en aucun cas constituer une garantie de rentabilité de l'opération ; qu'il s'ensuit que le rôle de l'établissement public dans l'étude présenté, le financement et la construction de l'automoteur acquis par Monsieur X... ne peut être retenu comme fautif et qu'au surplus, le lien de causalité entre la faute allégué et le caractère déficitaire de l'exploitation invoquée par les demandeurs n'est nullement établie ;
ALORS QUE, D'UNE PART, l'Office National de la Navigation devenu Voies Navigables de France, qui a notamment pour mission de centraliser et de porter à la connaissance du public les renseignements de toute nature concernant la navigation intérieure, ensemble de promouvoir les mesures tendant à améliorer l'exploitation des voies navigables, telles le renouvellement du matériel, les conditions de ce renouvellement, son financement à l'égard des bateliers indépendants, est responsable des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses activités ; que ni son statut d'établissement public à caractère industriel et commercial chargé d'une mission de service public, ni le principe d'égalité des usagers devant le service public ne font obstacle à ce que sa responsabilité soit retenue, notamment, pour manquement à son obligation de renseignements et de conseils dont il est redevable, à l'instar de tout professionnel, dans l'accomplissement de ses missions ; qu'en relevant à titre liminaire dans son arrêt que sa qualité de personne morale de droit public chargé d'une mission de service public exclut toute mission de conseils individualisés au profit de particuliers (cf. p.3 de l'arrêt), la Cour viole l'article 1382 du Code civil, les articles 1 et 2 du décret n° 60-1441 du 26 décembre 1960, dans leur rédaction applicable en la cause, ensemble, par fausse interprétation et fausse application les règles et principes qui gouvernent la responsabilité d'un établissement public à caractère industriel et commercial ;
ALORS QUE, D'AUTRE PART ET EN TOUT ETAT DE CAUSE, toute personne ou autorité, fût-ce un service public à caractère industriel et commercial qui prend l'initiative de fournir des renseignements s'oblige par là même à délivrer une information exacte, complète et adaptée à la situation de ses interlocuteurs, et qu'ayant elle-même relevé, par motifs propres et adoptés des premiers juges, que l'Office National de la Navigation devenu Voies Navigables de France, avait pris l'initiative notamment en diffusant l'étude qu'elle avait menée au début des années 1980 auprès des bateliers de les renseigner sur les perspectives, notamment économiques et financières, qu'offrait l'exploitation d'un nouveau type de matériel fluvial, puis que l'Office avait accompagné ce projet à tous les stades de son développement, jusqu'au financier du dossier destiné à permettre aux bateliers d'emprunter à hauteur de leurs investissements, la Cour ne pouvait néanmoins considérer que l'Office National de la Navigation devenu Voies Navigables de France n'avait souscrit aucune obligation de renseignements et de conseils au profit des bateliers qui s'étaient pourtant engagés à son initiative, qu'ainsi elle viole derechef l'article 1382 du Code civil et les articles 1 et 2 du décret du 26 décembre 1960 cité au premier élément de moyen ;
ALORS QUE, DE TROISIEME PART ET EN TOUTE HYPOTHESE, dans leurs écritures déposées et signifiées le 30 juin 2011, les appelants insistaient notamment sur la circonstance qu'un plan de financement avait été établi par l'O.N.N. déterminant clairement les annuités remboursables par les mariniers, le prix moyen de l'emprunt (3.331.178 francs), le disponible pour rembourser l'emprunt (312.005 francs), l'équilibre de la prévision maintenue par le jeu de l'inflation, l'évolution positive de l'exploitation permettant de faire face aux charges et de renouveler le moteur, d'assurer les grosses réparations (cf. p. 9 des conclusions d'appel), étant observé que dans le droit fil de ces observations, les appelants insistaient encore sur le fait constant que le financement du bateau d'une valeur de 4.868.035,86 francs a été assuré de la manière suivante :- deux prêts contractés auprès du CEPME pour 33 % du prix ;- une avance de l'Etablissement Public Régional Nord Pas-de-Calais avec franchise de 5 ans sans intérêts sous forme d'un prêt O.N.N. (VNF), soit 39,50 % du prix ;- une aide de l'Etat, soit 22,50 % du prix ;- et un apport personnel, soit 5 % du prix (cf. p. 10 des conclusions précitées) ;étant encore observé que ces financements ont été obtenus au vu de la seule étude réalisée par l'Office National de la Navigation en 1979-1980 et réactualisé en 1989, ainsi que ledit Office l'a reconnu dans sa lettre du 15 octobre 1996 ; qu'ainsi était fait état d'un financement réalisé grâce à un prêt d'O.N.N. (VNF) à hauteur de 39,50 % du prix ; qu'en ne s'exprimant pas de façon rigoureuse sur ces ensembles de données régulièrement entrés dans le débat au sens des articles 6 et 7 du Code de procédure civile et en statuant comme elle l'a fait, la Cour prive son arrêt de base légale au regard des textes cités au précédent élément de moyen ;
ET ALORS ENFIN, ET EN TOUTE HYPOTHESE, QU'en indiquant qu'il n'apparaît pas de façon certaine que dans le courrier daté du 15 octobre 1996, adressé par Voies Navigables de France aux appelants qui mentionne notamment : « Je vous rappelle que ce projet de dispositif financier entre la Région Nord Pas-de-Calais et Voies Navigables de France reposait sur une étude économique et financière réalisée par Voies Navigables de France dans le but d'ajuster précisément les capacités de remboursement des bateliers aux remboursements effectifs, l'étude économique financière visée soit, ainsi que le soutiennent les époux X..., celle initialement réalisée en 1980 alors qu'il est indiqué que le projet de dispositif financier fait l'objet d'un avenant n° 3 à la Convention de 1982 entre l'EPR (Etablissement Public Régional) et l'O.N.N., mais se trouvait toujours dans l'impasse faute d'avoir obtenu l'accord de la Région Nord Pas-de-Calais » (cf. p. 3 dernier alinéa et 4 premier alinéa de l'arrêt) ; la Cour sur un aspect central du dossier statue par un motif hypothétique méconnaissant, ce faisant, l'article 455 du Code de procédure civile, violé.