LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :
Sur le moyen relevé d'office, en application de l'article 1015 du code de procédure civile, après avis donné aux parties :
Vu les articles 1 et 2 de la Convention générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie, publiée par le décret n° 51-457 du 19 avril 1951, applicable dans les relations entre la France et la Bosnie en vertu de l'accord sous forme d'échange de lettres des 3 et 4 décembre 2003, publié par le décret n° 2004-96 du 26 janvier 2004 ;
Attendu, selon le premier de ces textes, que les travailleurs français ou bosniaques salariés ou assimilés aux salariés par les législations de sécurité sociale sont soumis respectivement aux dites législations applicables en Bosnie-Herzégovine ou en France et en bénéficient, ainsi que leurs ayants droit, dans les mêmes conditions que les ressortissants de chacun de ces pays ; que selon le second, la convention est applicable, en France, à la législation des prestations familiales ;
Attendu, selon l'arrêt attaqué, que M. et Mme X..., de nationalité bosniaque, sont entrés en France en 2004, accompagnés de leurs enfants Aga et Ilda, nés respectivement en Bosnie en 1999 et en 2002 ; qu'ayant obtenu le 13 juin 2008 une carte de séjour temporaire "vie privée et familiale", ils ont sollicité, auprès de la caisse d'allocations familiales du Bas-Rhin, le bénéfice des prestations familiales pour leurs enfants ; que la caisse leur ayant opposé un refus, ils ont saisi une juridiction de sécurité sociale d'un recours ;
Attendu que pour les débouter de leur demande, l'arrêt retient que si les articles 1 et 2 de ladite convention posent les principes généraux de réciprocité d'application des législations de sécurité sociale entre les Etats concernés, suivent pour chaque catégorie de droits et prestations les conditions spéciales de mise en oeuvre de ceux-ci qui sont celles devant régir l'appréciation des prétentions ; que s'agissant des prestations familiales, il y a donc lieu de se référer aux articles 23-23A et 23B qui ne régissent que les travailleurs salariés exerçant leur activité dans un autre Etat que celui où résident leurs enfants, ou ceux détachés avec leur famille dans un autre pays que le leur, situations dans lesquelles les appelants ne se trouvent pas ;
Qu'en statuant ainsi, alors que ces stipulations particulières n'étaient pas applicables aux intéressés, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 13 décembre 2012, entre les parties, par la cour d'appel de Colmar ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;
Condamne la caisse d'allocations familiales du Bas-Rhin aux dépens ;
Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la caisse d'allocations familiales du Bas-Rhin et la condamne à payer à la SCP Gaschignard la somme de 3 000 euros ;
Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du six novembre deux mille quatorze.
MOYENS ANNEXES au présent arrêt :
Moyens produits par la SCP Gaschignard, avocat aux Conseils, pour M. et Mme X...
Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir débouté M. et Mme X... de leurs demandes tendant à l'octroi des allocations familiales pour leurs enfants Aga et Ilda,
AUX MOTIFS QUE les époux X..., tous deux de nationalité bosniaque, sont arrivés en France avec leurs deux enfants Aga et Ilda, respectivement nés en Bosnie les 12 avril 1999 et 12 février 2002 ; qu'ils ont été d'abord titulaires, à pair de 2006, d'autorisations provisoires de résidence en France puis ont chacun obtenu, le 13 juin 2008 une carte de séjour « vie privée et familiale » ; que les enfants Aga et Ilda bénéficient chacun d'un document de circulation pour étranger mineur ; que les époux X... ont sollicité le bénéfice des allocations familiales au profit des enfants Aga et Ilda et se sont heurtés à un refus de la caisse d'allocations familiales ; (...) ; qu'ainsi que le fait valoir la caisse d'allocations familiales, c'est au terme d'une pertinente motivation exempte de contradiction, ni de dénaturation que la Cour adopte en conséquence que le tribunal a rejeté les prétentions des époux X..., en réalisant une exacte application des textes et principes régissant la matière ; qu'il échet d'ajouter que le principe de proportionnalité qui permet de considérer que les dispositions législatives et réglementaires critiquées s'avèrent conformes à la convention européenne des droits de l'homme, vaut pour l'appréciation de la satisfaction par ces mêmes dispositions de droit interne au prescrit des normes internationales invoquées par les appelants : la déclaration universelle des droits de l'homme, la convention internationale des droits de l'enfant, la charte sociale du Conseil de l'Europe ainsi que la charte des droits fondamentaux de l'Union Européenne, la convention 118 de l'Organisation international du travail ainsi que le pacte international du 16 décembre 1966 ; que la caisse d'allocations familiales relève exactement que les délibérations de la Halde ne constituent pas des recommandations, étant observé qu'en tout état de cause quand bien même elles ne s'imposent pas au juge, elles ne sont néanmoins nullement ignorées par lui, mais leur incidence doit aussi être appréciée en considération du principe de proportionnalité déjà cité ; que doit aussi être écarté le moyen des appelants tiré des dispositions de la convention générale entre la France et la Yougoslavie sur la sécurité sociale du 5 janvier 1950, quand bien même celle-ci continue à produire ses effets dans les rapports avec les Etats qui composaient antérieurement à la Yougoslavie, et notamment la Bosnie Herzégovine ; que si les articles 1 et 2 de ladite convention posent les principes généraux de réciprocité d'application des législations de sécurité sociale entre les Etats concernés, suivent pour chaque catégorie de droits et prestations les conditions spéciales de mise en oeuvre de ceux-ci qui sont celles devant régir l'appréciation des prétentions ; que s'agissant des prestations familiales, il y a lieu de se référer aux articles 23-23A et 23B qui, ainsi que le fait à bon droit valoir la caisse d'allocations familiales, ne régissent que les travailleurs salariés exerçant leur activité dans un autre Etat que celui où résident leurs enfants, ou ceux détachés avec leur famille dans un autre pays que le leur, situations dans lesquelles les appelants ne se trouvent pas ;
ET AUX MOTIFS QU'il n'est pas contesté que les enfants étrangers vivant sur le territoire français peuvent bénéficier des prestations familiales en vigueur en France mais sous certains conditions ; que l'article L. 512-2 du code de la sécurité sociale prévoit que bénéficient de plein droit des prestations familiales, les personnes de nationalité étrangère résidant de manière habituelle sur le territoire français dès lors qu'elles fournissent l'un des justificatifs attestant de la régularité de leur entrée ou de leur séjour en France ; que M. et Mme X... disposent d'un titre de séjour dont la validité débute le 13 juin 2008 et remplissent la condition de régularité de séjour à cette date ; que l'article D. 512-2 dudit code prévoit les documents attestant de la régularité de l'entrée et du séjour des enfants étrangers, notamment un certificat de contrôle médical de l'enfant délivré par l'Agence nationale de l'accueil des étrangers et des migrations à l'issue de la procédure d'introduction ou d'admission au séjour au titre du regroupement familial ; que les articles L. 512-1 et L. 512-2 du code de la sécurité sociale interprétés conformément aux articles 8 et 14 de la convention européenne des droits de l'homme et aux termes d'une jurisprudence récente, la subordination de l'accès aux prestations de sécurité sociale à une condition de régularité d'entrée et de séjour sur le territoire n'est pas contraire aux articles 8 et 14 de la convention et à l'article 3 de la convention internationale des droits de l'enfant ; qu¿en effet, chaque pays signataire reste compétent pour organiser son système de sécurité sociale comme il l'entend ; qu¿au vu de la jurisprudence récente de la Cour de cassation, la production du certificat médical exigée à l'appui de la demande de prestations familiales du chef d'un enfant étranger, répondant à l'intérêt de la santé publique et à l'intérêt de la santé de l'enfant, ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit à la vie familiale ; que la nomination d'un expert aux fins de dire si les enfants Aga et Ilda sont en bonne santé et s'ils présentent un risque sanitaire ne peut compenser l'absence du document exigé par les textes en vigueur ;
1°- ALORS QU'il se déduit des articles L. 512-2 et D 512-2 du code de la sécurité sociale que le certificat de contrôle médical délivré par l'Office français de l'immigration et de l'intégration n'a lieu d'être exigé, pour l'octroi des allocations familiales, qu'à l'égard des enfants entrés en France après leurs parents, au titre du regroupement familial ; que la cour d'appel, qui a elle-même constaté que les enfants Aga et Ilda étaient entrés en France avec leurs parents, ne pouvait décider que l'attribution des allocations familiales au titre de ces deux enfants était subordonnée à la production du certificat susvisé ; qu'en statuant comme elle l'a fait, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé les articles L. 512-2 et D. 512-2 du code de la sécurité sociale
2° ALORS QUE M. et Mme X... faisaient valoir qu'il était déraisonnable d'exiger d'eux, dépourvus de moyens suffisants, qu'ils fassent rentrer leurs deux enfants mineurs en Bosnie, où leur sécurité était exposée à raison de leur origine rom, aux seules fins d'engager une procédure de regroupement familial alors que les examens médicaux dispensés par l'OFII pouvaient être effectués en France et au besoin ordonnés par la cour elle-même ; qu'en se bornant à énoncer, de façon générique et abstraite, que les dispositions législatives et réglementaires nationales s'avèrent conformes à la convention européenne des droits de l'homme, sans rechercher si, concrètement et dans cette situation particulière, en exigeant de M. et Mme X... qu'ils renvoient en Bosnie leurs enfants mineurs, âgés de neuf et six ans au moment de la demande, aux seules fins de faire établir un certificat médical dans les conditions prévues pour le regroupement familial, les autorités françaises ne portaient pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie privée et familiale des demandeurs, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme ;
3° ALORS QU¿il résulte de l'article 1er, § 1 et 2, de la Convention Générale sur la sécurité sociale conclue le 5 janvier 1950 entre la France et la Yougoslavie, applicable dans les relations entre la France et la Bosnie en vertu de l'accord sous forme d'échange de lettres des 3 et 4 décembre 2003, qui a un effet direct, que les ressortissants français ou bosniaques résidant en Bosnie Herzégovine ou en France sont soumis respectivement aux législations concernant les prestations familiales énumérées à l'article 2, applicables en Bosnie Herzégovine ou en France, et qu'ils en bénéficient dans les mêmes conditions que les ressortissants de chacun de ces pays ; qu'en se bornant à affirmer que « doit être écarté le moyen des appelants tiré des dispositions de la convention générale entre la France et la Yougoslavie sur la sécurité sociale du 5 janvier 1950 », la cour d'appel qui n'a pas recherché si ladite convention n'impliquait pas l'octroi aux ressortissants bosniaques des allocations familiales françaises sans que puissent être exigées d'eux des conditions supplémentaires ou plus rigoureuses par rapport à celles applicables aux ressortissants français, a privé sa décision de base légale au regard des stipulations susvisées de la Convention du 5 janvier 1950.